Monsieur le Président, je suis heureux de pouvoir prendre la parole aujourd'hui au sujet de cette question importante. Je ne suis pas du Nord. Je suis de Terre-Neuve-et-Labrador, mais c'est néanmoins avec fierté que je me lève pour parler de ce projet de loi car il est très important pour les habitants d'un territoire si vaste et si riche en ressources naturelles. C'est un dossier très complexe qui touche à un élément très important de l'identité canadienne.
Je suis heureux d'avoir l'occasion de participer au débat sur le projet de loi S-6, Loi modifiant la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon et la Loi sur les eaux du Nunavut et le Tribunal des droits de surface du Nunavut.
Le projet de loi est le troisième d'une série de mesures législatives visant à améliorer le régime réglementaire des territoires du Nord du Canada. Malheureusement, comme pour la plupart des projets de loi ministériels, on a limité le débat et on nous demande de l'adopter à toute vapeur. Il a fait l'objet d'une consultation insuffisante auprès des collectivités locales et des Premières Nations, comme on l'a déjà mentionné à la Chambre par le passé, surtout depuis le lancement du débat il y a environ 35 minutes.
Un nombre croissant d'habitants du Nord trouvent que les changements imposés par les conservateurs aux termes du projet de loi S-6 menaceront l'indépendance et l'efficacité des évaluations environnementales et qu'ils feront certainement l'objet d'une contestation judiciaire.
L’objectif du projet de loi S-6 est d’actualiser le régime de réglementation du Yukon et du Nunavut et de l’aligner sur tous les autres qui sont en vigueur au Canada.
Entre autres choses, le projet de loi imposerait des délais pour les évaluations environnementales. Il doterait le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien du pouvoir de fournir des énoncés d’orientation obligatoires à l’Office d’évaluation environnementale et socioéconomique du Yukon. Il permettrait également au ministre de déléguer n’importe quel de ses pouvoirs, responsabilités ou fonctions au ministre territorial. Le gouvernement pourrait, pour sa part, élaborer des mesures réglementaires de récupération des coûts. Enfin, le projet de loi permettrait de réduire les exigences réglementaires en précisant qu’un projet ne doit pas faire l’objet d’une autre évaluation s'il est renouvelé ou modifié, sauf s’il doit subir des changements importants. Il fixerait en plus des délais pour la révision des permis relatifs à l’eau et permettrait la délivrance de permis applicables à toute la durée d’un projet. Il exigerait de l’Office des eaux du Nunavut qu’il tienne compte des ententes conclues entre le Canada, les associations inuites régionales et les promoteurs sur le dépôt d'une sûreté afin de corriger le problème des garanties multiples qui peut survenir lorsque plus d’un organisme de réglementation requiert une sûreté financière pour le même projet.
Contrairement aux projets de loi C-47 et C-15, les deux autres projets de loi visant à améliorer le régime de réglementation des territoires du Nord du Canada, le projet de loi S-6 a été présenté au Sénat le 3 juin 2014 par le sénateur du Yukon, M. Dan Lang.
Selon certains médias, ce projet de loi pourrait devenir un enjeu majeur aux prochaines élections, et certains pontes se demandent pourquoi ce n’est pas le député de Yukon qui parraine le projet de loi. Il ne fait pas de doute pour moi qu’au cours des quatre ou cinq prochains mois, le député aura tout le loisir de répondre à cette question et d’expliquer pourquoi les dispositions législatives n’ont pas été modifiées lorsque les lacunes ont été mises au jour et pourquoi il n’y a pas eu de consultations appropriées auprès des Premières nations, comme plusieurs de mes collègues l’ont laissé entendre plus tôt au cours de ce débat.
Malheureusement, l’une des critiques les plus vives dont le projet de loi S-6 a fait l’objet a été l’absence de véritables consultations. Par exemple, le Conseil des Premières nations du Yukon, qui représente 11 Premières nations dotées de leur autonomie gouvernementale, a fait savoir clairement que les consultations menées par le gouvernement conservateur en vue du projet de loi n’ont pas été assez bien faites pour mériter son soutien.
Cela n’a rien d’étonnant, étant donné que ce gouvernement a toujours imposé des changements malvenus aux territoires.
Par exemple, avec le projet de loi C-15, les conservateurs ont adopté la Loi sur le transfert de responsabilités aux Territoires du Nord-Ouest. Certes, le transfert avait commencé sous un gouvernement libéral, et nous avons appuyé le processus sans réserve, mais la deuxième partie du projet de loi, très volumineuse, comprenait la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie, qui raccourcissait les délais pour les évaluations, réduisait le rôle des Premières nations et facilitait l’approbation de projets que les collectivités locales n’appuyaient pas. Voilà qui constitue assurément une honte pour beaucoup d’acteurs du milieu et pour nous, ici même, à la Chambre.
Les changements proposés dans le projet de loi S-6, dont nous débattons aujourd’hui, suivent cette approche descendante, centrée sur Ottawa, dans les relations avec les territoires. C’est l’approche contraire à celle des libéraux pour favoriser le développement du Nord.
Le Parti libéral du Canada estime que l'exploitation durable des ressources est essentielle à notre prospérité économique. Si nous faisons ce qu'il faut, le secteur des ressources jouera un rôle important dans notre croissance économique et dans la création d'emplois pour les Canadiens de la classe moyenne. Notre parti appuie l'exploitation durable des ressources du Nord.
Contrairement aux conservateurs, nous sommes conscients qu'il faut respecter l'environnement et traiter les communautés autochtones touchées comme des partenaires égaux pour faire tourner cet important moteur économique. Or, ce n'est pas ce qui se passe à l'heure actuelle. De nombreux habitants du Yukon et du Nunavut estiment que le projet de loi S-6 aurait des répercussions néfastes sur leurs vies et leurs communautés. Ils sont aussi offusqués que le gouvernement tente de faire croire qu'il a mené des consultations constructives.
J'aimerais citer Ruth Massie, grand chef du Conseil des Premières Nations du Yukon, qui a témoigné devant le comité lors des audiences sur la réglementation dans le Nord. Elle a dit:
L'approche du gouvernement fédéral relativement au projet de loi S-6 est une entrave à la réconciliation. Des intervenants de l'industrie minière, du tourisme et d'autres secteurs sont préoccupés par le fait que le projet de loi S-6 risque d'avoir un impact négatif sur les activités futures d'exploration des ressources au Yukon.
Le grand chef Massie a également dit que les 11 Premières Nations autonomes qui font partie du conseil s'opposent à l'unanimité à quatre dispositions du projet de loi. Elle a déclaré:
Nous nous opposons à l'idée d'accorder au ministre les pleins pouvoirs de produire des instructions générales obligatoires à l'OEESY, comme le propose l'article 34 du projet de loi S-6 [...]
Pour ce qui est des délais, nous nous opposons à l'établissement de délais du début à la fin des évaluations réalisées aux termes de la LEESY.
Pour ce qui est des exemptions d'évaluation dans les cas de renouvellement ou de modification des projets, nous nous opposons à ces exemptions proposées à l'article 14 du projet de loi S-6.
De toute évidence, ce projet de loi pose problème, et les communautés des Premières Nations ne sont pas les seules à s'inquiéter de la situation. Allison Rippin Armstrong, vice-présidente des terres et de l'environnement à la Kaminak Gold Corporation, craint que le projet de loi S-6 fasse entrave aux investissements dans le Nord. Kaminak, une société de prospection canadienne qui possède et explore des propriétés minières dans les trois territoires, souhaite la mise en place d'un régime de réglementation accessible et stable. Cependant, Mme Rippin Armstrong a déclaré au comité que sa société craint que le processus de modification de la LEESY crée une méfiance accrue et qu'il ouvre la porte à des poursuites judiciaires.
Voici ce qu'elle a déclaré lors de son témoignage:
La perspective d'une telle poursuite nous inquiète énormément, car les litiges créent de l'incertitude au chapitre de l'évaluation et de la réglementation, ainsi que des retards extraordinaires; tout cela mine la confiance des investisseurs.
Voici ce qu'elle a ajouté devant le comité:
Notre projet de mine aurifère à Coffee Creek n'est pas encore assujetti au processus prévu par la LEESY. Si le projet de loi S-6 est adopté et contesté devant les tribunaux, le projet de mine aurifère à Coffee Creek et notre présence même au Yukon sont incertains. Kaminak demande instamment au gouvernement fédéral de reprendre les pourparlers avec les Premières Nations et de travailler de concert avec elles pour établir un consensus sur les modifications proposées de la LEESY et éviter des contestations devant les tribunaux.
C'est là un bon conseil, mais qui est resté lettre morte. Pourquoi le gouvernement conservateur fait-il la sourde oreille et refuse-t-il de corriger les lacunes du projet de loi? De toute évidence, les députés d'en face croient qu'ils peuvent imposer unilatéralement la volonté du gouvernement aux gens du Nord.
Comme ma collègue de Labrador l'a dit lorsqu'elle est intervenue au sujet du projet de loi S-6, l'histoire démontre que la mise en valeur des ressources peut se faire dans le souci de l'environnement, avec le soutien des gouvernements autochtones, des gouvernements territorial et fédéral ainsi que des localités environnantes. En effet, c'est la seule façon d'aller de l'avant avec la mise en valeur des ressources. Ce n'est pas seulement une obligation morale, mais aussi, bien franchement, une obligation légale.
La députée de Labrador avait raison lorsqu'elle a dit:
Malheureusement, après des années de collaboration avec les Premières Nations du Yukon à un examen complet de la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon, le gouvernement fédéral les a prises par surprise, plus tôt cette année, en proposant d'importantes modifications, qui se retrouvent dans ce projet de loi sans avoir fait l'objet de discussions durant l'examen.
De l'avis de nombreux observateurs, si le gouvernement conservateur persiste à faire adopter ces modifications à toute vapeur, il ne fera que susciter davantage d'incertitude à l'échelle locale et compromettra le développement du Nord.
Samson Hartland, directeur exécutif de la Chambre des mines du Yukon, a indiqué que son organisation entretient une relation positive et constructive. Il a dit au comité que les 400 membres de son organisation veulent que tous les ordres de gouvernement s'engagent dans un dialogue plus respectueux.
Nous devons de nouveau fonder notre partenariat avec les communautés autochtones sur la collaboration et le respect, et cela implique la reconnaissance de leurs droits inhérents et issus de traités.