Bonjour à tous. Je vous remercie de me fournir l'occasion de vous parler de la danse à Calgary, de la danse jazz et de notre compagnie.
Decidedly Jazz Danceworks (DJD) a été créée en 1984 à l'Université de Calgary. Vicki Adams Willis avait mis sur pied l'un des seuls programmes de danse jazz offerts dans une université canadienne et avait deux finissantes qui souhaitaient pouvoir continuer à se livrer à leur passion sans avoir à déménager. Elles ont convaincu Vicki de se joindre à elles pour lancer une compagnie de danse. Pendant les premières années, DJD était une troupe à temps partiel qui fonctionnait au moyen de subventions pour l'emploi d'été. Elles rêvaient de pouvoir embaucher 10 danseurs 10 mois par année pour qu'ils s'entraînent à temps plein et présentent des spectacles.
En 1987, la compagnie a soumis une demande au Programme de planification de l'emploi, une stratégie canadienne qui n'était pas destinée à ce genre de projet. Malgré tout, la demande bien étayée par une foule de lettres de recommandation de la collectivité a finalement été acceptée. Ce fut la rampe de lancement qui nous a permis de devenir une compagnie de danse à temps plein. Qui aurait pu s'imaginer à l'époque que, 29 ans plus tard, nous travaillerions en partenariat avec la Calgary Foundation pour construire un centre de 43 millions de dollars?
À sa 31e année d'existence, DJD dispose maintenant d'un budget annuel de fonctionnement allant de 2 à 2,5 millions de dollars. Cinquante pour cent des sommes que nous dépensons vont directement à des gens: danseurs, personnel administratif, professeurs, musiciens, designers et techniciens de scène.
DJD a comme objectif fondamental de permettre à des danseurs de travailler. Nous souhaitons ainsi faire travailler de 8 à 12 danseurs à temps plein pendant une période de 32 à 42 semaines. Nous investissons dans leur formation et leur perfectionnement. Malheureusement, nous avons dû au cours des cinq dernières années réduire la taille de notre troupe et le nombre de semaines de travail. C'est directement attribuable au fait que notre budget de fonctionnement n'augmente pas, alors que nos frais d'exploitation ne cessent de grimper.
Comme nous devons composer avec une pénurie chronique de danseurs masculins, il nous arrive souvent d'embaucher des Américains, des Cubains, des Jamaïcains et des Brésiliens. Nous avions ainsi un danseur brésilien pour la saison qui vient de prendre fin. Étant donné que notre style est unique, il est rare que nous puissions embaucher un danseur dont le niveau est supérieur à celui d' « apprenti » selon nos critères. Il faut savoir que, suivant ces critères, un apprenti est quelqu'un qui s'entraîne depuis des années, qui a fait de la danse professionnelle et qui, bien souvent, a une formation postsecondaire en danse. Nous devons offrir à ces danseurs ce que Service Canada considère être le salaire courant. En 2014, c'était 17 $ l'heure. Cette année, lorsque nous avons amorcé le processus pour renouveler son permis de travail, le salaire courant était établi à 25 $ l'heure, une hausse draconienne totalement injustifiée, si on considère les salaires versés par notre troupe ainsi que par l'Alberta Ballet et les autres compagnies de danse auprès desquelles nous avons fait des vérifications.
Nous pourrions montrer que les données utilisées étaient inexactes, mais le processus ne nous permet pas de contester le salaire courant établi. Si nous ne sommes pas en mesure de verser un tel salaire, notre demande est rejetée. Il va donc nous manquer un danseur masculin pour la prochaine saison et nous aurons perdu les investissements consentis pour former ce danseur brésilien.
J'aimerais parler brièvement des salaires de nos danseurs et danseuses. Précisons d'abord et avant tout que nous avons pour principe de fixer le salaire de tous nos employés en fonction de ce que nous versons à un danseur. La rémunération de nos danseurs est établie à partir de comparaisons avec trois ou quatre autres compagnies de danse contemporaine au Canada. Dans une ville comme Calgary, vous pouvez vous imaginer à quel point il est difficile de combler certains de nos postes en marketing et développement avec des enveloppes salariales aussi réduites.
Malheureusement, les gens à la recherche de salaires élevés ne vont pas choisir le secteur des arts. Nos apprentis touchent 595 $ par semaine, soit 17 $ l'heure, ce qui donne un salaire net à la quinzaine de 978 $. Pour un danseur possédant cinq années d'expérience, nous versons 22 $ l'heure, soit 770 $ par semaine pour un salaire net à la quinzaine de 1 223 $. Nous assumons tous les frais associés aux assurances pour les soins de santé, les soins dentaires et l'invalidité à court terme.
Vous pouvez comprendre qu'il est plus que difficile pour nos danseurs de joindre les deux bouts dans une ville comme Calgary où le loyer moyen d'un appartement de deux chambres atteint 1 409 $. Dans le contexte actuel de nos frais d'exploitation qui augmentent, contrairement à nos subventions de fonctionnement qui diminuent même dans certains cas, sans compter les levées de fonds de plus en plus difficiles depuis 2008, il nous est impossible de hausser les salaires de façon significative.
Comme vous le savez peut-être, le jazz est une forme d'expression artistique résolument nord-américaine. La danse jazz a vu le jour en Amérique du Nord à la faveur de la fusion de formes artistiques européennes et de traditions africaines de chant et de danse que les esclaves ont amenées avec eux. DJD invite le public et les étudiants à voir comment le jazz peut façonner les mouvements et les sensations, à explorer les liens entre expression personnelle et collaboration, et à bouger eux-mêmes.
Nous nous efforçons de rendre la danse accessible à tous, c'est-à-dire aussi bien au danseur professionnel qu'au grand public. Nous y parvenons en présentant des spectacles mais également, ce qui est tout aussi important, par le truchement de l'éducation et du rayonnement communautaire. Nous offrons des cours pour les gens de tous les niveaux et de toutes les catégories d'âge, de 2 à 90 ans. Nous sommes actifs au sein du système scolaire. Nous travaillons avec des écoles pour élèves ayant des besoins particuliers et d'autres groupes spéciaux comme les gens souffrant de la maladie de Parkinson et les femmes tentant de s'affranchir de problèmes de dépendance.
DJD offre l'un des seuls programmes de formation professionnelle en danse jazz au Canada. À ce titre, je pourrais vous citer Darwin Prioleau de la faculté de danse de SUNY Brockport à New York: « Qui aurait pensé qu'il faudrait que je me rende jusqu'à Calgary (Alberta) au Canada?... C'est le seul endroit en Amérique du Nord où l'on enseigne le jazz authentique. »
Cette année, 12 étudiants de différentes régions du Canada ont suivi pendant 32 semaines notre programme de formation professionnelle. Nous avons un partenariat avec l'Université de Calgary et Ryerson, et nous rêvons de pouvoir élargir ce programme, une fois installés dans notre nouveau centre. Nous nous sommes informés des possibilités de financement dans le cadre du Fonds canadien pour la formation dans le secteur des arts, mais il semblerait que ce programme soit déjà fortement sollicité et qu'il y ait peu de chances que l'on puisse accepter de nouvelles demandes.
DJD a déménagé dans ses installations actuelles en 1993. Nous payions alors un loyer annuel de 30 000 $ pour une superficie de 9 500 pieds carrés. Depuis, notre loyer a doublé tous les cinq ans. Lorsque le loyer a atteint 140 000 $, ce qui était encore inférieur au prix du marché, nous avions déjà optimisé toutes les perspectives d'augmentation de revenus que pouvaient nous offrir nos cours. Pour éviter d'avoir à mettre la clé dans la porte, il nous fallait absolument régler nos problèmes de locaux et, dans un monde idéal, nous associer à un propriétaire à l'esprit philanthropique.
En 2005, nous avons amorcé les discussions avec la Kahanoff Foundation qui envisageait d'agrandir son centre unique en son genre du fait qu'il louait des locaux à des organisations caritatives à 75 % du prix du marché au centre-ville de Calgary. On nous avait alors invités à participer au projet d'agrandissement. Ce fut une aventure de 10 ans où les embûches n'ont pas manqué. Les projets de cette envergure sont un peu comme un château de cartes; de nombreux partenaires sont nécessaires pour qu'ils se concrétisent, et le soutien de l'un peut être dépendant de celui de l'autre, sans compter qu'il faut composer avec différents exercices budgétaires.
Il y a donc plusieurs variables qui entrent en jeu, mais je suis fière de pouvoir vous dire que le nouveau centre de danse DJD ouvrira ses portes en avril 2016 en ayant respecté son budget et son échéancier. Ce centre de 40 000 pieds carrés servira de porte d'entrée à un édifice de 12 étages. Notre compagnie occupera les cinq premiers étages. On y trouvera sept studios, dont un pouvant se convertir en salle de spectacle de 200 places, un espace communautaire, un local pour la fabrication des costumes et des bureaux pour l'administration. Le centre offrira des espaces beaucoup plus grands à DJD et, ce qui est plus important encore, deviendra un véritable carrefour culturel pour Calgary et un foyer pour la danse.
DJD doit contribuer à l'investissement en capital à hauteur de 26 millions de dollars. Nous avons recueilli jusqu'à maintenant 23 millions de dollars et entamé le sprint final pour trouver les 3 millions qui manquent. À ce sujet, je dois avouer que je m'inquiète un peu des répercussions du ralentissement économique qui touche Calgary.
La planification de notre avenir financier doit essentiellement passer par l'établissement d'un fonds de dotation. La possibilité de subventions publiques égalant leurs contributions dans le cadre du programme Incitatifs aux fonds de dotation est une source de motivation importante pour les donateurs. Nos villes ont besoin d'organisations artistiques fortes et dynamiques. Il nous faut un financement stable pour continuer à faire sentir notre présence dans nos collectivités. Plus souvent qu'autrement, nous sommes de petites organisations qui devons mettre les bouchées doubles avec des ressources très limitées pour accomplir ce que nous faisons.
À titre de directrice exécutive d'une entreprise de 2 millions de dollars ayant un personnel administratif réduit, je peux vous dire qu'il est plus avantageux pour nous de pouvoir compter sur une base stable de fonds d'exploitation que de devoir faire appel à un large éventail de programmes de subventions que nous devons trouver et solliciter en espérant une réponse positive.
À l'approche du 150e anniversaire du Canada que nous devons effectivement prendre le temps de souligner, nous entendons mettre en valeur notre culture et nos arts, car c'est ce qui nous définit en tant que société. Parallèlement à ces célébrations, je vous encouragerais toutefois à manifester concrètement votre engagement à assurer l'avenir de notre secteur en consentant les importants investissements nécessaires pour que nos organisations puissent demeurer saines et dynamiques. Nous devons nous occuper de nos artistes, assurer leur formation et leur fournir de l'emploi.
J'ai eu le plaisir d'entendre récemment Zita Cobb, l'instigatrice de la revitalisation de l'île Fogo à Terre-Neuve, et il y a une de ses observations qui m'a frappée: « La nature et la culture revêtent un caractère essentiel pour la vie humaine. »
Je vous remercie.