Monsieur le Président, j'aimerais formuler une objection à propos du projet de loi C-471, Loi sur les recommandations du Groupe de travail sur l'équité salariale, au motif qu'il doit faire l'objet d'une recommandation royale.
En temps normal, les interventions concernant la recommandation royale sont faites avant la première heure de débat, laquelle a eu lieu hier soir dans le cas de ce projet de loi. Toutefois, à la demande du Parti libéral, on a reporté cette étape afin de ne pas trop retarder les députés d'en face qui devaient participer à une activité importante hier, en soirée.
Permettez-moi de faire mon intervention maintenant. Le projet de loi C-471 a un objet double. Premièrement, il impose au gouvernement l'obligation de donner suite aux recommandations formulées dans le rapport de 2004 du Groupe de travail sur l'équité salariale, rapport qui prévoit des délais d'exécution. L'article 2 du projet de loi stipule que le gouvernement doit notamment établir des « organismes de surveillance constitués par voie législative ».
Deuxièmement, le projet de loi C-471 prévoit l'abrogation immédiate de la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public, loi que le Parlement a adoptée il y a neuf mois, en mars 2009. Je m'oppose à l'une et l'autre de ces propositions et je les aborderai l'une après l'autre.
Dans le premier cas, le paragraphe 2.(1) du projet de loi impose au gouvernement l'obligation impérative de « mettre en oeuvre les recommandations du Groupe de travail sur l'équité salariale qui figurent dans son rapport final ». Cette disposition m'inquiète beaucoup. Son parrain pourrait tenter de faire valoir que le projet de loi C-471 ressemble à la Loi de mise en oeuvre du Protocole de Kyoto ou à la Loi de mise en oeuvre de l'Accord de Kelowna, jugés recevables lors de la dernière législature, mais il y a une distinction importante à faire.
Dans la décision que vous avez rendue le 27 septembre 2006, au sujet du projet de loi C-288, monsieur le Président, vous avez déclaré ceci:
Dans une décision rendue plus tôt cette semaine sur un rappel similaire, soit celle ayant trait au projet de loi C-292, Loi portant mise en oeuvre de l'Accord de Kelowna, j'ai établi une distinction entre un projet de loi dans lequel on demande à la Chambre d'approuver des objectifs précis et un autre dans lequel on demande à la Chambre d'approuver des mesures visant à atteindre des objectifs particuliers. Cette distinction est encore valide aujourd'hui. L'adoption d'un projet de loi engageant le gouvernement à mettre en oeuvre le protocole de Kyoto pourrait imposer au gouvernement l'obligation de prendre les mesures nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés dans le protocole. Toutefois, la présidence ne peut pas avancer d'hypothèses sur ces mesures.
Dans le cas du projet de loi C-471, les mesures sont énoncées en détail dans les 113 recommandations formulées dans le rapport du groupe de travail auquel le projet de loi renvoie. La première recommandation est que « le Parlement promulgue une nouvelle législation proactive distincte en matière d'équité salariale ». Les 112 autres décrivent les mesures que la loi devrait prévoir.
Par conséquent, ce projet de loi est très préoccupant. Il impose à la Couronne la tâche impossible de mettre en oeuvre les recommandations, ce qui ne peut se faire qu'en adoptant la mesure législative. Il tend à obliger le Parlement au cours de la présente législature ou d'une législature ultérieure à adopter cette nouvelle mesure législative, ce qui, selon moi, serait inconstitutionnel et porterait atteinte au principe fondamental de souveraineté parlementaire. La relation entre la Couronne et le Parlement serait fondamentalement modifiée. C'est ce qui se trouve au coeur de cette initiative financière.
Dans votre décision du 24 février 2005, vous avez fait, avec à-propos, la citation suivante:
Pour résumer la nature de ces relations, on pourrait tout simplement dire que le gouvernement propose et le Parlement dispose.
De toute évidence, le projet de loi C-471 chamboule complètement cette relation puisqu'on cherche à la fois à proposer et à disposer, puisqu'on veut faire adopter des mesures à des fins qui nécessitent l'investissement de fonds publics. Le paragraphe 2(2) du projet de loi rend cela encore plus évident. Cette disposition fixe la date à laquelle le gouvernement doit mettre en oeuvre les recommandations du groupe de travail. En particulier, elle précise ceci:
Le gouvernement du Canada veille à la mise en place d’organismes de surveillance constitués par voie législative au plus tard le 1er janvier 2011.
Cette disposition du projet de loi le rend aussi différent des projets de loi C-288 et C-292, qui ont été étudiés au cours de la dernière législature. Ces projets de loi ne contenaient pas de dispositions prévoyant la mise en place de nouvelles institutions. Inspiré par le rapport du groupe de travail, le paragraphe 2(2) impose la création de nouveaux organismes constitués par voie législative et d'un nouveau système en matière d'arbitrage. Si l'on admet que le projet de loi C-471 est constitutionnel et que le gouvernement y est assujetti, il n'y a pas d'autre solution que de créer ces nouveaux organismes.
C'est un lieu commun que de dire qu'une telle mesure aurait pour effet d’entraîner de nouvelles dépenses pour atteindre un nouvel objectif. Selon la décision que le Président a rendue le 19 septembre 2006, par exemple, la création de comités consultatifs nécessite une recommandation royale puisqu'elle a clairement pour effet d’entraîner des dépenses de fonds publics d'une manière qui n'est pas préalablement autorisée. C'est pour cette raison que le projet de loiC-471 doit être accompagné d'une recommandation royale pour être recevable.
Le deuxième élément du projet de loi C-471 démontre aussi clairement la nécessité d'une recommandation royale. Comme je l'ai mentionné au début de mon intervention, l'article 3 du projet de loi C-471 abroge entièrement la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. Cette abrogation entrerait immédiatement en vigueur si on accordait la sanction royale au projet de loi.
La nature de cette disposition est complètement différente de tout ce qui se trouvait dans les projets de loi C-288 et C-292 lors de la dernière législature.
Pour bien comprendre pourquoi cette mesure a des répercussions sur l’initiative financière de la Couronne, il faut d'abord comprendre l'objectif de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. Cette loi avait pour objectif d'enlever à la Loi canadienne sur les droits de la personne sa compétence sur les plaintes visant l'équité salariale dans la fonction publique et de créer un nouveau système législatif pour traiter les questions d'équité salariale dans la fonction publique de manière proactive.
De la même façon, la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public a enlevé à la Commission canadienne des droits de la personne et au Tribunal canadien des droits de la personne leur compétence sur les plaintes visant l'équité salariale dans la fonction publique. Les plaintes qui découlent du processus relatif à la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public sont traitées à la place par la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Les motifs de ces plaintes sont définis dans la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public.
C'est souligné dans la modification corrélative apportée par la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public à la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui stipule que:
La Commission n’a pas compétence pour connaître des plaintes faites contre un employeur, au sens de ce terme dans la Loi sur l’équité dans la rémunération du secteur public [c'est lié aux dispositions sur l'équité salariale de la Loi canadienne sur les droits de la personne].
L'article 3 du projet de loi C-471 annule tout cela. Cela a deux effets distincts. Premièrement, l'article redonne à la Commission canadienne des droits de la personne et au Tribunal canadien des droits de la personne leur compétence sur les employeurs du secteur public, qui leur avait été enlevée dans la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. Deuxièmement, il expose ces employeurs, c'est-à-dire la Couronne, à une responsabilité à l'égard des nouveaux motifs de plainte prévus dans la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ces deux choses empiètent sur l'initiative financière de la Couronne.
Dans la deuxième édition de La procédure et les usages de la Chambre des communes, O'Brien et Bosc énoncent un principe fondamental de la recommandation royale aux pages 833 et 834:
Un crédit accompagné d’une recommandation royale, bien qu’il puisse être réduit, ne peut être augmenté ni redistribué sans une nouvelle recommandation [...] En plus de fixer le montant du prélèvement, la recommandation royale en définit l’objet, les fins, les conditions et les réserves. Cela veut dire que la recommandation royale est nécessaire non seulement dans les cas où des sommes d’argent sont affectées, mais également lorsque l’autorisation de dépenser à une fin particulière est modifiée de façon significative. Sans recommandation royale, un projet de loi qui augmente le montant du prélèvement ou qui en élargit l’objet, les fins, les conditions ou les réserves est irrecevable du fait qu’il empiète sur l’initiative financière de la Couronne.
Monsieur le Président, ce principe se reflète dans votre décision du 11 février 2008, où vous déclariez que le projet de loi C-474 nécessitait une recommandation royale parce qu'il proposait de modifier en profondeur le mandat du commissaire à l'environnement et au développement durable. Le même principe vaut pour le projet de loi dont il est aujourd'hui question.
L'objet de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public était de modifier fondamentalement la structure, le processus et la compétence associés au traitement des questions d'équité salariale dans la fonction publique qui existaient avant l'adoption de la loi. Une recommandation royale accompagnait le projet de loi d'exécution du budget qui incluait cette loi.
Par conséquent, abroger la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public et donner à la commission et au tribunal canadiens des droits de la personne la compétence sur les plaintes visant l'équité salariale dans la fonction publique constitue essentiellement un mandat fondamentalement nouveau pour ces organismes. Aucune recommandation royale n'accompagne le projet de loi C-471.
La recommandation royale qui accompagnait le projet de loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public ne peut pas être associée à la commission et au tribunal des droits de la personne et d'anciens crédits affectés à ces deux organismes ne peuvent pas servir à un objet et à une compétence que le Parlement a expressément retirés de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public. Pour cette seule raison, le projet de loi C-471 empiète sur l'initiative financière de la Couronne.
De plus, le projet de loi empiète sur l'initiative financière parce qu'il expose la Couronne à une responsabilité distincte qui serait payée à même les deniers publics. Comme il est dit dans la 21e édition de Parliamentary Practice d'Erskine May, à la page 714:
Toute proposition qui engage la Couronne à effectuer des dépenses réelles ou éventuelles imputables sur les crédits votés par le Parlement [nécessite la recommandation de la Reine].
Dans ce sens, le Président déclarait dans une décision rendue le 12 juin 1973 qu'une recommandation royale devait nécessairement accompagner le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi sur les prêts destinés aux améliorations agricoles.
Le Président a dit:
On soutiendra peut-être que le bill loi S-5 ne pourvoit pas à une dépense directe. Il n'en demeure pas moins qu'il augmente substantiellement les sommes d'argent garanties.
De même, le 5 mai 2009, la décision du Président de l'autre endroit confirmait que le projet de loi S-219 était irrecevable parce qu'il modifierait la responsabilité de l'État aux termes de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants. Selon les termes de la décision:
Le projet de loi S-219, s'il est adopté, élargira la série de conditions en vertu desquelles le gouvernement assume la responsabilité des prêts consentis aux termes de la Loi fédérale sur les prêts aux étudiants. Cela modifiera le régime en vigueur, étant donné que les paiements provenant du Trésor pourraient augmenter en raison d'un changement dans les obligations éventuelles. Pour cette raison, il faudrait que ce projet de loi soit accompagné d'une recommandation royale et qu'il vienne de l'autre endroit.
Cela est également cohérent par rapport à une décision qui a été rendue le 12 février 1988 sur le projet de loi S-4, Loi modifiant la Loi sur la marine marchande du Canada. Dans ce cas, monsieur le Président, vous avez établi qu'une augmentation au niveau des limites de la responsabilité civile des armateurs n'exigeait pas une recommandation royale puisque le paiement était inclus dans l'autorisation prévue à l'article 30 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.
Monsieur le Président, je corrige ce que je viens de dire. Vous n'étiez pas ici en 1988. Vous êtes à la Chambre depuis si longtemps. J'ai parfois l'impression que vous avez toujours été ici. C'est un compliment, et j'espère que vous le comprendrez ainsi.
Cette loi prévoit essentiellement que devant les tribunaux, la Couronne pourrait être tenue responsable au plan civil pour ce qu'il est convenu d'appeler en common law un délit civil ou une atteinte à la législation sur la propriété. La responsabilité civile dans les cas de manquement aux dispositions législatives sur les sauvetages civils est également prévue expressément à l'article 5. L'article 30 prévoit que, dans les cas de jugements émis par un tribunal contre la Couronne, les honoraires peuvent être remboursés.
Le projet de loi C-471 diffère clairement du projet de loi S-4 en ce sens qu'il crée une toute nouvelle responsabilité pour la Couronne en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif n'autorise pas de paiements pour les nouvelles responsabilités prévues dans la loi. L'article 33 précise que:
Sauf disposition expresse contraire, la présente loi n’a pas pour effet de modifier les règles de preuve ou présomptions établissant le degré d’obligation imposé à l’État par les lois fédérales.
Le projet de loi C-471 créerait de nouveaux frais statutaires distincts de la responsabilité civile. Le nouveau contexte quasi judiciaire accusatoire du régime de protection des droits de la personne est fondamentalement différent de l'approche proactive et intégrée de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public.
En vertu de la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public, le devoir de parité salariale fait partie du processus de négociation sous réserve de plaintes déposées auprès de la Commission des relations de travail dans la fonction publique pour certains motifs. En revanche, dans le contexte de la Loi canadienne sur les droits de la personne, on part de plaintes individuelles sur lesquelles se prononce un tribunal administratif qui octroie éventuellement des dommages et intérêts. C'est en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne que ces dommages sont octroyés.
Vous vous souviendrez, monsieur le Président, qu'à l'époque du précédent régime de plaintes en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le gouvernement a versé des milliards de dollars de l'argent public en indemnisations à la suite de jugements. Avec la LERSP, les obligations de la Couronne sont très différentes et des changements impliquent donc une recommandation royale.
Avant de conclure, car je sais qu'on souhaite me voir conclure rapidement, j'aimerais signaler un point qui risque d'être soulevé lors de l'étude du projet de loi. Comme nous le savons, le Parlement a adopté la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public, mais elle n'est pas encore entrée en vigueur. Comme pour bien d'autres lois, le Parlement délègue au gouverneur en conseil le soin de décider de la date de son entrée en vigueur.
Cette période de transition, qui est une des conditions dans lesquelles le Parlement a adopté la loi, permet à l'exécutif de préparer la mise en exécution de ses dispositions. Pour déterminer s'il faut une recommandation royale pour le projet de loi C-471, peu importe que la loi soit entrée en vigueur, il suffit qu'elle ait été adoptée par les deux Chambres du Parlement et qu'elle ait reçu la sanction royale.
Le point essentiel et fondamental, c'est la décision du Parlement d'établir une loi. Dans la 21e édition d'Erskine May, à propos du critère à utiliser pour déterminer si un financement est nouveau et distinct, on peut lire à la page 712:
Il peut arriver qu'on se demande si une proposition de dépenses ou d'accroissement de dépenses n'est pas déjà couverte par une autorisation plus générale. Le critère à utiliser pour se prononcer dans le cas d'une proposition d'importance, par exemple des montants prévus dans un projet de loi qui est présenté, c'est sa mise en regard avec le droit en vigueur.
En l'occurrence, la Loi sur l'équité dans la rémunération du secteur public a été adoptée par le Parlement le 12 mars 2009. Elle fait partie des lois du Canada, elle est l'expression de la volonté du Parlement et elle sera mise en oeuvre aux conditions fixées par le Parlement parce que c'est ce que stipule le droit.
Comme le dit Erskine May, comme elle fait partie du droit en vigueur, c'est dans ce contexte qu'il faut examiner les dispositions du projet de loi C-471. Sous un autre angle, l'article 3 du projet de loi C-471 n'a d'autre fin que de changer la loi. Il s'ensuit qu'on change aussi les fins et conditions auxquelles la Chambre a autorisé ces dépenses. C'est pourquoi il faut une recommandation royale.
Bien que le projet de loi C-471 soit court, il a d'importantes conséquences et pour être recevable, il doit pour toutes sortes de raisons recevoir une recommandation royale. J'ajoute que le député d'Etobicoke—Lakeshore, le parrain du projet de loi C-471, a déclaré qu'à son avis, ce projet de loi entraînerait pour le gouvernement des coûts additionnels non spécifiés. Autrement dit, le chef de l'opposition officielle, parrain de ce projet de loi, reconnaît lui-même que son projet de loi implique une recommandation royale.