Monsieur le Président, je pense qu'il est pertinent que nous comprenions l'origine de ce droit. Je ne donnerai pas d'autres exemples, mais au nom de la démocratie au Canada, il est essentiel que nous ayons accès à ces documents.
Je vais maintenant passer aux points que vous avez soulevés dans votre décision, monsieur le Président, le 27 avril 2010. Je vais citer des extraits de cette décision, car eu égard à ce qui se passe ici aujourd'hui, il est impossible que cette prétendue confidentialité existe. En conclusion, je parlerai des dispositions prévues dans la Loi sur la preuve et la Loi sur l'accès à l'information, pour démontrer que ces renseignements doivent être divulgués à l'ensemble de la population canadienne.
Voici ce qu'on peut lire à la page 19 de la version imprimée de la décision que vous avez rendue le 27 avril dernier au Parlement:
Les questions dont nous sommes saisis remettent en question le fondement même de notre régime parlementaire. Dans un régime de gouvernement responsable, le droit fondamental de la Chambre des communes d'obliger le gouvernement à rendre compte de ses actes est un privilège incontestable et, en fait, une obligation.
Inscrit dans notre Constitution, dans le droit parlementaire et même dans le Règlement de la Chambre, ce droit est le fondement de notre régime parlementaire d'où découlent nécessairement d'autres processus et principes. C'est pour cette raison que ce droit s'applique à de nombreuses procédures de la Chambre, notamment à la période des questions quotidienne, à l'examen approfondi des budgets des dépenses par les comités, à l'examen des comptes du Canada, ainsi qu'aux débats, aux amendements et aux votes portant sur les projets de loi.
C'est très pertinent par rapport à la demande présentée par le Comité des finances.
Vous avez ajouté:
Comme je l'ai mentionné le 10 décembre dernier, on peut lire à la page 136 de la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes:
Selon le préambule et l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867, le Parlement jouit du droit de procéder à des enquêtes, d'exiger la comparution de témoins et d'ordonner la production de documents, des droits essentiels à son bon fonctionnement. Ces droits sont d'ailleurs aussi anciens que le Parlement lui-même.
Puis, monsieur le Président, on peut lire aux pages 978 et 979 du même ouvrage:
Le libellé du Règlement ne circonscrit pas les contours du pouvoir d'exiger la production de documents et dossiers. Il en résulte un pouvoir général et absolu qui ne comporte a priori aucune limitation. La nature des documents qui sont susceptibles d'être exigés est indéfinie, les seuls préalables étant qu'ils soient existants, peu importe qu'ils soient en format papier ou électronique, et qu'ils soient au Canada [...]
Aucune loi ou pratique ne vient diminuer la plénitude de ce pouvoir dérivé des privilèges de la Chambre, à moins que des dispositions légales le limitent explicitement ou que la Chambre ait restreint ce pouvoir par résolution expresse. Or, la Chambre n'a jamais fixé aucune limite à son pouvoir d'exiger le dépôt de documents et de dossiers.
Si je puis ouvrir une parenthèse, ce passage s'applique tout à fait à ce qui est demandé en l'occurrence. Un certain nombre de choses nous permettent de savoir que le document en question existe. Nous nous attendons à ce que le gouvernement fasse valoir certains arguments, par exemple qu'il y a certaines limites à ce privilège, mais je vais y revenir dans quelques minutes.
Dans votre décision, monsieur le Président, vous poursuivez en citant la page 70 de la quatrième édition de Bourinot, qui stipule ce qui suit:
Le Sénat et la Chambre des communes ont le droit, inhérent aux organes législatifs qu'ils forment, de convoquer une personne et de l'obliger à témoigner, dans les limites de leur compétence respective, et de lui ordonner de produire les documents et dossiers requis aux fins d'enquête.
Dans les arguments présentés, ce pouvoir a été décrit à la présidence comme étant « sans limites », « sans conditions », « inconditionnel », « absolu » et, en outre, comme un pouvoir ne pouvant être restreint que par la Chambre elle-même, à son entière discrétion. Cependant, tous ne partagent pas ce point de vue et, par conséquent, les limites de ce privilège sont aujourd'hui remises en question.
Encore une fois, vous faisiez référence à la position que le gouvernement a adoptée à ce moment-là, invoquant la question de la sécurité nationale pour expliquer que nous ne pouvions avoir accès aux documents demandés.
Monsieur le Président, vous avez ajouté:
Le gouvernement est d’avis que ni l’une ou l’autre chambre du Parlement ni ses comités ne disposent d’un tel droit absolu.
C’était la position adoptée par le gouvernement. Encore une fois, je trouve très inquiétant qu’il adopte actuellement cette même position. Vous avez ensuite ajouté:
Le pouvoir exécutif, qui détient les renseignements sensibles que souhaite obtenir la Chambre, a des obligations conflictuelles.
C’était l’argument qu’il faisait valoir à l’époque. Je n’irai pas plus loin parce que cet argument avait davantage à voir avec la question de la sécurité nationale et que celle-ci n’a pas été soulevée dans le cas qui nous occupe.
Cependant, je tiens à continuer parce que la demande de confidentialité que nous avons reçue concernait des renseignements confidentiels du Cabinet et qu’elle n’était pas une demande ministérielle de confidentialité. J’ignore si le gouvernement tentait d'établir une distinction en l’occurrence.
Monsieur le Président, dans le cadre de la même décision, vous avez déclaré:
[...] la deuxième édition de l'ouvrage de Bourinot indique que, même dans les cas où un ministre refuse de fournir les documents demandés, il est clair qu'il revient finalement à la Chambre de déterminer s'il existe des motifs justifiant ce refus.
Ce droit ne relève ni du ministre ni du Cabinet. Seule la Chambre peut prendre cette décision.
Monsieur le Président, vous avez ensuite cité Erskine May comme faisant également autorité en la matière. Encore une fois, je tiens à mettre l’accent sur l'aspect historique, car tout cela remonte loin dans le passé. Rien ne justifie que le gouvernement puisse faire ce qu’il fait actuellement.
Monsieur le Président, vous avez cité le passage suivant d’Erskine May:
[...] le principe qui sous-tend le Bill of Rights [1689] est le privilège de chacune des deux chambres d’exercer une compétence exclusive sur ses propres délibérations. Chaque chambre a le droit d’être seul juge du caractère licite de ses délibérations et d’établir ses propres codes de procédure, ainsi que de déroger à ceux-ci. Ce principe s’applique que la chambre en question soit saisie d’une affaire qu’elle seule peut trancher, comme dans le cas d’un ordre ou d’une résolution, ou encore qu’il s’agisse de déterminer si une affaire (un projet de loi, par exemple) concerne à la fois les deux chambres.
C’est cette Chambre ou l’autre Chambre qui sont investies de cette autorité, et non pas un ministre ou le Cabinet, ce que l’on prétend pourtant à ce stade, si la réponse courte et la courte dénégation qui nous ont été adressées peuvent être comprises sans interprétation.
Monsieur le Président, vous êtes allé jusqu’à examiner ce qui se faisait dans d’autres législatures, en Australie notamment, où l’on est arrivé à des conclusions semblables à celles auxquelles vous êtes parvenu dans cette décision.
Monsieur le Président, vous avez conclu en fin de compte, à la page 27 de la copie papier, que:
La présidence est d'avis que le fait d'admettre que l'organe exécutif jouit d'un pouvoir inconditionnel de censurer les renseignements fournis au Parlement compromettrait en fait la séparation des pouvoirs censée reposer au coeur même de notre régime parlementaire, ainsi que l'indépendance des entités qui le composent. En outre, cela risquerait d'affaiblir les privilèges inhérents de la Chambre et de ses députés, privilèges qui ont été acquis et qui doivent être protégés.
Comme on l'a vu plus tôt, les ouvrages de procédure affirment catégoriquement, à bon nombre de reprises, le pouvoir qu'a la Chambre d'ordonner la production de documents. Ils ne prévoient aucune exception pour aucune catégorie de documents gouvernementaux, même ceux qui ont trait à la sécurité nationale.
Ce n'est assurément pas ce que le gouvernement prétend dans cette affaire.
Vous avez poursuivi, monsieur le Président, et conclu qu'en définitive aucun pouvoir ne permettait de retenir ces documents. Vous avez pris la décision qu'il fallait prendre des dispositions pour que ceux-ci soient fournis si nous acceptions les dires du gouvernement qu'il s'agissait de documents relatifs à la sécurité nationale.
Or, il est maintenant question de documents d'ordre financier, des renseignements manifestement disponibles, ainsi que de renseignements sur le coût des prisons et des projets de loi afférents en matière de criminalité.
Je signale que les députés libéraux de Kings—Hants et de Mississauga-Sud sont intervenus à ce sujet. L'opposition officielle adopte la même position; nous vous demandons de maintenir la décision que vous avez rendue l'an dernier dans cette affaire.
J'aimerais aussi mentionner la position du Bloc québécois, qui a présenté ses arguments le 18 mars dernier, avant que vous rendiez votre décision, monsieur le Président. Selon le Bloc, le gouvernement n'avait pas de raison valable de refuser de produire ces documents, voire aucune raison. Malgré cela, je désire porter ces arguments à votre attention. Peut-être voudrez-vous en tenir compte si le Bloc ne se prononce pas sur cette question avant que vous rendiez votre décision.
Enfin, je veux mentionner un dernier aspect, qui relève davantage du domaine juridique. L'une des dispositions de la Loi sur la preuve au Canada, soit l'article 39, indique dans quelles circonstances le gouvernement peut s'opposer à la divulgation de renseignements qu'il considère confidentiels, et ce qu'il doit faire en pareil cas. Quant à l'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information, il indique les circonstances dans lesquelles le gouvernement ne peut pas invoquer ce droit. Je ne parlerai que des critères.
La procédure normale veut que le greffier du Conseil privé atteste par écrit quels documents constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada, le cas échéant. Nous ne savons pas si cela a été fait. En ce qui concerne les deux documents que nous voulons obtenir, nous nous sommes heurtés à un refus catégorique. Nous ne savons pas si le greffier du Conseil privé a attesté par écrit que certains de ces documents constituent des renseignements confidentiels du Conseil privé, car nous n'avons pas cette information en main.
L'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada dispose que le greffier du Conseil privé doit exclure les documents de travail de la catégorie confidentielle. Or, nous sommes d'avis que les documents que nous voulons obtenir font partie des documents de travail, par conséquent, cela signifie qu'ils ne constituent pas des renseignements confidentiels.
Toutefois, même si c'était des renseignements confidentiels et qu'on pouvait considérer que les documents n'étaient pas des documents de travail — je n'ai pas l'imagination assez fertile pour le faire, mais le gouvernement l'a peut-être —, le paragraphe 69.1(3) stipule que les documents peuvent seulement demeurer confidentiels jusqu'à ce qu'une décision soit prise. Dans le cas qui nous occupe, il est clair que la décision concernant les allègements fiscaux accordés aux entreprises a été prise il y a quelques années dans le cadre d'un budget. Tous les projets de loi sur la criminalité ont été déposés à la Chambre, et certains d'entre eux ont même été adoptés. Une décision a été prise dans les deux cas.
Je veux citer l'article 69 pour qu'il figure dans le hansard. Le paragraphe 69(1) signale qu'il y a deux étapes. En tant que particuliers et membres de la société, nous avons le droit d'accéder au reste de la loi, et nous devons demander des renseignements au gouvernement.
Le paragraphe 69(2) précise les groupes qui ne sont pas obligés de divulguer des renseignements. Le Cabinet en fait partie. Le paragraphe stipule ce qui suit:
Définition de « Conseil »
(2) Pour l’application du paragraphe (1), « Conseil » s’entend du Conseil privé de la Reine pour le Canada, du Cabinet et de leurs comités respectifs.
Le gouvernement allègue que les renseignements demandés relèvent du secret du Cabinet. Nous ne savons pas si une certification a été effectuée en vertu de l'article 39. Toutefois, en vertu de l'article 69 de la Loi sur l'accès à l'information, les documents sont seulement exclus si aucune décision n'a été prise. Cela nous amène au paragraphe 69(3), qui constitue une exception. Il stipule:
a) aux documents confidentiels du Conseil privé de la Reine pour le Canada dont l’existence remonte à plus de vingt ans;
Ce n'est pas ce que nous demandons. Toutefois, le texte dit ensuite: « [...] aux documents de travail visés à l'alinéa (1)b) [...] », et il y a une longue description. L'information que nous avons demandée, et qui a été demandée par le Comité des finances, entre clairement dans cette catégorie.
Ensuite, on peut lire à l'alinéa 69 (1)(3)b): « [...] dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent ont été rendues publiques [...] ». Cela m'amène à ce que je disais précédemment. Les allégements fiscaux pour le monde des affaires, notamment les grandes sociétés, ont été prévus dans un budget en 2007 ou 2008. Ce sont des décisions publiques puisqu'elles ont été appliquées et que le monde des affaires a profité de ces importants allégements fiscaux.
Il y a une deuxième catégorie, toujours dans ce même alinéa 69(1)(3)b): « [...] dans les cas où les décisions auxquelles ils se rapportent [...] à défaut de publicité, ont été rendues quatre ans auparavant ». Le privilège ne s'exerce pas de façon absolue et continuelle. Mais en l'occurrence, la disposition qui s'applique est l'alinéa 69(1)(3)b) qui prévoit que si les décisions ont été rendues publiques, l'information doit être mise à la disposition du public, y compris de notre Chambre.
Je précise tout cela parce que j'ignore quelle sera l'argumentation du gouvernement. Jusqu'ici, il ne nous l'a pas présentée. S'il essaie de se retrancher derrière l'article 39 de la Loi sur la preuve au Canada et derrière l'article 69 de la loi sur l'information et la protection de la vie privée, cela ne tient pas debout. C'est complètement infondé.
En somme, de quoi s'agit-il? Il s'agit d'un gouvernement qui essaie manifestement d'étouffer le travail que nous faisons à titre de députés. Encore une fois il est fondamental pour notre démocratie que les députés disposent de ce genre d'information, non seulement pour jouer leur rôle à la Chambre et en comité, mais aussi pour pouvoir la communiquer au grand public. C'est une atteinte au coeur même de la démocratie.
Monsieur le Président, j'ai cité les références et votre décision dans le contexte du Règlement de la Chambre et d'une pratique qui évolue depuis plus de 300 ans. J'ai aussi cité les références législatives concernant la confidentialité des informations du Cabinet.
J'estime donc, monsieur le Président, que vous vous devez absolument vous prononcer en faveur du député de Kings—Hants qui demande qu'on constate une atteinte aux privilèges. Le gouvernement n'a pas compris le message il y a 11 mois. Il récidive, et il est donc essentiel de bien lui faire comprendre qu'il ne peut pas recourir à ces mesures antidémocratiques pour étouffer le travail de simples députés au Parlement et empêcher que l'information parvienne au grand public.