Monsieur le Président, la motion dont la Chambre est saisie aujourd'hui vise rien de moins qu'à rouvrir le débat sur l'avortement au Canada. Il s'agit d'un véritable affront pour les femmes qui se sont battues longuement et âprement pour avoir le droit de disposer leurs corps comme elles l'entendent et de déterminer elles-mêmes quand elles auront des enfants, le cas échéant. Voici ce que dit la motion M-312:
Qu'un comité spécial de la Chambre soit créé et chargé d'examiner la déclaration figurant au paragraphe 223(1) du Code criminel, selon laquelle un enfant devient un être humain seulement lorsqu'il est complètement sorti du sein de sa mère [...]
En lançant ce débat, le député de Kitchener-Centre espère en fait que l'on modifiera la loi afin que le foetus soit considéré comme un être humain. Or, nous savons tous que, si nous modifions la définition comme il le souhaite, le Canada plongera tête baissée dans la voie qui mène à interdire l'avortement.
Le député de Kitchener-Centre a tenu une conférence de presse cette semaine. Il a alors déclaré clairement que la définition actuelle de personne excluait toute une catégorie de gens. Les déclarations comme celle-là déforment la vérité. En réalité, plus de 90 % des avortements pratiqués au Canada ont lieu pendant le premier trimestre de la grossesse. De 2 à 3 % d'entre eux se font après 16 semaines de gestation, et aucun médecin canadien ne fait d'avortement après 20 ou 21 semaines, sauf pour des motifs graves d'ordre génétique ou de santé.
Les commentaires du député constituent une tentative éhontée de déformer les faits. Un ovule fécondé ne constitue pas une catégorie de personnes. Je suis outrée qu'il déforme sans vergogne les faits concernant le mouvement des droits de la femme pour nous convaincre d'envisager la modification des droits en matière d'avortement au Canada.
J'aimerais indiquer plusieurs précédents jurisprudentiels qui ont déjà répondu à la question visée par la motion M-312, en particulier les jugements rendus dans les causes Tremblay c. Daigle, Dobson c. Dobson, Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. G., Borowski c. Canada, et R. c. Morgentaler.
Dans ces jugements, on a conclu ou indiqué que le foetus n'a jamais été une personne, n'a jamais été inclus dans la définition de « chacun » aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés, que le foetus doit être né vivant pour avoir des droits, selon le principe de la naissance vivante, et que le droit a toujours considéré que la femme enceinte et le foetus ne forment qu’une seule et même personne aux termes de la loi.
Nous n'avons pas à chercher bien loin pour voir le danger que représente la motion M-312. Aux États-Unis, le foetus se voit accorder le statut de personne aux termes de la loi dans 38 États, la plupart du temps en raison de ce qu'on appelle les lois sur le foeticide, qui sont censées cibler ceux qui agressent les femmes enceintes.
En réalité, on se sert de ces lois pour justifier les poursuites judiciaires engagées contre les femmes enceintes aux termes des lois sur la protection de l'enfance. Ces lois fonctionnent essentiellement comme le projet de loi présenté en 2008 par le député d'Edmonton—Sherwood Park, le projet de loi C-484, qui proposait des modifications au Code criminel qui, si elles avaient été adoptées, auraient également menacé le droit des femmes au libre choix. Ce projet de loi visait à modifier le Code criminel pour que deux chefs d'accusation soient portés contre toute personne qui tue une femme enceinte, ce qui aurait par le fait même donné au foetus des droits garantis par la loi et changé la définition du moment où le foetus devient une personne aux termes de la loi. Bien que le député ait déclaré que le projet de loi visait à protéger les femmes enceintes et le foetus qu'elles portent, dans les faits, ces lois, tout comme la motion M-312, sont surtout employées pour justifier les poursuites judiciaires intentées contre des femmes.
Les motions et les projets de loi de ce genre représentent un danger évident pour ceux qui offrent des conseils en matière d'avortement ou qui pratiquent l'avortement. Ces mesures transforment aussi les femmes enceintes en citoyennes de seconde classe dont les droits sont subordonnés à ceux d'un ovule fécondé.
Il ne fait aucun doute que la motion M-312 cible le droit des femmes au libre choix et constitue une remise en question directe de la jurisprudence. Le Canada a déjà été un chef de file mondial pour ce qui est de la promotion et de la protection des droits de la femme et de l'égalité entre les sexes. Le pays considérait l'égalité entre les sexes non seulement comme faisant partie des droits de la personne, mais aussi comme un élément essentiel au développement durable, à la justice sociale, à la paix et à la sécurité.
Ces objectifs ne peuvent être atteints que si les femmes sont en mesure de participer à titre d'égales, de décisionnaires et de bénéficiaires, au développement durable de leur société. Comment le Canada peut-il être perçu comme un chef de file mondial en matière de droits des femmes si des députés au Parlement suggèrent de restreindre l'accès à l'avortement et de revenir ainsi à ces temps barbares d'inégalité entre les sexes?
Les femmes continueront d'avoir recours à l'avortement, même si cette pratique est déclarée illégale. Le risque qu'elles courront pour obtenir ce service ne sera que plus grand, au point d'entraîner des conséquences parfois funestes. En Afrique du Sud, par exemple, on comptait annuellement 425 décès causés par des avortements dangereux avant que l'avortement ne soit légalisé en 1997. Aujourd'hui, on compte moins de 20 décès par année.
En Amérique latine, la plupart des avortements sont considérés comme illégaux. Pourtant, 3,8 millions d'avortements sont effectués chaque année, et ils sont associés à plus de 4 000 décès qui auraient pu être évités.
La même chose s'est produite ici. Avant que ne soit abolie la loi canadienne interdisant l'avortement, plus de 35 000 avortements illégaux étaient effectués chaque année. Entre 1926 et 1947, on estime que le nombre de décès résultant d'avortements clandestins, subis en désespoir de cause, se situait entre 4 000 et 6 000.
Le premier ministre — qui a la réputation de contrôler étroitement son caucus —, a beau tenter de nous assurer que le gouvernement n'a pas l'intention de rouvrir le débat sur l'avortement, on voit se dessiner une tendance inquiétante dans les activités que le gouvernement mène en coulisse et dans l'appui que celui-ci accorde à ses députés d'arrière-ban, qui tentent continuellement de ramener la question sur le tapis.
Lors de la dernière législature, le député de Winnipeg-Sud a présenté le projet de loi C-510, Loi visant à interdire la coercition d'une femme enceinte à avorter (Loi de Roxanne). En 2008, comme je l'ai dit un peu plus tôt, on nous a proposé le projet de loi C-484, que presque tout le caucus conservateur a appuyé, y compris le premier ministre.
En 2010, dans le cadre de l'initiative sur la santé maternelle au Sommet du G8 de Muskoka, le gouvernement a imposé un moratoire sur le financement de services d’avortement sécuritaires dans 10 pays en développement, mettant ainsi l'accent sur la protection de la vie, mais faisant fi des conséquences des viols systématiques dans certains de ces pays. Les statistiques de ces pays en développement font mal au coeur. Approximativement 70 000 femmes meurent chaque année en raison d'avortements non sécuritaires, et 5 millions sont hospitalisées en raison de complications liées à des avortements non sécuritaires.
Les groupes de défense des droits des femmes au Canada, qui se battent pour un financement global en matière de santé maternelle, se sont fait dire par un sénateur conservateur d'arrêter de parler de l'avortement s'ils ne voulaient pas faire face à des conséquences négatives. Le sénateur a soutenu que le Canada était encore un pays où l'accès aux services d'avortement était gratuit et que les groupes devraient en rester là.
Cette menace à peine voilée fait ressortir un argument encore plus fallacieux, à savoir que les services d'avortement sont accessibles dans l'ensemble du pays. En fait, certaines provinces ont très peu d'hôpitaux offrant ces services. L'Île-du-Prince-Édouard, par exemple, n'en a pas du tout. Les femmes canadiennes vivant dans des régions rurales et celles vivant dans des régions où aucun service d'avortement n'est fourni doivent parcourir de longues distances pour y avoir accès, ce qui entraîne des dépenses importantes et beaucoup de stress. Ces contraintes touchent surtout les jeunes femmes dont la sécurité d'emploi est précaire ou les femmes ayant d'importantes obligations familiales.
Revenir en arrière et rouvrir le débat sur le moment où commence la vie humaine est une voie dangereuse dans laquelle s'engager. Le gouvernement canadien devrait travailler pour renforcer les droits des femmes au lieu de s'engager dans une voie qui rend les femmes vulnérables aux dangers de procédures illicites et risquées.
Les Canadiennes ont le droit de choisir. Ce droit leur a été accordé par la Cour suprême du Canada, et nous exigeons que le gouvernement assure la poursuite de ce droit et veille à ce que tous les droits en matière d'égalité soient protégés. Nous avons besoin d'un gouvernement qui défendra les programmes et les politiques veillant à garantir que les contributions des femmes à la société, à l'économie et au leadership du pays sont respectées et encouragées. Un accès à des avortements légaux et sans danger fait partie intégrante de ces droits.
Je tiens à préciser clairement que je n'appuie pas cette motion. Les néo-démocrates n'appuient pas cette motion. Nous lutterons activement contre toute motion ou tout projet de loi menaçant le droit des femmes de choisir. Il est à la fois effrayant et insultant que les hommes qui ont présenté ces projets de loi et ces motions respectent si peu la capacité d'une femme de déterminer ce qui est mieux pour elle, son corps et sa famille. Les femmes sont les seules qui peuvent faire ce choix. Personne n'a le droit d'intervenir dans leur décision. La Cour suprême a confirmé ce droit, et les députés devraient le respecter.