Je vous remercie.
Au nom de l'Association canadienne pour la prévention du suicide, de notre conseil d'administration et de nos membres de partout au Canada, je voudrais remercier le comité de nous donner l'occasion de vous parler de l'aspect de la prévention des blessures qui porte sur les blessures intentionnelles.
Au cours des vingt dernières années, environ 100 000 Canadiens se sont suicidés, dont presque 4 000 l'an dernier. C'est plus que le nombre total de décès attribuables à des blessures non intentionnelles et à des homicides. Le suicide est la principale cause des décès liés à des blessures. Pourtant, le gouvernement fédéral fait très peu de cas du suicide, et de la prévention des blessures en général.
Le Canada se classe dans le premier tiers des pays du monde affichant les taux de suicide les plus élevés. Le suicide étant une question complexe qui ne résulte pas d'une seule cause, il faut, pour le prévenir, adopter une approche multidimensionnelle.
Le suicide procède d'une série de facteurs biologiques, psychosociaux et spirituels complexes qui interagissent les uns avec les autres. Ces facteurs peuvent comprendre l'isolement social, les traumatismes, le stress, la violence familiale, la pauvreté, une santé mentale fragile et des maladies physiques et mentales.
Les efforts de prévention du suicide au Canada sont fragmentés, déconnectés. Ils souffrent de l'absence d'une vision nationale. Il n'existe aucun cadre en matière de santé mentale ou de prévention des blessures qui uniformise les mesures de prévention du suicide au pays.
Si on examine les effets du suicide et des blessures liées au suicide sur notre système de soins de santé surchargé, on se rend compte que les coûts sont alarmants. D'après les estimations, on recenserait plus de 88 000 visites à l'urgence associées à des comportements suicidaires.
En 2004, plus de 7 000 Ontariens ont été admis à l'hôpital pour de tels comportements. Ceux-ci se sont traduits par une invalidité partielle permanente chez presque 1 500 de ces personnes et par une invalidité totale permanente chez 76 personnes.
Compte tenu des besoins en services hospitaliers ou en services de réadaptation et du soutien familial supplémentaire requis à la suite d'une tentative de suicide, on estime que les comportements suicidaires n'entraînant pas la mort engendrent des coûts qui oscillent entre 33 000 et 308 000 $. Les autres coûts économiques associés aux décès dus à des blessures intentionnelles sont nombreux, mais ce n'est rien comparativement au prix que doivent payer les familles des gens qui se suicident.
Plus de trois millions de Canadiens — et probablement certains d'entre nous ici présents — ont connu la douleur et l'angoisse qui découlent du suicide d'un être cher. Ce qui rend la chose encore plus tragique, c'est de savoir que bon nombre de ces morts dues à des blessures infligées volontairement sont évitables. Malheureusement, le suicide d'une personne ne fait pas disparaître la douleur; celle-ci est simplement transférée à sa famille, ses amis et sa communauté. Ces gens souffrent en silence et leurs blessures sont pour la plupart invisibles.
L'Association canadienne pour la prévention du suicide se compose de bénévoles dévoués. Depuis sa création dans les années 1980, l'ACPS fonctionne sans financement public ni aide du gouvernement du Canada. Les membres de l'organisme, et notamment de son conseil d'administration, ont consacré bénévolement des milliers d'heures à promouvoir la prévention du suicide à l'échelon national, souvent au prix d'énormes sacrifices personnels.
Au cours des deux dernières décennies, l'ACPS a fait un travail remarquable sans soutien, reconnaissance ni encouragement des autorités fédérales. Jusqu'à présent, Ottawa est resté passif devant le suicide. De par son silence, le gouvernement du Canada entretient les préjugés à l'égard du suicide et contribue au problème alors qu'il devrait déclarer haut et fort son appui envers les efforts de prévention du suicide. Nous vous remercions de nous aider à rompre le silence.
Les Nations Unies, l'Organisation mondiale de la santé, tous les autres pays développés et chaque province et territoire reconnaissent le suicide comme un enjeu de santé publique et une priorité, mais ce n'est pas le cas du gouvernement du Canada. Celui-ci n'a pas fait montre d'un grand leadership en ce qui concerne cette forme de blessure intentionnelle.
Votre décision judicieuse et courageuse d'inclure le suicide, cette blessure intentionnelle, dans cet examen sur la prévention des blessures nous remplit d'espoir.
En 1993, les Nations Unies ont reconnu que la question du suicide ne relevait pas d'un seul domaine. Elle touche aux domaines de la santé publique, de la santé mentale, du bien-être social et de la prévention des blessures. Personne ne peut prétendre que ce n'est pas son problème ou sa responsabilité, mais c'est pourtant le message véhiculé par le gouvernement du Canada.
Jusqu'à maintenant, le gouvernement fédéral a réagi à nos demandes en disant qu'il s'agit d'une question de compétence provinciale et territoriale. En fait, le suicide en tant que blessure intentionnelle grave est la responsabilité de tous. Tout le monde a un rôle à jouer, y compris le gouvernement du Canada.
Le gouvernement fédéral a, par le passé, joué un rôle moteur et travaillé de concert avec les provinces et les territoires dans de nombreux dossiers de santé publique et à l'occasion de pandémies, comme dans le cas de la grippe H1N1, du SRAS et du sida. Il est maintenant temps qu'il s'attaque, de manière positive, à la pandémie de suicide au pays. Le fédéral ne peut plus faire abstraction de cette question liée à la prévention des blessures et se croiser les bras sous prétexte que c'est aux provinces et aux territoires qu'il revient d'agir.
Il faut reconnaître que le gouvernement fédéral a investi des sommes importantes dans la prévention du suicide au sein des collectivités des Premières nations, mais il s'agit d'un effort très circonscrit et restreint. Il n'a rien investi dans la prévention du suicide dans les autres collectivités.
La bonne nouvelle, c'est qu'on peut prévenir les blessures liées au suicide. Nous savons quoi faire. Nous pouvons le faire et nous devons le faire ensemble. Voilà six ans que nous proposons au gouvernement du Canada la stratégie nationale de prévention du suicide que l'ACPS a élaborée en 2004. J'ai apporté quelques exemplaires avec moi aujourd'hui. Ce cadeau que nous offrons au gouvernement, et visant à prévenir les blessures intentionnelles, est constamment rejeté. Nous vous invitons à l'accepter dans le même esprit qui nous anime en vous le donnant. Travaillons ensemble pour sauver des vies et réconforter ceux qui ont de la peine.
Il y a 15 ans, les Nations Unies et l'Organisation mondiale de la santé ont reconnu le suicide comme un important problème de santé publique qui touche plusieurs champs de compétence. En 1992, les Nations Unies ont demandé au Canada de jouer un rôle de premier plan dans la formulation de lignes directrices internationales relatives à la prévention du suicide, lesquelles ont été adoptées par l'ONU en 1996.
Les lignes directrices adoptées par les Nations Unies et celles établies plus tard par l'OMS exigeaient que chaque pays élabore une stratégie nationale de prévention du suicide et mette sur pied un organisme national de coordination. Peu de temps après, les pays ont commencé à élaborer leur stratégie. À l'heure actuelle, tous les pays développés ont une stratégie nationale. Tous, à l'exception du Canada. Tous ont surmonté des obstacles. Pourquoi le Canada n'en serait-il pas capable? En fait, non seulement notre pays n'a pas reconnu les lignes directrices de l'ONU et de l'OMS et n'y a pas donné suite, mais il ne considère toujours pas le suicide comme un problème national de santé publique.
Actuellement, la prévention du suicide n'est rien de plus qu'une note de bas de page sur le site Web de l'Agence de la santé publique du Canada. Alors qu'autrefois, le Canada faisait figure de chef de file international de la prévention du suicide, de nos jours, on ne peut même pas dire qu'il se contente de suivre. Nous sommes complètement déconnectés du reste du monde, et c'est honteux. Nous devons maintenant apprendre des autres pays et suivre leur exemple.
Que peut donc faire le gouvernement du Canada? Il peut faire pour la prévention du suicide ce qu'il a fait pour la santé mentale. En effet, il a déclaré que la santé mentale était une question prioritaire et il a créé la Commission de la santé mentale du Canada, qui fut mandatée pour élaborer une stratégie nationale en la matière.
Il ne faut pas penser que la stratégie de la Commission de la santé mentale du Canada est une stratégie de prévention du suicide. D'ailleurs, dans son excellent rapport intitulé Vers le rétablissement et le bien-être, la commission ne fait mention qu'une seule fois de la prévention du suicide.
Nous demandons au gouvernement du Canada de prendre les mesures suivantes: reconnaître officiellement le suicide comme un enjeu important et une priorité stratégique sur le plan de la santé publique et communautaire et celui de la prévention des blessures; mettre sur pied et financer adéquatement un organisme national de coordination en matière de prévention du suicide qui servira de courtier de connaissances; favoriser l'échange de connaissances, l'adoption de pratiques exemplaires, la recherche et la communication; s'engager à collaborer avec l'organisme national de coordination, les provinces et les territoires à l'élaboration d'une stratégie nationale de prévention du suicide; enfin, charger l'organisme national de coordination de réaliser une campagne pancanadienne de sensibilisation et d'éducation sur le suicide, et lui offrir le financement adéquat à cette fin.
Pour conclure, j'aimerais dire que trop de gens, promis à une existence éventuellement épanouissante et remplie d'espoir, écourtent leur vie. Trop de personnes et de familles perdent un être cher qui aurait continué à enrichir leur vie et leur collectivité.
Des centaines de milliers de personnes au pays ont vu leur vie transformée à jamais par le suicide tragique et inutile d'un proche. Il peut s'agir de vos électeurs, de vos voisins, de vos amis, de membres de votre famille et même de collègues du Parlement.
On peut prévenir le suicide. Quand on vous demandera ce que vous avez fait pour prévenir le suicide au Canada, que répondrez-vous?
Il y a de l'espoir, et avec votre aide, nous pouvons sauver des vies et apaiser ceux qui souffrent. Et nous le ferons.