Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Cela me fait bien sûr plaisir de participer à cette séance et à vos délibérations en ce qui concerne le projet de loi C-4.
J'ai déjà envoyé une soumission écrite, un mémoire, et je n'ai pas l'intention d'en faire la lecture ni même d'en faire le survol. Je vais tout simplement résumer mes inquiétudes face au projet de loi, pour laisser autant de temps que possible à mes collègues et pour les échanges avec les membres du comité.
J'aimerais d'abord vous parler un peu du travail que nous faisons, pour vous situer.
Je suis un défenseur des droits des enfants et des jeunes ainsi que l'ombudsman au Nouveau-Brunswick et, en ce moment, le commissaire à l'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels. J'espère qu'il y aura un autre commissaire pour cette fonction bientôt.
Depuis environ novembre 2006, je travaille sur des cas relatifs à des jeunes et à des enfants, y compris des jeunes qui sont visés par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et par des mesures du système judiciaire. Alors notre expérience est très concrète. Plusieurs personnes travaillent avec moi — des avocats, des travailleurs sociaux et d'autres personnes dans différents domaines. Nous intervenons dans différents cas. Nous participons à des conférences de cas et rencontrons des familles et des jeunes. Nous avons donc une bonne expérience sur le terrain.
De plus, nous avons publié deux rapports assez récemment. Il y a deux ans, nous avons publié un rapport intitulé Connexions et déconnexion, qui était vraiment axé sur les jeunes ayant des problèmes de santé mentale et de graves troubles du comportement ainsi que sur leur expérience et celle de leur famille pour ce qui est des fournisseurs de services au Nouveau-Brunswick. Nous avons fait une série de recommandations. Nous avons suivi sept jeunes et leurs familles. Les jeunes souffraient de diverses affections, y compris du trouble bipolaire, d'autisme ou de troubles du spectre autistique ainsi que de schizophrénie. Malheureusement, un des jeunes s'est suicidé. Mais nous avons suivi la situation des autres pendant deux ans. Nous avons rencontré leurs familles et nous avons publié un rapport présentant des recommandations.
Nous avons aussi consacré passablement d'énergie et de ressources à l'examen des trois années qu'Ashley Smith — que vous connaissez — a passées dans notre Centre pour jeunes du Nouveau-Brunswick. Elle a fait des allées et venues pendant trois ans — la plupart du temps elle était dans le centre. Nous avons examiné 6 000 pages de documents et regardé 40 heures de séquences vidéo. J'ai affecté cinq enquêteurs à ce cas. Ce qui s'est passé est tragique; comme vous le savez, elle est morte au sein du système fédéral. Mais un bon nombre de problèmes dans ce système étaient similaires à ceux que l'on trouve dans le système provincial.
Pendant ces trois ans, Ashley a passé les deux tiers de son temps isolée, c'est-à-dire en isolement cellulaire dans une cellule de 8 par 10, environ 23 heures sur 24, et la cellule était éclairée 24 heures sur 24. Si elle ne souffrait pas de maladie mentale lorsqu'elle y est arrivée, c'était sûrement le cas lorsqu'elle en est sortie — et c'est ce qui me serait arrivé aussi, monsieur le président, si je puis dire.
Elle a dû faire face à 501 accusations d'infractions disciplinaires pendant ces 3 ans et à 70 accusations au criminel pendant toute son existence; plus de la moitié des incidents ont eu lieu à l'intérieur des établissements, pas à l'extérieur. Elle a tenté 168 fois de se faire du mal et elle a reçu des décharges de Taser à deux reprises avant l'âge de 19 ans, dans une prison pour adultes, pendant qu'elle attendait son transfert vers un établissement fédéral.
Nous avons fait 25 recommandations dans ce rapport.
Je crois que nous avons une assez bonne idée de la manière dont ça marche sur le terrain. C'est en partant de ce principe que j'ai accepté votre invitation à comparaître.
Je sais que les opinions varient beaucoup concernant la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. En fait, au cours d'une réunion, j'ai entendu que l'abréviation du titre anglais de la loi, YCJA, pouvait signifier, selon les points de vue, « you can justify anything » — vous pouvez justifier n'importe quoi — ou « you can't jail anyone » — vous ne pouvez pas emprisonner n'importe qui. Je crois que je me situe quelque part entre ces deux définitions, mais j'aimerais que vous n'ayez aucun doute sur ce que je vais vous dire. C'est une nouvelle loi. On m'a dit qu'elle avait été créée pour régler une situation particulière dans le contexte de la Loi sur les jeunes contrevenants, soit le fait que le Canada avait le taux d'incarcération des jeunes le plus élevé au monde. En tout cas, il était extrêmement élevé. Ça a fonctionné, du moins si on regarde la situation aujourd'hui. Selon la recherche de Nicholas Bala et d'autres, la tendance est maintenant définitivement vers la réduction de la criminalité juvénile. L'incarcération des jeunes est aussi en baisse. Cela signifie des économies, sur le plan financier évidemment, mais aussi sur le plan des coûts affectifs pour les familles. Chaque jeune est le fils ou la fille de quelqu'un.
Ça ne fait pas assez longtemps que cela est en place, à mon avis. C'est une loi qui existe depuis sept ans. J'ai travaillé récemment sur la Loi sur les Indiens, qui existe depuis beaucoup plus longtemps que cela; sept ans, c'est très court pour une loi, et j'ai peur que ces changements soient prématurés.
Des consultations importantes ont eu lieu en 2008. J'y ai participé et j'ai rencontré le ministre Nicholson en août 2008, au Nouveau-Brunswick. Je sais que mes commentaires n'étaient qu'une fraction de ce qui s'est dit à l'échelle nationale. Je n'ai pas encore reçu les résultats de ces consultations. Je crois qu'il serait essentiel que les membres du comité aient accès à cette information. Il est difficile pour vous de prendre une décision concernant une loi sans savoir ce que des milliers — à tout le moins des centaines — de Canadiens avaient à dire à ce sujet. Dans le cadre de la séance à laquelle j'ai assisté à Moncton, il y avait des associations de gardiens de prison, de policiers, de psychiatres et de travailleurs sociaux. Le groupe était très diversifié, et les gens avaient beaucoup de choses à dire. Je crois que vous auriez vraiment avantage à obtenir ces renseignements. Je sais que des rapports ont été rédigés, mais aucun n'a été publié. Alors, j'aimerais savoir ce qui s'est dit tout au long de ces consultations. Un consultant — Roger Bilodeau — a été engagé pour rédiger un rapport et animer les séances.
J'ajouterais que nous n'avons pas utilisé de manière optimale la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents. Je crois que c'est parce que cette loi n'existe que depuis très peu de temps.
Dans le cas du Nouveau-Brunswick, par exemple, la partie de la loi qui permet l'utilisation de conférences relatives à des cas est très peu utilisée.
Récemment, Justice Canada a demandé à mon bureau d'entreprendre une analyse de l'utilisation de la loi au Nouveau-Brunswick en vue de créer un modèle qui nous permettrait de mieux utiliser les éléments déjà existants mais très peu connus en raison du caractère récent de la loi.
Il me semble qu'il faudrait explorer davantage les possibilités que présente la loi telle qu'elle existe maintenant avant de procéder à des changements qui sont quand même assez significatifs.
Je n'irai pas dans les détails, parce que ma thèse principale est qu'on va beaucoup trop rapidement. Il faudrait davantage analyser ce qui a déjà été fait et davantage déterminer si cela fonctionne ou non. Ce qui intéresse les membres du comité et la population canadienne, selon moi, ce sont les résultats à la fin du processus.
Ce qui nous intéresse, ce sont les résultats, c'est le fait d'avoir des résultats très réels et concrets. Alors si vous ne pouvez pas bénéficier d'une analyse complète de ce qui a eu lieu jusqu'à maintenant en rapport avec cette loi, je crois que vous prenez le risque de nous ramener à ce qui se passait du temps de la Loi sur les jeunes contrevenants, aux taux d'incarcération élevés, et tout serait à recommencer. C'est mon inquiétude.
J'éprouve beaucoup de compassion pour Sébastien et sa famille ainsi que pour les autres qui sont victimes de crimes. En tant qu'ombudsman, je suis souvent appelé aussi à défendre leur cause. Ce qui m'a préoccupé quand j'ai vu ce cas, c'est que c'est une histoire très tragique. Mais comme nous utilisons l'expression « Loi de Sébastien », je me demande quand nous parlerons de la « Loi d'Ashley », une loi pour ceux qui sont victimes du système de justice pénale. Ashley a demandé désespérément de l'aide, et sa situation s'est progressivement détériorée à l'intérieur du système.
Des milliers de jeunes Canadiens souffrent de maladies mentales, de graves troubles du comportement et de dépendances et font leur entrée dans le système de justice pénale; mais on devrait plutôt leur donner des traitements, on ne devrait pas les incarcérer. C'est inévitable, l'incarcération empire leur situation. Le système de justice, y compris le système carcéral, n'a tout simplement pas ce qu'il faut pour s'occuper de ce type de jeunes.
J'ai peur qu'en incarcérant un plus grand nombre de ces jeunes, nous nous retrouvions avec des jeunes qui sont confus, qui souffrent de toutes sortes de maux ou qui font tout simplement des erreurs de jugement... Et je dirais qu'à l'extérieur de cette salle, la plupart des jeunes font parfois des erreurs de jugement, mais elles ne sont pas aussi graves que... Moi je sais que j'en ai fait. Même si j'ai dit « à l'extérieur de cette salle », je peux vous avouer que lorsque j'étais adolescent... Et j'ai quatre fils qui ont déjà été des adolescents, et je suis heureux qu'ils soient maintenant des adultes. Mais il est certain qu'ils ont fait des erreurs.
Je vais clore là-dessus, monsieur le président.
Je vous demanderais d'examiner attentivement notre cheminement. J'ai peur qu'en considérant des cas très médiatisés de crimes violents perpétrés par des jeunes pour modifier ce qui, à mon avis, est une loi innovatrice et très progressiste, nous fassions une erreur et nous obtenions des résultats inadéquats. C'est mon inquiétude.
Merci, monsieur le président.