D'accord.
L'un des éléments intéressants qui est ressorti lors de mes consultations est que les procureurs, et parfois même les policiers, avaient souvent tendance à croire que la traite des personnes était internationale. Quand des femmes traversaient la frontière pour venir au Canada, on traitait cela comme de la traite, mais lorsque des filles de Montréal se retrouvaient à Québec ou même à Niagara, on considérait cela davantage comme du proxénétisme. Pour la traite, cela dépendait du procureur et du policier.
Pour que tout le monde soit au diapason, j'ai apporté au paragraphe 279.01(1) les précisions suivantes: que ce soit dans un contexte national ou international, à partir du moment où il y a du recrutement, du transport et ainsi de suite, on entre dans le domaine de la traite. À ce sujet, des policiers vont témoigner plus tard. On sait que la traite est très importante à l'intérieur du Canada. À mon avis, elle est beaucoup plus importante que la traite internationale.
Des filles du Québec se retrouvent malheureusement à Niagara, dans des bars de danseuses ou des bordels. Des filles de Montréal se retrouvent à Québec, et vice-versa. Des filles de Chicoutimi se retrouvent à Montréal et des filles de la Colombie-Britannique se retrouvent à Toronto ou ailleurs. La traite des personnes a lieu à l'intérieur du pays et elle nous concerne tous, quelles que soient les provinces. Il n'y a pas de frontières.
Un autre point fort important qui a été beaucoup soulevé lors des discussions que j'ai tenues avec ces personnes est, bien sûr, la définition de l'exploitation. Il est question d'exploitation à l'article 279.04 du Code criminel. Il y a des dispositions sur le trafic d'organes et le travail forcé, mais la traite à des fins d'exploitation sexuelle n'est pas clairement définie. J'ai donc introduit une disposition spécifique sur l'exploitation sexuelle. Il s'agit du paragraphe (1.1), qui suit le paragraphe (1), où il est question d'offrir ou de fournir son travail, etc.
Cette définition a été travaillée très attentivement pour répondre à toutes les situations qui pourraient survenir. En outre, elle est pratiquement calquée sur le protocole de Palerme, qui vise la traite des personnes et la criminalité transnationale, et que le Canada a ratifié le 13 mai 2002. Je pense qu'avec cet ajout, on clarifie la situation et toutes les dimensions du terme « exploitation ».
La confiscation des fruits de la criminalité est un autre point très important qui a été soulevé. Des gens du milieu policier et des procureurs m'en ont beaucoup parlé. La traite est un crime très payant parce qu'il est extrêmement difficile à prouver dans le cadre du code actuel. En plus, cela implique très peu de risques. Le trafic de la drogue implique qu'il faut acheter celle-ci. Il y a alors un risque de se faire prendre. Or pour ce type de trafic, les gars n'ont qu'à recruter des filles. Pour ce faire, ils peuvent avoir recours à la manipulation ou à la séduction. En effet, ce qu'on appelle le « dressage » ne se fait pas tout de suite. Cela peut être lent ou rapide, selon les trafiquants. Ensuite, ces filles sont violées. Elles subissent un viol collectif. Elles se font torturer et leur famille est menacée. Par la suite, elles prennent leurs rendez-vous toutes seules. Il n'est même pas nécessaire de les obliger à le faire tant elles vivent dans la terreur.
Or, une fille peut rapporter beaucoup d'argent, dépendant de sa beauté et de son âge. Plus elle est jeune, plus elle rapporte. J'ai rencontré, malheureusement, des filles qui avaient commencé à faire cela à l'âge de 12 ans. Une fille peut rapporter environ 280 000 $ par année. Vingt filles rapportent 6 552 000 $ par année et quarante filles 13 100 000 $ par année. Ce sont des données du Service canadien de renseignements criminels.
Ici, je ne vous parle pas seulement de la petite prostitution de rue. Je vous parle d'un ensemble de choses, notamment des bars de danseuses. D'ailleurs, la SQ estime que 80 % des bars de danseuses qui relèvent de sa juridiction appartiennent au crime organisé, sous des prête-nom. On parle aussi des salons de massage, qui poussent comme des champignons un peu partout. Je ne sais pas si c'est le cas partout au Canada, mais je peux vous dire que ce l'est à Montréal. Dans mon comté, ils poussent déjà comme des champignons.
Il y a aussi les agences d'escortes et les bordels qu'on ne peut même pas dénombrer.
Paradoxalement, la confiscation des fruits de la criminalité se fait par l'intermédiaire des infractions liées aux drogues et de toute infraction liée aux organisations criminelles. Si on le fait pour des drogues, il est plus que temps qu'on le fasse pour l'être humain, parce que c'est encore pire. L'esclavage est pire que le trafic de drogues. En fait, tout cela est décrit. On reconnaîtra que le fait de vendre de la drogue est aussi mauvais, mais de vendre des humains et de les traiter comme des marchandises est immonde. Il est plus que temps que ce crime ne soit plus payant pour les proxénètes parce que, actuellement, c'est payant. Si on ramasse leurs grosses baraques et leurs grosses bagnoles, ils vont y penser.
Vous m'avez indiqué qu'il me restait deux minutes, je pourrai donc en dire plus lors des questions plus tard.
L'autre point est la présomption. La présomption est un aspect fondamental. Ce projet de loi contient deux points très importants: la présomption ou ce qu'on appelle le « renversement de la preuve » et « les peines consécutives ». C'est fondamental pour les victimes. En fait, c'était l'un des points les plus importants pour les groupes de victimes et les policiers. On en parlait beaucoup.
Actuellement, le Code criminel est rédigé de telle façon que tout le fardeau de la preuve repose sur les victimes. En effet, on sait que sans leur témoignage, il est extrêmement difficile de poursuivre quelqu'un devant la cour. Quand il ne s'agit pas de mineurs mais d'adultes, c'est encore pire. Il faut savoir que les victimes de traite ne vont pas témoigner très naturellement. Ces femmes ont vécu l'enfer. Elles vivent un stress post-traumatique important. Le fait de revoir leurs agresseurs, de reparler de tout cela et de raconter leurs histoires d'horreur les inhibe car, très souvent, elles ont peur que ces agresseurs ressortent de prison. Elles se demandent ce qu'ils vont leur faire. Envoyer une personne, quelle qu'elle soit, témoigner alors qu'elle était victime de ces réseaux est extrêmement difficile.
En terminant, je dirai un mot sur le renversement du fardeau de la preuve. Je pourrai parler plus tard, si mes collègues le souhaitent, des peines consécutives. Plusieurs groupes de victimes m'ont demandé que l'on arrête de faire porter ce fardeau aux victimes comme c'est le cas actuellement pour le proxénétisme. En fait, la présomption, dans le cas du proxénétisme, existe dans le Code criminel à l'heure où on se parle. Faisons-le, non seulement pour aider les policiers et leur donner des outils, mais aussi pour soulager les victimes et pour leur rendre justice.
Je vous remercie, monsieur le président. Si vous le souhaitez, je parlerai plus tard des peines consécutives.