Merci beaucoup.
Permettez-moi tout d'abord de dire que je suis vraiment ravi d'avoir été invité à faire un exposé devant le comité, car à mon avis, la question des soldats et des anciens combattants qui reviennent au Canada est l'une des priorités du pays à l'heure actuelle.
Pourquoi dis-je cela? Je le dis parce que le TSPT, le suicide et ce type de traumatismes très connus suscitent beaucoup d'attention dans les médias, alors qu'à mon avis, il y a toutes sortes d'autres coûts pour le Canada dont on ne parle pas. Je vais en parler dans mon exposé aujourd'hui.
Je veux d'abord que nous ne perdions pas de vue que pour tous les soldats qui reviennent, s'ils souffrent de blessures — que nous appelons des stress liés à la guerre, des blessures psychologiques — le traumatisme a des conséquences non seulement sur eux, comme vous le savez, mais également sur leur famille et la collectivité dans laquelle ils retournent. D'après mon expérience de travail des 30 dernières années, si ces troubles mentaux ne sont pas traités et que ces gens ne reçoivent pas d'aide, non seulement nous perdons la contribution que ces gens peuvent apporter à la société, mais ce problème entraîne de très graves répercussions sur les conjoints, les enfants et le milieu de travail.
L'une des choses que je veux rappeler au comité, pour peut-être employer un terme qu'on utilise par exemple dans le secteur de la santé et de la médecine, ce sont les années potentielles de vie perdues. Nous pouvons évaluer les coûts dans notre société. Lorsque les gens subissent des blessures, qu'elles soient corporelles ou psychologiques, et qu'ils ne sont plus capables d'apporter leur contribution et de fonctionner, non seulement ils perdent quelque chose, mais la société aussi, et nous en payons énormément le prix.
Donc, bien entendu, je tiens vraiment à vous parler aujourd'hui d'un programme que nous mettons en oeuvre ici à l'Université de la Colombie-Britannique. Il est parrainé par la Légion. C'est le programme d'aide à la transition des anciens combattants. Vous remarquerez l'élément central dans le nom du programme. C'est-à-dire que ce qui compte, c'est la façon dont on aide ces hommes et ces femmes à redevenir des citoyens canadiens productifs. S'ils ont des blessures, surtout en cas de blessures psychologiques, que les soldats appellent d'ailleurs des blessures invisibles, souvent, elles ne sont pas décelées, ils ne reçoivent pas les services pour toute une panoplie de raisons dont je vais parler dans un moment, et notre société en paie le prix. Des questions morales et économiques entrent en jeu. Voilà pourquoi j'y joue un rôle.
Par ailleurs, dans le cadre de mon travail, lorsque je vois ces mêmes personnes bien se rétablir de leur traumatisme, retrouver leur famille et leurs enfants, retourner sur le marché du travail, aller à l'université, au collège ou à l'école technique et redevenir des citoyens productifs, c'est vraiment très inspirant pour moi. Je suis donc assez optimiste quant à ce que nous pouvons faire au Canada pour aider les anciens combattants à se réintégrer dans la société canadienne. Pourquoi dis-je cela? Je le dis parce que nous avons les compétences voulues. Nous avons les compétences qu'il faut dans le domaine médical et le domaine de la psychologie pour le faire.
Ensuite, vous vous demandez peut-être où j'ai été formé. J'ai appris en travaillant avec des anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale âgés de 85 et de 90 ans il y a 25 ans dans le cadre d'un projet parrainé par Anciens Combattants Canada. Je les ai rencontrés en groupes pour comprendre ce qu'ils ont vécu et dans quelle mesure la guerre a eu des répercussions sur leur vie et leur transition lorsqu'ils sont revenus au Canada. Lorsque nous avons terminé le projet, aucun doute ne subsistait dans leur esprit...
Dans l'une des plus importantes recommandations qu'ils ont faite, ils m'ont dit, « Westwood — c'est ainsi qu'ils m'appelaient —, le problème de votre programme, c'est qu'il y a un problème ». Je leur ai demandé quel était ce problème. Ils m'ont dit que le programme arrivait 50 ans trop tard. Ils ont dit qu'ils auraient eu besoin de raconter ce qu'ils ont vécu et qu'ils auraient eu besoin d'aide pour leur transition il y a 50 ans. Ils ont dit qu'ils n'en seraient pas où ils en sont maintenant, qu'ils ne traîneraient pas avec eux le même bagage.
Et, monsieur le président, ils ont parlé de bagage. Nous n'utilisons pas beaucoup de jargon du domaine de la psychologie aujourd'hui, car les soldats ne l'utilisent pas. Ils appellent ce phénomène « déposer les bagages ».
Certains des anciens combattants plus âgés que le Dr Kuhl et moi... le Dr Kuhl est un de mes collègues. Il enseigne à la faculté de médecine et était le directeur de l'unité de soins palliatifs de l'hôpital St. Paul. Bon nombre de patients de cette unité étaient ces hommes et ces femmes de 85 ans qui avaient servi dans la Seconde Guerre mondiale et la guerre de Corée. Il a constaté — et c'est le fruit de vastes recherches — que si les gens ne font pas face à leurs blessures de guerre, et je parle des blessures psychologiques, leur mort sera très difficile. Les blessures ne seront pas guéries.
À la lumière des recommandations des soldats âgés, dans le cadre de notre travail avec les jeunes soldats, nous leur offrons maintenant une place dans le programme d'aide à la transition pour déposer leurs bagages en nous disant dans quelle mesure la guerre a eu des répercussions sur eux et leur fonctionnement.
Je crois qu'il faut ajouter que ce qui rend le programme unique comparé à certains programmes que nous offrons, c'est qu'il est vraiment géré ou appuyé, si l'on veut, par d'autres soldats. L'équipe qui travaille avec les soldats d'aujourd'hui, qui reviennent au pays, est composée de médecins, de psychologues et de thérapeutes, mais nous avons un autre atout important dans l'équipe, et ce sont les soldats qui agissent à titre d'auxiliaires. Il s'agit de soldats qui ont été déployés, sont revenus au Canada, ont participé au programme d'aide à la transition et veulent faire leur part et se rendre utiles. Nous les formons pour qu'ils puissent travailler avec nous. Par conséquent, les soldats qui participent au programme sont rassurés par la présence de soldats dans l'équipe d'aide, ce qui leur donne confiance.
J'ai appris à mes dépens, comme ceux d'entre vous qui travaillent avec des anciens combattants, j'en suis sûr, que la plupart d'entre eux ne nous font pas confiance en tant que civils, et ce, pour deux raisons. Premièrement, ils nous disent à nous, les aides professionnels, « puisque vous n'étiez pas là et que vous n'avez pas servi, comment pouvez-vous comprendre ce que j'ai vécu? ». C'est la première raison. Deuxièmement, si ces services sont offerts par les Forces canadiennes ou Anciens Combattants Canada, bon nombre de soldats que je rencontre n'y auront pas recours, car ils ne sont pas convaincus que les renseignements qu'ils donneront demeureront confidentiels. Que font-ils alors? Ils fuient. Cela n'aide personne, ni nous, ni eux.
Maintenant, certains, bien entendu, avec le SSBSO... ils ont élaboré des programmes et des façons de réduire les difficultés, ce que j'appuie vraiment, mais j'ai appris deux choses. Premièrement, si l'on aide les soldats victimes de traumatisme lié à la guerre, il faut faire participer les soldats qui rentrent au pays. Pourquoi? C'est que les soldats aiment aider les autres soldats. Ces hommes et ces femmes sont très expérimentés à leur retour. Ils ont été sur le terrain. Ils ont vécu ce qui est arrivé et, grâce à la formation, ils donnent un solide coup de main à toute équipe d'aide à la transition, comme celle qui opère ici dans cette région du Canada.
En tant que professionnel, j'ai éprouvé un sentiment d'humilité lorsque je me suis rendu compte qu'ils avaient du respect pour moi surtout parce que je leur ai prouvé que je comprenais leur vie. J'ai compris leur vie en écoutant ce qu'ils me racontaient. Parfois, un ancien combattant qui se rend à un bureau d'Anciens Combattants Canada me dira, « je ne veux pas aller là-bas, car comment puis-je savoir que la personne qui m'accueille comprend ce qui m'est arrivé? ». Ils m'ont appris très rapidement ce qu'ils ont besoin pour nous accorder leur confiance et avancer, avoir envie de participer à un programme de traitement.
Voilà pour ce qui est de mon expérience.
Donc, qu’avons-nous fait? Essentiellement, nous aidons maintenant les anciens combattants qui sont libérés du service. Ils ont été déployés à l’étranger et participent ensuite au programme d’aide à la transition des anciens combattants qui dure trois mois, comme vous pouvez le voir. Il s'agit d'un programme en établissement. La plupart des anciens combattants participent au programme avec l’idée de quitter leur vie de militaire et de retourner à la vie civile.
Toutefois, s’ils ont des blessures liées à un traumatisme, il est presque impossible pour eux de réintégrer la vie civile. Pourquoi? Si vous comprenez ce qu'est un traumatisme, vous savez qu'il change la façon de penser des personnes qui en souffrent, ce qui cause un désordre dans les pensées. Ils ont tous des symptômes qui peuvent facilement être déclenchés et ils ne se sentent pas en sécurité. Ce que nous remarquons chez bon nombre de soldats, c’est qu’ils veulent s’isoler. Je sais que je ne vous apprends rien de nouveau. Les membres du comité auront compris qu’un des symptômes types que présente une personne qui souffre d’un traumatisme psychologique, c’est qu’elle veut partir, se cacher et fuir. Pourquoi? Parce que la honte entre en jeu, surtout chez un soldat.
Maintenant, il nous faut comprendre que les soldats ont une mentalité particulière, et quelle est-elle? C’est une mentalité — et j’aime voir les choses sous cet angle — selon laquelle il est important de rester fort, autonome et de ne pas avoir besoin d’aide. Si les soldats adoptent cette mentalité et qu’ils retournent au pays blessés, nous pouvons tous nous imaginer à quel point il est difficile pour eux de demander de l’aide, car le faire déroge à tout ce qu’on leur a appris. Donc, souvent, les soldats évitent de demander de l’aide.
Cependant, ils souffrent quand même. Que font-ils? Vous le savez aussi bien que moi. Ils fuient, prennent des médicaments, et dans le pire des scénarios, ils souffrent tellement qu’ils se suicident.
Dans l’immédiat, je crois qu’il nous faut prendre conscience que nous pouvons établir des liens avec ces gens, ces hommes et ces femmes, de différentes façons. Nous pouvons également offrir des services. Nous avons les cliniques de traitement des TSPT partout au Canada, qui offrent certainement un service — la réduction des symptômes — où l'on utilise des méthodes traditionnelles. Le bureau du SSBSO d’ACC apporte de l'aide, mais lorsque nous regardons les statistiques sur le nombre de personnes qui visitent ces bureaux, le nombre de personnes tend à être faible.
Pourquoi? Parce que bon nombre d’entre elles évitent d’utiliser nos services. Même si nous déployions tous les efforts possibles, je pense que certains soldats n’auront jamais confiance en nos services s’ils nous voient comme des représentants d’un organisme gouvernemental. C’est ce à quoi nous faisons face.
Tout cela en guise de contexte.
Je crois que le programme au sujet duquel on m’a demandé de parler existe… près de 200 soldats y ont participé. Jusqu’à maintenant, la majorité d'entre eux ont repris contact avec leur famille. Ils font des progrès; bon nombre d’entre eux retournent aux études ou font un cours d’appoint. Pourquoi? Eh bien, cela fonctionne parce que — remarquez — le programme dont nous parlons est un programme d’aide à la transition et non un programme sur le TSPT. Oui, nous traitons les gens qui souffrent de TSPT, mais la dernière partie du programme est axée sur la façon pour eux d’établir de nouveaux objectifs de vie et d’obtenir les ressources qui sont disponibles pour reprendre leur vie en main.
À mon avis, la meilleure façon d’aider les soldats n’est pas de les plaindre et de ne leur offrir que des services médicaux et de psychologie, mais de leur rappeler qu’ils sont des citoyens à part entière, qu’ils peuvent encore être utiles, et de leur donner les ressources et les compétences qu’il faut pour le faire. Je ne prétends pas du tout recommander ce programme à tout le monde, mais je crois qu’il a commencé comme bon projet pilote et qu’il est prometteur.
Récemment, nous avons reçu beaucoup de ressources financières de la part de la Légion royale canadienne pour renforcer nos capacités et former des professionnels et des soldats agissant à titre de professionnels auxiliaires afin de créer d’autres équipes qui pourraient aller dans d’autres régions du Canada — si on les invite à le faire — et offrir un tel programme aux soldats.
C’est un programme de groupe. Pourquoi? C’est que, comme je l’ai dit, les soldats aident d’autres soldats. Ils savent très bien comment s’aider les uns les autres. Comme ils vivent et travaillent en groupe, je trouve cette façon de faire très efficace. En tant qu’équipe professionnelle, nous mettons en place les lignes directrices qu’ils doivent suivre.
Plus récemment, nous avons fait un suivi avec un groupe de soldats. Les soldats sont très enthousiastes à l’idée de garder le contact avec leur unité. Étant donné qu’ils considèrent notre programme comme une unité, une nouvelle unité, et qu’ils aiment garder le contact avec elle lorsqu’ils reviennent à la maison, nous tentons de tenir des réunions chaque mois. Nous travaillons à ce volet.
C’était une entrée en matière. Je pourrais en dire davantage, mais j'ai déjà dit beaucoup de choses.
Je suis impatient de répondre à ceux qui veulent obtenir des précisions ou d'autres renseignements à ce stade-ci.