Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion d'être ici.
J'aimerais vous parler de la formation des prix sur le marché pétrolier et de la façon dont nous sommes passés de 20 à 140 $ pour reculer à 120 $.
Ce qu'il faut savoir, c'est que le marché pétrolier, entre 1985 et 2003, avait une très grande capacité de réserve, une capacité non utilisée. Nous avons fait des investissements excessifs dans les années 70 lorsque les cours du pétrole ont grimpé et la demande a chuté soudainement. Au cours de ces 20 années, l'OPEP a dû mettre fin à une importante partie de la production. Cette capacité de réserve, entre 1985 et 2003, s'est rétrécie un peu chaque année, mais a permis de garder les prix du pétrole à un niveau très bas, entre 18 et 20 $. À ces prix, nous avons sous-investi dans le secteur pendant une vingtaine d'années.
Pensez-y. Cela signifie que pour chaque nouveau baril demandé, nous n'avions pas besoin de trouver du pétrole ou d'en produire. Il suffisait que quelques producteurs ouvrent le robinet. Au cours de cette vingtaine d'années, nous avons répondu à 60 p. 100 de la demande croissante en ouvrant le robinet. Cette opération n'a pas coûté très cher.
En 2003, 2004 et 2005, il y a eu deux perturbations, l'une touchant l'offre et l'autre touchant la demande, qui ont essentiellement rasé la capacité de réserve. La perturbation de l'offre s'est produite en 2003 avec la grève au Venezuela, la situation au Nigeria, puis la guerre en Irak. Nous avons retiré beaucoup de barils du marché au moment où le monde commençait à connaître une perturbation sur le plan de la demande, non seulement en provenance de la Chine, mais aussi de certains endroits du Moyen-Orient et aux États-Unis. En 2004, la demande a été incroyable aux États-Unis. Ces deux perturbations qui se sont produites simultanément ont éliminé toute la capacité de réserve et, sans cette capacité, les marchés pétroliers fonctionnent de manière bien différente.
Pensez-y. Avant cette période, les investisseurs et les spéculateurs n'étaient pas vraiment disposés à jouer sur ce marché, parce que toute décision prise par l'OPEP pouvait faire augmenter ou diminuer considérablement la production et changer complètement la structure de prix. Il y avait donc un risque politique, créé par l'OPEP, qui était inadmissible pour bon nombre d'acteurs financiers.
À mesure que la capacité de réserve s'effritait est apparue la thèse de l'offre. Selon cette thèse, nous n'avons pas assez de pétrole, la production est à son sommet et la demande augmente.
J'ai une opinion un peu différente, mais cette thèse est très présente chez les acteurs financiers, beaucoup moins chez les acteurs de l'industrie. Les compagnies pétrolières ne s'affolent pas autant de ce plafonnement, mais la thèse est importante parce qu'elle nous dit que nous entrons dans une ère de rareté, si bien que le moment est venu d'investir dans le pétrole. Ce mouvement et cette thèse de l'offre ont, d'une certaine façon, créé un autre phénomène, qu'il faut absolument saisir pour comprendre les prix du pétrole. C'est ce que j'appelle la financialisation des marchés pétroliers.
Avant 2003 ou 2004, les marchés pétroliers étaient de petits marchés de marchandises où l'on trouvait peu d'acteurs, certains étant très imposants, qui pouvaient transiger beaucoup de barils en arbitrage. En 2003, une cinquantaine d'institutions financières étaient inscrites au NYMEX, alors qu'on en compte plus de 400 aujourd'hui. Alors, avec l'élimination de la capacité de réserve et l'apparition de la thèse de l'offre, qui met en lumière la rareté, le marché s'est retrouvé avec un grand nombre d'acteurs. Beaucoup d'entre eux ne connaissaient pas grand-chose du produit, mais ont vu là une trajectoire de prix qui leur a paru être une bonne façon de faire de l'argent et de miser.
La financialisation du marché pétrolier est importante puisque, entre 2005 et 2008, les principaux indicateurs de prix du pétrole étaient différents de l'offre et de la demande. Je suis un fondamentaliste. Je fais ce métier depuis 15 ans. Je sais comment examiner l'offre et la demande et prévoir les prix du pétrole. Tout fonctionnait très bien jusqu'en 2002. Or, entre 2003 et 2005, l'indicateur principal qui sert à prévoir la fluctuation des prix pétroliers est devenu la somme d'argent injectée. C'était purement cette somme d'argent et par la suite, entre 2006 et 2007, c'était en grande partie la position des acteurs non commerciaux, la portée de leurs actions. Ces spéculateurs bien précis — je n'aime pas beaucoup cette expression, et je parlerais davantage d'investisseurs — dictaient l'ampleur, la forme et la trajectoire des prix du pétrole.
C'est très important. Tout à coup, ce n'est plus les acteurs physiques, mais les acteurs financiers qui, simplement de par leur poids et leur taille, donnent la direction que prennent les prix du pétrole.
À mesure que ce marché a gagné en maturité, d'une certaine façon, et que ces acteurs sont devenus plus futés, un autre phénomène est apparu, et ce qui s'est produit au cours des 12 derniers mois est en fait très intrigant. Comme tous ces acteurs financiers pénètrent le marché, ils font soudainement de l'arbitrage: non seulement ils investissent de l'argent dans le pétrole, mais ils décident, s'ils investissent dans le pétrole, de prendre l'argent d'ailleurs. Ils font de l'arbitrage de portefeuille dans toutes les classes d'actif. Voilà comment je vois la chose. Le pétrole devient une classe d'actif en soi. Ils décident un jour d'investir dans le dollar; le jour suivant le dollar fléchit, alors ils investissent dans le pétrole, ou ils investissent dans le dollar canadien, peu importe. Ils font cet arbitrage parmi les actifs au portefeuille. Cette activité a évidemment amené plus d'argent, parce que de nouveaux acteurs sont arrivés, principalement des fonds de dotation universitaires et des caisses de retraite — ce qu'on appelle des placements plus passifs, en général.
Cet arbitrage a en quelque sorte lié les prix du pétrole à d'autres facteurs fondamentaux, que j'appelle les « macro-macro-variables ». Tout à coup les prix du pétrole au cours des 12 derniers mois... Si vous voulez vraiment comprendre ce qui s'est produit, vous devez faire un lien entre les prix du pétrole et le dollar américain et les taux d'intérêt aux États-Unis. La crise des prêts hypothécaires aux États-Unis, qui a eu un effet sur la détente des taux d'intérêt et l'affaiblissement du dollar, a eu un impact important sur les prix du pétrole. Vous avez une très bonne corrélation ici.
En fait, nous observons le phénomène inverse maintenant. Le dollar prend des forces, et le pétrole faiblit. Dans ce sens, le pétrole est devenu un actif financier, là où les facteurs fondamentaux ont de l'importance. Après tout, nous avons sous-investi pendant longtemps. Jusqu'à aujourd'hui, l'équilibre entre l'offre et la demande physiques a été passablement serré. Je crois que ce sera probablement l'inverse au cours de la prochaine année et demie, parce que les prix du pétrole ont commencé à supprimer la demande, mais ce que vous aviez d'une certaine façon, ce sont des macro-variables et les facteurs fondamentaux du pétrole qui, ensemble, sont devenus le principal élément moteur des prix du pétrole.
Je vais m'arrêter ici. Je répondrai à vos questions tout à l'heure.