Monsieur le Président, je suis heureux d'être ici cet après-midi pour participer à ce débat. Il s'agit d'une question extrêmement importante pour les Canadiens. Ce sont des mesures que les conservateurs tardent à mettre en place depuis maintenant près d'une décennie et qui sont mises à l'avant-plan depuis les événements tragiques de Lac-Mégantic qui ont coûté la vie à un grand nombre de personnes innocentes et qui ont affecté leur famille. D'ailleurs, c'est toute la collectivité qui a été détruite.
C'est ce dur rappel à la réalité qui a amené le gouvernement à réagir. Le débat d'aujourd'hui porte en fait sur la façon dont le gouvernement a réagi. Nous avons vu les mesures arriver au compte-gouttes sous forme de projets de loi et de modifications techniques et réglementaires. Le projet de loi dont nous sommes saisis s'inscrit dans ce processus.
Premièrement, il est important de prendre un peu de recul et de rappeler aux Canadiens l'objectif réel de ce projet de loi. Il s'agit de changer la façon d'établir les niveaux minimaux d’assurance pour les compagnies de chemin de fer sous réglementation fédérale. Deuxièmement, il vise à créer un nouveau fonds d’indemnisation qui couvrirait les dommages subis lors d’accidents ferroviaires dans le contexte du transport non pas de toutes les marchandises dangereuses, mais de certaines de ces marchandises. Voilà l'objectif réel de ce projet de loi.
Lorsque le secrétaire parlementaire de la ministre des Transports a pris la parole il y a un instant, il a dit que le gouvernement est absolument convaincu que le montant qu'il demande à l'industrie de fournir comme garantie et de verser au fonds d'indemnisation est suffisant. J'aimerais qu'il nous dise comment il peut en être aussi sûr. Nous avons demandé à la ministre, au secrétaire parlementaire, aux fonctionnaires de Transports Canada, à l'Association canadienne des producteurs pétroliers, à l'Association des chemins de fer du Canada, à l'Association canadienne des chefs de pompiers et à d'autres intervenants de nous indiquer à combien s'élèvent les coûts liés aux événements tragiques de Lac-Mégantic jusqu'à présent. Nous attendons toujours la réponse.
Selon la mairesse de Lac-Mégantic, les dommages se chiffrent à au moins 500 millions de dollars. Un demi-milliard de dollars pour un accident survenu dans une petite ville. Des spécialistes en écologie nous ont dit que les coûts auraient été bien supérieurs, n'eût été la couche naturelle de glaise dans le sous-sol de l'endroit, qui a empêché l'infiltration des combustibles fossiles dans la formation aquifère en dessous, ce qui aurait causé des dommages incalculables à l'écosystème naturel de la région. Ainsi, quand le gouvernement soutient qu'il détient la vérité et qu'il affirme qu'un montant de 1 ou 1,5 milliard de dollars est suffisant, une question me vient à l'esprit. Qu'arrivera-t-il si, Dieu nous en garde, un accident comme celui de Lac-Mégantic survient au centre-ville de Toronto, de Montréal, d'Edmonton, d'Ottawa ou de Vancouver? Je pense que les conservateurs tiendraient un tout autre discours.
Je soulève la question sans ambages en début d'intervention, afin de montrer combien, au cours des dernières années, le gouvernement a usé de subterfuges et de ruses, et a manqué de transparence envers les Canadiens dans le dossier de la sécurité ferroviaire. Ce n'est pas étonnant. Les Canadiens doivent d'abord se rappeler que l'actuelle ministre des Transports est la cinquième en huit ans. Le ministère a vu passer les différents ministres, au gré des remaniements ministériels. Le gouvernement a remis ce portefeuille entre les mains d'une série de personnes, ce qui indique qu'il n'y accordait pas beaucoup d'importance jusqu'à ce que, évidemment, l'horrible tragédie de Lac-Mégantic nous frappe tous. Ce premier fait est important à retenir.
Le second fait est indéniable: le gouvernement sabre carrément le financement, chose qu'il ne veut pas admettre publiquement, préférant nier les faits, esquiver les questions ou inventer des réponses. Le gouvernement est en train de supprimer le financement en matière de sécurité ferroviaire. En effet, celui-ci a diminué graduellement de 20 % au cours des cinq dernières années.
Cette année, nous sommes bombardés de toutes sortes de publicités déplacées, injustifiées et inacceptables, comme l'ont remarqué les Canadiens qui s'intéressent à la question. Récemment, on a pu voir ces messages sur le canal en continu consacré au premier ministre, ce canal vidéo personnalisé qui enregistre le premier ministre chaque semaine et diffuse ses messages, une initiative qui coûte très cher aux contribuables. C'est du jamais-vu au Canada. Nous savons que, seulement cette année, le gouvernement dépense 42 millions de dollars pour promouvoir son plan d'action économique. Comme les Canadiens peuvent avoir du mal à imaginer une telle somme, voici un point de comparaison concret. Le gouvernement consacre 42 millions de dollars aux publicités du plan d'action économique et 34 millions de dollars à la sécurité ferroviaire; 42 millions pour la publicité, 34 millions pour la sécurité ferroviaire. On voit bien où est la priorité du régime conservateur.
Dans les faits, les conservateurs veulent donner l'impression — au moyen de subterfuges, de manoeuvres sournoises, de mauvaise communication et de déclarations trompeuses — qu'ils ont le dossier de la sécurité ferroviaire, un enjeu d'une grande importance, bien en main. Mais ce n'est pas le cas.
Les conservateurs ont souvent été mis en garde. Le premier avertissement est venu du bureau du vérificateur général, il y a plusieurs années. Celui-ci avait déclaré que, d'un point de vue pratique, il acceptait le principe d'un système de gestion de la sécurité — ce qui n'est pas le cas du NPD —, mais que, comme le disait Ronald Reagan, il faut non seulement faire confiance, mais aussi vérifier.
C'est au chapitre de la vérification que le gouvernement ne s'acquitte pas de ses responsabilités en tant qu'organisme de réglementation d'un secteur réglementé. Les conservateurs ne peuvent pas regarder les électeurs dans le blanc des yeux et prétendre employer suffisamment d'inspecteurs, parce que ce n'est pas le cas. Ils ne peuvent affirmer avoir suffisamment d'inspecteurs qualifiés, parce que ce n'est pas le cas. Ils ne peuvent nous dire qu'ils sont bien formés et qu'ils ne viennent pas principalement du secteur réglementé, parce que ce n'est pas le cas non plus. Les inspecteurs viennent bel et bien du secteur même qui est visé par la réglementation.
Il y a un problème de capacité à Transports Canada. Le ministère est rempli de bonnes personnes, de fonctionnaires passionnés et dévoués, mais il est sous-financé par un gouvernement qui préfère dépenser 42 millions de dollars pour annoncer son plan d'action économique. C'est pourquoi notre position est que le gouvernement met les Canadiens à risque. Pas besoin de nous croire sur parole, il suffit de demander au vérificateur général.
Au cours d'une période de vérification de trois ans ou de quatre ans, VIA Rail n'a pas une seule fois fait l'objet d'une vérification par Transports Canada. VIA Rail transporte plus de 4 millions de passagers par année, et elle n'a jamais fait l'objet d'une vérification. Selon ses propres chiffres, le gouvernement effectue seulement 25 % des vérifications qu'il estime nécessaires pour assurer la sécurité du transport ferroviaire.
Il est absurde d'entendre des membres du Cabinet affirmer que la situation s'améliore et prétendre avoir fait de grands progrès grâce aux mesures qu'ils présentent au compte-gouttes. C'est faux.
Il y a un problème; le gouvernement a un problème culturel. J'espérais vraiment ne pas revenir là-dessus, mais c'est important car le comportement passé prédit souvent le comportement futur.
Il reste au moins cinq ministres de premier plan qui étaient en Ontario lorsque la crise de Walkerton a éclaté. À ce moment-là, ils se sont mis à employer les mêmes termes employés aujourd'hui. « On pourra corriger le tir dans les Budgets supplémentaires des dépenses, » a-t-on dit. « Ce sont les fonctionnaires qui nous disent qu'ils ont suffisamment d'argent pour assurer la sécurité ferroviaire au Canada. » On retrouve les mêmes expressions et les mêmes slogans qui retentissaient dans la foulée de Walkerton, crise qui a fait des morts et rendu beaucoup de personnes malades.
En fait, dans son rapport, le juge Dennis O'Connor montre du doigt cinq ou six ministres de premier plan du gouvernement parce qu'ils avaient contribué à la crise de Walkerton. Pourquoi? Ils ont sabré dans le financement. Il n'y avait pas suffisamment d'inspecteurs de l'eau, tout comme il n'y a pas suffisamment d'inspecteurs ferroviaires qualifiés aujourd'hui. L'histoire se répète.
On aurait pu croire que le gouvernement allait tirer des leçons à la suite de l'horrible tragédie de Lac-Mégantic, mais ce n'est pas le cas. C'est dans ces circonstances que le projet de loi a été présenté à l'étape de la troisième lecture.
Quand la ministre a témoigné devant le comité, je lui ai sciemment demandé non pas une, ni deux, mais bien dix fois de suite pourquoi elle avait réduit de 11 % le budget de Transports Canada — cela représente une réduction totale de 202 millions de dollars. Elle a dit que ce n'était pas le cas. Je lui ai posé la question encore et encore. Elle s'est finalement tournée vers ses fonctionnaires en disant que c'était eux qui lui avaient donné les chiffres, que c'était leur responsabilité et que, selon eux, le ministère a tout l'argent qu'il lui faut. Personne ne peut le croire. Ce n'est pas de cette façon que les gouvernements fonctionnent. On prévoit un budget, puis, le Conseil du Trésor consulte le ministère des Finances. Le Cabinet du premier ministre a le dernier mot: il accepte ou non le budget proposé, et l'argent est ensuite remis au ministère.
Ces choix ont été faits dans les plus hautes sphères du gouvernement. À 10 reprises, j'ai posé la question à la ministre et, à 10 reprises, elle a dit que ce n'était pas le cas.
C'est amusant, parce que le directeur parlementaire du budget a déclaré que ces chiffres étaient exacts. Les recherches effectuées par la Bibliothèque du Parlement ont aussi confirmé que ces chiffres étaient exacts. Nous devons comprendre pourquoi le gouvernement refuse de dire la vérité. Pourquoi le gouvernement ne dit-il pas simplement qu'il a décidé de diminuer de 20 % le budget de Transports Canada et, ainsi, de réduire les mesures de sécurité ferroviaire?
Nous souhaitions convoquer des témoins experts auxquels nous pouvions faire confiance et qui, grâce à leur point de vue inestimable, pourraient contribuer à améliorer le projet de loi — pas nécessairement à le rendre parfait, mais certainement à l'améliorer. Toutefois, la majorité conservatrice au comité a imposé sa volonté et déclaré qu'il n'y aurait que deux séances de deux heures chacune. C'est grave. On parle ici de plusieurs milliards de dollars d'assurance. Je prévois que, à la suite de l'adoption de ce projet de loi, des milliards de dollars seront en jeu dans des affaires litigieuses parce que le gouvernement a refusé d'étudier en profondeur tous les aspects juridiques pertinents. Le gouvernement a déclaré qu'il y aurait deux séances de deux heures chacune.
Lorsque j'ai interrogé avec insistance les quatre principaux témoins à propos de cette question, ils ont tous admis ne pas avoir été consultés adéquatement. Ils n'avaient jamais eu la chance de discuter convenablement avec le ministère, et ils s'interrogeaient sérieusement au sujet des conséquences de l'assurance responsabilité, des répercussions sur l'emploi et sur la compétitivité commerciale, etc. Voilà ce qui s'est passé ici.
Comme je l'ai indiqué plus tôt, selon moi, un gouvernement n'a pas de plus grande responsabilité que celle d'assurer la sécurité de ses citoyens. À l'heure actuelle, les Canadiens sont préoccupés, avec raison, par la sécurité ferroviaire. Ils sont très inquiets à ce sujet, et ce n'est pas seulement en raison de la terrible tragédie de Lac-Mégantic. En Ontario, trois déraillements majeurs sont survenus au cours des trois derniers mois, et il y en a eu de nombreux autres aux États-Unis.
Le Bureau de la sécurité des transports avait prévenu le gouvernement à propos des wagons DOT-111. Le bureau a analysé l'accident survenu dans le Nord de l'Ontario et a confirmé que la nouvelle norme établie par le gouvernement n'était pas satisfaisante. Le gouvernement a déclaré qu'il avait établi un échéancier visant l'élimination ou la modernisation progressives des wagons DOT-111 échelonné sur trois ans. Il savait que c'était faux, mais il lui fallait donner le change, ce qu'il a fait au lieu de ralentir et de prendre le temps de faire de meilleures prévisions et d'élaborer un meilleur plan pour éliminer les wagons dangereux.
Ce n'est tout simplement pas ainsi que le gouvernement fait les choses. Les conservateurs devaient absolument faire passer un message aux Canadiens. Ils avaient une peur bleue de ce dossier, alors ils tenaient à faire une annonce même s'ils savaient qu'il est techniquement impossible de mettre ces wagons à niveau. La principale société ferroviaire au pays le leur avait confirmé. Le propre comité consultatif de la ministre le lui avait assuré. Les conservateurs sont tout de même allés de l'avant avec leur annonce.
Les Canadiens sont inquiets. Dernièrement, plusieurs députés de mon caucus ont tenu à Toronto une grande soirée d'information publique sur la sécurité ferroviaire. Depuis ce temps, ils ont aussi adressé directement à la ministre une lettre où ils évoquent leurs préoccupations relativement à l'augmentation fulgurante de la quantité de pétrole brut transportée par train, passée de 500 à environ 110 000 wagons-citernes entre 2009 et 2014. On se rappelle que les dépenses de la ministre en matière de sécurité ferroviaire ont, comme je l'ai dit, diminué de 20 % par rapport à 2009-2010. Elle ne peut pas le nier. Les chiffres ne mentent pas. Un peu plus loin dans la lettre, on lit que, en moins d'un mois, entre février et mars derniers, trois déraillements sont survenus dans le Nord de l'Ontario. Les auteurs de la lettre expriment des doutes sur le respect des limites de vitesse par les trains qui circulent dans Toronto et dans les autres centres urbains au pays, tout en remettant en question l'idée même d'autoriser des trains transportant des matières dangereuses à traverser des quartiers densément peuplés. A-t-il déjà été question de tout cela à la Chambre? Non, jamais.
La tragédie de Lac-Mégantic a été un réveil brutal et le gouvernement s'est contenté de proposer des solutions de fortune, des images et des solutions techniques au compte-gouttes. Ce n'est pas suffisant, ce n'est pas assez.
Nous avons essayé de collaborer avec le gouvernement. À mon avis, beaucoup de députés ministériels sont insatisfaits de cette réponse, car ils subissent, à juste titre, les pressions de leurs électeurs, car nous avons tous l'obligation d'apporter des améliorations pour les Canadiens.
Il est difficile pour nous d'établir le coût d'autres mesures techniques proposées dans le projet de loi. Le secrétaire parlementaire a pris la parole et a dit, en citant la ministre, que le gouvernement avait eu l'assurance que le projet de loi n'aurait aucune incidence financière, que la mise en oeuvre de ce projet de loi de 59 pages n'entraînerait pas de coûts supplémentaires. Vraiment?
J'ai demandé à la directrice de l'Office des transports du Canada si c'était vrai et elle n'a pas pu me répondre. Entre autres, le projet de loi abolit la procédure judiciaire et confère une nouvelle responsabilité à l'Office des transports du Canada, celle de décider du montant de l'indemnité à payer en cas d'accident si une municipalité ou une province présente une demande. Les représentants de l'office ont admis, au comité, qu'ils ne sont pas qualifiés pour le faire. La directrice générale de l'Office des transports du Canada a dit que l'office allait y réfléchir plus tard. L'office doit trouver une solution. Il y aura des élections le 19 octobre. Il doit trouver une solution.
Il y a une lacune technique. Il y a également une lacune relative à la responsabilité légale, puisque l'examen visant à déterminer les responsabilités en cas d'accident ferroviaire a été modifié d'un simple trait de plume. J'aimerais terminer sur cette note, car je prédis que cela causera toutes sortes de problèmes. Le problème, c'est que les compagnies de chemins de fer transfèrent les marchandises entre elles. Quelle compagnie de chemin de fer est responsable si la marchandise transportée est impliquée dans un accident. Qui paiera l'indemnisation? La compagnie d'assurance de quelle compagnie de chemin de fer assumera les coûts? C'est totalement obscur.
Les conservateurs ont été mis en garde. Des conseillers juridiques leur ont dit que cette situation allait créer un véritable problème à l'avenir. On a dit aux conservateurs que cela pourrait rendre difficile l'obtention d'une couverture d'assurance et donner lieu à des litiges, mais ils n'ont pas tenu compte de ces avis. C'est ce que moi, d'autres personnes et même leurs experts techniques leur ont dit au comité.
Il est malheureux que nous n'ayons pas pris le temps nécessaire d'améliorer comme il se doit la sécurité ferroviaire. Ce serait pourtant dans l'intérêt des Canadiens, parce que nous avons besoin de nos chemins de fer. Ils jouent un rôle important dans notre économie. Je pense que nous devons étoffer et améliorer le projet de loi.