Monsieur le Président, j'ai le plaisir de prendre la parole à la suite de mon collègue de Rimouski-Neigette—Témiscouata—Les Basques, à titre de membre du Comité du commerce, pour parler du projet de loi C-57.
Comme nous le savons, il a été déposé cette semaine. Par conséquent, en l'espace de quelques heures, nous avons pu étudier les nombreux articles du projet de loi concernant l'accord de libre-échange et, plus important encore, la question des protections prévues pour les investisseurs et les États, qui fait partie du modèle que notre ministère du Commerce international intègre à chaque accord commercial que nous signons, ainsi que deux autres accords parallèles qui ne contiennent aucune obligation réelle.
Le projet de loi est volumineux, mais il est juste de dire que, à première vue, il s'appuie sur la même approche que le gouvernement conservateur a adoptée à maintes reprises auparavant, même si le NPD — et, à mon avis, la plupart des Canadiens —, a clairement dit qu'il préférerait qu'une approche de commerce équitable soit adoptée à l'égard du commerce. Le secteur du commerce équitable est florissant dans notre pays, car des millions de Canadiens choisissent quotidiennement d'acheter des produits équitables.
Même si le NPD continue, de manière constructive, à présenter des amendements en ce sens, le gouvernement ne semble tout simplement pas comprendre que les Canadiens, et une bonne partie du monde, ont modifié leur approche à l'égard du commerce.
L'aspect le plus monumental de l'absence de stratégie commerciale du gouvernement conservateur, c'est l'absence systématique de toute évaluation. On n'évalue jamais les incidences de ces accords commerciaux ni le potentiel des échanges commerciaux avec un pays en particulier. On n'évalue jamais les inconvénients d'un accord commercial. On n'évalue jamais la situation d'ensemble dans le pays concerné.
Ces accords commerciaux bilatéraux ne font jamais l'objet d'une diligence raisonnable. C'est tragique car les Canadiens s'attendent à beaucoup plus.
Quelles sont les conséquences? Si nous revenons 20 années en arrière et que nous analysons tous les accords commerciaux qui devaient à l'origine apporter la prospérité, à commencer par l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis, ainsi que les données compilées par Statistique Canada, des données auxquelles tous les députés ont accès, nous verrons que le revenu réel des deux tiers des Canadiens a diminué au cours des 20 dernières années.
On se félicite bruyamment de ces accords en disant qu'ils apportent une prospérité massive, mais les faits parlent d'eux-mêmes. Le revenu réel des deux tiers des Canadiens a diminué. Le revenu des travailleurs de la classe moyenne a été miné considérablement, ce qui explique pourquoi le niveau d'endettement de la famille moyenne a doublé pendant ces 20 années. Il s'agit d'une dette écrasante d'autant plus que le revenu réel a diminué. Les dépenses n'ont pas diminué. Au contraire, elles ont augmenté. Les Canadiens trouvent de plus en plus difficile de joindre les deux bouts.
La situation est encore pire dans les fourchettes inférieures de revenu. Les Canadiens les plus pauvres ont vu leur revenu diminuer. Ils ont perdu l'équivalent d'un mois et demi de salaire sur 12. C'est pourquoi il ne faudra pas se surprendre ce soir de voir environ 300 000 Canadiens dormir dans les parcs et le long de la rue principale des villes de notre pays. C'est une vision tragique. Cet état de fait découle du prétendu régime de libre-échange et de toutes les politiques économiques de droite qui vont de pair. Je ne blâme pas seulement les conservateurs. Les libéraux ont introduit ces politiques et sont tout aussi responsables de l'appauvrissement de la majorité des Canadiens. Le coût du libre-échange est énorme lorsque la plupart des salariés gagnent beaucoup moins qu'il y a 20 ans.
Si les députés conservateurs ou libéraux décidaient d'étudier les faits et les chiffres résultant d'une analyse appropriée, ils finiraient par avouer que cette politique n'a pas très bien fonctionné et qu'il importe d'y apporter quelques ajustements.
De ce côté-ci de la Chambre, c'est ce que nous disons. Voilà pourquoi nous gagnons de plus en plus de terrain. La raison fondamentale pour laquelle notre popularité augmente, c'est que les Canadiens croient que nous allons faire preuve de la diligence voulue et poser les questions qui s'imposent concernant les projets de loi dont la Chambre est saisie, notamment lorsqu'ils portent sur des accords de libre-échange.
Comme on voit de plus en plus de pauvreté au Canada, il est clair que l'objectif général des accords de libre-échange n'a pas été atteint.
Examinons maintenant l'objectif déclaré qui est de stimuler les exportations. Ici encore, lorsqu'on analyse les faits, on constate que, dans bon nombre de cas, après la signature d'accords bilatéraux de libre-échange, les exportations du Canada vers le marché ciblé ont en fait diminué.
Je sais que les politiciens aiment se faire photographier et officier à des cérémonies d'inauguration, mais le fait de présenter un accord de libre-échange ne mène pas nécessairement à une augmentation des exportations vers le marché du nouveau partenaire commercial. Il y a donc un problème fondamental ici. Pourquoi? Quelles en sont les causes?
Les témoignages présentés devant le Comité du commerce international donnent des indications très claires à cet égard, même ceux des deux dernières semaines. Des représentants de l'industrie de l'élevage bovin ont déclaré que le gouvernement fédéral leur donnait très peu pour la promotion de leurs produits alors que d'autres pays consentent des dizaines de millions de dollars au soutien de cette industrie. Les témoins ont cité l'exemple de l'Australie qui consent 100 millions de dollars uniquement pour la promotion des produits des industries bovine et porcine.
Prenons toute la promotion de tous les produits qui est faite au Canada. Malheureusement, le gouvernement fédéral fait moins de promotion pour l'ensemble des produits sur tous les marchés que l'Australie en fait uniquement pour ses secteurs du boeuf et du porc. Je vois votre expression de surprise, monsieur le Président, mais c'est un fait. L'Australie dépense énormément plus pour faire la promotion d'un seul secteur que le Canada pour l'ensemble de ses secteurs. Cela peut expliquer pourquoi, dans bien des cas, nos exportations chutent après la signature d'accords commerciaux bilatéraux.
L'idée que ces accords commerciaux bilatéraux font partie d'une solide politique des exportations est tout simplement fausse. Nous avons devant nous des radins qui font des économies de bouts de chandelle au détriment d'importants secteurs industriels. Ils n'ont pas de stratégie industrielle et, en plus, ils ne veulent même pas investir là où d'autres pays le font.
L'Union européenne dépense 125 millions de dollars uniquement pour faire la promotion du vin, soit environ quatre à cinq fois plus que ce qui est investi dans la promotion de tous les produits canadiens mis ensemble. L'Australie dépense un demi-milliard de dollars. Nous ne dépensons que quelques millions de dollars.
C'est la même chose pour le secteur du porc. Les représentants de ce secteur ont comparu devant le Comité du commerce international. Ils n'obtiennent que quelques millions de dollars tandis que des pays comme les États-Unis en dépensent des dizaines de millions.
Les accords commerciaux bilatéraux n'entraînent pas nécessairement une augmentation des exportations dans les pays avec lesquels nous signons ces accords parce que le gouvernement n'a pas de stratégie sur les exportations. Il n'a pas de stratégie commerciale. Il n'évalue jamais les répercussions des accords qu'il signe. Les politiciens conservateurs se présentent tout simplement pour se faire prendre en photo et couper des rubans, puis ils repartent et prétendent avoir une stratégie économique efficace. Ce n'est simplement pas le cas.
M. Ed Fast: Vous avez tout de travers.
M. Peter Julian: Monsieur le Président, les paroles percutantes du NPD font encore réagir les conservateurs. C'est très bien. J'aimerais seulement qu'ils mettent davantage de nos idées en vigueur.
C'est la réalité. Nous voyons les exportations chuter. Nous voyons un manque de soutien aux secteurs stratégiques, puis nous voyons signer des accords qui minent ces secteurs clés.
La Chambre a étudié un accord avec l'AELE. Des centaines de travailleurs des chantiers navals de tout le Canada, notamment du Québec, de la Nouvelle-Écosse, de Vancouver, de Terre-Neuve-et-Labrador et de l'Ontario, ont affirmé que cet accord aurait des répercussions négatives senties sur ce qui devrait être un secteur stratégique. Ils ont déclaré que l'accord avec l'AELE sonnerait le glas de leur secteur. C'est ce qu'ils sont venus déclarer devant le comité. Leur message était très clair. Pourtant, d'autres partis ont voté en faveur de l'accord, même si on leur avait expliqué qu'il frapperait durement nos chantiers navals.
Nous sommes donc fondamentalement opposés à cette approche au commerce qui consiste à ne pas faire d'évaluations. Nous nous opposons à l'absence d'évaluation des marchés, à l'absence de stratégie globale en matière d'exportation et au manque de ressources attribuées à nos exportateurs par rapport à ce que font d'autres pays.
Parlons donc du modèle de l'accord avec la Jordanie. Les Canadiens qui nous regardent peuvent télécharger leur propre accord de libre-échange sur le site web du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international. Ce modèle montre à quel point l'approche du gouvernement au commerce est simpliste, voire simplette. Ce modèle n'a pas changé depuis 20 ans. D'autres pays actualisent leur modèle commercial et l'améliorent pour obtenir des résultats concrets. Au Canada, nous appliquons le même modèle depuis 20 ans. Les gens peuvent le télécharger et le faire signer à leurs voisins. C'est absurde.
Ce modèle, qui s'applique malheureusement à la Jordanie, consiste uniquement en quelques dispositions sur la protection des investisseurs et les relations investisseur-État, quelques réductions des droits de douane et des accords parallèles vides de sens.
Malheureusement, ces accords parallèles ne sont jamais exécutoires. D'autres pays ont abandonné depuis longtemps cette façon de faire et établissent des obligations à propos des droits de la personne, des normes sociales et des normes du travail, mais pas notre modèle. Le modèle commercial que les conservateurs aiment appliquer ne fait rien de tout cela. C'est une vieille Ford Pinto rouillée. Il ne fait que protéger les relations investisseur-État.
Cela remonte à l'époque de l'ALENA et de l'Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Que s'est-il passé après la signature de cet accord? Les députés se souviendront que les provinces, les municipalités et de nombreux Canadiens ont eu des problèmes avec les dispositions du chapitre 11 de l'ALENA. Ces dispositions permettent à des entreprises d'arnaquer les contribuables pour se faire indemniser si le gouvernement les empêche de vendre des produits ignobles qui menacent la santé publique ou l'environnement. Ces entreprises peuvent poursuivre les contribuables et obtenir des sommes rondelettes. Elles peuvent prendre de l'argent directement dans le portefeuille des contribuables, même si les Canadiens veulent que leur gouvernement intervienne et empêche que ces produits soient mis en vente.
Nous avons été témoins de cela lors de l'interdiction des pesticides à usage domestique au Québec. Dorénavant, une compagnie peut avoir recours aux dispositions concernant les relations investisseur-État pour poursuivre le gouvernement du Québec, lequel a pris une décision démocratique, dans l'intérêt de ses citoyens. Il se peut maintenant que les contribuables soient obligés de payer pour que le gouvernement puisse prendre soin d'eux. C'est tout à fait absurde.
Lorsque que cette disposition a été inscrite dans l'ALENA — et cela ne touchait que l'ALENA —, les États-Unis s'en sont aussitôt détachés. Ils se sont rendu compte qu'elle nuisait à la capacité des parlements et des assemblées législatives de prendre des mesures pour protéger leur population.
Depuis, les États-Unis n'ont jamais signé d'accord de ce genre. Ils se sont éloignés de cela. Ils ont autorisé les dérogations pour des raisons environnementales et pour des motifs de santé et de sécurité. Comme je l'ai mentionné, le Canada dispose d'un modèle vieux de 20 ans, une véritable Ford Pinto, qui permet encore aux sociétés d'arnaquer les contribuables canadiens si une mesure particulière nuit à leurs profits.
Fait tragique, ce vieux modèle datant d'une vingtaine d'années se trouve dans l'accord avec la Jordanie. Ce sont donc les mêmes problèmes qui sont déjà apparus par le passé et dont beaucoup de personnes ont parlé. Ces mêmes personnes, qui ont soulevé ce problème à la grandeur de la société canadienne, n'ont pas été entendues.
Cette vieille Ford Pinto libérale est passée entre les mains des conservateurs. Ils participent à la cérémonie d'inauguration, puis ils passent à autre chose. S'il s'agissait de développement économique, on verrait une véritable stratégie d'exportation, assortie d'investissements. C'est ce que réclame le NPD.
Cette semaine, une motion du NPD a été adoptée au sein du Comité du commerce international. Elle exhortait le gouvernement à régler le sous-financement chronique de l'industrie de l'élevage de bovin et à travailler pour que celle-ci se trouve sur un pied d'égalité avec ses concurrents. L'Australie et les États-Unis investissent beaucoup plus que le Canada dans la promotion des produits de ce secteur.
Les éleveurs de bovins peuvent maintenant dire que c'est grâce au NPD qu'il y aura un effort de fait pour enfin amener le gouvernement conservateur à délier les cordons de la bourse pour apporter une aide réelle à l'industrie de l'élevage bovin. C'est ce que nous avons toujours demandé.
Nous avons donc un accord sans aucune stratégie. Nous avons des dispositions concernant les relations investisseur-État dans l'accord avec la Jordanie qui sont tout bonnement inacceptables. Maintenant, nous devons examiner les dispositions, ce qu'on appelle les accords parallèles sur le travail et sur l'environnement, qui ont été en quelque sorte ajoutés après coup. Ils n'imposent aucune obligation au pays. Il y a un processus. Il y a de nombreuses réunions où des bureaucrates boivent beaucoup de café, mais, en fin de compte, il n'y a rien d'obligatoire, dans cet accord, au sujet des droits des travailleurs, des droits de la personne ou de l'environnement.
Nous devons connaître la situation en Jordanie, à défaut de faire pression sur l'une de ces questions. Si nous avons seulement ce document superficiel, qui a coûté quelques arbres, pour faire semblant qu'il s'est passé quelque chose, mais que rien n'est imposé dans ces dispositions, nous devons alors regarder ce qui se passe vraiment en Jordanie.
D'abord, la Jordanie n'est pas la Colombie. La situation est épouvantable en Colombie. Les brutes paramilitaires et les revendeurs de drogue ont tous des liens avec le gouvernement et sont tous appuyés par les conservateurs. La situation en Jordanie est différente, mais il y a de quoi être préoccupé. Manifestement, le Comité du commerce international devra prendre le temps d'examiner les conséquences possibles de l'absence totale d'obligations imposées au gouvernement jordanien.
Je vais faire référence au rapport de 2008 du Département d'État américain concernant les droits de la personne en Jordanie. Certains éléments sont positifs, mais certains sont clairement négatifs.
Il y a d'abord l'atteinte arbitraire ou illégale à la vie. Comme nous le savons, en Colombie, des centaines de personnes sont massacrées chaque année par des paramilitaires de droite, l'armée colombienne, mais, dans le cas de la Jordanie, le rapport dit:
Contrairement à ce qu'il en a été en 2007, personne n'a signalé, au cours de l'année, que le gouvernement ou ses émissaires avaient tué des gens pour des motifs arbitraires ou en dehors du cadre judiciaire. Le gouvernement a terminé les enquêtes sur des allégations concernant deux décès survenus en 2007 [...].
Nous constatons donc que le gouvernement jordanien prend des mesures.
Ensuite, il y a les disparitions. En Colombie, c'est une horrible tragédie et une constante. Il y a quotidiennement des disparitions dans ce pays, mais dans le cas de la Jordanie le rapport de 2008 sur les droits de la personne dit:
Aucune disparition pour des motifs politiques n'a été signalée.
Enfin, il y a la torture et d'autres traitements ou punitions cruels ou dégradants. Là, il y a de quoi s'inquiéter. Le rapport dit:
Bien que la torture soit illégale dans le pays, un rapport rendu public en octobre par l'ONG Human Rights Watch (HRW), « Torture and Impunity in Jordan's Prisons », conclut que la torture demeure une pratique répandue. Des entrevues réalisées auprès de 66 prisonniers dans sept des 10 prisons du pays ont permis de recueillir des allégations de mauvais traitements qui, selon les conclusions de HRW, étaient souvent assimilables à la torture.
Nous passons ensuite aux arrestations et à la détention arbitraires. Selon le rapport:
Certains groupes de défense des droits de l'homme ont continué de faire part de leur préoccupation au sujet de la loi de 2006 sur la prévention du terrorisme, en se plaignant du fait que la définition du terrorisme intégrée au texte pourrait justifier que certains critiques non violents du gouvernement soient arrêtés et détenus indéfiniment en vertu des dispositions de la loi. Cependant, à la fin de l'année, le gouvernement ne l'avait toujours pas utilisée.
La disposition e, « Déni de procès public équitable » stipule que:
La loi prévoit l'indépendance de la magistrature. En pratique, l'indépendance de la magistrature était compromise à la suite d'allégations de népotisme et d'influence de la part d'intérêts spéciaux.
Des préoccupations très claires sont également exprimées au sujet des mauvais traitements imposés aux femmes, aux travailleuses domestiques venant de l'extérieur de la Jordanie. Des appels ont été lancés à ce sujet au sein des Nations Unies et par des organismes de défense des droits de l'homme.
Il est clair que notre travail vient de commencer dans ce dossier. Des préoccupations très concrètes ont été exprimées par notre parti et par un grand nombre de représentants de la société civile. Si le Parlement décide de renvoyer cette question pour examen en profondeur au Comité du commerce international, celui-ci devra examiner attentivement toutes les implications de cet accord et les impacts possibles de sa mise en oeuvre.
Compte tenu de ce qui précède, nous avons toutes les raisons légitimes de nous inquiéter. Nous allons continuer d'exercer des pressions sur le gouvernement pour qu'il introduise des mesures législatives sur le commerce équitable et de travailler sur ce projet de loi de façon à ce qu'il soit encore plus étroitement lié au commerce équitable.