Monsieur le Président, je suis heureux d'avoir l'occasion de participer au débat concernant le projet de loi S-6.
Je suis préoccupé par la façon de procéder du gouvernement dans ses rapports avec les collectivités des Premières Nations d'un bout à l'autre du pays. En tant que député et en tant que Canadien, je trouve franchement embarrassant que le gouvernement ne reconnaisse pas son devoir constitutionnel, sa responsabilité fiduciaire, de traiter de nation à nation avec les collectivités des Premières Nations, tel qu'il s'est engagé à le faire.
Mon collègue de Timmins—Baie James mentionnait à l'instant une réunion dont on a fait état dans l'actualité hier. Des représentants d'une collectivité des Premières Nations du Yukon ont rencontré le ministre. Ils se sont sentis insultés, parce que ce dernier leur a dit qu'ils ne sont pas un gouvernement, et que, d'ailleurs, leur participation à l'accord relatif à la Loi sur l'évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon leur enlève, je ne sais comment, leur statut de gouvernement, si bien qu'il est seulement tenu de négocier avec le gouvernement Yukon maintenant. Il est difficile de concevoir qu'un ministre de la Couronne puisse avoir ce genre d'approche à l'égard des collectivités des Premières Nations.
La direction que prend le gouvernement m'inquiète. À la moindre occasion, il semble accroître sa détermination à trouver des moyens de permettre rapidement à des sociétés d'exploitation minière du Sud ou à des sociétés pétrolières nationales et internationales d'exploiter les ressources naturelles du Nord, et de partout au Canada, pour dire bien franchement, d'extraire ces ressources du sol et de les acheminer vers les marchés le plus rapidement possible, sans égard aux risques inhérents pour l'environnement et les collectivités qui seront touchées par cette activité d'exploitation et sans égard à la question de la propriété de ces ressources naturelles. À ce chapitre, je rappelle la responsabilité du gouvernement de négocier avec les Premières Nations.
C'est un exemple classique de l'approche du gouvernement dans ces dossiers, de sa maladresse en ce qui concerne les droits et obligations des Premières Nations issus des traités, les titres fonciers, et le devoir non seulement de consulter, mais aussi de faire des accommodements. Il semble que le gouvernement manque sans cesse à son devoir de respecter les directives fournies par la Cour suprême, et ce sur toute la ligne.
Nous pouvons parler de l'exploitation pétrolière et minière et des poissons. En ma qualité de porte-parole en matière de pêches et océans, je discute constamment avec des membres de collectivités des Premières Nations près des côtes. Ces gens sont frustrés que le gouvernement ne respecte pas sa responsabilité en vertu de la Constitution; cette responsabilité a été réaffirmée, précisée et énoncée à maintes reprises par les tribunaux un peu partout au pays. Le gouvernement refuse d’agir en ce sens.
Ensuite nous arrivent des enjeux comme celui-ci. Le gouvernement a essayé d'imposer des modifications au système d'éducation des collectivités des Premières Nations. Il y a eu une telle levée de boucliers que le gouvernement a au final décidé d'abandonner son projet de loi. Les chefs et les collectivités des Premières Nations de partout au pays ont tellement répondu de manière négative à l'imposition unilatérale de quelque chose qui empiète évidemment sur une compétence des collectivités des Premières Nations que le gouvernement n'a eu d’autre choix que de revenir sur sa décision.
Au sujet des modifications à la Loi sur les pêches qui ont débuté en 2012, le grand chef de l'Assemblée des Premières Nations a témoigné devant le comité et a affirmé que c’était très insultant pour lui et les autres chefs de partout au pays. Quelque 640 Premières Nations devaient être consultées sur les questions qui touchent leurs droits, et le gouvernement en a fait fi. Il est allé de l'avant et a apporté des modifications qui touchent ces droits sans en tenir compte.
C'est ce genre de manque de respect et d'action unilatérale qui ont poussé des chefs yukonnais à venir à Ottawa. Neuf représentants sont venus à Ottawa au cours de la fin de semaine pour rencontrer le ministre. Ce qu'ils ont dit a été cité, et je crois qu'il importe de citer encore une fois l’article.
« Le ministre nous a fait taire en nous disant que nous n'étions « pas de véritables gouvernements », raconte dans un communiqué de presse Eric Fairclough, le chef de la Première Nation Little Salmon Carmacks, « et qu'il n'était donc pas tenu de nous faire participer activement à la modification de la loi issue de nos traités. »
Le gouvernement a fait adopter la Loi fédérale sur la responsabilité, mais il y a bien peu de consultations, sinon aucune. Il menace les leaders des collectivités autochtones en leur disant qu’il y aura des conséquences s’ils s’opposent à lui. Or, cette attitude nuit au travail des Premières Nations et aux efforts déployés par beaucoup de leaders pour faire progresser leurs collectivités. De plus, en agissant de la sorte, le gouvernement montre clairement qu’il n’assume pas les responsabilités qui lui incombent dans ses rapports avec les collectivités des Premières Nations.
Oserais-je porter à votre attention la réticence du gouvernement à traiter du problème de la disparition et du meurtre de 1 100 femmes autochtones au Canada? Le gouvernement semble capable de comprendre que les meurtres abjects d’un membre des Forces canadiennes et d’un réserviste ainsi que l’attaque perpétrée contre les gens à la Chambre sont des actes terroristes. Il a été capable de déterminer clairement qu’il s’agissait d’actes terroristes. Toutefois, il ne reconnaît pas le problème des femmes autochtones et il refuse d’apporter des changements et de mettre en place les programmes nécessaires pour s’attaquer à ce qui amène ces femmes et leurs familles à craindre pour leur vie tous les jours, au Canada. Il est inadmissible que le gouvernement semble avoir cette attitude à l’endroit des Premières Nations.
Permettez-moi d’aller un peu plus loin dans le projet de loi S-6. Le projet de loi modifierait la Loi sur l’évaluation environnementale et socioéconomique au Yukon. Cette loi a été établie en 2003 pour donner suite à l’Accord-cadre définitif du Yukon. Cet accord est un processus consultatif entre les collectivités des Premières Nations, le gouvernement du Yukon et la Couronne.
J’aimerais préciser tout d’abord que l’accord prévoyait la tenue d’un examen après cinq ans. Le gouvernement n’a pas aimé cet examen et il a décidé de ne pas le rendre public. Il a décidé d’imposer ses propres changements, en traitant directement avec le gouvernement du Yukon, sans tenir aucune consultation substantielle avec les collectivités des Premières Nations. Les modifications ont été élaborées dans le secret. Les groupes qui n’étaient pas des syndicats — l’Association canadienne des prospecteurs et entrepreneurs, l’Association minière du Canada, l’Association canadienne des producteurs pétroliers et l’Association canadienne des pipelines de ressources énergétiques — ont tous été autorisés à donner leur avis. Toutefois, il n’y a eu aucun processus public, et l’opposition demeure très importante tant parmi les Yukonnais qu'au Conseil des Premières Nations du Yukon.
Pourquoi le gouvernement conservateur agit-il ainsi? Quel est le but des conservateurs? Ils ont souvent parlé d’extraction des ressources. Ce qu’ils veulent, c’est accélérer les choses et se débarrasser du processus réglementaire. Ils ont modifié la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale. Ils ont modifié la Loi sur les pêches. Ils ont modifié un certain nombre de dispositions législatives qui traitent de la protection de notre environnement et des mesures de contrôle sur le développement des ressources: la Loi sur la protection des eaux navigables et la Loi sur la gestion des ressources de la vallée du Mackenzie.
J'aimerais parler d'un changement particulièrement intéressant. Dans les Territoires du Nord-Ouest, les conservateurs ont décidé de se débarrasser de tous les offices locaux et régionaux de gestion des eaux et des ressources qui comptaient des représentants des Premières Nations locales ainsi que des gouvernements fédéral et territoriaux. Il en existait un certain nombre partout dans les Territoires du Nord-Ouest, tout comme ailleurs au pays. Ces offices tenaient compte des intérêts particuliers des collectivités des Premières Nations dans le dossier dont nous débattons aujourd'hui. En vertu du processus en place, une société, minière ou autre, devait présenter un plan à l'office. Celui-ci était alors chargé d'examiner la proposition et de poser des questions.
Chose plus importante encore — et nous pourrions tous en tirer une très grande leçon —, les représentants des offices allaient rencontrer les collectivités des Premières Nations, et la population locale leur expliquait directement ce que seraient les répercussions des projets. Ce ne sont pas tous les projets qui se butaient à une très forte opposition. Il va sans dire que, dans de nombreuses localités, les gens cherchent du travail et des débouchés qui généreront de la richesse dans leur milieu de vie et qui leur profiteront, autant à eux qu'à leurs enfants et aux générations futures. Toutefois, ils sont conscients qu'il faut envisager les choses en pensant aux générations futures, et non simplement en fonction des prochains mois ou des prochaines années; ils ont une vision à long terme.
Il était toujours important que les gens comprennent que les plans expliquaient la forme qu'allait prendre le projet de développement et ses répercussions. Ils devaient aussi savoir que des mesures d'atténuation adéquates allaient être mises en oeuvre pour réduire au minimum les répercussions, pour atteindre les objectifs précis concernant l'extraction des ressources et la création d'emplois et pour faire en sorte que certains des revenus retournent dans la collectivité et ailleurs. Toutefois, il était aussi important que, peu importe la durée de vie du projet de développement, il existe des mécanismes intégrés ou d'autres méthodes pour veiller à ce que le site soit le plus possible remis dans son état naturel.
C'est ce genre de processus qui a été éliminé. Cela est devenu évident lorsque j'ai eu la chance, à l'été 2013, de visiter Yellowknife et de rencontrer les représentants de certains de ces offices. J'ai rencontré des membres des Premières Nations Tlicho, qui m'ont un peu fait connaître leur culture et leur façon de gérer les ressources naturelles afin d'en tirer le meilleur parti possible pour leur communauté. J'ai beaucoup appris.
Cette visite fut intéressante. Elle remonte à quelques années, mais lorsque j'ai rencontré les représentants des offices, ils étaient déjà inquiets, entre autres, parce que le gouvernement éliminait de plus en plus les mesures de soutien dont ils disposaient. Par exemple, si un projet de développement allait avoir des répercussions sur un cours d'eau en particulier, que ce soit un lac ou une rivière, on mobilisait les biologistes du ministère des Pêches et des Océans et les représentants de l'office local. Ces derniers participaient au projet, prenaient part aux consultations et pouvaient aller parler directement aux citoyens en tenant compte de leur vision de la terre, de l'environnement et de la pêche. Les représentants pouvaient expliquer concrètement, à l'aide de faits, les répercussions d'un projet de développement.
Déjà en 2012, on s'était rendu compte que, dans la foulée des compressions massives au ministère des Pêches et des Océans, on n'avait plus le même nombre de fonctionnaires. C'était le cas, par exemple, à Yellowknife. Au lieu d'avoir 8 ou 10 scientifiques et gestionnaires affectés aux relations avec ces offices, il n'y en avait plus que 2. Il fallait chercher cette expertise à Burlington, en Ontario, ou à Winnipeg, au Manitoba. Il ne s'agissait plus d'une expertise locale.
Là où je veux en venir, c'est qu'on commençait déjà à voir que, sous le gouvernement, la situation se détériorait du point de vue du contrôle sur les décisions relatives au développement des ressources.
Nous avons ensuite été saisis, je crois, du projet de loi C-15, qui a permis de créer un superoffice pour la vallée du Mackenzie. Le gouvernement pensait que cela accélérerait le processus et le rendrait moins lourd, puisque les entreprises n'auraient à transiger qu'avec un seul office. Du coup, elles seraient en mesure de faire le travail beaucoup plus rapidement, c'est-à-dire accéder aux ressources, les extraire et réaliser des bénéfices.
À ce propos, dans les nouvelles de ce matin, on parlait de la nation tlicho qui poursuit le gouvernement parce qu'elle estime que le superoffice ne tient pas compte de l'objectif de l'accord sur l'autonomie gouvernementale. En fait, le superoffice élimine le contrôle exercé par les Premières Nations à l'échelle locale, et c'est ce que les Tlichos contestent.
Je sais que nous avons entendu le ministre répéter aux collectivités des Premières Nations que, si cette mesure ne leur plaît pas, elles devront poursuivre le gouvernement. Nous savons également que le gouvernement débourse des centaines de millions de dollars, pris dans les poches des contribuables canadiens, pour continuer de lutter contre les droits des Premières Nations de notre pays, droits qui sont clairement définis dans la Constitution. À mon avis, cette situation est inacceptable.
Je ne crois pas que le projet de loi S-6 constitue un pas dans la bonne direction. Je suis déçu de l'orientation adoptée par le gouvernement dans ses relations avec les communautés des Premières Nations.
Si le gouvernement continue dans cette voie, tout ce qu'il fera sera rejeté par les tribunaux, à l'instar du projet d'aménagement du territoire du bassin hydrographique de la rivière Peel.