Monsieur le Président, j'aurais peut-être l'occasion de développer un peu ces réflexions et rappeler encore à mon collègue la définition juridique du mot « consultation » et tout ce que ça implique.
Avant de commencer mon intervention, permettez-moi de faire deux observations. Tout d'abord, j'ai à la main le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui, Loi concernant la salubrité de l'eau potable sur les terres des Premières Nations. À mon avis, la Chambre des communes ne pourrait être saisie d'un sujet plus important étant donné la situation au pays concernant le droit à l'eau potable dans les collectivités des Premières Nations. Toutefois, il est aussi indiqué « ADOPTÉ PAR LE SÉNAT le 18 juin 2012 ».
Cela soulève deux questions. Comment le Sénat est-il arrivé à examiner avant la Chambre des communes une mesure législative? Comment les sénateurs adoptent-ils des mesures législatives? Qui leur a donné le droit et le mandat de présenter des mesures législatives? D'où tirent-ils leur légitimité? Je soutiens que les sénateurs n'ont pas la légitimité, le droit ni le mandat pour présenter des mesures législatives. Les choses sont complètement inversées.
Les mesures législatives sont présentées ici par les représentants dûment élus par la population canadienne dans des élections libres et démocratiques, du moins quand il n'y a pas d'élections truquées du Parti conservateur. Nous sommes les représentants du peuple. Nous examinons les mesures législatives. Les sénateurs ont le droit constitutionnel d'examiner les mesures législatives que nous adoptons. Les sénateurs ont même très souvent opposé leur veto à des mesures législatives.
Pendant les premières années de notre pays, l'autre Chambre opposait son veto à 10 % des mesures législatives adoptées par les représentants du peuple. Vingt-cinq pour cent des mesures législatives étaient substantiellement amendées. Cependant, rarement, et en fait, je dirais jamais, à cette époque et conformément à l'idée que se faisaient les pères fondateurs de la Confédération, le Sénat n'a présenté de mesures législatives. Il s'agit là d'un phénomène nouveau.
Aujourd'hui, les sénateurs produisent des projets de loi comme s'il n'y avait pas de lendemain. La Chambre des communes ne cesse de recevoir projet de loi après projet de loi. Nous sommes les deuxièmes à examiner quelque chose qui a déjà fait l'objet au Sénat de toutes les étapes du débat et d'un examen minutieux. C'est totalement inacceptable. Nous devrions rejeter toutes les mesures législatives qui nous proviennent du Sénat. Nous devrions les retourner au Sénat, les déposer sur le seuil et les laisser là parce que je soutiens que les sénateurs n'ont aucun droit. J'estime que ça heurte la sensibilité de tous ceux qui se disent démocrates.
Le deuxième point que j’aimerais souligner est qu’étant donné l’importance de la question dont nous sommes saisis, nous devrions vraiment prendre un instant pour revenir sur le fait que le gouvernement a encore une fois imposé la clôture concernant cet important projet de loi. Si on me demandait combien de fois le gouvernement nous soumet à la tyrannie de la majorité pour clore le débat et nous montre sa véritable nature en nous empêchant de débattre de la question, je lui répondrais qu’il le fait tout le temps.
À une certaine époque, on n'avait que rarement recours à la clôture. C’était seulement lorsqu’il y avait une impasse concernant des enjeux d’importance nationale que le gouvernement au pouvoir l'imposait sur un projet de loi en dépit de la volonté de l’autre Chambre. Ce fut le cas, notamment, lors du débat sur le pipeline national à la fin des années 1950. On parle de questions d’importance nationale. Or, dans la 41e législature, les conservateurs l'imposent à toutes les étapes de tous les projets de loi, et ils n’acceptent aucun amendement à un projet de loi.
Notre démocratie est en péril. Il ne nous en reste plus qu’une pâle imitation. C'est comme une fraise de la Californie. On dirait une vraie fraise, mais lorsqu’on la croque, elle goûte le carton. Il semble y avoir démocratie, mais en réalité, il n'y a qu'apparence de démocratie, et à bien des égards, car les freins et les contrepoids ont été éliminés. Tous les freins et les contrepoids qui servaient traditionnellement à restreindre dans une certaine mesure le pouvoir absolu du Cabinet du premier ministre et du parti au pouvoir sont balayés du revers de la main. Encore une fois, cela m’offusque.
Je ne veux pas utiliser tout mon temps de parole pour me plaindre de ces deux points, mais j'ai le sang qui monte à la tête quand je vois la crédibilité de la Chambre se détériorer à cause de certains députés qui minent et sabotent le processus parlementaire, députés que je qualifierais d'ailleurs de très insensibles. Nous sommes saisis d'un grave sujet de préoccupation, et je veux qu'on lui accorde l'attention qu'il mérite.
Tout d'abord, je dois dire à la Chambre que les conditions sociales des Premières Nations, des Métis et des Inuits sont le pire échec de notre pays et sa plus grande honte.
Nous vivons dans la civilisation la plus riche et la plus puissante de l'histoire de l'humanité et pourtant, en 2013, nous n'arrivons pas à subvenir aux besoins essentiels à la survie d'une famille.
À Pikangikum, en Ontario, des tuyaux gisent au sol, couverts de mauvaises herbes, parce qu'ils sont là depuis 5 à 15 ans. Il y a eu une centaine de faux départs concernant le réseau d'aqueduc et d'égouts que l'on avait promis de construire. Pourtant, les membres de ces Premières Nations n'ont toujours pas d'eau courante chez eux et ils doivent utiliser un seau d'huile de cinq gallons en guise de toilettes. C'est une honte nationale.
Cela fait 16 ans que je suis ici, et on répète le même message depuis 16 ans. Lorsque Jim Prentice, un de mes amis, a été nommé ministre des Affaires indiennes, il a annoncé que ce dossier serait en tête de sa liste de priorités. Puis, année après année, j'ai vu d'autres ministres des Affaires indiennes adopter un thème différent. La priorité principale d'Andy Scott, c'était l'éducation. Pour Jim Prentice, c'était censé être l'eau, soit l'un des droits et des besoins les plus fondamentaux et les plus essentiels de l'être humain. Cela fait combien d'années que Jim Prentice ne siège plus à la Chambre? Son gouvernement impose maintenant, et je le dis dans le sens le plus grave du terme, un paquet de règlements, au lieu de répondre aux besoins fondamentaux et légitimes des collectivités des Premières Nations.
Sans un accès à l'eau potable et à des logements satisfaisants, cette classe marginale existera toujours dans notre société. Ce problème constitue le plus grand échec des élus que nous sommes. J'ai du mal à exprimer à quel point je suis déçu de nos efforts collectifs, parce que nous n'avons pas accordé une attention suffisante à cette question pour pouvoir réaliser des progrès considérables dans un dossier qui est pourtant si facile à régler. On parle de fournir de l'eau potable à des collectivités. On peut y arriver. Ce n'est pas sorcier.
Le gouvernement dit que tout est une question d'argent, mais qu'il ne peut pas continuer d'injecter des tonnes d'argent, car cela ne réglera pas le problème. J'ai des nouvelles pour les conservateurs. Oui, cela le réglera. C'est en raison d'un manque d'argent chronique que les tuyaux à Pikangikum gisent au sol, couverts de mauvaises herbes. La solution du gouvernement consiste à sous-entendre que tous les dirigeants des Premières Nations sont soit corrompus, soit incompétents.
Voilà quelle était la grande priorité du gouvernement. Ce n'était pas de répondre aux besoins essentiels des Premières Nations. Le gouvernement voulait se donner bonne presse. Il a dit leur avoir donné beaucoup d'argent, mais sans que cela donne le moindre résultat. Faisons le calcul. Nous avons 1 million de personnes et 7 milliards de dollars pour l'ensemble des projets, dont 3 ou 4 milliards de dollars se sont perdus — c'est ce qu'on appelle des pertes en ligne dans le domaine du génie — et 3 ou 4 milliards de dollars se sont rendus jusqu'à leur destinataire. Cela représente 7 000 $ par personne pour le logement, l'éducation, les soins de santé et l'infrastructure. Au Manitoba, pour les études secondaires seulement, nous versons 15 000 $ par élève dans les collectivités non autochtones. De son côté le gouvernement fédéral alloue 7 000 $ par personne pour tous les services. Puis, nous nous demandons pourquoi nous avons une classe marginale permanente et des enfants qui ne réalisent pas leur plein potentiel.
Des enfants grandissent dans une pauvreté multigénérationnelle chronique à long terme, et ils ne sont pas invités à participer pleinement à l'économie, malgré toutes les pénuries de main-d'oeuvre. Le gouvernement fera venir 500 000 travailleurs étrangers temporaires, mais ne fera rien pour contrer le taux de chômage dans les collectivités du Nord du Manitoba qui est de 85 % chez les jeunes qui ont entre 16 et 25 ans. Qui n'arrive pas à faire le lien? C'est nous, en tant que représentants élus. C'est scandaleux.
Les lacunes de ce projet de loi sont légion et ont été bien documentées par tous les témoins. Presque tous les témoins qui représentent des organisations légitimes des Premières Nations condamnent ce projet de loi. Or, il leur est imposé, comme d'habitude.
Les conservateurs sont à la recherche de gens prêts à les cautionner. Ils ont perdu leur laquais de service, Patrick Brazeau. Ils ont dû l'expulser de leur caucus. Par conséquent, ils n'ont plus de laquais pour appuyer certaines de ces initiatives, pour dire que c'est exactement ce dont les Premières Nations ont besoin et que la raison pour laquelle elles sont pauvres, c'est parce qu'elles sont toutes corrompues. Cela leur donne des munitions pour adopter des projets de loi visant à imposer et à faire avaler de force aux Premières Nations l'obligation de rendre davantage de comptes.
Si les conservateurs avaient la moindre idée de ce qu'implique l'administration d'une réserve des Premières Nations, ils sauraient, comme l'a souligné le vérificateur général, que les Premières Nations font l'objet de vérifications excessives. En effet, elles doivent produire quelque 160 rapports financiers par an aux cinq organismes de financement, soit plus de trois par semaine. Tout ce qu'elles font, c'est remplir de la paperasse. Si elles fournissent des renseignements inexacts dans l'un de ces 160 rapports, on leur dit qu'elles seront mises sous tutelle ou administrées par un tiers parce qu'elles ne gèrent pas leur argent correctement.
Ensuite, les conservateurs leur imposent, par l'intermédiaire de la Loi sur les Indiens, un instrument d'oppression qui, à mon avis, est indigne d'une démocratie occidentale. Aux termes de la Loi sur les Indiens, elles doivent réélire un nouveau conseil de bande tous les deux ans, de sorte que personne ne développe jamais d'expertise dans ce domaine.
C'est une approche paternaliste et eurocentrique.
J'aimerais inviter tous ceux qui ont une certaine connaissance de ce domaine — j'ai remarqué que certains députés affirment avoir siégé au Comité des affaires autochtones — je les invite donc à lire l'avant-dernière étude réalisée à Harvard, qui remonte à quelques années. On peut y lire qu'en Amérique du Nord, et pas seulement au Canada, le niveau de réussite économique des collectivités des Premières Nations est directement proportionnel à leur niveau d'autonomie et d'indépendance. Si elles peuvent se délivrer du carcan que leur impose la Loi sur les Indiens, une loi eurocentrique et paternaliste, si elles peuvent se libérer des gens naïfs qui s'immiscent dans leurs affaires et tentent de leur imposer des règles qui ne tiennent pas compte de leur culture, de leur patrimoine ou de quoi que ce d'autre, si elles peuvent cesser d'être privées de ressources et d'argent, elles seront sur la voie du succès.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui offre l'un des pires exemples de paternalisme qu'on a pu voir depuis l'adoption de la Loi sur les Indiens. C'est une condamnation en bloc, en fait.
Cela me rappelle l'époque de la Loi sur la gouvernance des Premières nations, une version libérale cette fois-ci, qui imposait aux Premières Nations une dose encore plus forte de naïveté eurocentrique. On y trouvait bon nombre des caractéristiques qui ont été critiquées, à propos de cette mesure-ci, par des gens qui ont été consultés mais dont les commentaires n'ont pas été pris en compte. Certains ont formulé des condamnations en bloc dont nous devrions vraiment tenir compte.
Jim Ransom, directeur du Conseil des Mohawks d'Akwesasne, a affirmé:
Nous nous inquiétons enfin du fait que le projet de loi S-8 donne préséance à la compétence des provinces à l'égard des systèmes d'alimentation en eau potable des Premières Nations.
Ce chevauchement et cet enchevêtrement de compétences rend tout progrès difficile. On a l'impression que la longue querelle à propos des champs de compétences et des responsabilités de chacun se trouve presque officialisée.
Au Manitoba, nous sommes aux prises avec une situation semblable dans le domaine des services à l'enfance et aux familles et dans les soins de santé. Les conservateurs ont adopté le principe de Jordan, présenté par notre collègue de Nanaimo—Cowichan, qui fait valoir que tous les enfants sont égaux et ont droit à des traitements égaux, que ce soit en vertu de l'article 15 de la Charte, de l'article 35 ou des droits des Premières Nations, et nous n'allons pas nous chamailler à ce sujet. Si un enfant a besoin d'être transporté en avion-ambulance jusqu'à Winnipeg, nous n'allons pas retarder ce transport simplement parce que personne n'arrive à déterminer qui devrait payer ses traitements. Nous agissons immédiatement, quitte à nous batailler avec Ottawa plus tard. C'est ainsi que nous sommes forcés d'agir.
On voit le même genre de situation en éducation. Des jeunes doivent aller vivre à l'extérieur de la réserve, à Thompson, pour faire leurs études secondaires. On dispose d'un budget de 15 000 $ par année pour chacun de ces élèves. Par contre, les jeunes qui vont à l'école dans une réserve située à 100 milles de là ont droit à un budget de 8 000 $ par année. C'est pratiquement la moitié.
Certains feraient valoir qu’il devrait coûter plus cher de fournir un niveau d’éducation comparable dans les réserves à cause de l’isolement, de toutes sortes de coûts, de l’absence d’économies d’échelle, et cetera, mais il s'agit environ de 50 p. 100. Nous nous demandons alors pourquoi les résultats du réseau d’éducation sont faibles.
Personne ne me dira que ce n’est pas une question d’argent et que, même si nous appartenons à la civilisation la plus riche et la plus puissante de l’histoire de l’humanité, nous ne pouvons pas répondre aux besoins fondamentaux d’un enfant et, en fait, d’une famille, parce que cela est un mythe absolu.
J’ai entendu un jour le révérend Jesse Jackson présenter les choses d’une façon bien poignante. Il a raconté que si on a cinq enfants et seulement trois côtelettes de porc, la solution n’est pas de tuer deux des enfants, ni même de diviser les trois côtelettes en cinq parts égales. En régime de social-démocratie, il faut remettre en question l’hypothèse de base selon laquelle il n’y a que trois côtelettes de porc, parce que c’est un gros mensonge dans une société et une civilisation comme les nôtres. Nos sociétés ont suffisamment d’argent pour répondre aux besoins fondamentaux des familles.
Personne n’a travaillé avec les collectivités; personne n’a établi la relation respectueuse de nation à nation qui nous avait tous été promise lorsque ces 330 millions de dollars ont été consacrés à l’infrastructure destinée aux Premières Nations. La chose est devenue un cliché presque vide de sens. Les gens ont maintenant un mouvement de recul lorsque nous utilisons ce terme parce que la promesse faite a été brisée tellement de fois que plus personne n’y croit. Les relations sont si tendues, les leaders ont tellement de difficultés à garder le couvercle sur la marmite que la situation devient explosive.
Je ne parle au nom de personne ici, mais j’ai beaucoup d’admiration pour les leaders des Premières Nations qui ont réussi à contenir la colère des jeunes comme ils l’ont fait parce que les conditions sont propices aux désordres sociaux. Prenez un groupe de jeunes ambitieux de 18 à 25 ans, en pleine santé, qui voient à la télévision ou sur leurs iPad comment vivent vraiment les autres dans notre société occidentale alors qu’eux sont exclus de l’économie et vous avez là les conditions parfaites pour des troubles sociaux. À mon avis, il vaut mieux sauter dans l’autobus avant d’être écrasé sur son passage.
Shawn Atleo a déclaré que les désordres sociaux pourraient poser problème cet été. Cela dépendra des accommodements que le gouvernement sera prêt à faire. Les dirigeants doivent pouvoir dire à leurs gens qu'il y a de l'espoir, qu'une promesse se dessine à l'horizon. Si le statu quo demeure et que c'est toujours du pareil au même, il sera impossible de maintenir bien longtemps le couvercle sur la marmite. Je regrette de dire où je me trouverais si j'étais un jeune homme autochtone aujourd'hui. Je crois qu'il me serait très difficile de me contenir, étant donné l'injustice de toute cette situation, des conditions sociales dans lesquelles vivent les jeunes Métis et Inuits et les jeunes des Premières Nations.
J'ai utilisé la plus grande partie de mon temps de parole à critiquer le fait que ce projet de loi vient du Sénat, alors qu'il ne devrait pas en être ainsi. Le gouvernement a invoqué la clôture non pas une, ni deux, mais bien 41 fois durant toute la 41e législature, pour chaque projet de loi et à chaque étape des projets de loi, et ils n'ont accepté aucun amendement, pour aucun projet de loi.
Notre démocratie est en bien piètre état. Elle tient maintenant du grand guignol. Les conservateurs perdent des députés. Ceux qui ont des principes claquent la porte et je crois qu'ils seront de plus en plus nombreux à le faire, quand ils verront qu'ils personnifient maintenant ce qu'ils condamnaient auparavant, c'est-à-dire la corruption au sein du Parti libéral. C'est la culture du secret qui a permis à la corruption de prendre racine chez les libéraux. Les conservateurs sont obsédés par le secret et ils ne progressent nullement sur l'une des questions les plus pressantes ces jours-ci, c'est-à-dire les conditions sociales des Premières Nations, des Inuits et des Métis.