Monsieur le Président, je suis heureuse de pouvoir exprimer mon opposition au projet de loi S-6. Comme bon nombre d'autres mesures proposées par le gouvernement conservateur, celle-ci inspire de vives préoccupations aux Premières Nations. Le NPD croit que l'enjeu de cette mesure est sérieux et que les Premières Nations devraient avoir leur mot à dire, comme chaque fois qu'une question les touche directement ou indirectement.
Cette semaine, nous soulignons un anniversaire d'une grande importance pour les Premières Nations du Canada. Il y a cinq ans, le premier ministre a pris la parole à la Chambre des communes pour présenter des excuses aux survivants des pensionnats, à leurs familles et à leurs communautés. Il s'est engagé à établir une nouvelle relation avec les Premières Nations. Il s'est engagé à donner un nouveau départ à la relation entre la Couronne et les Premières Nations. Cinq ans plus tard, la nouvelle relation promise ne s'est jamais concrétisée. Pire encore, le gouvernement continue d'imposer, les uns après les autres, des projets de loi qui vont à l'encontre de ses promesses.
Il manque au projet de loi S-6 le même ingrédient crucial qui manquait aux mesures qui l'ont précédé, soit la consultation des Premières Nations. Le projet de loi doit tenir compte de leurs préoccupations.
Quand le gouvernement parle du projet de loi S-6, il tient de beaux discours sur l'importance de favoriser l'autonomie et la stabilité des Premières Nations et de rendre leur système électoral plus équitable. Ce sont des principes très valables, qui font bonne impression. Mais quand on y regarde de plus près, quand on lit ce qui s'est dit au Sénat pendant les débats sur ce projet de loi, quand on écoute ce que les Premières Nations et leurs dirigeants ont à dire, on constate que cette mesure n'a rien à voir avec l'autonomie et ne procure pas aux Premières Nations la stabilité dont elles ont besoin pour assurer l'équité de leur système électoral.
Le NPD est donc convaincu qu'il ne peut pas appuyer ce projet de loi. Le gouvernement doit s'asseoir avec les Premières Nations et écouter les préoccupations concrètes qu'elles ont communiquées directement à des députés. Comme on le sait, cette mesure a d'abord été débattue au Sénat. Il faudrait y apporter des changements, puisqu'elle vise à rendre le processus électoral des Premières Nations plus équitable et les communautés, plus stables.
Le projet de loi établit les règles régissant les élections en dehors du cadre de la Loi sur les Indiens. Entre autres, on propose un cycle électoral de plus de deux ans et la capacité d'avoir une date d'élections commune, deux choses qu'ont réclamées les Premières Nations. Nous convenons qu'il faut apporter ces modifications, mais nous partageons néanmoins la grave préoccupation qu'ont exprimée les Premières Nations, c'est-à-dire que le projet de loi S-6 accorde au ministre des Affaires autochtone et du Développement du Nord le pouvoir de soumettre à ce nouveau régime toute Première Nation qui préfère tenir des élections communautaires.
Nous voulons améliorer les élections chez les Premières Nations, mais la mesure proposée se contente de rafistoler certains éléments de la Loi sur les Indiens sans s'attaquer au pouvoir considérable qu'a le ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord sur le droit des bandes de décider de leur avenir.
Cette affirmation repose sur un concept d'une importance critique. Le gouvernement fédéral a pris des engagements en signant la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, mais le projet de loi S-6 est en contradiction avec ces engagements. J'aimerais citer l'article 18 de la déclaration, qui dit:
Les peuples autochtones ont le droit de participer à la prise de décisions sur des questions qui peuvent concerner leurs droits, par l'intermédiaire de représentants qu'ils ont eux-mêmes choisis conformément à leurs propres procédures, ainsi que le droit de conserver et de développer leurs propres institutions décisionnelles.
Malheureusement, voici ce qu'on peut lire dans le résumé législatif du projet de loi:
Les Premières Nations pourront choisir d'appliquer le nouveau régime électoral proposé par le projet de loi ou, dans certaines circonstances, pourront y être assujetties par voie d'arrêté ministériel.
Le NPD se range du côté des Premières Nations en exprimant sa totale opposition à cette disposition, qui compromet l'engagement que le gouvernement et notre pays ont pris à l'égard de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Elle va à l'encontre de la promesse qu'a faite le premier ministre lorsqu'il a parlé d'un nouveau départ et d'une nouvelle relation.
Selon Affaires autochtones et Développement du Nord Canada, 240 Premières Nations tiennent des élections conformément à la Loi sur les Indiens, 341 Premières Nations préfèrent tenir des élections communautaires ou en fonction de leur code coutumier que des élections en vertu de la Loi sur les Indiens et 36 Premières Nations choisissent leurs dirigeants aux termes de leur propre entente d'autonomie gouvernementale.
De nombreuses Premières Nations ont exprimé d'importantes préoccupations concernant la brièveté du mandat des dirigeants des Premières Nations, préoccupations dont me parlent souvent les Premières Nations que je représente. Nous convenons avec elles pour dire que le mandat de deux ans imposé aux Premières Nations aux termes de la Loi sur les Indiens est trop court et qu'il nuit à la stabilité politique et économique et crée souvent de profondes divisions au sein des communautés.
Je connais beaucoup de chefs et de conseillers dans les communautés du Nord du Manitoba à qui cela a posé beaucoup de problèmes. Ils ont des idées et une approche visionnaire pour gouverner leur communauté qui diffèrent peut-être de celles adoptées par leurs prédécesseurs, mais deux ans ne leur suffisent pas pour apporter des changements et engager la communauté dans la voie souhaitée avec l'aval de ses membres. Nous sommes d'accord avec les Premières Nations: il faut supprimer la limite de deux ans.
En ce qui concerne les élections visées par la Loi sur les Indiens, nous sommes également d'accord avec les graves préoccupations exprimées à l'égard du niveau d'intervention ministérielle, de l'absence de processus d'appel adéquat et autonome et de l'absence de marge de manoeuvre pour fixer la durée des mandats et décider de la taille des conseils.
À notre avis, le fait que le ministre des Affaires autochtones et du développement du Nord canadien ait le pouvoir de s'ingérer dans les élections des Premières Nations au moyen d'un arrêté ministériel, comme le prévoit le projet de loi, est extrêmement problématique et a un fort relent de colonialisme.
J'aimerais citer quelques recommandations qu'avait faite la Commission royale sur les peuples autochtones en 1996. Voici ce qu'a dit le Comité sénatorial des peuples autochtones:
En ce qui concerne les élections, [l'initiative] proposait notamment d’établir des régimes électoraux communautaires et de supprimer l’obligation d’appliquer la [Loi sur les Indiens] comme mesure préliminaire au rétablissement des formes traditionnelles de sélection des dirigeants. À ces égards, les mesures suivantes ont été proposées: l’élaboration, par les communautés, de codes coutumiers; l’élaboration, par les communautés, de mécanismes locaux de règlement des différends; la création d’une capacité régionale des Premières nations et de conseils consultatifs.
Le projet de loi fait fi de certaines recommandations datant de 1996 ou n'y consacre pas les ressources nécessaires.
Nous avons soulevé une question épineuse en lien avec le paragraphe 3(1), qui dit que « Le ministre peut, par arrêté, ajouter le nom d’une première nation à l’annexe [...] » des Premières Nations participant au nouveau système électoral.
L'autre problème concernant ce projet de loi, ce sont les règlements prévus à l'article 41. Cette disposition confère au gouverneur en conseil le pouvoir général de prendre des règlements.
De nombreux chefs et des personnes qui s'intéressent à la gouvernance autochtone nous ont fait part leur opposition à la version actuelle du projet de loi S-6 et j'aimerais les citer.
Avant de le faire, j'aimerais attirer l'attention sur la pratique très problématique du gouvernement consistant à imposer la clôture lorsque nous débattons de projets de loi concernant les Premières Nations. Il l'a imposée pour le projet de loi S-2 et il l'a imposée pour d'autres projets de loi avant le projet de loi S-2.
Pour nous, néo-démocrates, il est absolument essentiel que les Premières Nations soient entendues par le comité, de façon à ce qu'il puisse formuler les meilleures mesures législatives possibles ou les contester en leur nom.
Malheureusement, selon mon expérience, le gouvernement conservateur a tout fait en son pouvoir pour réduire Premières Nations au silence et les empêcher de s'exprimer au sujet de projets de loi qui concernent directement leurs communautés. Voilà qui est inacceptable et qui reflète encore une fois l'approche colonialiste que l'actuel gouvernement suit depuis le début.
Cela étant dit, j'aimerais lire certains messages que nous avons reçus alors que le projet de loi en était à l'étape de l'étude en comité au Sénat.
J'aimerais commencer en citant le grand chef de l'Assemblée des chefs du Manitoba, Derek Nepinak. Il a dit ceci:
Ce projet de loi ne correspond pas aux recommandations de l'AMC. Il semble être une tentative de la part du ministre pour étendre le pouvoir du gouvernement et son contrôle des processus électoraux des Premières Nations établis conformément à la Loi sur les Indiens et au code coutumier. J'espère que le Canada entreprendra une consultation constructive avec les Premières Nations du Manitoba pour régler certains problèmes au lieu d'imposer unilatéralement un cadre réglementaire qui portera gravement atteinte aux droits des Premières Nations.
Cette déclaration contient des messages clés, dont la nécessité d'entreprendre une consultation constructive. Il reconnaît que des problèmes existent et que l'un de ces problèmes est l'imposition unilatérale d'un cadre, qui porterait gravement atteinte aux Premières Nations.
Je tiens aussi à citer ce qu'a dit Jody Wilson-Raybould, chef régionale pour la Colombie-Britannique à l'Assemblée des Premières Nations, lorsqu'elle a parlé des problèmes que présente l'article 3:
Essentiellement, ces dispositions donnent au ministre le pouvoir d'imposer à une Première nation des règles de gouvernance fondamentales que la Première nation risque de détester et de juger illégitimes, ce qui jettera sans doute de l'huile sur un feu déjà vif.
En fin de compte, chaque nation doit assumer la responsabilité de sa propre gouvernance, y compris les élections, et elle le fera.
Pour sa part, Tammy Cook-Searson, chef de la bande de Lac La Ronge, a déclaré ceci:
Ce que je reproche principalement à ce projet de loi, c'est qu'il n'apporte aucun changement positif par rapport à l'ancienne Loi sur les Indiens. Ni la Loi sur les Indiens ni le projet de loi S-6 intègre les principes constitutionnels des droits inhérents à l'autodétermination et à l'autonomie gouvernementale. On laisse le pouvoir entre les mains du cabinet et du ministre des Affaires autochtones et du Développement du Nord du Canada, au lieu de donner une plus grande responsabilité aux Premières nations à l'égard de leur gouvernance.
Quant à elle, Aimée E. Craft, présidente de la Section nationale du droit des Autochtones à l'Association du Barreau du Canada, a expliqué ce qui suit:
[C]oncernant le niveau de discrétion ministérielle permettant d'inclure des Premières nations à la liste des Premières nations participantes, cette disposition modifie le caractère facultatif de la mesure législative. Le ministre garde ainsi le pouvoir discrétionnaire d'exercer un contrôle sur la gouvernance des Premières nations; certaines Premières nations deviendraient ainsi assujetties à la loi, plutôt que d'être parties prenantes. En outre, le projet de loi ne définit pas clairement la norme que le ministre appliquera pour déterminer ce qui constitue un conflit prolongé lié à la direction qui a sérieusement compromis la gouvernance d'une Première nation [...]
Voilà des chefs autochtones et une spécialiste en ce qui concerne les dimensions juridiques du projet de loi — Aimée Craft —, qui expriment de sérieuses réserves au sujet de divers éléments du projet de loi S-6.
On a également signalé ceci:
En fin de compte, l'évaluation que fera une Première Nation de cette loi dépendra en grande partie de ce qui est prévu dans les règlements ou de ce qui ne l'est pas. Cependant, il faut se rappeler que les règlements seront conçus de manière à pouvoir être modifiés facilement et rapidement. Par conséquent, une Première Nation pourrait décider d'adhérer à la Loi sur les élections au sein des premières nations parce que, selon elle, les règlements sont tout à fait sensés. Toutefois, rien ne garantit que le gouverneur en conseil ne modifiera pas ces règlements, ce qui pourrait devenir moins attrayant pour cette Première Nation.
Il y a un certain nombre de préoccupations. Je suis extrêmement troublée par le fait que le gouvernement conservateur ne cesse d'imposer des mesures législatives sans avoir d'abord consulté les Premières Nations sur des questions très importantes qui ont tout à voir avec leur capacité d'autodétermination. Les conservateurs utilisent des termes très généraux qui peuvent sembler très beaux pour beaucoup de Canadiens, mais qui, en fait, occultent la réalité.
Je pense aux Premières Nations que j'ai l'honneur de représenter et à ce qu'elles m'ont dit sur les problèmes que leur causent leurs systèmes électoraux et la Loi sur les Indiens.
Je sais que le gouvernement conservateur s'est joint aux critiques de la Loi sur les Indiens. Il est paradoxal que beaucoup de Premières Nations considèrent cette loi comme un outil colonial qui vise à les opprimer davantage.
L'imposition d'une mesure législative aux Premières Nations n'est-il pas un signe d'oppression? Est-ce que ce n'est pas une manifestation de l'esprit de la Loi sur les Indiens, qui vise à imposer des attitudes et des systèmes étrangers aux Premières Nations?
L'imposition d'une mesure législative sans consultation appropriée, sans la prise en compte des demandes de changements à ce projet de loi, montre que le gouvernement fédéral croit qu'il en sait davantage que les Premières Nations et qu'il pense pouvoir intervenir et régler les problèmes.
Si l'histoire nous a appris quelque chose, c'est qu'une telle attitude ne nous mènera nulle part, et qu'elle marginalisera et affaiblira davantage les Premières Nations. J'espère que c'est une chose qui préoccupera réellement les députés ministériels et qui les fera réfléchir à deux fois à ce qu'ils font chaque fois qu'ils présentent un projet de loi.
Comme on a pu le constater dans le débat sur le projet de loi S-2, de nombreux ministériels représentent des collectivités des Premières Nations. Que disent ces députés? Ils mentionnent à répétition qu'il faut abolir la Loi sur les Indiens et mettre un terme au genre d'oppression imposée par une succession de gouvernements fédéraux, par la Couronne. Or, ce n'est pas la solution.
Les Premières Nations doivent former l'épicentre de l'avenir qu'elles forgent pour leurs collectivités. Elles doivent jouer un rôle de premier plan. Les questions entourant la gouvernance et les élections sont fondamentales à la capacité des Premières Nations de déterminer leur propre avenir. Plutôt que d'imposer des lois, le gouvernement conservateur doit consulter les Premières Nations et apporter des modifications qui tiennent compte de leurs besoins et de leur opinion.
Malheureusement, ce n'est pas l'attitude adoptée par le gouvernement fédéral. Celui-ci choisit plutôt de s'en prendre continuellement aux Premières Nations en imposant projet de loi après projet de loi dont les mesures vont à l'encontre des droits ancestraux et issus de traités des Premières Nations et de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones des Nations Unies. Ces projets de loi ne tiennent aucunement compte des graves préoccupations que soulèvent les Premières Nations lorsqu'elles demandent au gouvernement de prendre l'initiative et d'assumer ses responsabilités.
À l'égard des élections, beaucoup de Premières Nations craignent de ne pas avoir la capacité voulue pour proposer le genre de plan de gouvernance qu'elles souhaiteraient avoir. Ce manque de capacité est fondamentalement lié à l'insuffisance de fonds et aux compressions effectuées par le gouvernement fédéral actuel ainsi que par son prédécesseur libéral, qui a gelé le financement des Premières Nations à 2 %. Et maintenant, ce sont les organismes de défense des intérêts des Premières Nations qui sont touchés par des réductions, ces mêmes organismes qui aident aussi à la prestation de services d'éducation, de formation, de logement et de santé.
Les Premières Nations ont toujours tendu la main. Elles sont prêtes à collaborer avec le gouvernement. Elles veulent apporter du changement dans leurs collectivités. Les néo-démocrates sont fiers de joindre leur voix à la leur pour s'opposer au projet de loi S-6. Nous demandons au gouvernement de changer de cap et d'amorcer véritablement un nouvelle relation avec les Premières Nations du Canada.