Merci de m'avoir invité à comparaître devant vous.
L'infrastructure semble connaître son heure de gloire, ici, au Canada, de même qu'à l'étranger. Elle semble être sur les lèvres des médias et des dirigeants politiques et retenir l'attention des politiciens et du public. On s'intéresse beaucoup à cette question.
Lorsqu'il s'agit d'infrastructure pour le gouvernement, en réalité, il a deux principaux points de décision. L'un consiste à déterminer quels projets de construction mettre en oeuvre, et le deuxième consiste à déterminer comment l'approvisionnement devrait être effectué pour ces projets. Je veux aborder ces deux sujets brièvement pendant les 10 minutes qui me sont accordées.
En ce qui concerne les projets de construction à mettre en oeuvre, nous avons grand besoin d'infrastructures dans toutes les régions de notre pays. Nous allons dépenser des milliards et des milliards de dollars au cours de la prochaine décennie. Selon moi, la clé — et peut-être que cela va sans dire, mais je vais tout de même le dire —, c'est que nous devons choisir les bons projets.
On a l'impression que la construction de toute infrastructure a de la valeur, mais, en réalité, pour tirer la plus grande valeur sociale et la plus grande valeur communautaire de ces projets, il nous faut les mécanismes nécessaires pour choisir les bons projets. Si on investit dans des projets qui ne donnent pas les résultats escomptés ou qui ne sont pas vraiment prioritaires, on peut gaspiller de l'argent public. L'infrastructure devra être entretenue pendant des décennies. En outre, il est possible qu'on perde confiance en la capacité de nos dirigeants de régler les problèmes.
Alors, nous commençons par choisir les bons projets, puis — deuxièmement —, nous nous concentrons non seulement sur les nouveaux projets, mais aussi sur l'exploitation et l'entretien des infrastructures. Une fois qu'on les a construites, elles sont dans nos collectivités pour des décennies à venir. Elles doivent être entretenues. Cela coûte de l'argent. J'ai entendu certaines estimations selon lesquelles le coût de la construction ne compte que pour 20 % du coût total lié au cycle de vie d'un projet. La part des coûts ultérieurs pourrait aller jusqu'à 80 % seulement en ce qui a trait à l'exploitation et à l'entretien de ces infrastructures. Il s'agit de grosses sommes d'argent. Nous devons avoir accès aux fonds nécessaires pour poursuivre l'exploitation de ces infrastructures et les garder en bon état. Une fois qu'on les laisse se détériorer, les coûts se mettent vraiment à augmenter de façon exponentielle.
Laissez-moi maintenant passer à la façon dont nous devons procéder à l'approvisionnement de ces projets. À ce chapitre, je veux aborder précisément les partenariats public-privé, qui ont fait l'objet de la plus grande part de mes recherches.
De façon générale, les partenariats public-privé comptent pour une petite fraction de l'ensemble des infrastructures du pays. Ils sont généralement mieux adaptés aux très grands projets. Peut-être de 10 à 15 % des investissements dans les infrastructures sont effectués dans le cadre de partenariats public-privé, mais il s'agit également des projets les plus importants, les plus médiatisés et les plus coûteux réalisés dans notre pays. En général, il s'agit de chiffres allant de 50 à 100 millions de dollars et plus. Il s'agit de grands projets, et on accorde beaucoup d'attention à ces projets. Ainsi, ce sujet suscite beaucoup d'intérêt du point de vue de la façon dont nous pouvons réaliser ces grands projets efficacement
On a recours aux partenariats public-privé partout au pays. Environ 200 d'entre eux — peut-être un peu plus — sont soit terminés, soit à l'étape du processus d'approvisionnement.
Le sigle PPP désigne beaucoup de choses différentes, mais, essentiellement, il comporte trois éléments. Le premier, ce sont les étapes du processus qu'on fournit au secteur privé sous forme d'un forfait. Le secteur privé peut s'occuper de tout, de la conception à l'entretien, en passant par les finances et l'exploitation. Voilà un aspect, et les divers éléments peuvent varier. Plus le secteur privé assume des fonctions, plus il assume de responsabilités à l'égard de l'exécution du projet.
Le deuxième élément d'un partenariat public-privé est le risque et le fait de déterminer quels risques en particulier le secteur privé va assumer. Les risques importants sont liés à la construction, à la possibilité de dépassement de coûts et de retards; le risque lié à l'accessibilité et celui que l'installation ne va pas fonctionner comme prévu une fois qu'elle aura été inaugurée; et, enfin, le risque lié à la demande, celui que le projet ne génère pas les recettes prévues. Voilà les types de risques, et ils peuvent varier en fonction du partenariat public-privé.
Le dernier élément est le mécanisme de remboursement. Au moyen de quel mécanisme se fait-on rembourser? En réalité, il n'y en a que deux. On se fait rembourser soit par des frais d'utilisation et un péage direct, soit par des paiements de disponibilité, c'est-à-dire des paiements directs du gouvernement. Dans notre pays, on conclut dans le cas de la plupart des projets des ententes de type « paiement de disponibilité », où le gouvernement rembourse le partenaire privé entièrement au cours du projet. Ce que cela signifie — et c'est important —, c'est que les partenariats public-privé ne sont pas de l'argent neuf.
Dans le passé, un des buts qui motivaient le recours à des partenariats public-privé était l'apport d'argent neuf. Le secteur privé peut puiser dans l'argent privé pour payer l'infrastructure. Il s'avère que, compte tenu de la façon dont nous réalisons ces projets, maintenant — surtout grâce à des ententes de type « paiement de disponibilité » —, il ne s'agit pas d'argent neuf.
Alors, quelles sont les autres raisons pour lesquelles on pourrait le faire? En réalité, c'est une question d'optimisation des ressources. Pouvons-nous miser sur le secteur privé afin de réaliser de meilleurs projets que le gouvernement le pourrait à lui seul? Il peut s'agir de choses comme l'innovation apportée ou de l'entretien durant le cycle de vie, du fait que l'argent est en fait réservé dans le contrat pour l'entretien des infrastructures. Voilà un autre aspect qui est très important. Mais il y a aussi le transfert du risque, c'est-à-dire que les risques de dépassements majeurs des coûts sont transférés du gouvernement au secteur privé. C'est un autre domaine où les partenariats public-privé sont perçus comme une véritable occasion.
Pour ce qui est du rendement qu'ont offert ces projets, selon le bilan des partenariats public-privé établis ici, au Canada, je répartirais ces partenariats dans deux catégories: les premiers projets qui ont eu lieu jusqu'à probablement la fin des années 1990 ou jusqu'au début des années 2000; et la génération plus récente de ceux qui ont été établis au cours de la dernière décennie. Les infrastructures de la génération la plus récente ont habituellement été construites à temps et dans le respect du budget, ce qui est positif, alors il y a une certaine certitude quant aux coûts. Une fois que les infrastructures ont été opérationnelles, nous n'avons observé aucune défaillance majeure, aucune renégociation majeure des contrats, ni aucune faillite. Il s'agit d'une préoccupation en ce qui concerne les partenariats public-privé, mais nous n'avons pas vu cela.
Si je devais tenter d'expliquer pourquoi nous connaissons un certain degré de succès grâce aux PPP, ou partenariats public-privé, jusqu'ici, nous n'avons pas tendance à transférer le risque lié à la demande, que le secteur privé a beaucoup de difficulté à maîtriser. Il vaut mieux que ce risque soit maintenu par le gouvernement. Nous cherchons à utiliser les finances du secteur privé de façon stratégique, alors le gouvernement a reconnu qu'il devrait avoir recours aux finances privées afin de transférer le risque, mais pas comme façon de recueillir de l'argent neuf. En fin de compte, dans le cas de la plupart des projets, le gouvernement va rembourser presque tous les coûts de lui-même, alors il ne s'agit pas d'argent neuf.
Nous ne transférions habituellement pas l'exploitation au secteur privé. Ces partenariats servent surtout pour la conception, la construction, les finances et une partie de l'entretien du bien durable. Nous ne transférons pas l'exploitation de ce service, alors ces projets maintiennent une marge de manoeuvre gouvernementale qui, selon moi, est positive et suppose que nos ententes ne sont pas aussi rigides ou sujettes à la controverse et aux tensions que dans d'autres pays. Enfin, nous comptabilisons ces projets dans les livres, alors il s'agit d'un investissement figurant au bilan. Il ne s'agit pas d'un mirage comptable.
Bien que nous observions des partenariats public-privé fructueux ici, au Canada, je pense qu'il y a certains points et certaines questions à régler dont nous devons tenir compte.
Les partenariats public-privé ne sont pas un moyen bon marché de réaliser des infrastructures. De fait, ils coûtent cher d'emblée. Les coûts de construction sont plus élevés. Les coûts des transactions sont plus élevés. Ces coûts sont liés aux avocats, aux comptables et aux conseillers qui structurent ces ententes. Les coûts liés au financement du projet sont également beaucoup plus élevés. Le secteur privé emprunte de l'argent à des taux beaucoup plus élevés que ceux auxquels le gouvernement peut emprunter, alors ses coûts sont considérablement plus élevés. Le Bureau du vérificateur général de l'Ontario a mené une étude. Il a conclu que les projets réalisés en PPP coûtaient 8 milliards de dollars de plus que si le gouvernement les avait réalisés directement et avait géré efficacement le risque. C'est l'élément clé: la gestion efficace du risque, alors le gouvernement pourrait avoir épargné 8 milliards de dollars. C'est une question vraiment ouverte, mais il y a là des possibilités d'économies.
Du point de vue de la construction, des études effectuées en Europe ont conclu que les partenariats public-privé coûtent jusqu'à 25 % plus cher en ce qui a trait aux coûts initiaux en capital, alors on verse une prime. C'est comme acheter une police d'assurance contre des risques ultérieurs. En réalité, on paie une prime. Le problème, c'est que nous ne disposons pas de bonnes données qui permettraient de déterminer si cette prime présente réellement une valeur ou non. Il n'y a pas de données probantes sur les risques qui se sont concrétisés dans le cadre de projets passés. Aucune étude détaillée ne porte sur ce sujet. Je pense que c'est vraiment problématique parce que, même si nous pouvons dire que les projets réalisés en partenariats public-privé sont exécutés à temps et dans le respect du budget, pour la plupart, nous ne savons pas en comparaison avec quoi. Combien payons-nous pour cette prime d'assurance, et quelle valeur cette prime procure-t-elle? Le gouvernement ne pourrait-il pas en fait exécuter ce projet plus efficacement et gérer le risque au lieu de tenter de le transférer, car le transfert de risque se fait à un coût élevé?
Il y a certaines autres questions à soulever. La première est la perte de marge de manoeuvre stratégique. Lorsqu'on conclut ces contrats à long terme, cela peut poser de réels problèmes pour le gouvernement, qui doit modifier la façon dont l'installation est utilisée ou les taux qui sont facturés. Il y a toutes sortes d'autres problèmes. Nous pouvons perdre de la marge de manoeuvre. Cela a causé des tensions dans le cadre de projets internationaux. Nous en sommes encore pas mal à nos premières expériences en matière de partenariats public-privé, et, jusqu'ici, tout va bien, mais il faut que nous voyions les conséquences à long terme de ce problème de marge de manoeuvre.
Un autre problème dont je veux parler rapidement, c'est celui de leur « monopole ». Les partenariats public-privé sont une option, mais nous devons faire très attention de ne pas établir de structures qui en font la seule option accessible, surtout pour les municipalités qui tentent d'obtenir un financement des ordres de gouvernement supérieurs. Cela pose le problème potentiel que nous ayons recours aux partenariats public-privé non pas parce qu'ils nous en donnent pour notre argent, mais, en réalité, simplement parce que nous pouvons obtenir l'argent. Cela peut mener à de réels problèmes en ce qui a trait aux incitatifs et à des projets utilisés qui n'offrent pas nécessairement le meilleur rapport qualité-prix. Je pense que c'est très important, dans ce cas, que, lorsque nous avons des modèles de financement pour verser de l'argent aux municipalités — surtout, mais aussi aux provinces —, cet argent ne soit pas lié à un modèle précis. Les partenariats public-privé sont une option pour la réalisation d'infrastructures, mais ils doivent être utilisés dans le contexte idéal. Nous ne devrions pas choisir à l'avance afin que les gouvernements puissent avoir accès à l'argent. Cela peut vraiment mener à la possibilité de ne pas mener des études exactes sur les incitatifs et les raisons pour lesquelles nous avons recours à des partenariats public-privé.
Le dernier point concerne l'innovation et la conception, car nous avons beaucoup entendu parler de la façon dont ces projets sont structurés et stimulent l'innovation. Les questions sont les suivantes: quels sont les types d'innovation, et à qui profite l'innovation? Les types d'innovation que nous retrouvons habituellement sont liés aux moyens et aux méthodes de construction, des innovations consistant à trouver des façons de construire un immeuble plus petit, de les concevoir de sorte qu'ils permettent tout de même de fournir les services, tout en étant de plus petite taille, et ce, à moindre coût. Il s'agit en réalité d'innovations qui entraînent des économies de coûts.
Du point de vue de la conception de l'architecture et de ces types de questions pour les partenariats public-privé, ce qu'on observe, c'est qu'il s'agit habituellement de bâtiments assez moyens et pas nécessairement d'une architecture remarquable ni d'une excellente conception. Ce n'est pas nécessairement vrai dans tous les cas, mais c'est une observation générale. Les infrastructures réalisées en PPP n'ont pas remporté beaucoup de prix d'architecture majeurs. Ces immeubles ne se distinguent pas nécessairement au sein de votre collectivité.
Il n'est pas nécessaire que tous les immeubles soient distinctifs, mais ces installations sont des infrastructures publiques qui vont se trouver dans nos collectivités pour des décennies à venir. Nous devons nous assurer que la qualité de ces bâtiments, du point de vue de l'architecture de la conception, est au rendez-vous et la meilleure possible. C'est un autre aspect auquel nous devrions prêter attention, un facteur à vérifier.
Pour récapituler très rapidement, j'ai quelques recommandations à formuler. Je pense que nous devons procéder à des études du risque. Nous devons comprendre quelle est la valeur du transfert de ce risque. Nous payons d'emblée des cotisations élevées afin de transférer le risque au secteur privé, surtout pour la construction. Nous ne savons pas si nous en avons pour notre argent. Certes, le coût est important, mais il ne faut pas nécessairement le faire à tout prix. Le gouvernement pourrait être en mesurer de gérer le risque plutôt que de tout simplement le transférer, et ainsi économiser de l'argent pour les contribuables et les citoyens.
Nous devons établir une bureaucratie qui possède les compétences nécessaires pour analyser ces projets et y prendre part. Ce sont des projets compliqués. Par le fait même, je pense que nous devons nous concentrer sur les infrastructures en général, pas nécessairement uniquement sur les partenariats public-privé. À ce sujet, je dirais que, avec tout le respect que je dois à PPP Canada, je pense que l'organisation devrait être rebaptisée et élargie. On devrait la renommer en « Réalisation des infrastructures Canada ».
Nous devrions nous concentrer sur l'exécution efficace de tous les projets d'infrastructure, pas nécessairement les seuls partenariats public-privé, et sur le fait de se doter de mécanismes de financement qui sont axés sur un approvisionnement efficace, pas uniquement sur l'incitation aux partenariats public-privé. Il existe toutes sortes de types novateurs de modèles d'approvisionnement qui pourraient en donner pour leur argent aux Canadiens. Nous avons besoin d'un organisme qui stimule l'approvisionnement efficace et novateur, pas seulement les partenariats public-privé.
Le dernier point que je veux soulever, c'est que nous devons miser sur l'information et devenir des organisations analytiques. Les infrastructures et les partenariats public-privé sont une grande source de données. Nous devrions utiliser ces données pour évaluer systématiquement le rendement que nous offrent nos projets et pour mettre au point de nouveaux mécanismes et de nouveaux outils qui permettront de s'assurer que les infrastructures que nous construisons offrent le rendement escompté et que, dans l'avenir, nous instaurons les mécanismes qui sont les plus efficaces pour réaliser des projets avec succès.
Merci. Je vais en rester là.