Merci.
Je tiens tout d'abord à remercier le Comité de m'offrir l'occasion de traiter de la situation des droits de la personne des Roms dans le monde aujourd'hui, une situation trop souvent ignorée. Les Roms forment un peuple dont l'existence même demeure menacée, dont la dignité humaine est continuellement bafouée aujourd'hui dans le monde et dont le combat reste en grande partie invisible. C'est sur ce peuple que je tenterai de faire la lumière au cours de mon exposé.
Quand on salue quelqu'un en romani, on dit...
[Le témoin s'exprime en romani.]
[Traduction]
... ce qui se traduit par « Je vous salue avec bonne volonté. »
J'espère vraiment que ma présence ici aujourd'hui vous incitera à prendre des mesures au sujet des droits de la personne des Roms, qui restent souvent invisibles et qui sont largement ignorés aujourd'hui dans le monde.
Il y a sept ans, j'ai fondé une organisation sans but lucratif du nom de Romanipe, dont la mission principale consiste à défendre la dignité humaine contre les violations de droits de la personne dont les Roms sont victimes à l'échelle mondiale. C'est sur le principe d'unité que notre organisation a été fondée. Elle collabore donc avec de nombreux groupes dont nous partageons la souffrance et qui ont été victimes de génocide. Dans un esprit de solidarité avec ces groupes, mais également dans le but d'agir avec eux, nous voulons aussi exprimer notre solidarité avec des témoins qui ont comparu devant votre comité, soit les Autochtones ainsi que les gens du Burundi et les Rohingyas du Myanmar, avec lesquels nous sommes solidaires.
Il y a près de 75 ans aujourd'hui, les derniers 2 998 prisonniers roms du camp de familles gitanes d'Auschwitz-Birkenau ont été assassinés en masse par les nazis et leurs collaborateurs. Selon les dernières estimations, au moins un demi-million de Roms ont été tués par les nazis et leurs collaborateurs au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce fait historique est malheureusement en grande partie ignoré et inconnu, et rien n'est enseigné à ce sujet dans les écoles du monde.
Depuis huit ans, notre organisation se bat pour que le gouvernement canadien admette officiellement le génocide des Roms. Le 2 août dernier, par l'entremise de la ministre Freeland et du ministre Rodriguez, il a indiqué qu'il s'engageait à le reconnaître. Aujourd'hui, toutefois, nous attendons toujours l'adoption d'une loi du Parlement qui officialiserait cette reconnaissance.
La reconnaissance du génocide des Roms revêt une grande importance, car la situation des droits de la personne des Roms, ainsi que la haine et le racisme dont ils font l'objet restent aujourd'hui des formes très normalisées de racisme, étant donné que l'histoire de ce peuple, particulièrement au cours de la Seconde Guerre mondiale, demeure en grande partie inconnue et ignorée.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, les nazis et leurs collaborateurs ont invoqué le préjugé voulant que les Roms soient des criminels pour justifier l'assassinat de masse d'au moins un demi-million de Roms. Dans les pays européens, ce préjugé perdure malheureusement encore. Dans un grand nombre de ces pays, des murs physiques ont été érigés pour séparer les Roms des citoyens non roms. Ces murs ne constituent pas des frontières, mais ils ont été construits dans certaines villes pour séparer les Roms des citoyens non roms. Dans des pays comme la Hongrie, la République tchèque et la Slovaquie, les enfants roms sont placés en nombre disproportionné dans des écoles distinctes sans examen préalable, sur la foi de la croyance voulant qu'ils soient mentalement inférieurs aux enfants non roms.
Cette ségrégation a été constatée et condamnée par un grand nombre d'organisations comme Amnistie internationale, le Centre européen des droits des Roms et bien d'autres, qui ont décrié ces pratiques et proposé de demander aux pays concernés de mettre fin à la ségrégation des enfants roms. Malheureusement, comme Amnistie internationale et de nombreuses autres organisations l'ont fait savoir récemment, la ségrégation des Roms est encore présente dans presque tous ces pays.
Encore en 2012, des cas de stérilisation forcée de femmes roms ont été rapportés dans des pays comme la Hongrie et la Slovaquie. Les gouvernements de ces pays ont admis les faits, sans toutefois prendre de mesure pour offrir un dédommagement aux femmes stérilisées de force dans ces pays.
Tout récemment, l'an dernier en fait, en dépit des nombreux avertissements d'organisations comme Amnistie internationale au sujet d'attaques violentes perpétrées contre des établissements roms dans des pays comme l'Ukraine, un jeune Rom a été tué par des membres de l'extrême droite sur le principe voulant qu'il fallait le tuer pour éliminer la prétendue criminalité gitane.
En Italie, le ministre de l'Intérieur, Matteo Salvini, a annoncé récemment son intention de lancer un recensement des Roms, une politique qui rappelle fort celles imposées à la population juive en 1933 dans ce pays. Cette politique a remporté un large soutien auprès de la population et a en fait suscité une augmentation des crimes haineux à l'endroit de la population rom en Italie.
L'an dernier à peine, après le meurtre violent de trois jeunes filles roms, des graffitis ont été peints sur les murs de Rome où on faisait l'éloge de ce meurtre. En fait, on peut voir sur des photos que certains de ces graffitis indiquaient « Trois Roms de moins ». Cela s'est produit l'an dernier à peine.
Ce mois-ci, en Bulgarie, des néonazis ont organisé des marches en menaçant des villages roms, en entonnant des slogans contre eux et encourageant la violence contre ce peuple.
En France, il y a quelques mois, en raison d'un stéréotype remontant à l'époque médiévale, des Roms ont été accusés de voler des enfants. De nombreuses familles roms, y compris des enfants, ont été hospitalisées à la suite d'attaques violentes. Ces exactions sont le résultat des fausses nouvelles diffusées sur les médias sociaux.
Nos collègues de France sont membres de la seule organisation qui se soit élevée contre cette violence. Leurs efforts ont incité le gouvernement à agir.
Le problème touche énormément de pays. Ces actes ont été commis au cours des derniers mois. Cela ne s'est pas produit il y a des années, mais au cours des dernières semaines. Des Roms ont été tués en Bulgarie simplement parce qu'ils étaient des Roms.
Je voudrais vous rapporter les propos de partis au pouvoir dans des pays où les marches sont organisées. Un chroniqueur politique membre fondateur du parti au pouvoir en Hongrie, Fidesz, a affirmé que quiconque écrase un enfant gitan agit bien s'il ne lui vient pas à l'idée d'arrêter et qu'il appuie sur l'accélérateur. Quant aux Tchèques ethniques ayant participé à une manifestation contre les Roms en République tchèque, ils ont déclaré que les gitans devaient être jetés dans des chambres à gaz, brûlés vifs, enterrés vivants et poignardés dans le dos.
Depuis 2012, nous avons été témoins de ce que nous appelons des marches contre les Roms. La plupart du temps, elles sont organisées par l'extrême droite, mais elles reçoivent un large appui chez les citoyens ordinaires. Les gens marchent en brandissant des pancartes arborant des swastikas, souvent habillés comme Hitler et en scandant des slogans contre les Roms.
Comment le monde a-t-il réagi à ces situations? Il n'a malheureusement rien fait, car, comme je l'ai indiqué plus tôt, la violence commise contre les Roms constitue aujourd'hui une des formes de racisme les plus normalisées, une forme malheureusement fondée sur la croyance selon laquelle les Roms sont fondamentalement criminels.
Comment le gouvernement du Canada a-t-il réagi à cette violence? Malheureusement, en 2012, sous le gouvernement précédent, un grand nombre de Roms sont venus au Canada pour y demander l'asile et être protégés contre la montée du mouvement néonazi. C'était en 2012, quand le mouvement d'extrême droite a atteint un paroxysme. En fait, dans un village de Hongrie, six Roms, dont un garçon de six ans, ont été tués lors d'attaques commises par l'extrême droite.
Un grand nombre de Roms sont venus au Canada pour y demander l'asile. Le gouvernement de l'époque a toutefois invoqué le prétexte de la criminalité, les accusant d'être de faux réfugiés ne méritant pas la protection du Canada.
Notre organisation a demandé au gouvernement de s'attaquer à ces problèmes avec chaque ministre depuis l'époque à laquelle Jason Kenney était en poste. En fait, ce dernier est responsable du dépôt du projet de loi C-31, lequel prévoyait des mesures visant expressément à restreindre l'entrée de demandeurs d'asile roms et en vertu duquel des affiches ont été disposées dans des villages de pays comme la Hongrie, d'où ont sait que les Roms viennent, afin de décourager les Roms de demander l'asile au Canada. Ces mesures stratégiques se sont avérées efficaces. Selon les statistiques, l'acceptation des Roms a diminué de 90 % entre 1998 et 2012.
Notre organisation a travaillé avec de nombreuses familles injustement expulsées. En fait, nous travaillons encore avec une famille qui risque d'être expulsée au cours des deux prochaines semaines parce que le projet de loi C-31 est toujours en vigueur et que les pays que j'ai évoqués, où les Roms sont perçus comme des animaux et menacés de mort, sont jugés sécuritaires par le gouvernement du Canada. Nous avons proposé de revoir les dispositions de ce projet de loi où figurent les critères sur ce qui constitue un pays sécuritaire et de confier l'établissement de ces critères à un comité d'experts.
Un nouveau gouvernement est entré au pouvoir, et le mandat est passé au ministre Hussen, mais comme ce dossier a été retiré de son mandat, ces pays sont toujours considérés comme sécuritaires.
Bien entendu, les Roms sont de plus en plus acceptés, particulièrement ceux de Hongrie, à la lumière des preuves solidement étayées de persécution des Roms dans ces pays. Pourtant, le projet de loi a encore des conséquences, comme notre organisation a été à même de la constater. Au cours des trois derniers mois, nous avons travaillé à au moins trois dossiers d'expulsion de familles roms arrivées dans les environs de 2012. Les politiques adoptées par le gouvernement du Canada ont encore des conséquences.
Pour vous donner un aperçu des travaux de notre organisation, quand nous avons créé notre organisation, nous avions l'intention d'utiliser le Canada comme modèle pour montrer à l'Europe comment elle pourrait s'améliorer, malgré le fait que notre pays ait ses propres problèmes en matière de droits de la personne. Malheureusement, le gouvernement du Canada nous a obligés à changer notre fusil d'épaule, car les Roms qui ont fui leur pays en raison de la discrimination dont ils faisaient l'objet ont été renvoyés vers cette discrimination et sont donc deux fois victimes de discrimination dans leur pays d'origine.
À ce sujet, pour vous donner un exemple concret, en vertu de la Convention relative au statut de réfugié de 1951, que le gouvernement du Canada a ratifiée, un pays ne peut pas renvoyer de gens vers des situations où ils s'exposent à la persécution; or, dans le cas des Roms, c'est exactement ce qu'il s'est passé. Nous avons travaillé avec de nombreuses familles, particulièrement celles ayant des enfants roms, qui savaient qu'elles seraient refusées en raison du taux élevé de refus de réfugiés dont l'éducation n'était pas reconnue dans des pays où elles faisaient déjà l'objet de ségrégation. Elles ont été renvoyées dans leurs pays, été victimes d'une double discrimination et ont dû abandonner l'école.
C'est sur cette note que je conclurai mon exposé, mais je veux prendre 30 secondes pour formuler des recommandations concrètes, si vous le voulez bien.
Nous demandons essentiellement au gouvernement du Canada d'éliminer le projet de loi C-31 ou, au moins, de nommer un groupe d'experts pour déterminer ce qui constitue un pays sécuritaire; de collaborer avec les gouvernements européens pour s'attaquer à la situation actuelle des droits de la personne dans ces pays; et d'adopter officiellement une loi du Parlement. J'ai préparé un projet de loi déjà prêt à être présenté. Il suffit que des députés le déposent pour que le génocide des Roms puisse être reconnu. Je pense que la mission même de votre comité consiste à prévenir les atrocités de se produire dans l'avenir. Cela commence par l'admission des atrocités du passé.
Merci.