Monsieur le président, je vous remercie de nous avoir invité à votre comité.
Je m'appelle Jean Lévesque et je suis président de l'Association des pêcheurs du lac Saint-Pierre. Mon collègue, M. Marcel Bouchard, est aussi membre de notre association.
L'Association des pêcheurs du lac Saint-Pierre a été fondée en réaction à la décision prise par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec d'imposer un moratoire de cinq ans sur la pêche à la perchaude. Le mécontentement était tel que, après seulement 15 jours, nous dépassions le cap des 1 000 membres. Pour la première fois, une organisation démocratiquement élue représentait pêcheurs sportifs, commerciaux, pourvoyeurs, centres de pêche, détaillants commerçants et fournisseurs de services, élus municipaux et associations régionales pour leur donner un droit de parole. Actuellement, nous sommes près de 1 900 membres.
Au cours de l'hiver suivant, l'Association des pêcheurs du lac Saint-Pierre a effectué, avec la collaboration de ses membres, une étude sur le nombre de prises et de remises à l'eau par permis de pêche pour les espèces suivantes: le doré, la perchaude, le brochet et la lotte. Cette cueillette de données a servi exclusivement à quantifier quotidiennement l'impact de la pêche blanche sur la ressource, ainsi qu'à mesurer l'abondance ou la diminution de certaines espèces dans l'ensemble du lac Saint-Pierre. Vous trouverez le document en pièce jointe que nous vous avons fait parvenir.
Quel plan d'eau extraordinaire que ce grand lac peu profond, si propice à l'abondance de tout: poissons, canards, mammifères, des plus petits aux plus grands, la qualité de l'eau faisant partie du quotidien. La qualité de cet environnement en fait un bijou extrêmement rare et à conserver absolument.
Après l'ignorance totale de précautions à prendre pour empêcher la détérioration de la qualité par les rejets d'eaux grises et même noires en provenance des usines et des municipalités, après la négligence de surveillance des rejets des navires empruntant le Saint-Laurent, sans oublier les raffineries de Montréal-Est, voilà que le ministère de la Défense nationale s'est permis, sans vergogne, d'utiliser ce trésor de l'environnement comme un dépotoir à obus.
Plus ou moins 400 000 de ces projectiles de toutes sortes ont été tirés dans le lac, dont plus de 8 000 potentiellement dangereux parce que chargés d'explosifs non amorcés ou tout simplement défectueux, sans qu'on y fasse à peu près rien, sauf le noter dans un registre. Selon nos lois actuelles, une telle attitude est criminelle et mérite des amendes sévères pouvant aller jusqu'à la prison. Aujourd'hui, les responsables annoncent fièrement qu'ils en ont récupéré 80 récemment. À ce rythme, ils auront terminé la récupération en l'an 4975.
Puis, ce fut la période d'érosion des rivages, des îles et des berges des affluents. Les causes sont connues: le non-respect et la négligence dans l'application des règlements de base qui régissent la navigation autant commerciale que de plaisance. Une embarcation de plaisance typique d'aujourd'hui produit autant de vagues que beaucoup de grands navires. Le responsable n'est ni blâmé ni puni. La conséquence principale est l'obstruction des embouchures de rivières, la réduction du courant et l'accumulation de sédiments provenant de drainages agricoles qui produit un environnement de rêve pour les cyanobactéries.
Au cours des années 1980 arrive une nouvelle nécessité, celle de débloquer les rivières, le plus tôt possible au printemps, en utilisant les fameux aéroglisseurs de la Garde côtière. Bien sûr, on a protégé les chalets et les résidences construites dans les zones inondables. Cependant, cette pratique a eu des conséquences désastreuses. La plaine inondable du lac Saint-Pierre, comme son nom le dit, a absolument besoin de ces crues printanières pour éliminer les végétaux en décomposition dans les baies et entrées de rivières. Comme conséquence, nous sommes en train de perdre ces baies si favorables à la faune et à la reproduction des perchaudes, qui se sont remplies à vue d'oeil, depuis les 10 dernières années. Des exemples frappants sont la baie de Lavallière et surtout la baie de Saint-François qui sont dans un piteux état.
Au cours des années 1940, 1950 et même 1960, le lac Saint-Pierre pouvait facilement supporter la pêche commerciale artisanale qui s'est pratiquée au lac à cette époque et qui était sans conséquence sur les populations de poissons. C'est alors qu'arriva la demande pour l'esturgeon, surtout fumé, et la découverte par les Américains du Nord, près de notre frontière, de la très grande finesse de la perchaude, surtout en filet. On s'est alors équipé: bateaux plus grands, moteurs plus puissants, verveux beaucoup plus grands pour une capacité accrue et pêche sur les frayères où les prises étaient très faciles et surtout abondantes.
Soudain, la population de poissons s'est mise à diminuer. On a amélioré les techniques et maintenu le rendement en ignorant les alarmes. Cependant, au cours des années 1980, on débuta les enquêtes et les études auprès des pêcheurs sportifs tout en exigeant des statistiques volontaires de la part des commerciaux. La qualité de la pêche continua de diminuer. Des pêcheurs commerciaux rapportèrent que la pêche à la perchaude dans les coulées, les fossés et les entrées de rivières au printemps ne donnait plus rien, alors que ces endroits étaient les endroits traditionnels pour la production de cette espèce.
Il fallait désormais pêcher ailleurs, plus au large, pour réussir des prises alors que c’était si facile auparavant.
Quelles sont les causes de la destruction de ces endroits privilégiés? La principale est connue: la transformation complète des pratiques agricoles autour du lac. Au lieu de récolter du fourrage ou des céréales à paille, la mode est au maïs, qu'on cultive en alternance avec le soya. Éthanol, rendement et prix de vente intéressants ont modifié notre agriculture traditionnelle au profit de l’agriculture industrielle. Pour ce faire, on a pris les moyens qui s’imposaient: drainage à outrance, élimination des fossés, utilisation d’herbicides, fongicides, insecticides, engrais chimiques, et j’en passe. Par rapport à ce qu'il était il y a 20 ans, le rendement par âcre des terres « modernes » a au moins doublé. Les producteurs agricoles n’ont rien fait qu’il ne leur ait été permis. Il faut blâmer les gestionnaires qui, par crainte des revendications du tout-puissant syndicat bien connu, ont fermé les yeux. Tant pis pour l’environnement; les poissons peuvent bien aller ailleurs.
C’est alors que les responsables provinciaux de l’environnement, de la faune, des pêcheries et de l’alimentation se sont réveillés, mais en retard, comme toujours. Au Québec, c'est une tradition de réagir, mais pas d’agir. On a donc réglementé la pêche plus sévèrement, mais les études ne démontrent aucune amélioration. On a racheté les permis et éliminé plus de 80 % de la pression de pêche commerciale sans plus de résultats. On a banni la pêche durant la fraie, mais rien n'a changé. En dépit d’une opposition spectaculaire, on a imposé aux pêcheurs sportifs une aire faunique communautaire. Enfin, les faiseurs de miracles ont été trouvés. Ils vont sauver le lac, les poissons et la pêche. Cette aberration nous coûte, à nous, les pêcheurs, plusieurs milliers de dollars annuellement pour absolument rien.
Des règlements archaïques ont été mis en vigueur, par exemple l'imposition d'une longueur minimum. En fait, on a dit aux pêcheurs de conserver les plus grands géniteurs matures et de remettre à l’eau les moyennes et petites prises, et ce, même si le risque de mortalité était très élevé. Plusieurs croient que le contraire aurait dû être proposé. Ces mesures n’ont absolument pas amélioré la situation. En fait, une aire faunique n’a pas sa place dans un plan d’eau ouvert comme le fleuve Saint-Laurent. Il y a tant d’obstacles à la réalisation d’aménagement faunique localement. On n'a ni la capacité, ni les budgets, ni l’autorité, ni la ferme intention de régler les vrais problèmes environnementaux du lac Saint-Pierre. Le ministre de l’époque a été complètement berné par les promoteurs de ce concept, qui nous a plutôt donné l’impression de vouloir se débarrasser de la patate chaude, le lac Saint-Pierre, maintenant qu’il est dans un état lamentable.
On a alors commandé des études et engagé à grands frais des sommités. On a demandé des études plus poussées sur des sujets particuliers. Était-ce pour se faire dire ce que l’on voulait entendre? On ne le saura jamais, mais on se sert de ces soi-disant expertises pour punir les coupables, c'est-à-dire les pêcheurs. C’est si simple: on ferme la pêche. Tant pis pour l’économie locale et les retombées économiques affectées par cette décision. Mais, il y a un « mais ». Tout d’abord, le ministère ne s’occupe même pas de sa création, l'aire faunique, avant de prendre des décisions de ce genre. On fonce. Il faut bien admettre que cela ne sert à rien. Puis, on rapporte que les études des savants prédisent l’effondrement des stocks de poissons.
J’ai mentionné plus haut que je pêche au lac depuis plus de 50 ans. Je n’ai jamais pêché dans les endroits où les engins de mesure et de capture ont été installés, pendant des années. Voulez-vous savoir pourquoi? Parce que ce ne sont tout simplement pas des endroits qui en valent la peine. La perchaude est très sélective quant à son milieu de vie. Cependant, je n’ai jamais vu ces équipements dans des endroits favorables. Pourquoi? C'est un mystère. Les savants sont bien trop occupés, imbus d’eux-mêmes, bien trop capables et informés pour consulter ceux qui sont allés à l’école de la nature et qui peuvent leur montrer qu’ils en savent au moins autant que n’importe qui sur le milieu qu’ils fréquentent depuis tant d’années. Ne croyez-vous pas qu’une telle coopération aurait été utile?
Dans un imprimé publié au moment de l’annonce du moratoire sur la pêche à la perchaude, le ministère a affirmé lui-même que les causes de la détérioration de l’habitat du lac étaient multiples: les changements climatiques, le bas niveau de l’eau, l’environnement favorable à la croissance de bactéries et la surpopulation de cormorans à aigrettes, qui sont de grands consommateurs de perchaudes. Voilà une preuve qu’ils étaient pourtant bien informés de la situation.
Pourquoi n’ont-ils pas agi quand il était encore temps? Nulle part dans leurs affirmations il n’est question de la surpêche ni même de la pêche. Pourtant, la seule mesure à avoir été prise en panique a été la fermeture de la pêche, non seulement de la pêche commerciale, mais aussi de la pêche sportive, qui rapporte beaucoup plus encore à l’économie.
En réponse à une question que j'ai posée lors d’une rencontre informative tenue au cours du printemps dernier et portant sur les garanties que cette mesure offrait quant à l'amélioration de la situation, on a répondu qu'elles étaient nulles, qu'on ne savait pas. Or on pénalise quand même; il faut bien punir les « responsables », et ce, même si on admet par écrit et ouvertement qu’ils ne le sont pas.
Au sujet des cormorans, on nous a jeté de la poudre aux yeux avec un essai d’abattage de 600 cormorans à aigrettes qui nichaient surtout dans les îles, qui a été effectué par des employés du ministère. Lors de cet essai d’abattage, les analyses stomacales ont indiqué que 60 % du contenu était composé de perchaudes d’environ deux ans. En période de migration, de la mi-août à la fin de septembre, entre 5 000 et 6 000 cormorans sont présents au lac Saint-Pierre. Nous estimons qu'environ 30 tonnes de perchaudes de deux ans sont mangées annuellement par les cormorans.
Compte tenu de tous les autres facteurs qui entravent la reproduction maximale de la perchaude, cette prédation excessive nuit à un rétablissement des stocks de perchaudes. À notre avis, il serait primordial de diminuer cette prédation par un contrôle par abattage plus rigoureux que l’essai qui s’est effectué au cours de l’année 2012. Avant de dépenser des centaines de milliers de dollars dans des aménagements d’aires de reproduction, il faudrait d’abord diminuer de façon systématique la population de cormorans à aigrettes. Au Québec, il n’y a pas moyen de prendre le taureau par les cornes quand vient le temps de régler un problème. C’en est devenu ridicule.
Bien que la pêche soit permise aux deux extrémités du lac sans autre restriction que la limite de 50 perchaudes sans restriction de dimension, des enquêtes ont démontré que les perchaudes de Saint-Nicolas, près de Québec, remontent jusqu’au lac Saint-Pierre. Il est facile d'en déduire que celles en aval le font également.
La quantité de perchaudes adultes prises annuellement en pêche sportive est d’environ 4 tonnes avec un quota de 10 poissons par jour par permis, ce qui est la limite permise au lac Saint-Pierre. Cela représente des retombées économiques de 4 millions de dollars par année pour une région qui en a grandement besoin. Les spécialistes et les chercheurs, malheureusement, n’en sont pas à une aberration près.
En conclusion, je dirai que nous sommes témoins du jeu de l’autruche. Les autorités se sont enfoui la tête dans le sable quand le taux de pollution est devenu intolérable dans le lac Saint-Pierre, quand la Défense nationale s’en est servi comme s'il n'était pas entouré de localités et de citoyens, quand l’agriculture s’est complètement transformée, quand on a permis de la construction dans la plupart des zones inondables autour du lac, quand on empêche la crue printanière indispensable et quand on continue à maintenir le cormoran à aigrettes, une espèce dont la population double aux deux ans, quand on hérite de moyens de gestion, de surveillance et de protection de la faune de second ordre, et j’en passe.
Est-il trop tard? Non, il n’est jamais trop tard. Les résultats spectaculaires obtenus dans les Grands Lacs et l’exemple particulier du lac Érié en sont des illustrations. Il faut le vouloir cependant. Il n’est pas indispensable d’investir des sommes astronomiques chaque année pour en venir à ces fins, mais il faut le vouloir et s’assurer qu'il y a une coopération entre tous les intervenants et tous les usagers.
Ce n’est pas en pénalisant les pêcheurs sans garantie de succès qu’on obtiendra leur faveur et leur coopération de bonne grâce. Il faudrait se convaincre que, oui, l’environnement est politiquement rentable. De notre côté, il faut convaincre nos concitoyens d'élire des politiciens qui en sont conscients. Ces même politiciens devront utiliser le pouvoir qui leur est prêté pour se faire obéir par leur personnel qui, lui, n'a pas été choisi par les contribuables.