Monsieur le Président, je suis heureuse de prendre la parole aujourd'hui à propos du projet de loi C-49, visant à modifier le nom et le mandat du Musée canadien des civilisations afin de constituer le Musée canadien de l'histoire.
Afin d'exprimer notre ferme opposition à ce projet de loi, j'aimerais d'abord rappeler que cette initiative fait partie d'un projet plus large des conservateurs visant à promouvoir certains symboles qui leur sont chers: la monarchie, les valeurs militaires, la célébration démesurée d'anciennes guerres et autres.
Il faut noter aussi que leur version de l'histoire canadienne néglige l'histoire importante des femmes, des Premières Nations et d'autres histoires qui font partie aussi de notre histoire nationale.
En fait, nous assistons présentement à une stratégie délibérée de réécrire l'identité canadienne. En ce sens, je suis parfaitement d'accord avec l'Association canadienne des professeures et professeurs d'université qui estime que:
[...] [cette initiative] s’insère dans une tendance à redéfinir l’histoire à des fins politiques. [...] le gouvernement se sert de nouveau de l’histoire pour imposer son idéologie politique — en déterminant quels sont les éléments précis de notre passé qu’il est loisible de financer et de promouvoir. Il s’agit d’une utilisation parfaitement inappropriée de nos institutions culturelles nationales, qui devraient être soustraites à toute propagande politique et encadrées par de rigoureuses normes professionnelles. Notre passé n’a pas à devenir le joujou d’un parti politique.
Le premier directeur du Musée des civilisations, George MacDonald, a d'ailleurs vivement dénoncé le changement de nom et de mandat du musée. Pour lui, ça fait partie de l'exercice pour imposer l'image de marque conservatrice. Selon lui, dans la communauté muséale, personne ne parlait du besoin d'avoir un musée d'histoire plutôt que des civilisations.
De même, l'ancien président-directeur général du musée, Victor Rabinovitch, a déploré que le nom « Musée canadien des civilisations » soit abandonné. Selon lui, il s'agit de la marque ayant connu le plus de succès dans le domaine des musées canadiens. Il a dit que c'était une marque connue et respectée de par le monde. J'ajouterais qu'abandonner le nom de « Musée canadien des civilisations », c'est aussi ridicule que d'abandonner la marque de commerce « Radio-Canada ».
En plus de changer le nom du Musée canadien des civilisations, le projet de loi C-49 contient plusieurs amendements inquiétants à la mission de l'organisation. Par exemple, finie la vocation internationale du musée. Plutôt que d'oeuvrer dans l'ensemble du Canada et à l'étranger, il ne visera que les Canadiens, débarrassant ainsi le musée de son mandat de partager notre histoire avec le monde.
En fait, c'est très représentatif du règne des conservateurs. Depuis qu'ils sont au pouvoir, nous savons que le Canada n'a cessé de perdre de l'influence sur la scène internationale: on ne cherche plus à obtenir de siège au Conseil de sécurité de l'ONU, le mandat international de Radio-Canada a été charcuté et le Canada n'a plus aucune crédibilité en matière de lutte contre les changements climatiques. Je pourrais continuer.
Malheureusement, sous la gouverne du Parti conservateur, le Canada est devenu la risée de la communauté internationale et il néglige le rôle important que la culture joue dans la diplomatie canadienne.
Par ailleurs, on note que le projet de loi C-49 propose de réorganiser les fonctions visant à établir et à maintenir une collection d'objets pour la recherche et pour la postérité. Dorénavant, la recherche et les collections seront directement subordonnées à la planification des expositions, plutôt que d'être fondées sur le travail et les priorités des muséologues.
Toutefois, le problème le plus important du projet de loi C-49, c'est qu'il prescrit une approche muséologique minimaliste basée sur les événements, les expériences, les personnes et les objets. Il s'agit d'une décision normalement laissée aux professionnels de la muséologie, et un débat qui est habituellement celui des historiens et des milieux universitaires.
Je trouve inquiétant et déplorable que le ministre du Patrimoine canadien se mette les deux mains dans les choix muséologiques. D'une part, parce que le politique n'a pas d'affaire dans la muséologie et, d'autre part, avant de penser à donner des leçons d'histoire aux Québécois, les conservateurs devraient commencer par apprendre l'histoire du Québec.
Je pense notamment au ministre du Patrimoine canadien qui, de passage à Tout le monde en parle, n'a pas été capable d'identifier Guy Laliberté, Félix Leclerc et Robert Lepage!
Je trouve désolant que les expositions sur les cultures et les civilisations auront dorénavant un rôle secondaire. Le musée portait un intérêt marqué pour la compréhension des cultures et de diverses civilisations. On y traitait, par exemple, du vaudou haïtien et de l'Égypte ancienne. Maintes expositions ont voyagé et fait la réputation internationale du Musée canadien des civilisations. Ces expositions sont d'ailleurs une importante source de visiteurs.
En recentrant le mandat du musée sur le Canada, on risque une baisse de l'achalandage et on perd assurément une richesse culturelle.
Comme le dit le Dr Lorne Holyoak, président de la Société canadienne d'anthropologie:
Vous prenez une Rolls-Royce, et vous retirez le toit et la banquette arrière pour pouvoir la convertir en camionnette. Les Canadiens méritent un excellent musée canadien de l'histoire, et la Société canadienne d'anthropologie est en faveur de la création d'un musée canadien d'histoire, mais nous ne sommes pas en faveur de le vider de sa substance — comme on l'a déjà dit — le joyau de notre collection de musées. Il s'agirait d'une erreur lourde de conséquences à long terme.
Par ailleurs, je note avec appréhension que le gouvernement annonce la tenue d'activités de financement afin de solliciter l'appui du secteur privé. À priori, je n'ai rien contre le secteur privé. Je crains simplement qu'il ne dicte le contenu des expositions.
D'ailleurs, nous avons assisté dans les dernières années à certains dérapages dans les musées fédéraux. Je pense notamment au Musée canadien de la nature, où la quasi-totalité des salles d'exposition ont été commanditées par des entreprises du secteur pétrolier après qu'un ex-cadre de Talisman Energy ait été nommé au conseil d'administration du musée. C'est assez ridicule. On se rappellera aussi du Musée des sciences et de la technologie du Canada qui avait modifié une exposition à la suite des pressions d'une entreprise minière qui commanditait l'exposition.
Dans le cas du Musée canadien des civilisations, la documentation historique et archivistique joue un rôle important dans la détermination de droits économiques, notamment ceux des Premières Nations, et sa présentation ne doit pas être sujette à des pressions d'ordre commercial.
En résumé, le financement privé est utile au développement des musées, mais je vois mal comment on peut garantir que les commanditaires privés n'influenceront pas les contenus.
Pendant que les conservateurs s'emploient à remodeler le Musée canadien des civilisations afin de nous passer leur propagande, je déplore qu'ils s'attaquent à d'autres institutions importantes gardiennes de notre mémoire collective. Je pense notamment aux compressions à Bibliothèque et Archives Canada, où plus de 50 % du personnel affecté à la numérisation a été mis à pied. Je pense aussi à la diminution des effectifs responsables de la préservation et de la conservation des documents, ainsi qu'à la réduction du prêt entre bibliothèques, qui permettait à tous les Canadiens d'accéder aux collections de leur bibliothèque nationale.
On pourrait aussi parler des 29 millions de dollars qui ont été retirés en 2012 à Parcs Canada. Parcs Canada est un véhicule important de notre conscience historique. En effet, cet organisme gère 167 sites historiques nationaux au Canada. À la suite des compressions des dernières années, plus de 80 % des archéologues et conservateurs de Parcs Canada ont perdu leur emploi.
Ma collègue de Québec a d'ailleurs démontré avec éloquence l'effet de ces compressions sur le Québec et ses régions, alors que l'on a appris que la majorité des activités du centre de services de Québec seraient regroupées à Ottawa. Laurence Ferland, ex-présidente de l'Association des étudiants en archéologie de l'Université Laval, a fait valoir qu'en plus de nuire à la recherche universitaire à Québec, ces compressions vont affecter la préservation des monuments, ainsi que la transmission de l'histoire.
Quand je vois ces compressions toucher des institutions chargées de mettre en valeur notre patrimoine, j'ai bien de la difficulté à croire le ministre quand il dit qu'il modifie le Musée canadien des civilisations pour améliorer la diffusion de l'histoire canadienne.
En résumé, nous nous opposons fermement à ce projet de loi qui vise à dénaturer le Musée canadien des civilisations à des fins partisanes. Nous réclamons le maintien du mandat actuel du musée. L'histoire canadienne doit avoir une vitrine et être mise en valeur, mais c'est déjà le cas au Musée canadien des civilisations. On n'a pas besoin de changer la loi et la vocation du musée pour cela.
Nous croyons aussi que la tâche de définir le contenu du Musée canadien des civilisations doit être laissée aux professionnels de la muséologie et non aux politiciens.
Finalement, le gouvernement doit cesser de mettre la hache dans ce qui alimente notre connaissance de l'histoire, en particulier la recherche archivistique et la protection des lieux historiques.
Au lieu de dépenser des sommes importantes pour remanier le mandat du musée, le gouvernement aurait mieux fait d'investir dans un projet pancanadien de préservation de l'histoire canadienne, des archives et des sites historiques, et qui soutient les petites institutions muséales, particulièrement en vue du 150e anniversaire du Canada.