Madame la Présidente, je suis heureux de participer au débat sur la motion d’aujourd’hui. Je voudrais commencer par préciser mes intentions. Je compte examiner le contexte qui nous a menés à la situation actuelle. Je veux parler de l’obstruction du gouvernement, des droits d’un comité, de l’importance de cette affaire pour les Canadiens et, bien entendu, des raisons pour lesquelles nous avons besoin d’une enquête publique.
Il n’y a pas le moindre doute que c’est une affaire très sérieuse. Comme parlementaire, j’ai besoin d’avoir accès à des renseignements pour m’acquitter de mes fonctions, qui comprennent la surveillance du gouvernement.
La question dont nous discutons aujourd’hui n’a rien à voir avec ce que nos forces armées font sur le terrain. Nos forces font un travail extraordinaire. Nous le savons. Nous savons que les hommes et les femmes des Forces canadiennes se comportent d’une manière exceptionnelle en Afghanistan. Étant allé là-bas à deux reprises, je sais que c’est vrai. Je sais aussi que nos diplomates et nos militaires s’acquittent de leurs responsabilités. La question est de savoir si le gouvernement s'acquitte des siennes, non seulement envers le Parlement, mais aussi envers les Canadiens.
Il faut insister sur le fait qu’à titre de parlementaires et de membres d’un comité spécial chargé de surveiller le travail que nous faisons en Afghanistan, nous avons besoin de pouvoir informer les Canadiens. Nous ne pouvons pas le faire à moins d’avoir accès aux renseignements disponibles.
La question est aussi de savoir quelles sont les obligations internationales du Canada aux termes de la Convention de Genève et en matière de respect des droits de la personne. Encore une fois, nos soldats agissent d’une manière parfaitement exemplaire dans ce domaine.
La question est clairement de déterminer ce que le gouvernement savait au sujet des abus commis sur la personne des prisonniers que le Canada a transférés aux autorités afghanes, qu’il s’agisse de la police ou de l’armée nationale.
La reddition de comptes est nécessaire. Le gouvernement doit être tenu responsable. Dans notre pays, le gouvernement a l’ultime responsabilité devant le Parlement. Si les parlementaires ont un rôle quelconque à jouer, c’est bien celui de surveillants. Si leur action doit avoir un sens quelconque -- et cela est important pour les deux côtés de la Chambre --, il faut qu’ils aient la possibilité d’exercer leur surveillance en demandant des documents, en convoquant des témoins et en leur posant des questions qui sont parfois embarrassantes pour le gouvernement, mais qu’il faut poser pour obtenir des réponses. Quel que soit l’objet des questions, il est évidemment important.
Je vais donner un exemple. Nous avons affaire en ce moment à un certain nombre d’allégations, sur lesquelles il est difficile de se prononcer sans disposer des documents nécessaires. Certains des témoins qui ont comparu devant le comité spécial avaient évidemment vu ces documents, mais ils les ont vus avant qu’ils ne soient caviardés, avant que ces documents ne soient couverts de marques noires. Je sais que je ne suis pas autorisé à me servir d’accessoires. Je ne le ferai donc pas. Madame la Présidente, vous les avez probablement déjà vues à la télé, mais il y a des pages qui sont vraiment complètement noires. Nous ne connaissons pas leur date, et nous ne savons pas qui est en cause parce que certains mots ont été caviardés. À titre de membre et de vice-président du comité, je ne peux pas déterminer grand-chose si je n’ai accès qu’à des documents censurés.
Si on pense aux changements climatiques, on peut déplorer le nombre d’arbres qu’il a fallu abattre pour produire de simples documents qui ne donnent absolument aucun renseignement aux membres du comité. Les membres du sous-comité savent certainement que beaucoup des témoins qui ont comparu avaient eu accès à ces documents dans leur forme originale. Je trouve vraiment troublant que des témoins puissent voir des documents auxquels les membres du comité n’ont pas accès.
La motion d'aujourd'hui a donc pour but de régler cette question. Plus tard, je vais traiter des droits du comité et, évidemment, des questions juridiques qui se posent.
Si le gouvernement n'est pas disposé à fournir les preuves dont les membres du comité ont besoin, il est logique de se demander s'il cherche à camoufler des cas de torture. On peut supposer, sauf si, par chance, les ministériels qui siègent au comité ont tout vu, alors que ce n'est pas notre cas, qu'il serait utile pour tous les membres du comité d'avoir pleinement accès aux documents. Les députés d'en face semblent croire que nous pouvons faire le travail sans avoir ces documents.
Notre pays a une longue tradition en matière de droits de la personne. Il a une longue tradition de protection de la personne à l'échelle internationale. Notre politique étrangère a toujours été axée sur les droits de la personne, sur la protection de la personne et sur le droit de protéger.
Par conséquent, lorsqu'il existe des allégations qui remontent à l'an 2006, il est absolument essentiel que nous puissions faire enquête conformément à la motion parlementaire de mars 2008, qui autorisait le comité à se pencher précisément sur la question dont nous discutons.
Tôt ou tard, nous allons aborder la question d'une enquête publique, mais pour ce qui est du comité comme tel, celui-ci a entendu des témoins et il a recueilli divers points de vue. Nous avons entendu M. Colvin, qui est un diplomate respecté. Nous avons aussi entendu trois généraux respectés, et nous avons entendu M. Mulroney, notre ambassadeur actuel en Chine. Nous avons donc entendu des témoignages, mais le problème c'est que ces témoignages ne concordent pas.
Ces personnes ont peut-être accès à des documents qui pourraient nous aider à trouver la vérité, mais cela n'est pas possible si ces documents ne nous sont pas fournis.
Depuis le tout début, le gouvernement soutient qu'il n'y a pas de preuves crédibles de mauvais traitements. C'est ce qu'il nous dit ici depuis le tout début, à savoir qu'il n'y a pas de preuves crédibles. Comment le gouvernement peut-il en être absolument certain?
Mardi, le chef d'état-major de la Défense, le général Natynczyk, qui est un grand Canadien et une personne très honorable, est venu témoigner devant le Comité de la défense et il a dit qu'à sa connaissance, la personne dont il est question dans le rapport Noonan n'était pas un prisonnier sous la garde des Canadiens qui aurait été remis à la police nationale afghane. Hier, le général a pris une mesure exceptionnelle en convoquant une conférence de presse pour mentionner très clairement que de nouveaux renseignements lui avaient été communiqués, et que c'était bel et bien un prisonnier sous la garde des Canadiens qui avait été transféré.
La question qui se pose est évidemment celle de savoir quels renseignements ont fait surface, et pourquoi le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan n'a pas ces renseignements. De toute évidence, le général a des renseignements qui l'ont incité hier à corriger la déclaration qu'il avait faite mardi.
Tout le monde semble avoir des renseignements, sauf les membres du comité chargé de faire la lumière sur cette question. C'est pour cette raison que nous disons non seulement qu'il y a eu camouflage, mais qu'une enquête publique complète est nécessaire. Sans une telle enquête, nous nous retrouvons dans un scénario hollywoodien. Nous ne sommes pas capables d'obtenir l'information dont nous avons besoin. Je ne peux croire que les ministériels ne sont pas tout aussi frustrés que nous, députés de l'opposition.
Je crois que bon nombre de mes collègues croient comme moi que le gouvernement ne peut nier plus longtemps l'existence de preuves crédibles. Je dis cela parce que lorsque le colonel Noonan a présenté son rapport, les soldats ont pris des photos du prisonnier avant son transfert, pour bien montrer qu'il ne portait aucune trace de mauvais traitement. Ils ont aussi pris des notes détaillées. Nous avons appris par la suite qu'il y en avait.
Les soldats canadiens ont fait leur travail. Nous demandons au gouvernement de faire le sien en nous fournissant l'information qu'il nous faut.
Je le répète, le général Natynczyk a reçu des informations. Il a dit maintenant que les Forces canadiennes avaient remis un prisonnier aux autorités afghanes. Nous devons savoir pour quels motifs le général a décidé d'affirmer publiquement que tel a effectivement été le cas. Il nous est difficile de faire quoi que ce soit sans cette information.
Je réalise que le gouvernement espère peut-être que le comité sera incapable de mener à bien ses travaux. Je sais que le gouvernement aimerait que cette question soit balayée sous le tapis, que nous disions que Noël approche et que cette histoire disparaîtra bientôt de la une des journaux, que nous ne nous en soucierons plus et que lorsque nous reprendrons nos travaux, à la fin de janvier, nous passerons à autre chose.
Il s'agit toutefois d'une question fondamentale pour les Canadiens. Elle est liée à notre rôle dans le monde, à notre rôle en matière de droits de la personne. Ce n'est pas un sujet qu'on peut repousser du revers de la main. On ne peut dire que parce que la relâche des Fêtes approche, nous allons cesser de nous en faire et tout ira bien.
Nous devons savoir ce que le gouvernement savait. Je le répète, cela n'a rien à voir avec ce que font nos soldats sur le terrain. Les députés d'en face répètent sans arrêt que nous n'appuyons pas nos militaires, mais il n'y a personne à la Chambre qui n'appuie pas nos troupes.
Toutefois, le problème est que nous ne faisons pas confiance au gouvernement pour qu'il nous dise la vérité, puisqu'il refuse de divulguer certains renseignements. Nous avons deux cartables pleins de documents pratiquement inutiles, parce qu'ils ont été expurgés à un point tel que personne ne pourrait les prendre au sérieux. Pas facile de lire quelques mots par-ci, par là entre les passages caviardés. Il y a des pages complètement masquées. De qui se moque-t-on? Le gouvernement a rejeté la demande faite par le comité le 25 novembre d'avoir accès aux documents non expurgés. Nous avons dit que nous avions besoin de voir ces documents.
On se demande si ces renseignements devraient être communiqués au Parlement. Rob Walsh, légiste et conseiller parlementaire de renom, est d'avis que l'article 38 ne d'applique pas et que, dans ce cas-ci, les droits du Parlement prévalent.
Le comité a des façons de traiter les documents sensibles, bien que ces documents-ci ne soient visiblement pas si sensibles que ça pour certains journalistes qui y ont eu accès sans entrave, ni pour certains témoins qui ont comparu devant le comité et qui y ont eu pleinement accès. Pourtant, il semblerait qu'on ne puisse confier ces documents aux députés élus, dont le devoir est de surveiller le gouvernement. Je suis membre du Conseil privé et c'est un titre que je chéris, mais je n'ai malheureusement plus accès aux documents de ce genre.
La réalité est simple: soit nous sommes déterminés à aller au fond des choses, à redorer notre image internationale et à faire respecter les droits de la personne, ou nous ne le sommes pas. Si nous ne le sommes pas, alors c'est le rôle du comité qui doit être remis en question. Une motion adoptée en mars 2008 est on ne peut plus claire sur les questions de surveillance, surtout en ce qui concerne les prisonniers. Cela me semble donc absolument fondamental.
Le Comité des comptes publics de la Chambre des communes a récemment déposé un rapport précisant le droit constitutionnel du Parlement d'exiger des renseignements et expliquant que le Parlement exerce une suprématie sur les lois. Dans une lettre datée du 7 décembre, mon collègue de Vancouver-Sud, notre porte-parole pour les questions de défense, a indiqué très clairement que le Parlement a effectivement la suprématie et que nous devrions avoir accès aux documents. Il ne s'agit pas là d'une règle griffonnée au dos d'une enveloppe, mais d'une lettre très détaillée qui précisait notre cause. Je cite une partie de cette lettre qui porte sur les rapports entre le gouvernement et la Chambre des communes et ses comités.
Les textes législatifs sur le privilège parlementaire prévoient que les rapports se déroulent sans contrainte juridique pouvant autrement sembler applicable.
Par conséquent, nous devons obtenir les documents et pouvoir juger par nous-mêmes.
Le député de Vancouver-Sud ajoute ceci:
Il n'est pas précisé que les articles 37 à 38.16, de la Loi sur la preuve au Canada doivent s'appliquer à la Chambre ou à ses comités et, par conséquent, ces dispositions ne doivent pas être interprétées comme s'appliquant aux délibérations des comités ou dérogeant au pouvoir exclusif d'un comité sur ses propres délibérations.
Enfin, si cela n'est pas suffisamment clair pour nos vis-à-vis, mais je sais que ça l'est pour nous, j'ajouterai une chose. Selon les principes du gouvernement responsable, aucune partie des responsabilités du gouvernement ne peut, par voie législative, être catégoriquement exclue de sa responsabilité constitutionnelle envers la Chambre et ses comités. Autrement, cela deviendrait rapidement une responsabilité partielle et, après quelques années, il n'y aurait plus aucun compte à rendre.
Je trouverais très inquiétant que le gouvernement n'ait aucun compte à rendre. Nous sommes très heureux qu'au Canada, nous ayons une opposition fonctionnelle et vivante qui veille au grain. Le rôle de l'opposition, des trois partis de l'opposition, c'est de garder le gouvernement sur le qui-vive. Nous savons qu'il y a des pays où l'opposition est davantage vue comme la mouche du coche. Je suis convaincu que les députés ministériels nous voient de temps à autre comme la mouche du coche, mais l'opposition doit garder le gouvernement sur le qui-vive.
Le droit d'ordonner la production de documents est prévu dans la loi. C'est ce que nous avons demandé. Le 25 novembre, nous avons déclaré que nous voulions voir les documents inaltérés. M. Walsh a à nouveau déclaré que si le comité demande les documents, il doit les obtenir. Malheureusement, nous sommes le 10 décembre et nous n'avons pas ces documents. Le gouvernement devrait respecter les règles. Il doit produire les documents demandés.
C'est préoccupant. Ce matin, un sondage indiquait que les Canadiens sont très préoccupés. Nous ne parlons pas uniquement en notre propre nom. Les Canadiens le comprennent. Les Canadiens comprennent l'importance de la question et ce qu'elle signifie pour le Canada aux yeux de la communauté internationale.
Sur le plan politique, c'est le gouvernement qui est responsable. C'est à lui de fournir l'information. Je suis sûr que si mes collègues d'en face étaient ici, et je le sais très bien parce que j'ai été à leur place, ils seraient en train de hurler que nous faisons de l'obstruction aux travaux d'un comité. En fait, le gouvernement fait de l'obstruction. Ce gouvernement sait très bien que nous n'avons pas accès à l'information dont nous avons besoin.
Évidemment, la protection des droits des détenus était un aspect de cette résolution. Nous en avons la responsabilité internationale au sein de l'OTAN. Nous ne pouvons pas sciemment détourner le regard. Mais ce que je crains profondément, c'est que le gouvernement cherche à regarder ailleurs et à passer à autre chose. C'est inacceptable.
Parmi nos objectifs en Afghanistan, en collaboration avec le ministère de la Justice et la Commission indépendante des droits de l'homme de l'Afghanistan, il y a la consolidation des droits de la personne. Nous voulons faire respecter la primauté du droit. Si nous ne faisons pas mieux que les Talibans, nous ne faisons pas notre travail. Mais, nous faisons beaucoup mieux qu'eux. Nous expliquons au gouvernement afghan ce qu'il doit savoir et comment il doit agir face à ce genre de problème. Quand j'étais à Kandahar et à Kaboul, j'ai vu de mes yeux l'instruction poussée qu'on donne aux policiers et aux soldats afghans.
Il y a malheureusement eu des violences. Un seul cas crédible, comme celui de juin 2006 dont nous avons maintenant la confirmation, signifie qu'il peut y en avoir d'autres. Jusqu'à avant hier, le gouvernement disait qu'il n'y en avait aucun. Il nous accusait de toutes sortes de choses. La réalité, c'est qu'un, c'est déjà trop. C'est évidemment très préoccupant et c'est pourquoi il faut lancer une enquête publique. Seule cette enquête sous la direction d'un juge ira au fond des choses parce que ce juge pourra obtenir toutes les informations nécessaires à son enquête.
Nous avons vu ce qu'il est advenu de la Commission d'examen des plaintes concernant la police militaire: on l'a supprimée. Le gouvernement a lancé des enquêtes publiques sur d'autres questions, mais sur quelque chose d'aussi fondamental pour les Canadiens, d'aussi fondamental sur le plan des droits de la personne, d'aussi fondamental sur le plan du droit, il s'y oppose obstinément.
Après ce qui s'est passé hier, j'estime qu'il n'y a plus d'excuses. Fini le jeu de cache-cache. Fini l'obstruction. Il faut le faire. En fait, le Nouveau Parti démocratique a présenté une résolution en ce sens qui a été approuvée par la majorité des députés.
J'estime que tant que le gouvernement continuera à faire de l'obstruction, nous ne connaîtrons pas les faits. Il faut donc mener une enquête publique. Il faut le faire pour dissiper le malaise, il faut le faire pour les Canadiens.