propose que le projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, après plusieurs années de travail et de consultation, c'est un grand honneur pour moi de présenter à la Chambre le projet de loi C-452 qui vise à aider les victimes de traite de personnes à obtenir justice dans un contexte qui les protège mieux.
Ce projet de loi vise aussi à aider les policiers et les procureurs qui luttent contre cette nouvelle forme d'esclavage, disons-le, à avoir les outils nécessaires pour porter des accusations et avoir des sentences à la hauteur des crimes commis.
Je tiens à remercier les groupes et les personnes qui ont travaillé avec moi pour élaborer ce projet de loi, en l'occurence des experts policiers du SPVM, moralité et module Exploitation sexuelle des enfants, des criminalistes du Barreau du Québec, des groupes de femmes et des groupes qui travaillent auprès des victimes de traite des personnes, notamment le Comité d'action contre la traite humaine interne et internationale, l'Afeas, le Regroupement québécois des centres d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel, l'organisme Concertation-Femme, la Concertation des luttes contre l'exploitation sexuelle, l'Association québécoise Plaidoyer-Victimes, La maison de Marthe. Ces groupes ont travaillé concrètement à l'élaboration du projet de loi.
Je tiens aussi à remercier ceux qui se sont ensuite ajoutés pour appuyer le projet de loi, en l'occurence le Collectif de l'Outaouais contre l'exploitation sexuelle, le diocèse de l'Outaouais de la condition des femmes et, bien sûr, le Conseil du statut de la femme du Québec.
Avant de présenter le projet de loi, j'aimerais tracer un rapide portrait de la traite des personnes au Canada. C'est malheureusement un phénomène assez majeur au Canada, et donc au Québec.
Il est indéniable qu'au Canada on peut estimer qu'entre 80 % et 90 % des personnes victimes de traite le sont en vue de nourrir l'industrie du sexe. Oui, nous avons aussi au Canada des individus qui sont victimes de traite en vue de travail forcé. C'est vraiment très atypique mais cela existe quand même.
Le Canada est malheureusement considéré comme un pays de recrutement, de destination et de transit, surtout vers les États-Unis. Les villes les plus populaires sont Fort Lauderdale, Miami, New York et Las Vegas, on peut s'en douter. Le Canada est aussi considéré comme un pays touristique. Il ne s'agit pas seulement de tourisme habituel mais aussi de tourisme sexuel.
Contrairement à ce qu'on pourrait penser, ce genre de chose n'arrive malheureusement pas juste dans les pays en voie de développement. Le rapport de 2001 du Service canadien de renseignements criminels fait état que l'âge moyen d'entrer dans la prostitution au Canada est de 14 ans. Au Canada, la majorité des victimes de traite sont des femmes de 12 ans à 25 ans.
Selon les chiffres de 2004 du département d'État des États-Unis, on estime que, chaque année, de 1 500 à 2 000 personnes seraient victimes de traite au Canada vers les États-Unis. On estime à environ 600, le nombre de femmes et d'enfants qui entrent au Canada par le biais des trafiquants pour servir dans l'industrie du sexe.
Les principaux points de transit et de destination des victimes de traite interprovinciale et internationale sont notamment Montréal, Toronto, Winnipeg et Vancouver. Au Québec, la Sûreté du Québec estime que 80 % des clubs de danseuses nues sous sa juridiction appartiennent à des groupes criminels, souvent sous des prête-noms. Cette industrie, soit dit en passant, est dominée par le crime organisé et, malheureusement, par les gangs de rue.
Des filles recrutées en Atlantique peuvent se retrouver au Québec, en Ontario, en Alberta ou en Colombie-Britannique, et vice-versa. Ça bouge. C'est ça, la traite de personne. Même si ce commerce odieux est dominé par le crime organisé, les gangs de rue sont devenus de nouveaux joueurs depuis plusieurs années maintenant. D'ailleurs, le SPVM a mis la traite humaine parmi ses priorités dans la lutte contre la criminalité.
On estime que depuis la fin des années 1990, les membres des gangs de rue sont passés de petits recruteurs à proxénètes de haut niveau et se spécialisent dans la prostitution juvénile de jeunes filles majoritairement de 11 ans à 25 ans. Une fille peut rapporter autour de 280 000 $ par année, selon sa beauté et sa jeunesse. On peut imaginer que 20 filles peuvent rapporter autour de 6 millions de dollars. C'est beaucoup d'argent.
C'est un commerce peu risqué et qui coûte peu à gérer. D'ailleurs, la plupart de ces gars disent qu'on a juste à la battre, à la violer, à la torturer et à lui donner un peu de drogue, et elle prend son rendez-vous toute seule. D'autre part, les peines sont négligeables à l'heure où on se parle. Prenons l'exemple d'un proxénète de la région de Peel qui a exploité, torturé et violé une fille de 15 ans pendant deux ans. Ça lui a rapporté à peu près 360 000 $ par année et il a eu une peine de trois ans.
Ce projet de loi cherche à rendre justice aux victimes et à faciliter le travail des policiers et des procureurs. Que fait le projet de loi? Tout d'abord, plusieurs procureurs et policiers que j'ai rencontrés m'ont dit que, généralement, la traite de personnes était perçue comme un phénomène international et que l'on trafiquait des personnes soit du Canada vers l'extérieur, soit de l'extérieur vers le Canada. Malheureusement, le Code criminel est mal interprété.
Cette fausse perception disparaît graduellement et de plus en plus, mais elle a encore cours chez certains praticiens. À cet égard, rappelons que des jeunes des régions du Québec ou des réserves autochtones de partout au Canada se retrouvent malheureusement dans des réseaux de traite qui transitent vers les grandes villes canadiennes et les zones touristiques comme Niagara Falls, par exemple, ou Montréal lors du Grand Prix de Montréal.
La traite interne est donc bien présente au Canada et représente d'ailleurs une grande part, à mon avis, du marché criminel au Canada. Les victimes sont âgées d'entre 14 et 25 ans dans ce genre de traite humaine. Le projet de loi en question bonifie le paragraphe 279.01(1) en établissant que la traite des personne n'est pas seulement un phénomène international, mais aussi interne. J'ai donc ajouté cette phrase: « Quiconque, que ce soit dans un contexte interne ou international, recrute, transporte [...] ». Cela amène une clarification qui permettra de faire en sorte que toute personne, policier ou procureur, comprendra exactement ce qui est dit dans l'article.
Actuellement, dans l'article 279.04, il y a des dispositions sur le trafic d'organes et le travail forcé. Compte tenu qu'on sait que la plus grande partie de la traite de personnes sert à des fins d'exploitation sexuelle, j'ai tenu à ajouter le paragraphe 279.04(1.1), qui porte vraiment sur l'exploitation sexuelle. Cette définition, si on peut la nommer ainsi, provient essentiellement du Protocole de Palerme, qui vise la traite de personnes et la criminalité transnationale et qui a été ratifié par le Canada le 13 mai 2002. Cet ajout permet de toucher vraiment à toutes les dimensions de l'exploitation sexuelle. Il fait donc en sorte que le Canada respecte sa signature.
Dans un autre ordre d'idées, les infractions de traite de personnes et de proxénétisme sont souvent associées à la commission d'autres délits violents. Toutefois, malgré plusieurs accusations pour un même événement, les trafiquants s'en sortent avec de courtes peines, puisqu'elles sont calculées de manière concurrente. En fait, les peines sont malheureusement moins sévères pour les trafiquants de personnes que pour les trafiquants de drogue.
Or les crimes commis par ces personnes, que je qualifierais carrément d'esclavagistes, sont d'une extrême gravité. Les victimes sont torturées, séquestrées, violées, obligées de se prostituer, etc. Il est donc important qu'on tienne compte de tous ces éléments relativement à un événement. Ce projet de loi fait en sorte que la peine qui est imposée pour la traite de personnes ou de proxénétisme sera calculée de manière consécutive à d'autres peines pour un même événement.
L'autre problème rapporté par les policiers et les procureurs est la capacité d'aider ou d'amener une victime à témoigner. Le problème que rencontrent ces praticiens dans ce genre de criminalité, c'est que les victimes ne veulent pas témoigner. Pourquoi? Parce qu'elles vivent un stress post-traumatique important et qu'elles ont peur, bien sûr, d'être victimisées. Plusieurs groupes qui s'occupent de ces groupes de victimes me l'ont dit: la victime ne doit plus porter le fardeau de la preuve.
Actuellement, dans le Code criminel, dans le cas du proxénétisme, au paragraphe 212(3), nous avons déjà la notion de renversement de la preuve sur le proxénétisme. Le même fonctionnement a donc été introduit dans ce projet de loi, donc un renversement de la preuve pour le délit de traite au paragraphe 279.01(3).
De ce fait, à partir du moment où les policiers auront assez de preuves pour porter des accusations, ils n'auront pas forcément besoin du témoignage d'une victime. Le renversement de la preuve existe donc pour le proxénétisme. Quant à moi, nous devons tout simplement l'appliquer aussi à la traite des personnes.
L'aspect de ce projet de loi que je préfère est celui de la confiscation des fruits de la criminalité. Malheureusement, ce qui est beaucoup constaté dans le milieu policier, c'est que la traite des personnes rapporte beaucoup d'argent. C'est payant parce qu'une fille peut rapporter beaucoup d'argent à un proxénète et la possibilité qu'elle porte plainte contre ce dernier est extrêmement faible. Le proxénète n'a pas besoin de faire de la gestion ou de gros achats pour faire fonctionner cette industrie ou ce commerce. Ainsi, beaucoup d'argent revient au proxénète.
Actuellement, l'article 462.37(2.02), qui concerne justement la confiscation des fruits de la criminalité, permet de confisquer les biens obtenus criminellement pour les infractions d’organisation criminelle passible d’un emprisonnement de cinq ans ou plus et pour toute infraction aux articles 5, 6 ou 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
À mon avis, les infractions de traite des personnes et de proxénétisme devraient également faire partie de cet article. Le projet de loi ajoute donc ces deux dispositions à l'article 462.37.
En terminant, je voudrais inviter tous mes collègues à poser un geste extrêmement important pour les victimes de la traite des personnes. Il ne faut pas oublier qu'on n'a pas besoin d'aller en Thaïlande pour retrouver dans ce commerce des petits enfants de 12, 13 ou 14 ans. Malheureusement, il ne faut pas oublier que des adultes sont aussi victimes de ce commerce. Ce commerce — si on peut parler de commerce — exploite majoritairement des femmes, des jeunes filles et des enfants. Je dirais plutôt qu'il s'agit d'esclavage. Selon moi, cette question va au-delà de toute partisanerie et il est de notre devoir de renforcer le Code criminel quant à la traite des personnes.
Je tiens à remercier mes collègues, et je les invite à appuyer ce projet de loi au nom de la justice, mais surtout au nom de l'humanité.