Merci beaucoup.
C'est tout un honneur pour moi de témoigner devant un comité de la Chambre des communes. D'ailleurs, il n'y a pas de plus grand honneur pour un citoyen que d'avoir la chance de parler à ses représentants.
Mes observations sont fondées sur l'histoire économique canadienne. Comme toutes les personnes présentes ici, je m'intéresse à ce qui peut permettre d'améliorer la qualité de vie au Canada: bons emplois, croissance durable et prospérité commune.
Pour des motifs que j'espère pouvoir expliquer clairement, je désapprouve la politique commerciale canadienne, et ce, depuis environ 30 ans, pour des raisons semblables à celles qui ont mené le regretté sous-ministre délégué au Commerce international, le ministre Mitchell Sharp, de qui je relevais à mes débuts au ministère des Finances en 1966, à s'opposer à l'accord canado-américain. Pour les mêmes raisons qui l'ont mené à s'opposer à cet accord, je m'y suis également opposé. L'approche que je privilégie est le commerce multilatéral sectoriel. Je conçois mal une politique commerciale axée sur l'industrie et les associations commerciales, et j'ai des réserves au sujet du bilatéralisme.
Je veux faire trois brèves observations: premièrement, la politique commerciale doit suivre la politique économique, le type de politique industrielle dont parlait David Emerson dans son rapport, et non la définir; deuxièmement, la politique commerciale est fondamentalement liée à l'investissement — l'investissement canadien et l'industrie canadienne — et non aux exportations; et troisièmement, les négociations commerciales bilatérales sont coûteuses, car nous devons faire davantage de concessions dans ces négociations que dans les négociations multilatérales, où nous obtenons les avantages que les autres réussissent à négocier.
C'est une chose qui était vraiment très claire pour moi quand nous avons négocié l'ALENA. Je suis allé à Mexique environ trois fois pour discuter avec les Mexicains. Pour réussir au Mexique ou ailleurs, une entreprise a besoin d'un produit convoité. Elle a besoin de financement. Elle a besoin d'une infrastructure afin de livrer ses produits à temps. Aussi importante que puisse être la stratégie commerciale, elle ne peut rien faire de tout cela.
Les accords commerciaux ne créent pas les conditions propices à de bonnes relations entre les entreprises et le gouvernement. L'ancien économiste en chef au ministère du Commerce international, Dan Ciuriak, a parlé des « coûts irrécupérables » requis pour le commerce et des difficultés que connaissent de nombreuses petites et moyennes entreprises à ce chapitre. La fluctuation des taux de change crée des risques importants et peut-être des occasions temporaires.
Une politique économique fructueuse a besoin d'entreprises normalement très présentes sur le marché intérieur, à l'exception peut-être de l'industrie du divertissement, où l'on commence à l'étranger et on connaît ensuite du succès au pays. Les sociétés commerciales ont une base solide en recherche et développement, une capacité de production nationale, des installations de transport de qualité supérieure, des pratiques de production écologiques, des conditions de travail sécuritaires et de bonnes relations avec leurs syndicats. Ces sociétés devraient être l'objectif de la politique économique canadienne. Grâce à elles, nous pouvons réussir sur le plan international.
Ma deuxième observation, c'est que l'on dit souvent que l'exportation crée la prospérité, ce qui est vrai. Mais si c'est vrai, cela signifie-t-il que l'importation nuit à la prospérité? À la lecture du document sur les marchés mondiaux, j'ai cru comprendre que cela a davantage à voir avec la doctrine appelée le mercantilisme, selon laquelle si on a une forte présence à l'échelle internationale, on peut accumuler aujourd'hui — à l'époque, c'était de l'or — des profits tirés de l'exportation, et c'est ce qui correspond à la prospérité.
Le Canada a des sociétés rentables. D'ailleurs, les bénéfices non répartis — les liquidités, « l'argent mort », comme l'appelait Mark Carney — dépassent maintenant la dette nationale au Canada. J'ignore comment cela profite directement aux Canadiens.
Quand je pense aux exportations, j'en conclus qu'en fait, nous exportons afin de pouvoir importer. Nous pouvons fabriquer des téléviseurs ici, ou nous pouvons cultiver du blé et acheter des téléviseurs avec les profits. Pourquoi ferions-nous des échanges commerciaux si ce n'est pour importer des biens à valeur ajoutée? Le Canada s'est enrichi en exportant des produits nécessitant peu de main-d'oeuvre, comme le blé et le pétrole, et en important des produits à valeur ajoutée, comme les produits électroniques de consommation. Nous en avons payé le prix, en ce sens que notre taux de chômage a toujours été plus élevé qu'il aurait dû l'être et qu'il l'était par rapport aux États-Unis.
De plus, si nous exportons davantage, nous serons très vulnérables aux ralentissements dans le marché de l'exportation. Depuis l'époque du commerce des fourrures, chaque fois que le Canada a exporté des produits de première nécessité — et c'est devenu très rentable de le faire —, cela s'est terminé par un ralentissement majeur. Le ralentissement le plus important a eu lieu dans les années 1930, quand nous avons perdu le marché mondial du blé. La moitié des gens de la Saskatchewan ont perdu leur emploi, et les agriculteurs ont entrepris la marche sur Ottawa.
Le fondement des exportations, c'est l'investissement, et il y a eu très souvent au Canada des investissements étrangers importants, comme dans le bitume actuellement. Ces investissements étrangers doivent être appuyés par les ventes à l'étranger, ce qui nécessite des pipelines, des installations et des marchés dynamiques. Si, pour une raison ou pour une autre, ces marchés s'étiolent, il devient impossible d'assumer les coûts de ces investissements. L'ensemble de l'industrie est en grande difficulté, et l'ensemble de l'économie canadienne l'est aussi.
Lorsqu'on bâtit une économie sur la croissance des exportations en proportion du PIB, on devient de plus en plus vulnérable aux conditions économiques mondiales.
Tous les membres du comité connaissent bien le déficit courant du Canada, qui est apparu en 2008. Il était d'environ 60 milliards de dollars l'année dernière et l'année précédente, et il a atteint environ 275 milliards de dollars ces cinq dernières années. Ce sont nos déficits, services et revenus d'investissement, d'environ 25 milliards de dollars chacun, qui expliquent cette situation; ce problème doit être abordé dans le document relatif à la stratégie commerciale. Comment devons-nous faire face à notre déficit courant?
Actuellement, nous permettons au dollar canadien de chuter, ce qui aidera à équilibrer les comptes externes. Évidemment, en même temps, cela fait baisser le niveau de vie des Canadiens. Les exportateurs de ressources canadiennes obtiendront davantage en dollars canadiens pour leurs ventes en devises étrangères au même prix, mais les fusions et acquisitions — le magazine Maclean's en parlait ce matin — augmenteront également. Les gens de Hamilton se souviennent du jour où la U.S. Steel a acheté Stelco; elle a promis de maintenir 3 000 emplois, mais elle a ensuite mis fin aux activités de fabrication d'acier. Maintenant, il semble qu'elle va raviver l'économie.
Nous avons des problèmes liés à l'investissement étranger sur le plan du secteur des exportations, et en fait sur le plan de l'économie nationale. Nous sommes entrés dans un monde de sociétés mobiles qui cherchent à obtenir de la main-d'oeuvre au coût le plus bas possible, qui favorisent des mesures visant notamment à faire venir des travailleurs temporaires, à abaisser les salaires par des coupes dans l'assurance-emploi ou, comme on l'a fait dans le budget de 1995, à éliminer le régime d'assistance publique du Canada et, par conséquent, les fonds fédéraux consacrés à l'aide sociale. Ces mesures servent peut-être à réduire les salaires au Canada, mais elles ne renforcent pas nécessairement l'économie canadienne ni n'avantagent les exportateurs.
Les traités bilatéraux que le Canada a conclus avec les États-Unis ont donné aux entreprises américaines ce qu'elles voulaient: la protection des investissements à l'étranger, l'ouverture des marchés des services et du commerce, la protection des droits de propriété intellectuelle et le droit de poursuivre les gouvernements au Canada. Je doute que le Canada ait aussi bien réussi. Nous avons toujours les mêmes lois protectionnistes. Nous avons cédé beaucoup d'outils stratégiques pour l'amélioration et la transformation des matières premières. Nous avons cédé les marchés publics. Nous avons cédé les taxes à l'exportation. Nous avons cédé les programmes propres aux secteurs autres que la sécurité nationale ou, ironiquement, l'énergie.
J'ai lu les mémoires de Jean Chrétien, dans lesquelles il parlait de la stratégie de bas prix de l'industrie du tourisme. Nos partenaires de libre-échange exigent maintenant que les citoyens américains présentent leur passeport américain lorsqu'ils retournent aux États-Unis, et cela fait très mal à l'industrie touristique canadienne sur le plan des recettes en devises étrangères provenant du tourisme. Je vis à Québec. L'hôtel des touristes américains, Le Concorde, est fermé; pourtant, Québec est une destination touristique de calibre mondial.
En ce qui concerne les goulots d'étranglement, les traités commerciaux ne permettent pas de construire un pont vers Détroit ni d'ailleurs de construire un pipeline Keystone XL; je dirai donc que la politique commerciale doit être fondée sur une stratégie permettant d'assurer un mécanisme d'investissement au Canada. Les investissements canadiens, pour la plupart des exclusivités mondiales, donnent des résultats pour l'industrie aérospatiale, comme l'a souligné David Emerson dans son rapport, mais ils ne semblent pas donner d'aussi bons résultats dans d'autres secteurs, ce qui est dommage.
Pour terminer, permettez-moi de vous parler brièvement des accords commerciaux multilatéraux, que le Canada a inventés dans les années 1930, avant la Seconde Guerre mondiale, dans les Accords d'Ottawa.
Après l'échec de l'Organisation mondiale du commerce au Congrès, il y a eu l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, et à la suite de la Seconde Guerre mondiale, les droits de douane sur les produits industriels s'élevaient à près de 50 %. Nous les avons négociés à la baisse — à moins de 10 % — dans le cadre des négociations bilatérales. Lors de ces négociations, étant donné que 80 % des exportations canadiennes étaient destinées aux États-Unis et que 60 % — c'est maintenant 50 % — des importations au Canada provenaient des États-Unis, la plupart de nos concessions ont été accordées aux États-Unis, et nous avons dû faire des concessions importantes afin d'augmenter notre part de marché aux États-Unis.
Puis, les Américains, pour qui le marché canadien représentait 20 % — et maintenant 15 % —, ont dû négocier et faire des concessions à d'autres pays pour 85 % de leur marché national. En vertu de la politique relative à la nation la plus favorisée, le Canada a pu profiter de chacune de ces concessions, indépendamment du prix qu'il a dû payer pour obtenir des concessions sur le plan bilatéral.
Je terminerai en disant que les avantages du commerce multilatéral dans les négociations avec d'autres pays sont considérables et qu'ils devraient être prioritaires pour la politique commerciale du Canada.
Merci beaucoup.