Monsieur le Président, comme l'a si bien expliqué la secrétaire parlementaire, le projet de loi S-9, ou Loi sur le terrorisme nucléaire, modifierait le Code criminel afin de l'harmoniser avec nos obligations en vertu de deux ententes internationales, soit la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire de 2005 et un amendement à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, lui aussi de 2005.
De façon générale, ces deux instruments, ainsi que la convention sous-jacente, la Convention sur la protection physique des matières nucléaires, traitent de la protection des matières radioactives, des matières nucléaires et des installations nucléaires, ainsi que de la protection contre les engins radioactifs ou nucléaires.
La création d'infractions criminelles constitue un aspect du régime de protection, tout comme le fait de s'assurer qu'il existe, en quelque sorte, une compétence universelle destinée à engager des poursuites dans la majorité de ces infractions.
Le projet de loi S-9 actuel n'a que trop tardé si l'on considère que ces deux instruments datent de 2005, quoique ce retard est atténué par le fait que le Canada ne les a pas encore ratifiés et qu'il n'est donc pas lié par ces derniers. Nous les avons signés, mais cela n'équivaut pas à une ratification. L'adoption du projet de loi S-9 nous permettra d'être conformes à ces instruments, et donc de les ratifier.
Toutefois, la raison pour laquelle nous avons laissé ce processus de ratification et de mise en oeuvre traîner si longtemps demeure un mystère pour moi, malgré la réponse que vient de nous donner la secrétaire parlementaire. Il ne s'agit pas d'un projet de loi qui porte à controverse pour un côté ou l'autre de la Chambre, et j'ai peine à comprendre pourquoi un gouvernement minoritaire en aurait retardé l'adoption.
Comme je viens de le dire, le NPD approuve sans réserve le renvoi de ce projet de loi au comité. Nous allons l'appuyer à l'étape de la deuxième lecture, et nous prévoyons en faire autant à l'étape de la troisième lecture. En fait, nous appuyons entièrement ce projet de loi en tant que mesure nécessaire dans le cadre de la participation du Canada à la coopération internationale contre les menaces liées aux diverses formes de terrorisme nucléaire.
Dans un monde où la technologie de plus en plus poussée facilite le vol de matériaux, l'attaque d'installations, la fabrication d'engins radioactifs et j'en passe, il est impossible d'exagérer l'importance d'une telle coopération et le rôle du Canada dans cette coopération.
Nous espérons que cette mesure législative deviendra loi dès que possible. Nous souhaitons également souligner que le comité devra examiner attentivement les aspects techniques de ce projet de loi afin de s'assurer qu'il a été rédigé de façon à respecter nos obligations en vertu de ces deux conventions et que nous puissions aller de l'avant, et non pas nous retrouver en situation de non conformité après la ratification.
Il se peut que certains légers amendements soient nécessaires à l'étape de l'étude en comité. Je dis cela pour trois raisons.
Premièrement, il semble y avoir eu une importante omission dans le projet de loi d'initiative ministérielle dont le Sénat a été saisi avant de nous le renvoyer. De quelle omission s'agit-il? Je viens d'en parler dans la question que j'ai adressée à la secrétaire parlementaire. Bien que la liste d'infractions prévues à l'alinéa 2(1)a) de la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire contienne la fabrication d'un engin nucléaire, la version originale du projet de loi S-9 n'en parlait pas. Elle mentionnait pourtant toutes les autres formes possibles d'activité nucléaire qui étaient mentionnées dans les deux traités, à savoir le fait de posséder, d'utiliser, de transporter, d'exporter, d'importer, de modifier et de jeter du matériel ou un engin nucléaire.
Le Sénat, aidé sans doute par le résumé législatif que la Bibliothèque du Parlement avait vaillamment fait, a pu rattraper cette erreur dans la version qui nous a été renvoyée.
Toute mon argumentation pourrait se résumer à une question: s'il manquait un élément aussi important que la fabrication d'un engin nucléaire, qui se trouve clairement dans le libellé du traité, d'autres choses ont-elles été omises? Y a-t-il d'autres fautes de rédaction qui gâtent le projet de loi? Le comité doit s'en assurer.
Deuxièmement, dans la suite logique de ce dont j'ai parlé dans la question que je viens de poser, il pourrait être nécessaire que le comité apporte des amendements, car nous sommes en droit de croire que non seulement certains articles du projet de loi S-9 ont pu être rédigés en termes plus généraux que les articles des traités qu'ils mettent en oeuvre, mais que, du point de vue de la criminalisation, leur portée est plus large que ce que n'exigent ces mêmes traités.
Dans quelques instants, j'expliquerai en quoi cela risque de constituer un problème pour ce qui est du projet de loi S-9, Toutefois, un autre problème pourrait être que le ministre de la Justice et les fonctionnaires qui ont comparu devant le comité sénatorial ne semblaient pas s'entendre pour dire que la mesure législative a, à certains égards, une trop grande portée. Il y a un problème, car en refusant d'admettre les faits, ils font en sorte qu'il est impossible de passer à la prochaine étape de l'analyse, qui consiste à se demander si l'on doit bel et bien se préoccuper du fait que certains aspects ont une trop grande portée par rapport au strict minimum exigé dans le cadre des traités.
Si les traités permettent aux États parties de criminaliser davantage certains aspects — et il est probable qu'ils le permettent —, il faudra alors débattre comme il se doit de la politique gouvernementale afin de déterminer si nous voulons aller plus loin. Cela dit, si le gouvernement nie que le projet de loi S-9 va plus loin, nous ne pourrons même pas tenir ce débat.
La troisième raison pour laquelle nous devrons peut-être envisager d'apporter un ou deux amendements mineurs au comité, c'est qu'il est possible, et j'insiste sur le mot « possible », que l'une des dispositions du projet de loi S-9 qui porte sur les infractions n'aille pas assez loin. J'ai peut-être mal compris les dispositions du traité correspondant pour ce qui est des articles du projet de loi S-9 en question, mais l'une des choses que l'on peut comprendre à leur lecture, c'est qu'il est possible que le projet de loi S-9 n'aille pas aussi loin que cela est nécessaire sur un point. Si c'est le cas, notre mesure législative nous placera alors dans une situation de non-conformité après la ratification. Je vais aborder ce problème potentiel dans quelques instants.
Je vais maintenant aborder ces aspects de manière plus détaillée afin d'expliquer pourquoi nous devons les examiner soigneusement en comité.
Je vais d'abord parler du fait que certains aspects ont peut-être une trop grande portée. Je m'excuse auprès de tous ceux qui nous écoutent, car mon exposé va être aussi technique qu'il semble être au premier abord. Plus particulièrement, en ce qui concerne les articles 82.3 et 82.4 proposés, l'article 2 de la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire n'exprime pas de façon élégante la nécessité d'avoir une intention précise en plus d'une intention générale pour certaines infractions. Il y est question d'une personne qui, intentionnellement, détient ou fabrique un engin dans l'intention d'entraîner la mort ou de causer des dommages corporels graves ou dans l'intention de causer des dégâts substantiels à des biens ou à l'environnement.
La première chose qu'il convient de souligner, c'est que la double utilisation de l'intention rend le tout quelque peu inélégant. Le projet de loi S-9 ne comporte pas cette répétition. On y trouve une formulation plus simple. La plupart du temps, il est directement question d'intention précise. Cela me semble judicieux.
Cependant, le problème qui se pose en ce qui concerne l'interprétation des articles 82.3 et 82.4, c'est que les formulations relatives à l'intention précise que l'on trouve dans le traité de la Convention internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire et qui portent sur le fait d'utiliser ou d'endommager une installation nucléaire ne sont pas reproduites dans le projet de loi S-9. Au lieu de cela, les articles 82.3 et 82.4 de la mesure législative ne font que supposer une intention générale. Pourquoi? Parce que — et il s'agit encore une fois d'un aspect très technique — dans les articles 82.3 et 82.4 proposés, les actes énoncés après les mots « commet » n’ont aucun lien avec l’intention précise dont il est question auparavant dans la disposition.
Dans le même ordre d'idées, l'amendement à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires concernant les actes dirigés contre les installations nucléaires comporte une exigence relative à l'intention, mais cet élément ne semble pas figurer dans le projet de loi S-9.
Pour revenir à la trop grande portée de cette mesure, voici un point que je qualifierais de problème évident, et il n'y a ni doutes ni débat à cet égard. L'approche choisie dans le projet de loi S-9 pour décrire les menaces constituant des actes criminels va au-delà de ce qu'exigent les conventions. On peut le voir clairement dans l'excellent résumé législatif fourni par la Bibliothèque du Parlement.
Enfin, une disposition du projet de loi S-9 parle des actes criminels commis dans le but d'obtenir une matière nucléaire ou radioactive ou un engin, alors que les dispositions de la convention fournissent une liste précise des types d'infractions liées à l'intention d'obtenir une matière ou un engin.
Nous avons élargi considérablement cette notion en l'appliquant à tous les actes criminels qui pourraient être commis, au lieu de nous en tenir aux infractions nommées spécifiquement dans les conventions: le vol, le vol qualifié, le détournement, l'obtention frauduleuse de matière nucléaire, et ainsi de suite.
Tout ceci est aussi aride que la députée de Gatineau l'avait prédit. Je tenais toutefois à en parler officiellement pour que ces observations puissent, lors de l'examen en comité, nous aider à déterminer s'il s'agit d'une interprétation juste et si c'est le cas, quelles mesures sont nécessaires.
Il est important de noter qu'en plus de la portée trop vaste accordée à certains éléments, le projet de loi S-9 a un effet multiplicateur, parce que plusieurs dispositions viennent se rattacher aux infractions. Il m'apparaît particulièrement important de mentionner quatre de ces éléments. Premièrement, l'extraterritorialité des infractions. Deuxièmement, la définition d'activité terroriste est rendue plus large en raison de tous les éléments qui s'y ajoutent. Troisièmement, la définition des infractions déclencherait l'application des dispositions sur la surveillance électronique prévues par le Code criminel; elle déclencherait aussi, quatrièmement, la disposition du Code criminel concernant les échantillons d'ADN.
Le problème, ce n'est pas que les infractions soient définies d'une manière plus large, ce qui pourrait paraître à certains comme une simple question de sémantique. Le problème, c'est l'effet combiné que tous ces changements peuvent avoir sur les autres dispositions que je viens de nommer. Cela crée un effet d'amplification.
J'ai mentionné qu'il pouvait y avoir ici une particularité singulière. Il pourrait y avoir un cas où le projet de loi S-9 ne va pas assez loin et limite les obligations qui nous incombent en vertu du traité, ce qui constituerait donc une violation dudit traité.
Aux termes du nouvel alinéa 7(1)d) de l'Amendement de la CPPMN, « le fait de commettre intentionnellement [...] un acte consistant à transporter, envoyer ou déplacer des matières nucléaires vers ou depuis un État sans l’autorisation requise » est un acte criminel. Toutefois, l'article 82.3 proposé dans le projet de loi S-9 rendrait l'infraction liée à l'importation et à l'exportation sujette aux dispositions relatives à l'intention de cet article, dispositions qui ne se trouvent pas à l'alinéa 7(1)d) de l'amendement. Peut-être que c'est moi qui interprète mal l'amendement ou l'intention du projet de loi S-9, mais il est possible que le projet de loi soit trop restrictif à cet égard.
Tout cela pour dire que le comité devra porter attention à la façon dont cette mesure législative a été rédigée pour déterminer si elle est assez rigoureuse, surtout compte tenu du fait que la secrétaire parlementaire a répondu de façon assez générale aux questions qui viennent de lui être posées. On ne sait pas exactement si le gouvernement comprend bien ces problèmes, malgré le fait que certaines de ces questions ont déjà été posées au Sénat.
J'aimerais dire quelques mots au sujet de la démocratie parlementaire dans le contexte de ce projet de loi. Certains penseront que je fais allusion au fait que ce projet de loi a été présenté initialement au Sénat, l'autre Chambre, non élue, du Parlement. En réalité, ce n'est pas cela qui me dérange le plus. Le fait que projet de loi S-7, dont nous avons commencé à débattre plus tôt aujourd'hui, ait d'abord été présenté au Sénat me préoccupe beaucoup plus, et cela constitue un affront à la Chambre.
Je m'entends parler depuis 10 minutes et je sais que le projet de loi S-9 est de nature très technique. Il peut fort bien se révéler fructueux de présenter ce type de projet de loi au Sénat d'abord afin que la Chambre profite d'un certain nettoyage préliminaire et n'aie pas à consacrer trop de temps à l'étude de la mesure. Le fait que le Sénat ait repéré l'omission de l'infraction relative à la fabrication d'un instrument prouve peut-être ce que je dis, du moins en partie.
Ma préoccupation immédiate à l'égard de la démocratie n'est pas liée au Sénat. Elle concerne plutôt les moyens qui sont utilisés au Parlement pour mettre en oeuvre les traités et les lois. Je le répète, je ne parle pas du fouillis que nombre d'entre nous connaissent en ce qui concerne le manque d'uniformité qui caractérise la rédaction des lois visant à mettre en oeuvre un traité.
Selon un article d'une revue de droit que j'ai lu il y a quelque temps, les méthodes employées dépassent largement la douzaine, allant de la reproduction textuelle du libellé d'un traité jusqu'à un langage très général ne faisant même pas allusion à la présence d'un traité sous-jacent ayant motivé la modification de la loi. Bien qu'il s'agisse d'une question importante et que celle-ci concerne directement la manière dont la portée du projet de loi S-9 puisse être trop large à certains égards, j'y reviendrai une autre fois.
Voici donc le véritable objet de ma préoccupation.
Ce dont je veux discuter se rapporte beaucoup plus à la procédure. La façon dont les projets de loi sont déposés, dont ils sont présentés et dont ils franchissent les différentes étapes constitue pratiquement un simulacre du double objectif de transparence et de responsabilité. Le Parlement, et, par conséquent, le public canadien, doit se voir offrir toutes les occasions et tous les outils possibles pour comprendre exactement ce que comporte un projet de loi et, dans le présent contexte, le lien entre ce contenu et un traité ou tout autre instrument international sous-jacent, telle une résolution du Conseil de sécurité.
Toutefois, ce n'est pas ce qui se produit ici au Canada. Les projets de loi visant à remplir les obligations du Canada aux termes d'un traité sont presque toujours flanqués sur le bureau de la Chambre ou du Sénat sans aucune forme d'aperçu, ou encore moins de plan de travail, de la part du gouvernement énonçant en quoi les dispositions de la mesure législative s'alignent sur les dispositions du traité. Les parlementaires se retrouvent à lire un projet de loi comme s'il s'agissait d'un casse-tête qu'ils doivent résoudre. Ils retracent d'abord le traité pertinent puis tentent de faire les rapprochements entre celui-ci et la mesure législative. Le gouvernement ne leur fournit pas la moindre assistance. Il serait facile de fournir, dans une note explicative, des tableaux reprenant le libellé côte à côte, de manière à faciliter l'exercice du devoir d'examen critique efficace du Parlement.
À la place, une précieuse énergie est gaspillée à l'étape préliminaire pour saisir la relation entre le libellé de la mesure législative et celui du traité. Comme le savent certains députés, je parle non seulement en tant qu'ancien professeur de droit mais aussi en tant que spécialiste du droit international depuis plus de 20 ans. Ainsi, s'il y a quelqu'un de bien placé pour résoudre le casse-tête, c'est bien une personne qui possède une formation et une expérience comme les miennes. Or, même moi j'y parviens difficilement.
Mais, surtout, je trouve qu'une telle démarche est non démocratique. En effet, tout ce qui rend inaccessible sans raison le contenu des mesures législatives nuit à une analyse claire et approfondie de la part des parlementaires, et gêne le débat entre ces derniers. De même, les journalistes et la population en général auront de la difficulté à saisir de quoi il s'agit s'il n'existe aucun document bien rédigé qui facilite la compréhension du sujet de l'analyse et du débat. L'examen démocratique s'en voit compromis à de nombreux égards, et le fossé entre le Parlement et la société s'élargit.
Sans m'attarder davantage sur les rouages d'un système idéal où les projets de loi de mise oeuvre de traités seraient limpides et présentés de façon transparente, ce qui n'est pas le cas de celui qui nous occupe, je dirai que le gouvernement devrait, à tout le moins, être tenu d'accompagner le projet de loi d'un document qui remplirait au moins les trois fonctions suivantes.
D'abord, le document devrait présenter le texte du traité et celui du projet de loi côte à côte, afin d'indiquer clairement ce que l'on entend mettre en oeuvre avec le projet de loi.
Ensuite, la méthode choisie pour la mise en oeuvre devrait être expliquée et justifiée dans le document. Par exemple, si des termes généraux sont employés ou si le texte du traité est repris presque mot pour mot mais pas tout à fait, nous devons savoir pourquoi une telle décision a été prise.
Finalement, le document devrait indiquer clairement ce qui n'est pas inclus dans le projet de loi, soit parce que le point en question est déjà couvert par la loi canadienne, que les dispositions du traité s'appliquent uniquement au plan international ou que la question relève d'un législature provinciale.
Pour voir qu'il ne s'agit pas d'une protestation obstinée, il suffit de considérer à quel point même les projets de loi les plus simples sont opaques lorsqu'ils sont présentés au Parlement. Tout le monde le sait. On a peine à comprendre la loi qui est modifiée. On peut songer aussi aux projets de loi d'exécution du budget, qui sont loin de satisfaire aux lignes directrices de l'OCDE en matière de transparence.
Dans ce contexte, le but premier de mon intervention est d'attirer l'attention sur un problème de procédure qui concerne la façon dont le Parlement rend des comptes, un problème parmi tant d'autres dans nos manières de traiter les projets de loi.