Monsieur le Président, je trouve très intéressant que nous discutions de l'adoption d'un rapport qui a été présenté en avril 2014. Manifestement, il n'est plus question ici de l'adoption d'un rapport, mais bien d'une manoeuvre politique.
Lorsque nous avons étudié cette question au comité de la santé, personne n'a mentionné le chef libéral. Nous avons parlé de la marijuana. Il est assez amusant de constater que le résumé porte sur un rapport qui n'a même pas été mentionné; c'est plutôt transparent. D'ailleurs, c'est probablement la seule et unique fois que le gouvernement a fait preuve de transparence.
Le Parti libéral du Canada rejette ce rapport. Nous ne l'approuvons pas, et nous avons présenté un rapport dissident. Je veux que ce soit bien clair: ce rapport ne correspond pas aux témoignages et aux conseils des experts qui ont comparu devant le comité. En fait, la majorité des témoignages, plus particulièrement ceux liés aux données scientifiques, ne figurent pas dans le rapport. Il y a très peu de données scientifiques dans ce rapport, et c'est pour cette raison que nous estimons qu'il comporte de graves lacunes.
Les libéraux ont demandé que l'étude porte aussi bien sur les bienfaits que sur les risques, comme le font toutes les études ayant pour objet un examen approprié de toute drogue. Mes collègues du Nouveau Parti démocratique avaient également demandé un tel examen, mais cette demande a été rejetée. Nous disposons donc d'une étude très boiteuse puisqu'elle n'examine que les dangers et les risques, et non les bienfaits possibles. En fait, au cours des témoignages que nous avons entendus pendant les cinq séances du comité, on nous a parlé des bienfaits, mais ceux-ci ne sont pas du tout mentionnés dans le rapport. De nombreux témoins ont indiqué qu'il faut effectuer un examen objectif et scientifique, comme c'est le cas pour toute drogue devant faire l'objet d'une évaluation.
Le message était on ne peut plus limpide. Nous disposons de recommandations du Centre de toxicomanie et de santé mentale, qui sont entièrement fondées sur des données probantes faisant état de la consommation élevée de marijuana chez les jeunes de 11 à 15 ans. D'après un rapport de l'UNICEF, le Canada compte le plus haut taux de consommation au monde. Il s'agit d'un rapport comparatif, d'une comparaison avec d'autres pays du monde.
La ministre continue de faire référence à un rapport selon lequel le taux diminue. Il s'agit d'un seul rapport, et c'est un rapport produit au Canada. Il ne s'agit pas d'un rapport comparatif. Il y est simplement mentionné que les taux sont en train de diminuer. La ministre n'a toujours pas précisé à quoi elle fait référence exactement lorsqu'elle affirme que de nouveaux rapports font également état des mêmes résultats.
L'Enquête de surveillance canadienne de la consommation d'alcool et de drogues montre très clairement que 41,5 % de Canadiens ont déjà consommé de la marijuana au moins une fois dans leur vie et que 25 % d'entre eux sont des utilisateurs chroniques. Dans cette enquête, ce qui n'est pas mentionné c'est que 17 % des personnes qui ont consommé de la marijuana l'ont fait à des fins médicales. La moitié de ces 17 % de personnes l'utilisent pour calmer la douleur, et l'autre moitié, pour lutter contre la dépression, l'insomnie et l'anxiété, ce qui donne à penser que la marijuana offre certains bienfaits sur le plan médical. L'incidence chez les jeunes demeure à 20,2 %, comme on l'a constaté dans le rapport de l'UNICEF.
Voici ce que nous n'avons pas vu dans le rapport. Tous les groupes scientifiques ont présenté des arguments contradictoires.
M. Philippe Lucas, de l'Université de Victoria, a fait observer que, dans tous les États où l’accès à la marijuana était réglementé, on avait constaté une baisse de l’usage d’autres drogues à des fins récréatives, dont l’alcool et les médicaments d’ordonnance. Il est donc important d'envisager une telle solution.
Selon le Dr Evan Wood, directeur de l’Initiative de recherche sur la toxicomanie et la santé urbaine au Centre d’excellence sur le VIH/sida de la Colombie-Britannique, le fait que la marijuana soit illégale n’empêche pas les jeunes d’en consommer, car 80 % des jeunes interrogés lors d’une enquête menée aux États-Unis trouvent qu’il est facile de s'en procurer.
Le Dr Le Foll, de l’Université de Toronto, et le Dr Didier Jutras-Aswas, de l’Université de Montréal, ont tous deux recommandé de légaliser la marijuana au moyen d’un système de réglementation et de taxation sévères, qui contribuerait à réduire les méfaits et les risques pour la santé. Cependant, ils ont aussi ajouté que, si nous réglementons l'accès à la marijuana, nous devrons en surveiller le contenu, y compris le niveau de THC qui, comme nous le savons, a beaucoup augmenté depuis les années 1960. De plus, ils ont indiqué que nous pourrions examiner des façons moins nocives de consommer la marijuana, notamment celle consommée à des fins médicales.
Tous ces chercheurs et ces médecins remarquables et réputés affirment que nous devrions légaliser la marijuana et que, à tous les endroits où cette mesure est prise, elle réduit non seulement la consommation par les jeunes de cette drogue, mais aussi leur consommation d'autres drogues utilisées conjointement avec elle, comme l'alcool, les cigarettes et les médicaments d’ordonnance.
Nous avons recommandé que le gouvernement du Canada se penche sur un cadre de légalisation réglementaire, de concert avec des spécialistes du domaine, afin de garder la marijuana hors de la portée des jeunes. Nous voulions déterminer à quoi ressemblerait ce cadre réglementaire en examinant les pratiques exemplaires des autres pays, ainsi qu'en faisant appel à des spécialistes pour qu'ils nous disent ce qui devrait être inclus dans ce genre de recommandation, plus particulièrement en ce qui a trait à l'âge.
D'après des données de 2002, 0,3 % des hospitalisations au Canada sont liées au cannabis, tandis que 5,8 % sont liées à la consommation d'alcool et 10,3 % à la consommation de tabac. Le tabac et l'alcool sont des drogues légales au Canada. En 2002, le coût direct de la consommation de cannabis pour notre système de soins de santé a été de 73 millions de dollars, celui de la consommation d'alcool a été de 3,3 milliards de dollars et celui de la consommation de tabac de 4,4 milliards de dollars. Ces deux drogues légales comportent donc des risques énormes pour la santé.
Lorsque la ministre a dit, de façon si émouvante, qu'elle se soucie des jeunes et des effets nocifs de la drogue, voulait-elle dire qu'elle allait rendre l'alcool et le tabac illégaux au Canada? Je ne sais pas. Si elle s'en soucie réellement, c'est peut-être de cela qu'elle parlait.
L'une des choses que nous avons apprises, c'est qu'une campagne de sensibilisation du public est très importante. Par exemple, le Dr Tony P. George de l'Université de Toronto a déclaré que, aux États-Unis, on a constaté que la perception que les jeunes ont des effets nocifs changerait s'il y avait une campagne de sensibilisation du public. Ce qu'il n'a pas dit, cependant, c'est qu'une telle campagne doit être fondée sur des renseignements exacts, parce que le recours à des tactiques alarmistes s'est avéré être le moins efficace. Le gouvernement a fait paraître sa publicité alarmiste qui ne contenait aucun renseignement exact.
C'est important. Lorsque le gouvernement a demandé à l'Association médicale canadienne et au Collège des médecins de famille du Canada de contribuer à la publicité de sensibilisation du public, ces deux organismes crédibles ont dit non parce qu'il s'agissait d'une publicité alarmiste et qu'elle ne visait pas à diffuser des renseignements exacts.
Le gouvernement alimente ce préjugé établi. Si le gouvernement se soucie tant de la question, pourquoi refuse-t-il de légaliser la marijuana?
Nous avons trouvé beaucoup plus de renseignements contradictoires sur les dommages et les risques liés à la consommation du cannabis que sur ses bienfaits. Certains groupes nous ont dit qu'il y avait des risques évidents: déficience cognitive, problèmes de développement du cerveau, problèmes pulmonaires, problèmes de santé mentale, accidents de la route et maladies cardiovasculaires. En revanche, d'autres groupes nous ont dit qu'il n'y avait pas de lien de causalité direct entre l'usage chronique de marijuana et les effets à long terme sur les fonctions cognitives. Nous avons appris qu'une méta-analyse complète menée à l'Université de la Colombie-Britannique sur l'utilisation de cannabis à long terme n'a révélé aucun effet général important sur les fonctions neurocognitives. Nous avons donc deux séries de renseignements contradictoires.
Ensuite, on nous a répété que la toxicité de la marijuana a des effets à long terme sur les poumons. Pourtant, d'autres ont laissé entendre que les recherches dans ce domaine n'ont pas abouti à des résultats clairs et qu'il faut réaliser d'autres études, surtout sur les modes d'inhalation de la marijuana, que ce soit sous forme de feuilles roulées dans du papier, ce qui a un effet, ou sous forme de vapeur. Nous avons entendu les arguments des deux camps, représentés par des scientifiques très crédibles.
Certains témoins ont affirmé que la marijuana nuit aux fonctions cognitives et aux habiletés psychomotrices et qu'elle pourrait réduire les facultés d'un conducteur. D'autres ont fait valoir que les accidents mortels de la route liés au cannabis mettent toujours en cause la consommation de plusieurs drogues ou d'alcool. Par conséquent, nous ne pouvons pas nous en tenir aux réponses simplistes fournies par les députés d'en face sur ce qui est bien ou mal, à moins de comprendre les liens de causalité et les multiples facteurs qui entrent en ligne de compte. Toujours en ce qui concerne les accidents de la route, on a décelé la présence d'autres drogues, notamment d'alcool.
Tous les chercheurs ont signalé que d'après certains examens effectués au moyen de l'imagerie par résonnance magnétique et certaines études sur l'activité cérébrale, les effets de la marijuana se manifestent surtout dans le cortex préfrontal en développement. Par contre, d'autres chercheurs ont prévenu que d'autres facteurs pourraient contribuer aux aptitudes mentales des jeunes qui consomment de la marijuana, parce qu'il faut tenir compte de plusieurs facteurs de causalité: le statut économique, le stress social et les traits de personnalité. Par conséquent, nous ne pouvons pas dire qu'un plus un égale cinq, comme le laisse entendre le rapport.
En résumé, tous les témoignages contradictoires indiquaient que nous devions évaluer les avantages par rapport aux dommages et aux risques. Nous avons entendu que le cannabis augmentait l’anxiété et la psychose. Or, d’autres médecins et scientifiques ont affirmé que c’était utilisé comme antipsychotique. L’un est un avantage; l’autre, un risque. Nous avons entendu que la consommation de cannabis causait des attaques de panique et augmentait la dépression. Nous avons ensuite entendu que le cannabis était utilisé pour réduire l’anxiété et les douleurs chroniques, par exemple dans des cas de sclérose en plaques, de VIH-sida et de stress post-traumatique. Je trouve de plus en plus amusant qu’Anciens Combattants Canada assume les coûts de la marijuana médicale pour les patients en état de stress post-traumatique. Je ne sais pas si la ministre de la Santé était au courant.
Bon nombre de ces témoignages contradictoires n’ont pas été inclus dans le rapport. En fait, la vaste majorité des témoins ont souligné que les résultats n’étaient pas concluants jusqu’à maintenant en ce qui concerne les dommages et les risques directs, et qu’il fallait mener des recherches. Les libéraux ont proposé de mener des recherches exhaustives sur les risques et les avantages, et les membres conservateurs du comité ont refusé catégoriquement. Comme nous pouvons le constater, le rapport est muet en ce qui concerne la recherche.
Il est dommage que le rapport ne tienne pas compte du témoignage d'une bonne partie des témoins crédibles. Il est dommage que certains jeunes commencent dès 11 ans à consommer une substance aussi néfaste que la drogue. Qu'on se souvienne du temps où les gens commençaient à fumer des cigarettes à 10 ou 12 ans, derrière la grange. Aujourd'hui, grâce à toute la réglementation sur la consommation de tabac, les jeunes de 11 ou 12 ans ne se cachent plus derrière la grange. En fait, les amendes à payer sont énormes lorsqu'un jeune achète des cigarettes. La légalisation de la cigarette, la réglementation, les règles qui s'appliquent en fonction de l'âge et les lourdes amendes imposées aux commerçants qui vendent des cigarettes aux jeunes ont eu des effets.
Lorsque j'ai terminé mes études en médecine — je suis convaincue que bien des députés se souviennent de cette époque — l'objectif consistait à se soûler complètement le soir du bal des finissants. Aujourd'hui, grâce au travail de MADD et à la réglementation sur l'âge minimum imposé en ce qui concerne l'alcool, des bals se tiennent sans que les jeunes consomment de l'alcool. Toutes les politiques de santé publique doivent se fonder sur des données probantes. Il faut tenir compte des bienfaits des substances. Tous les médicaments ou drogues ont des bienfaits et des effets néfastes. L'aspirine a des bienfaits, mais aussi d'énormes effets néfastes.
Parlons sérieusement des données scientifiques et des faits. On ne peut pas étudier une substance sans tenir compte à la fois de ses bienfaits et de ses effets néfastes. Le rapport, que nous n'appuyons pas, ne fait pas ressortir les deux aspects et ne les soupèse pas comme on le fait pour d'autres substances. On nous a aussi parlé du coût de la consommation d'alcool et de tabac sur le système de santé. En fait, l'alcool et le tabac sont des milliers de fois plus coûteux et dangereux que le cannabis.
Il y a divers éléments à considérer. Prenons les systèmes fondés sur des preuves. Il y a deux drogues qui sont actuellement consommées, réglementées et licites. Toutes sortes de données probantes montrent que la réglementation, la légalisation et l'imposition de sanctions permettent d'en réduire la consommation.
Soutenir que ce dossier est instrumentalisé à des fins politiques nous empêche de bien veiller sur les jeunes. Nous ne voulons pas qu'ils boivent, qu'ils fument ou qu'ils consomment du cannabis. Pourquoi réserver un traitement aussi particulier au cannabis? C'est une drogue au même titre que l'alcool ou la nicotine.
Parlons plutôt des bonnes preuves scientifiques, des données objectives. Dans notre parti, nous nous soucions des jeunes. Nous ne voulons pas que les jeunes Canadiens consomment de grandes quantités de cannabis. Nous ne voulons pas qu'ils en consomment, point. Nous savons à quel point il est facile de s'en procurer. Quatre-vingts pour cent des jeunes confirment qu'ils peuvent s'en procurer facilement.
Commençons à réglementer cette drogue et à imposer des sanctions à son égard, mais, en parallèle, menons des travaux de recherche de manière à ne pas priver la population des avantages éventuels de cette drogue, quels qu'ils soient.
Je remarque que la ministre a beaucoup parlé de Vancouver, de la municipalité de Vancouver et du fait qu'elle accorde des permis à des dispensaires.
Il y a assez longtemps, aux alentours de 2001, Santé Canada avait décidé de délivrer des permis à des dispensaires pour la production de marijuana à des fins médicales, car il avait été démontré qu'elle apportait un réel soulagement aux personnes atteintes de sclérose en plaques, du VIH-sida, de douleurs chroniques, de dépression, de certains troubles de l'humeur ou d'une maladie en phase terminale. Les médecins la prescrivaient. Les gens allaient à un dispensaire autorisé, détenant un permis de Santé Canada, et ils pouvaient y faire exécuter leur ordonnance.
Puis, le présent gouvernement est arrivé et il n'a pas aimé l'idée que Santé Canada accorde des permis pour ce produit. Il a décidé d'en faire une activité commerciale, octroyant des permis à des entités commerciales et harcelant les gens qui en avaient besoin et qui en cultivaient deux plants. Nous avons en effet pris un règlement permettant la culture de deux plants à des fins personnelles. Cela est maintenant interdit. Le gouvernement actuel a révoqué ce droit. Nous avons plutôt des milliers d'entreprises commerciales qui attendent leur permis pour produire de la marijuana à des fins médicales et très peu en ont obtenu un jusqu'à maintenant. Elles sont moins de dix à détenir un permis.
Le gouvernement est intervenu et a changé ce qui fonctionnait extrêmement bien, ce qui fait que nous nous retrouvons dans l'incertitude. La province de la Colombie-Britannique et certaines autorités de cette province dans le domaine de la santé ont poursuivi le gouvernement du Canada parce que ce dernier ne voulait pas laisser les gens cultiver deux plants et qu'il souhaitait désormais que ces personnes se procurent leur marijuana à grand prix de ces entités commerciales. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a dit: « Eh bien, non, vous ne pouvez pas faire cela. Vous ne pouvez pas protéger les gens qui prennent quelque chose qui les aide, qui les aide concrètement. Si c'est ce que certains médecins leur prescrivent, vous ne pouvez pas leur enlever cela et exiger des prix que nombre d'entre eux ne pourront pas se permettre. » Beaucoup de ceux qui en prennent à des fins médicales sont en phase terminale ou handicapés, et ils n'ont pas d'emploi à temps plein. Ils n'ont pas d'argent pour acheter des médicaments en quantité. Nous savons que la plupart des gens au pays n'ont pas les moyens d'acheter des médicaments pour des maladies comme l'hypertension, le diabète, et cetera, parce que ce sont des médicaments qui coûtent très cher.
Le gouvernement a assurément convenu qu'il y avait un avantage médical à consommer de la marijuana puisqu'il avait l'intention d'accorder des permis à des entreprises du secteur privé pour qu'elles en produisent à des fins thérapeutiques.
À cause du chaos créé par le gouvernement actuel — qui fait des choses, mais sans en assurer le suivi —, la Ville de Vancouver est dans l'attente depuis environ deux ans. Nous constatons que de nombreux dispensaires sont mis sur pied, mais sans avoir obtenu de permis ou d'autorisation légale. Les villes de Victoria et de Vancouver ont dû prendre les choses en main pour accorder des permis et assurer un certain contrôle de la situation chaotique créée par le gouvernement actuel.
Pour terminer, je dirai que nous avons présenté un rapport dissident. J'ai donné toutes les raisons expliquant pourquoi nous ne pouvons pas être d'accord avec le rapport dont nous sommes saisis aujourd'hui.