Madame la Présidente, je suis évidemment en faveur du projet de loi C-386 et je félicite mon collègue d'Argenteuil—Papineau—Mirabel de le porter avec autant de détermination et de conviction. Toutefois, après avoir écouté les arguments des conservateurs et des libéraux sur cette question, je doute aujourd'hui que nous réussissions à faire avancer la cause des travailleurs au Canada, ce qui à mes yeux est un argument — un autre argument — en faveur de la souveraineté du Québec.
On savait que les conservateurs n'aimaient pas les syndicats. On l'a dit, on l'a répété à maintes reprises et à maintes occasions, mais en cette 40e législature, ils sont déterminés plus que jamais à nous en faire la démonstration.
Hier, faute de recommandation royale, le projet de loi C-395, qui excluait la période de référence pour l'assurance-emploi pour la période d'un conflit collectif, mourait au Feuilleton. Ce projet de loi, qui assurait à des travailleurs dont l'usine fermait ou dont le poste était aboli d'avoir droit à des prestations en fonction du temps travaillé avant le conflit, ne recevait pas l'appui des conservateurs. J'ai peu de mots pour dire comment cette approche sans coeur vient me chercher. C'est cela les grands principes conservateurs dont se vante le premier ministre, soit de rester les bras croisés face à la misère des travailleurs et des travailleuses.
C'est aussi le Parti conservateur qui, dans la partie 10 de la loi de mise en oeuvre du budget de 2009, l'ancien projet de loi C-10, imposait des conditions salariales aux travailleurs et aux travailleuses du secteur public fédéral et ce, malgré des conventions collectives déjà signées. Et que disait la loi? Je pense qu'il faut voir dans son ensemble les éléments qui nous permettront de bien saisir le vote contre le projet de loi C-386 de la part des députés du gouvernement conservateur.
La loi disait qu'advenant que la convention collective signée attribuait des augmentations supérieures à l'article 16, non seulement celles-ci ne tiennent plus, mais les augmentations reçues après le 8 décembre 2008 au-delà du taux de 1,5 p. 100 doivent être remboursées en vertu de l'article 64.
Le paragraphe 64(1) se lisait ainsi:
Toute somme supérieure à celle qui aurait dû être versée à une personne — y compris avant la date d'entrée en vigueur de la présente loi — en application de la présente loi peut être recouvrée à titre de créance de Sa Majesté.
Les conservateurs, avec le projet de loi C-10, appuyé d'ailleurs, encore une fois, par les libéraux, annonçaient aux travailleurs de la fonction publique que, s'ils avaient négocié une convention collective meilleure que ce qu'imposait la loi, les travailleurs devraient rembourser ce qu'ils avaient gagné. Non mais, est-ce que cela se peut?
Un gouvernement qui laisse les travailleurs qui perdent leur emploi suite à un conflit collectif dans la rue, sur l'aide sociale au soin des provinces, un gouvernement qui renie ses propres conventions collectives pour imposer de force de nouvelles conditions salariales, un gouvernement comme cela voterait pour un projet de loi comme le projet de loi C-386? Allons donc!
Lors de la première heure du débat, le député conservateur de Simcoe-Nord a déclaré, et je le cite:
[Certains citent le] Québec en exemple, en rappelant que cette province a réussi à promulguer une interdiction législative de recourir aux travailleurs de remplacement. Or, ils oublient souvent de préciser que le Québec a promulgué cette interdiction il y a plus de 30 ans. Il est important de tenir compte du contexte. [Il parlait du contexte.] Les problèmes économiques et les conflits de travail auxquels le Québec était confronté dans les années 1970 n'ont rien avoir avec ceux que connaît le gouvernement du Canada aujourd'hui. Le contexte n'est pas du tout le même.
Et bien il a raison. C'est pourquoi l'Assemblée nationale du Québec a adopté à l'unanimité le 22 septembre dernier, soit il y a moins d'un mois, la motion suivante:
Que dans la perspective d'avoir un Code du travail qui reflète les nouvelles réalités du monde du travail, l'Assemblée nationale demande au gouvernement du Québec d'étudier la possibilité de moderniser le Code du travail, particulièrement en ce qui concerne les dispositions anti-briseurs de grève, afin notamment de tenir compte de l'impact des nouvelles technologies.
Une loi empêchant l'utilisation des travailleurs de remplacement qui vise de facto à équilibrer le rapport de force entre les travailleurs et les employeurs dans le cadre d'un conflit de travail est pertinente en 2010 comme elle l'était il y a 30 ans. Non, ce n'est pas une question de contexte, n'en déplaise au député conservateur de Simcoe-Nord, c'est une question de valeurs.
Contrairement au Québec, qui a adopté une telle interdiction en 1977, il n'existe pas à l'heure actuelle dans le Code canadien du travail de mesure législative qui interdise de façon claire et précise l'usage de briseurs de grève.
Le paragraphe 94(2.1) du Code canadien du travail contient une interdiction relative aux travailleurs de remplacement, mais seulement dans les cas où un employeur utilise ceux-ci « dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat ». Cette interdiction est très faible, car il suffit, pour un employeur, de toujours reconnaître le syndicat en place et de continuer à négocier pour démontrer sa bonne foi, pour avoir le droit d'utiliser des travailleurs de remplacement.
Pourtant, une interdiction ferme est indispensable pour la tenue de négociations civilisées lors d'un conflit de travail afin de favoriser une paix industrielle, en plus de constituer la pierre angulaire pour établir un rapport de force équitable entre employeurs et employés.
Les travailleurs oeuvrant dans des secteurs sous l'égide du Code canadien du travail, tels que les télécommunications, les banques, les ports, les ponts, le transport aérien et autres, qui constituent environ 8 p. 100 de la main-d'oeuvre québécoise, sont donc dans une position défavorable lorsqu'ils doivent négocier avec leur employeur et, par conséquent, sont entraînés dans des grèves plus longues.
Ainsi, selon les données du ministère du Travail du Québec, les travailleurs québécois dont l'employeur est sous juridiction fédérale sont pratiquement toujours surreprésentés dans le nombre de jours de travail perdus.
Alors qu'ils constituent un peu moins de 8 p. 100 de la main-d'oeuvre du Québec, ils ont été responsables de 18 p. 100 des jours-personnes perdus en 2004, 22,6 p. 100 en 2003. En 2002, ils représentaient 7,3 p. 100 de la main-d'oeuvre et ils ont été responsables de 48 p. 100 des journées de travail perdues à cause de conflits de travail.
Bref, en moyenne, lors de la dernière décennie, les jours-personnes perdus lors de conflits québécois impliquant des travailleurs régis par le Code canadien du travail étaient deux fois et demie plus élevés que le poids démographique de ces travailleurs.
Cela se traduit évidemment par des conflits plus longs — on en a vécus davantage au fédéral — et plus violents quand l'employeur peut embaucher des briseurs de grève.
On nous parle de relations de travail harmonieuses et de saines médiations par opposition au projet de loi C-386, mais on repassera.
Le gouvernement conservateur, dès le début, a indiqué son opposition en se retranchant, faute d'arguments véritables, derrière des scénarios apocalyptiques qui n'ont rien à voir avec la réalité. Le Québec a une loi qui interdit les travailleurs de remplacement depuis 30 ans sans qu'aucun drame ne se soit produit.
La porte-parole libérale en matière de relations de travail a déjà fait part de son intention de voter contre le projet de loi C-386. Quel argument fallacieux donne-t-elle? Je cite ce qu'elle a affirmé en première heure de deuxième lecture de ce projet de loi, le 11 juin dernier.
Pourquoi est-ce que je fais valoir que nous ne devrions pas appuyer ce projet de loi d'initiative parlementaire? La clé de la réussite dans les relations de travail, c'est le droit à une négociation collective équitable, libre et équilibrée tant pour les patrons que pour les syndicats. Je soutiens que cet équilibre ne peut être maintenu ou amélioré par un projet de loi d'initiative parlementaire qui prend position en faveur [de un ou l'autre des groupes].
En somme, elle suggérait de permettre les briseurs de grève jusqu'à ce qu'il y ait une crise et d'assurer le droit à une négociation collective équitable. Si, dans le cas d'un conflit de travail, seuls sont perdants les travailleurs alors que l'usine roule à plein rendement grâce aux travailleurs de remplacement, la porte-parole libérale est d'avis qu'il y a une négociation collective équitable. Il ne faudrait donc pas nuire à l'économie et tant pis pour les pauvres grévistes sur la ligne de piquetage.
Pourtant, je m'entête, et tout comme le député d'Argenteuil—Papineau—Mirabel, je demande à mes collègues d'appuyer ce projet de loi et d'entendre en comité ce qu'ont à dire les principaux intéressés: les travailleurs et travailleuses.