Merci monsieur le président.
Je commencerai d'abord et ma collègue prendra la suite.
Je tiens tout d'abord à vous remercier, monsieur le président et membres du Comité de nous accorder cette importante occasion de nous exprimer au sujet du projet de loi C-14, qui fait suite à la décision unanime de la Cour suprême du Canada dans la cause Carter c. Canada et qui établit un nouveau cadre fédéral pour l'aide médicale à mourir.
Comme vous l'avez dit, monsieur le président, l'aide médicale à mourir est une question complexe et profondément personnelle. Tous les pays qui l'ont autorisée ou qui en ont débattu ont soigneusement tenu compte de tous les intérêts en jeu. Au Canada, nous travaillons dans un cadre juridique et constitutionnel distinct, où les pouvoirs sont répartis entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux et qui comprend la Charte des droits et libertés, le tout servant à informer les choix du gouvernement que l'on retrouve dans ce projet de loi.
Le projet de loi C-14 viendrait établir les règles de droit pénal régissant l'aide médicale à mourir sur les plans de l'admissibilité, des garanties procédurales et du cadre nécessaire à un système de surveillance. Il reprendrait l'article 14 et l'alinéa 241b) du Code criminel, de sorte que le fait d'aider une personne à mourir ou de causer la mort d'une personne avec le consentement de celle-ci continuerait de constituer un acte criminel, sauf si l'une de ces deux actions se déroulait conformément aux dispositions régissant l'aide médicale à mourir énoncées dans le projet de loi.
Le projet de loi C-14 exempterait les médecins et les infirmiers praticiens de toute responsabilité criminelle s'ils fournissent une aide médicale à mourir à une personne admissible conformément aux garanties de procédure prévues dans la loi. Il exonérerait également d'autres personnes qui pourraient participer au processus, notamment les pharmaciens qui remplissent l'ordonnance.
Détail important, le projet de loi prévoit un examen parlementaire cinq ans après son entrée en vigueur. Le gouvernement est également résolu à continuer d'étudier les enjeux complexes de l'aide médicale à mourir dans le contexte des demandes préalables, des demandes faites par des mineurs matures et des cas où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, aucun de ces aspects n'ayant été examiné par la Cour dans l'affaire Carter.
Le gouvernement a choisi cette approche après avoir soigneusement examiné l'éventail complet des options possibles pour un régime d'aide médicale à mourir. Comme il est indiqué dans notre document d'information législatif, que j'ai déposé en deuxième lecture, on a analysé et comparé les régimes adoptés ailleurs, notamment au Québec, dans certains États américains, dans plusieurs pays européens et en Colombie.
Le gouvernement s'est également appuyé sur les consultations menées au pays, y compris les travaux du comité mixte spécial, le groupe d'experts externe, le groupe consultatif provincial-territorial d'experts et l'étude pluriannuelle du Québec dont la province s'est inspirée pour élaborer sa propre loi. Nous avons également consulté un large éventail de parties prenantes.
Fort de ces témoignages et de ces connaissances, qui vont même au-delà de la documentation très détaillée présentée devant la Cour suprême du Canada dans l'affaire Carter, le gouvernement a soigneusement abordé la question. Le projet de loi C-14 laisserait une plus grande flexibilité que les lois adoptées aux États-Unis, qui se limitent aux patients atteints d'une maladie en phase terminale. Mais il ne va pas aussi loin que certains régimes plus permissifs des pays européens. Comme la Cour l'a fait valoir dans l'arrêt Carter, « le législateur [...] est mieux placé que les tribunaux pour créer des régimes de réglementation complexes » — comme celui-ci.
Le projet de loi C-14 est juste et pratique et présente une approche équilibrée.
Pour ce qui est de l'admissibilité, je sais que l'exigence voulant que la mort naturelle de la personne soit « raisonnablement prévisible » a reçu une certaine attention, notamment en lien avec l'affaire Carter. J'aimerais parler de ces préoccupations.
Le projet de loi a été délibérément rédigé pour répondre à la situation étudiée dans l'affaire Carter, pour laquelle la Cour n'a entendu que les témoignages concernant des personnes à un stade avancé de maladies incurables, qui étaient en déclin physique et dont la mort naturelle approchait. La Cour a déclaré que l'interdiction complète de l'aide à mourir était une violation des droits garantis par la Charte, dans ces circonstances. Ainsi, les critères d'admissibilité énoncés dans le projet de loi C-14 sont conformes à l'arrêt Carter. Ils tiennent compte de la totalité de l'état de santé de la personne et non d'une liste de maladies approuvées.
En définissant le terme « problèmes de santé graves et irrémédiables », le projet de loi ferait en sorte que tous les adultes capables qui sont dans un état de déclin irréversible vers la mort puissent opter pour l'aide médicale à mourir afin de mourir en paix, qu'ils soient ou non atteints d'une maladie mortelle ou en phase terminale.
Une personne peut être à l'approche d'une mort naturelle pour des raisons médicales qui ne sont pas directement liées à une maladie grave et incurable, par exemple. De plus, l'admissibilité de la personne ne dépend pas du temps qu'il lui reste à vivre, que ce soit des semaines ou des mois, comme c'est le cas aux États-Unis. En définitive, la prévisibilité raisonnable de la mort est une décision médicale, et non juridique, une décision à prendre en tenant compte de l'état de santé global de la personne, du nombre et de la nature de ses maladies, de sa fragilité, de son âge, etc.
Le vice-président de l'Association médicale canadienne a confirmé que la prévisibilité raisonnable de la mort est une norme qui donne des indications suffisantes aux médecins et aux infirmiers praticiens en éliminant une grande part de la subjectivité laissée par le concept non défini de maladie grave donné par la Cour tout en permettant à ceux qui possèdent les connaissances médicales et l'expertise nécessaires de prendre des décisions en fonction de chaque cas.
Il existe d'autres raisons impérieuses pour vouloir exiger que la mort naturelle de la personne soit raisonnablement prévisible. Premièrement, c'est un moyen équitable de restreindre l'admissibilité sans mettre l'aide médicale à mourir à la portée de pratiquement tout le monde. Deuxièmement, il est nécessaire de restreindre ainsi l'admissibilité pour protéger les personnes vulnérables.
Les autres critères d'admissibilité qui ont été proposés et suggérés seraient arbitraires. Par exemple, il serait arbitraire de permettre aux gens souffrant de maladies dégénératives, mais non mortelles, d'avoir accès à l'aide médicale à mourir avant que leur mort soit devenue raisonnablement prévisible, tout en excluant les personnes uniquement atteintes d'une maladie mentale ou qui sont nées avec un handicap physique, ou encore celles qui souffrent physiquement ou psychologiquement pour toute autre raison. Ce ne sont pas des options viables, à notre avis, car elles établissent une discrimination dès le départ en fonction de l'état de santé, au lieu de permettre au médecin d'envisager la situation particulière de la personne.
D'autres ont proposé que le gouvernement accorde un accès élargi, en fonction de l'expérience subjective de la souffrance de chaque personne et du droit de choisir le moment où la vie cesse d'avoir un sens, sans paramètres objectifs liés à leur condition ni mesures de sauvegarde. Notre gouvernement croit fermement que l'aide médicale à mourir ne devrait pas être possible pour tous les types de souffrance. Si tel était le cas, le risque pour les personnes vulnérables augmenterait énormément et ce serait franchement inacceptable. Cette approche pourrait contribuer à la stigmatisation des personnes handicapées, elle pourrait saper les efforts de prévention du suicide et elle pourrait amener des personnes marginalisées ou solitaires à demander une aide médicale pour mettre prématurément fin à leur vie.
Comme la Cour l'a indiqué dans l'affaire Carter, au moment de formuler une loi, le Parlement doit comparer et peser les points de vue de ceux qui pourraient être à risque dans un régime permissif. Notre gouvernement respecte la Cour suprême du Canada et estime que pour légiférer dans ce domaine extrêmement complexe et personnel, nous devons veiller à protéger la dignité de ces vies canadiennes.
Voilà pourquoi les critères établis dans le projet de loi tiennent compte de l'ensemble des conditions médicales qui peuvent rendre la mort d'une personne raisonnablement prévisible. Ce faisant, la loi dit clairement quel est le but de l'aide médicale à mourir: donner aux adultes capables qui sont sur la voie de leur mort naturelle le choix d'une mort paisible. Elle donne également un maximum de flexibilité aux fournisseurs de soins de santé en matière d'évaluation médicale, tant en ce qui concerne les conditions qui ont mené une personne à être sur la voie de la mort que le temps pendant lequel elle peut demander l'aide médicale à mourir.
Je tiens à souligner l'importance d'adopter le texte de loi avant le 6 juin 2016, date où la déclaration d'invalidité de la Cour expirera. En l'absence d'une nouvelle loi, le 6 juin, les paramètres de l'arrêt Carter entreraient en vigueur.
Le champ d'application de la décision reste incertain à plusieurs égards et son application dans la pratique resterait donc floue. En admettant un instant que l'arrêt Carter fasse partie du libellé de l'article 14 et de l'article 241, et l'alinéa b) du Code criminel de sorte qu'à l'exception de l'aide médicale à mourir, ces lois pénales seraient en vigueur, il resterait encore suffisamment d'incertitude.
Premièrement, étant donné que le milieu médical ne s'entend pas sur une interprétation commune de ce qui constitue un état « grave et irrémédiable », un patient admissible à l'aide médicale à mourir en vertu du projet de loi C-14 aura de la difficulté à l'obtenir. En l'absence d'une loi claire, des médecins qui auraient été prêts à fournir ce service, pourraient refuser de le faire parce qu'ils ont des doutes concernant l'admissibilité.
Par ailleurs, si on néglige de définir les paramètres Carter dans la loi fédérale, on pourrait avoir une grande variation dans l'application de l'admissibilité, non seulement entre les provinces ou les régions, mais en leur sein. L'accès dans les régions éloignées et rurales en pâtirait, non seulement parce que les médecins peuvent être réticents à fournir une aide médicale à mourir dans un contexte juridique aussi incertain, mais également parce qu'en vertu de l'arrêt Carter, les infirmiers praticiens ne peuvent pas fournir ce service.
Deuxièmement, le processus actuel d'approbation provisoire de la Cour prendra fin le 6 juin. Par conséquent, sauf pour le Québec, il n'y aurait pas de cadre juridique contraignant pour régir l'aide médicale à mourir au Canada. Autrement dit, il n'y aurait pas de garanties obligatoires de procédure pour prévenir les abus et protéger les personnes vulnérables.
Les lignes directrices publiées par les organismes de réglementation médicaux ne sont ni contraignantes ni uniformes, ce qui aggrave le risque de disparités au Canada, ce qui pourrait à son tour créer des risques graves pour la sécurité publique. Par exemple, un patient pourrait demander et recevoir l'aide médicale à mourir en une seule et même journée. Sans passer par une liste exhaustive des risques, il va de soi qu'il serait irresponsable de laisser passer le 6 juin sans avoir adopté une loi fédérale.
Comme la Cour l'a précisé dans le paragraphe 117 de l'arrêt Carter, « un système de garanties soigneusement conçu et surveillé peut limiter les risques associés à l’aide médicale à mourir ». Or, le projet de loi C-14 établit un cadre responsable et équilibré qui limite ces risques et met en place ces mesures de sauvegarde.
Je me réjouis d'avoir l'occasion de discuter de ce projet de loi et de contribuer à votre étude. L'approche adoptée dans le projet de loi C-14 répond à l'arrêt Carter en demeurant sensible, il me semble, à tous les aspects dont la Cour a été saisie dans cette affaire et crée un cadre juridique responsable et équitable pour permettre l'aide médicale à mourir au Canada pour la première fois dans l'histoire de notre pays.
Maintenant, si vous le permettez, monsieur le président, je voudrais céder la parole à la ministre Philpott.