Monsieur le Président, je remercie le député de Medicine Hat, qui a exprimé son point de vue personnel avec conviction, ainsi que le député de Chatham-Kent—Essex, qui a mis ses gants blancs pour tenter de définir ce qui constitue, ou ne constitue pas, une question de conscience.
Pendant la dernière heure de débats consacrée à cette motion, la députée de Louis-Saint-Laurent avait conclu son intervention en invitant ses collègues du NPD à appuyer la motion. Je la remercie de cet encouragement, mais je crois qu'elle banalise le débat lorsqu'elle affirme que, tout compte fait, les députés peuvent déjà voter librement.
Elle a déclaré que la motion pourrait aussi bien se lire comme suit: « Que, de l'avis de la Chambre, tous les députés devraient être autorisés à voter librement sur toutes les questions de beauté ». C'est absurde. Je serais curieux de voir comment elle-même et ses collègues accueilleraient un vote libre sur une réelle question de conscience, une question qui porterait sur la vie humaine, plus précisément sur la possibilité de mettre fin à une vie entre le moment de la conception et la mort naturelle d'une personne. La députée a demandé: « Quelle est donc la définition légale d'une question de conscience? » Elle a aussi affirmé: « Nous avons donc le problème de la définition abstraite de la conscience ».
En guise de réponse, j'aimerais souligner qu'il est question de la notion de conscience dans l'arrêt Carter, une décision rendue récemment, de même que dans les observations des intervenants. Voici ce qu'on peut lire à la page 132 de la décision:
À notre avis, rien dans la déclaration d’invalidité que nous proposons de prononcer ne contraindrait les médecins à dispenser une aide médicale à mourir. [...] Nous rappelons toutefois — comme l’avait fait le juge Beetz en abordant la participation du médecin à un avortement dans R. c. Morgentaler — que la décision du médecin de participer à l’aide à mourir relève de la conscience et, dans certains cas, de la croyance religieuse [...]. Par cette remarque, nous ne souhaitons pas court-circuiter la réponse législative ou réglementaire au présent jugement. Nous soulignons plutôt le besoin de concilier les droits garantis par la Charte aux patients et aux médecins.
Et c'est justement ce qu'il faut retenir quand il est question de la Charte. Les droits qu'elle confère doivent être mis en équilibre et conciliés. Il n'y a pas de droit absolu.
Dans l'affaire Morgentaler, la cour a précisé que la liberté de conscience est garantie par l'article 2 de la Charte. À la page 165, la juge Wilson a indiqué:
Toutefois, il faut aussi remarquer que l'insistance sur la conscience et le jugement individuels est également au coeur de notre tradition politique démocratique. La possibilité qu'a chaque citoyen de prendre des décisions libres et éclairées constitue la condition sine qua non de la légitimité, de l'acceptabilité et de l'efficacité de notre système d'auto-détermination.
Ce devrait être encore davantage le cas au Parlement lorsque les députés votent sur une question de conscience. À la page 176, la juge cite une autre décision de la Cour suprême dans laquelle le juge Dickson a dit:
Toute tentative d'imposer l'observance de croyances et de pratiques constituait un déni de la réalité de la conscience individuelle et déshonorait le Dieu qui en avait doté Ses créatures. Voilà donc comment les concepts de la liberté de religion et de la liberté de conscience se sont rattachés pour former, comme c'est le cas à l'al. 2a) de notre Charte, une seule et unique notion qui est la « liberté de conscience et de religion ».
Le juge Dickson poursuit ainsi:
Les libertés énoncées dans le Premier amendement de la Constitution des États-Unis, à l'al. 2a) de la Charte et dans les dispositions d'autres documents relatifs aux droits de la personne ont en commun la prééminence de la conscience individuelle et l'inopportunité de toute intervention gouvernementale visant à forcer ou à empêcher sa manifestation.
Il dit également ceci, à la page 177:
Les valeurs qui sous-tendent nos traditions politiques et philosophiques exigent que chacun soit libre d'avoir et de manifester les croyances et les opinions que lui dicte sa conscience, à la condition notamment que ces manifestations ne lèsent pas ses semblables ou leur propre droit d'avoir et de manifester leurs croyances et opinions personnelles.
Ce droit ne doit pas causer de tort au prochain de celui qui l'exerce, ce qui englobe l'enfant à naître. C'est précisément cela qu'il ne faut pas oublier dès qu'il est question de la Charte: les droits qui y sont garantis doivent être mis en parallèle et il doit y avoir un équilibre dans la manière dont ils sont appliqués. Aucun droit n'est absolu en soi.
Le député de Kings—Hants et celui de Kingston et les Îles ont parlé d'à peu près tout sauf les questions qui sont de véritables questions de conscience. Pourquoi? Pourquoi n'ont-ils pas pris la défense de leur chef, le député de Papineau? Serait-ce parce qu'il défend l'indéfendable? Voici ce qu'on peut lire dans une lettre ouverte signée par sept anciens députés libéraux:
Nous, soussignés [...] sommes préoccupés par votre récente déclaration selon laquelle les gens ayant un certain point de vue sur une question morale, une question de conscience, pourront seulement se présenter comme candidats libéraux s'ils acceptent de mettre leur conscience de côté quand ils entrent à la Chambre des communes et de voter comme vous le dictez, même si cela va directement à l'encontre de leurs croyances fondamentales.
Ces sept anciens députés font de toute évidence allusion à la position du chef libéral selon laquelle seuls les députés pro-choix pourront faire campagne sous sa bannière ou alors accepter, s'ils sont élus, de voter comme il le leur indiquera.
J'estime que la position du chef libéral, le député de Papineau, est impossible à défendre. Il n'y a pas de demi-mesure: on croit en la pertinence de la Charte, ou on n'y croit pas. La déclaration du chef libéral va à l'encontre de l'esprit de la Charte si l'on n'a pas recours à la disposition de dérogation. Cette déclaration touche au coeur de cette motion et de la Charte elle-même.
Peut-on seulement imaginer que le chef du Parti libéral est prêt à sacrifier certains droits et certaines protections garantis par la Charte pour imposer son avis sur une question en particulier? C'est inacceptable.