Merci beaucoup de me permettre de vous présenter le point de vue du Centre de toxicomanie et de santé mentale, le plus grand hôpital pour les maladies psychiatriques.
Je voudrais commencer par une définition de « dépendance » étant donné qu'on nous a demandé de parler des dépendances. En général, ce terme comprend les toxicomanies, mais aussi, depuis plus récemment, les troubles liés aux paris et aux jeux. Par exemple, le DSM-5 et le CIM-11 actuellement en préparation incluront également ce genre de troubles.
Si vous prenez l'ensemble des dépendances, nous devons dire que l'abus d'alcool représente la dépendance la plus répandue. Le tabagisme soulève un point d'interrogation, car les troubles qui y sont liés ne sont généralement pas évalués dans les enquêtes auprès de la population générale comme l'ESCC. Pour ce qui est du nombre de personnes touchées par des dépendances, l'alcool arrive encore au premier rang. Au Canada, environ un homme sur vingt — et c'est pour tous les groupes d'âge — présente des troubles liés à la consommation d'alcool et ce taux est de 1,7 % pour les femmes.
Les troubles liés à la consommation de cannabis représentent la deuxième dépendance la plus importante et pour toutes les autres dépendances à la drogue, le taux est d'environ la moitié de celui du cannabis, soit à peu près 0,7 %. Là encore, la prévalence est plus importante pour les hommes que pour les femmes par un facteur de 2:1 pour la plupart de ces dépendances.
Pour ce qui est des méfaits, un grand nombre de troubles résultant des substances licites sont associés à beaucoup plus [Note de la rédaction: inaudible] sur le plan de la mortalité et de la morbidité, mais aussi de l'invalidité que les substances illégales. Et toutes ces dépendances sont fortement associées à d'autres troubles mentaux. Cela veut dire qu'en général, elles s'accompagnent de troubles de l'humeur. Environ une personne sur cinq ayant une dépendance présente en même temps des troubles de l'humeur et si vous incluez les troubles anxieux généralisés, ils touchent environ une personne sur dix. Bien entendu, les troubles de l'humeur sont ce que nous appelons normalement la dépression et comprennent toute une gamme d'états dépressifs.
Pour passer à vos questions concernant la stratégie sur la santé mentale et la façon dont les dépendances sont traitées, dans l'ensemble, les dépendances sont couvertes par la stratégie sur la santé mentale, et il y a beaucoup de choses très importantes à dire à leur sujet. Néanmoins, en pratique, si vous examinez les politiques nationales et les approches stratégiques, vous verrez que beaucoup de choses ont été réglementées par la Stratégie nationale antidrogue du gouvernement du Canada et que cela entraîne un conflit d'objectifs et un conflit entre les principales approches.
Lorsque nous examinons la Stratégie nationale antidrogue, l'ajout récent de l'usage non médical d'opiacés délivrés sur ordonnance et l'usage non médical d'autres drogues est un pas dans la bonne voie. Comme vous l'avez entendu dire dans le premier témoignage, bien entendu, c'est en partie le résultat de dépendances causées par le système médical.
Néanmoins, les deux substances les plus coûteuses du point de vue de la santé et de l'économie sont le tabac et l'alcool qui restent entièrement en dehors de la stratégie. Même si c'est un problème de moindre envergure et moins coûteux, je mentionnerai de nouveau que les paris et les jeux ne sont pas non plus inclus dans la Stratégie nationale antidrogue.
Nous soulignons que toutes les dépendances et les toxicomanies devraient être considérées comme des problèmes de santé et faire l'objet d'une approche de santé publique. Cela veut dire que nous devrions avoir pour les drogues illicites une approche reposant sur quatre piliers, soit la prévention, la réduction des méfaits, le traitement et l'application de la loi. Le même principe s'applique aux substances licites.
Nous devons dire également que l'approche en cours au Canada à l'égard des substances illicites est trop axée sur la répression. Autrement dit, si nous examinons l'équilibre entre une approche reposant sur quatre piliers et l'approche canadienne actuelle, la balance penche du côté de la répression, tant en ce qui concerne l'argent dépensé que les efforts globaux de la société. Il faudrait ajouter à cela la réduction des méfaits, une approche qui est entièrement absente actuellement. Plus le Canada pourra orienter son approche globale vers la sphère de la santé publique, meilleures seront nos chances de réduire les méfaits globaux.
Pour répondre à la première question, je résumerais en disant qu'au Canada, il faudrait aborder les dépendances avec une approche de santé publique, plus ou moins comme nous l'avons vu dans le cas de la stratégie sur la santé mentale. Si nous adoptons l'approche de la santé publique, nous aurons à modifier certaines choses dans la Stratégie nationale antidrogue, mais nous serons récompensés par de meilleures stratégies pour s'attaquer aux dépendances et réduire les méfaits qui y sont reliés.
Dans la deuxième partie de mon exposé, je voudrais examiner la question de la stigmatisation. Vous avez parlé de la stigmatisation à l'égard des dépendances et malheureusement, la dépendance entraîne une forte stigmatisation dans notre société. Nous ne sommes pas le seul cas au monde. Les dépendances sont les troubles mentaux les plus stigmatisés dans tous les pays riches, en Amérique du Nord, en Europe et au Japon.
D'après les enquêtes, nous savons que même si la stigmatisation globale associée à la santé mentale a diminué au cours des dernières décennies, pour ce qui est des dépendances, ce n'est malheureusement pas le cas. Les personnes qui ont des dépendances sont jugées imprévisibles et dangereuses. En général, les gens considèrent qu'elles ont une moralité défaillante et sont seules responsables de leur assuétude. Bien entendu, cela pose un problème non seulement pour les intéressés, mais aussi pour le système de soins de santé dans son ensemble, car de tous les troubles mentaux, ce sont ceux pour lesquels le taux de traitement est le plus bas.
Le taux de traitement des troubles mentaux reste en dessous du taux de traitement des troubles somatiques, mais le taux est particulièrement bas pour les dépendances. Par exemple, pour les troubles liés à la consommation d'alcool, seulement une personne sur dix reçoit un traitement adéquat ou est soignée en Ontario.
Un facteur qui y contribue est notre tendance à voir le monde en noir et blanc, généralement à considérer qu'une personne est malade ou n'est pas malade et non pas comme un continuum. Malheureusement, à cause de cette approche dichotomique qui ne voit pas la dépendance comme une forte consommation de substance au fil du temps, comme une étape d'un continuum — que nous partageons tous — ces personnes sont plus stigmatisées et davantage exclues de notre société. Elles ne cherchent donc pas à se faire soigner, parce qu'elles ne veulent pas avoir à reconnaître leur dépendance. Cela entraîne des problèmes dans tout le système de santé, autant dans les soins primaires que les soins spécialisés.
La stigmatisation fait obstacle à un continuum de soins sans faille et cela fait partie des problèmes touchant les dépendances.
Je vais m'arrêter là. Je dispose de 10 minutes et comme je les ai utilisées, je voudrais simplement résumer.
Toutes les dépendances devraient être considérées comme un problème de santé publique et être abordées du point de vue de la santé publique. La stigmatisation est l'un des principaux obstacles, non seulement pour la santé mentale en général, mais également pour le traitement des dépendances.
Merci beaucoup.