Bonjour.
Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à prendre la parole au sujet de cet important projet de loi.
Je vous présente aujourd'hui le point de vue de praticien d'un avocat criminaliste.
Pour que vous sachiez qui je suis et d'où j'arrive avec ce témoignage — et pour que vous lui accordiez l'importance qu'il mérite —, je vous dirai que je suis officiellement reconnu par le Barreau de l'Ontario comme spécialiste du droit pénal. Ma pratique est axée exclusivement sur le droit criminel et quasi criminel. Mon cabinet a une section d'appel et, avant de venir aujourd'hui, je me suis entretenu assez longuement avec ses responsables.
Bref, ce que cela signifie, c'est que je suis l'avocat de première instance qui devra s'occuper de ce projet de loi s'il est adopté. Ce que je vous apporte, je l'espère, concerne à la fois l'approche des 30 000 pieds, mais aussi la façon dont cela se greffera au dernier Code criminel.
Permettez-moi de vous donner une version abrégée de ce que je vais dire: ce projet de loi pose d'importants problèmes.
Tout d'abord, je dois dire que, malgré les lacunes du projet de loi proposé, l'objectif est louable. M. Bezan a proposé cette modification du Code criminel dans le but d'alléger le stress et les souffrances des familles des victimes. Il s'agit là d'un noble objectif qui est appuyé par tous les intervenants du système de justice pénale, tant du côté de la Couronne que de celui de la défense. Personne ne veut voir les victimes souffrir, ou souffrir encore et encore.
Toutefois, la question est dans la manière. Il est essentiel de se rappeler que ce projet de loi n'est pas conçu pour être punitif. Sauf que, s'il est adopté et contesté, la contestation sera inévitablement fondée sur la Charte.
M. Bezan a été très clair: ce projet de loi vise à cibler un petit groupe d'individus qui ont commis des crimes si flagrants qu'ils ne sauraient statistiquement et de façon réaliste être libérés sur parole. Ce sont les Clifford Olson de ce monde. En limitant ainsi la portée du projet de loi, M. Bezan cherche à s'assurer que les avantages du projet de loi — comme le fait d'éviter aux familles d'avoir à assister à de nombreuses audiences de libération conditionnelle — ne sont pas vraiment en concurrence avec les effets délétères d'empêcher la libération des personnes qui seraient autrement libérées. Autrement dit, les personnes visées par ce projet de loi n'ont aucune chance de sortir. C'est en fonction de cette prémisse que le projet de loi est proposé.
M. Bezan ne cherche pas à établir un équilibre entre la liberté et les droits des victimes. C'est important de le souligner, car si le projet de loi était conçu pour être punitif, il ferait l'objet d'une toute nouvelle série de contestations en vertu de l'article 12 de la Charte, contestations auxquelles il ne survivrait probablement pas.
Toutefois, même si nous reconnaissons que ce projet de loi n'est pas punitif et qu'il s'agit strictement d'un projet de loi de procédure visant à alléger les souffrances des familles des victimes, force est de reconnaître que le véhicule est mal choisi.
Mon premier argument est que ce n'est pas dans le Code criminel que ce problème devrait être réglé ou que cet objectif devrait être poursuivi.
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, la LSCMLC, est la loi qui régit le processus des libérations conditionnelles. Pour modifier la fréquence des audiences de libération conditionnelle pour ce groupe restreint, il serait beaucoup plus facile de passer par cette loi que par le Code criminel, et cela n'entraînerait aucun des problèmes dont je vais parler.
Le fait de modifier la LSCMLC afin que les familles des victimes puissent faire enregistrer et entendre leur témoignage lors des audiences de libération conditionnelle subséquentes permettrait également d'atténuer la douleur d'avoir à fournir une preuve à chaque audience de libération conditionnelle.
L'une ou l'autre de ces modifications à la LSCMLC, ou les deux, ont pour but d'atténuer leur stress. Cela ne compliquerait pas les procès. Cela n'entraînerait pas une violation de la Charte. En outre, les risques que cette façon de procéder suscite une contre-attaque de la part d'un groupe d'intérêt ou d'une partie prenante seraient nuls ou quasi nuls.
Mon deuxième argument, c'est que dans son libellé actuel, le projet de loi C-266 est probablement inconstitutionnel, et voici pourquoi. Une fois le texte du projet de loi C-266 appliqué en conjonction avec le Code criminel, on aurait ceci: « [...] le bénéfice de la libération conditionnelle est subordonné, en cas de condamnation à l’emprisonnement à perpétuité: pour l’une ou l’autre des infractions prévues aux articles [...] et pour meurtre » — et je souligne ce qui suit — « contre la même personne et au vu des mêmes faits [...] ».
Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'en ce qui concerne le meurtre, il y a une disposition de l'article 231 du Code criminel qui permet de faire en sorte que le meurtre au deuxième degré, c'est-à-dire tous les meurtres, soit considéré comme un meurtre au premier degré aux fins de la détermination de la peine et de la classification.
Le libellé de cette élévation réputée est le paragraphe 231(5):
Indépendamment de toute préméditation, le meurtre que commet une personne est assimilé à un meurtre au premier degré lorsque la mort est causée par cette personne
— et je souligne cette partie —
en commettant ou tentant de commettre une infraction prévue à l’un des articles suivants
Quelles sont les différences?
Dans le projet de loi C-266, une condamnation pour l'une des infractions est requise. À l'article 231, qui est déjà la loi et qui a déjà passé l'examen de la Charte, aucune condamnation n'est requise. Qu'est-ce que cela signifie concrètement?
Si le juge des faits — le jury, habituellement —, se fondant sur l'accusation du juge, conclut qu'une agression sexuelle s'est produite dans le cadre de la même série d'événements, mais non « en commettant », le meurtre au deuxième degré ne serait pas élevé au statut de meurtre au premier degré. C'est ça le piège, non?
Si cela fait partie de la même série d'événements, mais que cela ne s'est pas produit « en commettant » — il y a eu une pause ou un changement d'endroit, ou le jury a des doutes quant à ces nuances de formulation — vous n'allez pas déclencher l'élévation au meurtre au premier degré, mais vous pourriez déclencher les dispositions du projet de loi C-266. Ce que cela signifie, c'est qu'il y aura une contestation fondée sur la Charte du fait que l'on punit un meurtre au deuxième degré plus sévèrement qu'un meurtre au premier degré. Le jury peut acquitter un meurtre au premier degré présumé en vertu de l'article 231, et l'infraction serait quand même retenue.
En d'autres termes, la série d'événements n'est pas aussi claire que ce « en commettant », et c'est probablement une violation de la Charte.
À la lecture des Débats, j'ai pu comprendre que le député qui propose ce projet de loi croit que très peu de personnes seraient capturées. Sauf votre respect, il a tort. Ce qui arrivera, c'est que les procureurs de la Couronne, les personnes chargées d'appliquer les lois que vous avez adoptées, devront commencer à porter des accusations d'agression sexuelle et de séquestration sur l'acte d'accusation, ce qui signifie qu'un acte d'accusation qui ne comportait qu'un seul chef de meurtre — très net, relativement facile — devra maintenant comporter au moins trois chefs d'accusation: meurtre, infraction sexuelle sous-jacente et infraction sous-jacente de séquestration.
À l'heure actuelle, lorsque ces faits sont présents, mais qu'ils ne sont pas nécessairement reprochés, la Couronne peut porter des accusations au premier degré et s'appuyer sur les faits tels que la séquestration ou l'agression sexuelle pour élever le meurtre au premier degré, mais comme le projet de loi C-266 exige une condamnation, ce serait désormais à la Couronne de porter des accusations pour ces infractions. Si la Couronne ne le faisait pas, les groupes de défense des droits des victimes lui reprocheraient, à juste titre, de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour imposer la peine la plus lourde possible.
Par conséquent, lorsque la Couronne porte effectivement des accusations pour ces infractions supplémentaires, un juge pourrait demander à un jury de conclure que l'agression sexuelle a eu lieu, mais selon quelle norme? Si des accusations sont portées, elles doivent être portées hors de tout doute raisonnable. Les éléments constitutifs de l'infraction feraient nécessairement l'objet d'une accusation complexe et exhaustive, et que se passerait-il alors si le jury avait un doute raisonnable quant à la perpétration ou non de l'agression sexuelle? Qu'arrive-t-il à l'élévation sous-jacente du meurtre? Y aurait-il toujours une condamnation pour meurtre au premier degré s'il y a un doute raisonnable quant à l'accusation distincte d'agression sexuelle sur l'acte d'accusation? Nous n'allons pas dans la salle des jurés. Nous n'en savons rien.
Ce que nous savons, c'est que plus l'acte d'accusation est compliqué, plus les directives du juge au jury sont compliquées. Plus vous compliquez la tâche du juge devant le jury, plus il y a de chances que l'on interjette appel.
De plus, si nous parlons d'alléger le stress des familles des victimes, imaginez l'année qu'il faut pour arriver à l'audience préliminaire, puis les témoignages sur l'audience préliminaire, puis l'année qu'il faut pour arriver au procès, puis les témoignages sur le procès... Quelles seraient maintenant les conséquences d'un appel? Il y aura un appel parce que cela n'est pas clair.
Et qu'arrivera-t-il si l'appel est accueilli? Ce sera une autre année pour l'appel, puis il y aura un nouveau procès, ce qui représente encore une autre année. Nous parlons maintenant de quatre ou cinq ans, non pas d'audiences potentielles de libération conditionnelle, mais de témoignages annuels. On ne parle pas de la possibilité d'avoir à revivre le cauchemar d'être un membre de la famille d'une victime comme on le fait ici, mais bel et bien d'avoir à témoigner et à entendre le témoignage des policiers légistes et des témoins, et d'avoir à revivre les effets traumatisants du procès.
C'est un gâchis, car il s'agit de traiter les accusations potentielles de meurtre au deuxième degré comme des accusations de meurtre au premier degré et d'ajouter un certain nombre de complications. C'est une recette parfaite pour les contestations.
Mon troisième argument est un argument juridique similaire. Il concerne la question des infractions subsumées.
La séquestration fait souvent partie des infractions de meurtre et d'agression sexuelle, de sorte que lorsqu'un étouffement fait partie de l'agression sexuelle, l'accusation serait maintenant portée séparément, ce qui signifie nécessairement une autre accusation plus complexe.
Les personnes envisagées et mentionnées au cours des débats ne seraient pas touchées par ces changements, parce que les accusations dont elles ont fait l’objet n’ont pas été portées séparément. Ces changements ne toucheront pas uniquement les quelques personnes visées; un nombre beaucoup plus important d’accusés feront nécessairement l’objet de mises en accusation beaucoup plus complexes qui entraîneront un nombre beaucoup plus important d’appels, ce qui n’est pas le but de ces changements.
Je demande donc au comité de rejeter le projet de loi et d’inviter le gouvernement à modifier la LSCMLC pour atteindre le même objectif.
Merci, monsieur le président.