Monsieur le Président, je remercie les députés qui ont pris position contre l'Accord de libre-échange Canada-Colombie, et plus particulièrement le député de Burnaby—New Westminster pour avoir contesté de façon soutenue l'éthique de l'accord.
Je suis au courant de la situation en Colombie depuis un certain nombre d'années et j'ai eu le privilège de m'entretenir directement avec des Colombiens de toutes les couches de la société concernant ce qui se passe dans leur pays natal depuis qu'il est sous le gouvernement Uribe. En fait, de nombreux électeurs de ma circonscription sont venus au Canada car ils ne se sentaient plus en sécurité dans leur pays d'origine.
Au cours de la dernière session parlementaire, j'ai parlé de l'Accord de libre-échange Canada-Colombie et de l'absence de dispositions relatives à la protection de l'environnement et aux droits du travail dans l'accord, des violations des droits des travailleurs, de la violence à l'endroit des travailleurs syndiqués, de la culture antisyndicaliste de la Colombie, ainsi que des assassinats de syndicalistes. Ce sont les normes.
À l'époque, mes collègues et moi avons pris note du fait que la Colombie était l'endroit le plus dangereux dans le monde pour les syndicalistes. Plus de 2 700 syndicalistes colombiens ont été assassinés depuis 1986 et, tragiquement, ils ont été tués en toute impunité. Le taux de condamnation des auteurs de meurtres n'est que de 3 p. 100 seulement et, pis encore, l'accord que le Canada propose de signer avec la Colombie prévoit un système d'amendes pour les entreprises qui assassinent leurs travailleurs.
Comment pouvons-nous être partie à une entente qui contient une disposition selon laquelle le meurtre d'un syndicaliste est passible d'une amende? C'est inqualifiable et je crois que lorsque les Canadiens sauront ce que l'Accord de libre-échange Canada-Colombie renferme, ils le rejetteront.
J'aimerais parler aujourd'hui des crimes que le gouvernement Uribe commet à l'heure actuelle à l'endroit des Colombiens autochtones.
Dans un rapport récent publié le 23 février, Amnistie internationale a réclamé la prise de mesures internationales immédiates pour assurer la survie des peuples autochtones en Colombie. L'organisation déclare que les groupes de guérilleros, les forces de sécurité de l'État et les groupes paramilitaires sont responsables de violations graves des droits de la personne à l'égard des peuples autochtones. Ces violations comprennent des assassinats, des disparitions forcées et des enlèvements, des agressions sexuelles contre des femmes, le recrutement d'enfants soldats, la persécution de dirigeants autochtones et le déplacement forcé de collectivités qui vivent dans des régions au potentiel économique élevé. Les gens sont chassés de leurs terres parce qu'elles sont riches en ressources naturelles, y compris en pétrole et en minéraux.
Selon Amnistie internationale, la situation des peuples autochtones de la Colombie constitue une véritable urgence. D'ici à ce que des pays comme le Canada reconnaissent la gravité de la situation et exercent une pression plus que nécessaire sur le gouvernement de la Colombie, des cultures autochtones entières risquent d'être éradiquées.
Selon l'Organisation nationale des indigènes de la Colombie, l'ONIC, la survie de 32 différents peuples autochtones de la Colombie est menacée par le conflit armé, par les répercussions de projets économiques à grande échelle et par un manque de soutien de l'État. Toujours selon l'ONIC, en 2009 seulement, au moins 114 femmes, hommes et enfants autochtones ont été tués, bien d'autres ont été menacés et des milliers d'entre eux ont été chassés de leurs terres.
Dans son dernier rapport, Amnistie internationale déclare que les menaces auxquelles les peuples autochtones sont confrontés se multiplient; elle exhorte les groupes de guérilleros et les forces de sécurité de l'État de respecter le droit des peuples autochtones de ne pas être entraînés dans les hostilités, ainsi que — point tout aussi important — le droit des peuples autochtones d'être propriétaires et maîtres des terres dont ils dépendent pour leurs cultures et leur subsistance. Fait tragique, les dirigeants et les collectivités autochtones qui tentent de défendre leurs droits fonciers deviennent couramment victimes de menaces, de meurtres et de déplacements massifs.
Des millions de personnes ont été touchées par le conflit armé qui sévit en Colombie; des dizaines de milliers d'entre elles ont été tuées, torturées ou portées disparues. La grande majorité des victimes sont des civils. Au cours des sept dernières années, plus de 1 595 Autochtones ont été tués ou portés disparus dans le cadre du conflit armé, et on a signalé 4 700 menaces collectives. Dans la vaste majorité des cas, les crimes n'ont pas fait l'objet d'enquêtes complètes, et les auteurs n'ont pas été traduits en justice.
Comme dans le cas des syndicalistes, le nombre de morts augmente, et pourtant, le gouvernement conservateur demeure déterminé à conclure un accord commercial avec un régime très suspect.
Comme Amnistie internationale l'a déclaré lors de sa comparution devant le Comité du commerce international de la Chambre des communes en novembre 2009, une des tendances les plus inquiétantes, c'est l'augmentation spectaculaire du nombre de Colombiens chassés de chez eux. Le nombre s'élevait à 380 000 en 2008. Au total, de trois à quatre millions de Colombiens ont été déplacés; cette donnée compte parmi les plus élevées au monde, et elle continue à croître.
Les déplacements forcés ont ouvert la voie au détournement des terres, généralement par des groupes paramilitaires, mais aussi par des groupes de guérilla. On estime que les groupes paramilitaires se sont ainsi approprié plus de quatre millions d'hectares de terres.
Le déplacement est l'une des pires menaces pour les collectivités autochtones, notamment en Colombie. Ce n'est sûrement pas une coïncidence si ce phénomène touche surtout des régions particulièrement riches en pétrole et en minéraux précieux ou dont la biodiversité est exceptionnelle. Les compagnies minières internationales, les grandes sociétés agricoles et les pétrolières convoitent ces territoires, aux dépens des populations qui ont le droit d'y vivre.
Nous savons que des multinationales, y compris des intérêts commerciaux canadiens, sont bien présentes en Colombie et qu'elles participent à l'exploitation des ressources.
Selon le directeur colombien du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, la situation se complique lors des déplacements vers les centres urbains du fait que la plupart des femmes autochtones ne s'expriment pas très bien en espagnol. L'immensité de la ville, son caractère anonyme et le peu de solidarité entre les citadins les effraient. Les femmes se heurtent à de nouvelles difficultés pour élever leurs enfants de même que dans leurs rapports avec leurs partenaires, car la ville n'est pas un environnement familier. Elles doivent non seulement vivre dans cet environnement inconfortable, mais c'est aussi dans l'angoisse qu'elles quittent leur foyer, qu'elles partent avec le peu qu'elles possèdent ou qu'elles peuvent transporter afin de fuir la mort et la désolation.
Accepter ainsi de nouvelles réalités et s'adapter à des activités inconnues, étrangères aux cultures traditionnelles autochtones est source de choc culturel et de désorientation. Les gens sont confrontés à une langue et à un mode de vie radicalement différents des leurs. Cette rupture risque de fractionner la continuité culturelle. En effet, les jeunes se retrouvent dans des environnements étrangers, loin des pratiques et des réseaux sociaux et culturels nécessaires à la survie de leurs collectivités.
Les personnes déplacées courent un risque accru de se retrouver dans l'indigence, d'être victimes de violence sexuelle ou d'exploitation par les bandes criminalisées ou les groupes armés. Elles risquent également de faire l'objet de discrimination. Même dans les endroits où elles cherchent refuge, elles peuvent être victimes d'intimidation ou de violence, ce qui les pousse à s'enfuir à nouveau. Parce que l'État répond mal aux besoins des collectivités déplacées à l'intérieur du pays, certaines personnes se retrouvent à nouveau dans les situations dangereuses qu'elles ont fuies à l'origine, sans le soutien ou la protection que l'État devrait leur fournir.
Le droit aux terres traditionnelles est crucial pour les peuples autochtones de la Colombie et d'ailleurs. C'est un élément vital de leur sentiment d'identité, de leur gagne-pain et de leur mode de vie. Ce droit est crucial pour leur avenir.
Ce qui m'amène évidemment à parler de la motion présentée par le Parti libéral et qui, selon celui-ci, protégerait les droits de la personne en Colombie. Cette motion permettrait au gouvernement colombien de surveiller la situation des droits de la personne sur son propre territoire et, le cas échéant, d'en faire rapport. C'est totalement inacceptable. Quand on pense aux meurtres, à la torture et au déplacement de personnes, on se rend compte que cette motion est une supercherie.
De toute évidence, l'opposition officielle souhaite à tout prix adhérer à l'accord de libre-échange Canada-Colombie, et ce, peu importe le prix à payer sur les plans humain, environnemental et éthique.
Je me demande ce que les Canadiens diraient s'ils savaient qu'au cours des élections législatives tenues ce mois-ci, des observateurs indépendants ont signalé des tactiques visant à acheter des votes et des manoeuvres frauduleuses qui ont permis à des candidats narco-paramilitaires de maintenir leur ascendant sur le Congrès colombien. Je me demande aussi ce que les Canadiens penseraient du plaidoyer fait par Juan Alberto Cardona, évêque de l’Église méthodiste de la Colombie, devant le Conseil canadien pour la coopération internationale. Lors de sa visite au Canada en 2007, l'évêque avait alors déclaré ceci: « [...] l’exemple d’autres endroits, tels que le Mexique, nous a appris que des accords de la sorte sont susceptibles de créer davantage de richesse pour les riches, mais qu’ils accentuent les inégalités. Quelle que soit la nouvelle richesse, elle ne profite pas aux populations pauvres. »
L'accord de libre-échange Colombie-Canada a été signé à l'insu du peuple colombien, sans la participation réelle de la société civile et en l'absence d'une étude sur ses répercussions. Il faut le dire clairement au Parlement et à la population canadienne. La situation est propice à l'augmentation des cas de violation des droits de la personne.
Les Colombiens ont demandé à la société et au Parlement canadiens de leur être solidaires en se mobilisant et en refusant de signer l'accord de libre-échange Canada-Colombie.
Au nom de l'humanité, nous devons les écouter. Quand le gouvernement et l'opposition officielle se décideront-ils enfin à les écouter?