propose:
Que, de l'avis de la Chambre, un comité spécial présidé par le Président de la Chambre devrait être constitué au début de chaque législature afin de sélectionner tous les agents du Parlement.
— Monsieur le Président, je suis heureux d'avoir l'occasion de présenter cette motion. Il s'agit en réalité d'une motion assez simple qui vise à réparer une procédure qui ne fonctionne pas. En effet, à l'heure actuelle, les agents — ou mandataires, les termes sont interchangeables — du Parlement sont embauchés par le pouvoir exécutif.
J'ai pris soin de formuler ma motion de manière à ne pas demander aujourd'hui au gouvernement de la mettre en oeuvre au cours de la présente législature, car, en toute franchise, je siège ici depuis assez longtemps pour savoir que cela n'arrivera pas. J'ai intentionnellement introduit un exemple à suivre, mais je tiens à dire que je n'y suis pas indéfectiblement attaché. Seul le principe compte pour moi. Ce principe est fort simple: les agents du Parlement devraient être embauchés par le Parlement.
Je dois admettre que j'ai bien hâte d'entendre les arguments qui seront présentés contre cette motion, car j'ai peine à en imaginer un qui serait valable. Il me tarde de débattre avec les députés qui ne croient pas que le Parlement devrait défendre ses propres droits.
Pendant mon entrée en matière et dans le reste de mon discours, je citerai un rapport du Forum des politiques publiques publié en avril dernier. Fait intéressant, j'avais déjà rédigé une ébauche de ma motion au moment de sa publication, et j'ai constaté qu'il recommandait une mesure semblable.
Voici tout d'abord une brève présentation du rapport en question:
Le Forum des politiques publiques (FPP) a étudié le rôle actuel et futur des agents du Parlement afin de recommander des mesures visant à améliorer la façon dont on évalue et oriente l'administration des politiques, tout en maintenant l'autonomie et l'indépendance des agents au sein du système de Westminster au Canada, tant au niveau fédéral que provincial.
Appuyé par un groupe consultatif formé d'anciens agents, de hauts fonctionnaires et d'autres experts, le FPP a réalisé une vingtaine d'entrevues et organisé trois tables rondes entre octobre et décembre 2017.
Je ne prendrai pas le temps de mentionner toutes les personnes qui ont participé à l'élaboration de ce rapport, mais je souhaite donner aux députés un aperçu du calibre des intervenants. Je crois que tout le monde reconnaîtra au moins un nom parmi ceux que voici: Margaret Bloodworth; Robert Marleau, ancien greffier de la Chambre des communes; Jodi White; David Zussman; Richard Dicerni; Paul Dubé; Janet Ecker; Christine Elliott; Graham Fraser; l'extraordinaire Sheila Fraser, dont la présence devrait, à elle seule, convaincre la Chambre de suivre les recommandations; Edward Greenspon; Bonnie Lysyk; John Milloy; Kevin Page, dont nous nous souvenons tous, notamment pour le travail qu'il accomplit encore à l'Université d'Ottawa; James Rajotte, ancien député bien connu à la Chambre; et Wayne Wouters, ancien greffier du Conseil privé. Cela nous donne une idée du calibre des personnes qui ont contribué à ce rapport.
Voici la première de leurs neuf recommandations:
La création de nouveaux postes d'agent relève de la compétence du Parlement et des Assemblées législatives et non du pouvoir exécutif.
La troisième recommandation se lit comme suit:
Il doit incomber aux législateurs de nommer les agents, afin d'obtenir le soutien de tous les partis au choix final. Le Bureau du Conseil privé et le Cabinet du premier ministre devraient se retirer complètement du processus de nomination. Un comité parlementaire spécial devrait examiner les types de processus de sélection en place dans des provinces comme l'Alberta et la Saskatchewan.
J'ajouterais que le Royaume-Uni, notre mère patrie, adopte une ligne très dure à l'égard de l'entité à qui incombe la décision d'embaucher le vérificateur général de son Parlement. De qui s'agit-il? Il s'agit du comité des comptes publics, soit le comité d'attache de notre vérificateur général. Comment peut-on penser que cela n'est pas sensé?
Avant de passer à la raison pour laquelle nous devrions agir ainsi, les députés doivent examiner l'incompétence du gouvernement actuel en ce qui a trait aux nominations ainsi que tous les problèmes et les gâchis qu'il a causés dans l'ensemble du processus. Je présume que tous ces détails seront révélés au cours des prochaines heures de discussion, qui s'échelonneront sur quelques jours.
Le rapport que j'ai mentionné indiquait aussi quelque chose au sujet du processus que le gouvernement a suivi:
L’incohérence du processus de nomination n’aide pas à améliorer la réputation des agents dans l’esprit des législateurs, des fonctionnaires et du public.
De plus, comme l'a mentionné l'un des participants à une table ronde, on n'a qu'à regarder le fiasco de la nomination de Madeleine Meilleur, ancienne ministre libérale de l'Ontario, en tant que commissaire aux langues officielles, en 2017, pour savoir ce qu'il faut éviter en nommant un mandataire du Parlement.
Si on examine le processus actuel, en principe, il respecte la loi, étant donné que la Chambre doit donner son approbation définitive par un vote. Toutefois, au titre du système actuel, c'est le gouvernement qui est responsable de l'ensemble du processus d'embauche, outre le fait de mentionner aux deux autres chefs de parti quelles sont ses intentions.
Il se trouve que j’en ai un échantillon. Voici une lettre envoyée au chef du NPD. Nous verrons qui connaît les règles là-bas.
La lettre dit ceci: « Je vous écris pour vous demander votre avis sur le candidat proposé au poste de directeur général des élections. » J’en lis seulement des extraits. J’adore cela. La lettre se poursuit: « À la suite d’un processus de sélection ouvert, transparent et fondé sur le mérite, je propose la nomination de [monsieur X] au poste de directeur général des élections. » Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de mentionner le nom.
C’était le 3 avril. Le 27 avril, le chef du NPD a reçu une autre lettre du premier ministre qui disait ceci: « Je vous écris pour donner suite à la lettre du gouvernement datée du 3 avril concernant le poste de directeur général des élections. Vos observations sont appréciées. Veuillez noter que le gouvernement n’ira pas de l’avant avec cette nomination, car la principale candidature a été retirée. »
On peut dire qu’il s’agit d’une lettre type, parce qu’elle dit: « À la suite d’un processus de sélection ouvert, transparent et fondé sur le mérite, je propose la nomination de Stéphane Perrault au poste de directeur général des élections. »
Cela a pris des mois et des mois, et en fin de compte, le résultat a quand même été désolant.
On connaît les fondements de notre société. Nous savons tous qu'il y a trois pouvoirs au Canada: le législatif, c'est-à-dire nous qui avons été élus députés; l'exécutif, soit le premier ministre et le Cabinet; la Cour suprême, dont la fonction première à notre égard est de veiller à ce que les lois que nous adoptons soient conformes à la Constitution.
Certains se souviendront que, lorsque nous élisons un président, au début de la législature, celui-ci est traîné de façon rituelle, comme s’il était réticent à occuper la position qu’il vient de solliciter pendant des jours, voire des semaines, en se portant candidat. Pourquoi en est-il ainsi? Pour comprendre, nous devons nous transporter à l'époque où le Parlement a vu le jour. Les pouvoirs du Parlement lui venaient tous du monarque, et, un peu comme certains anciens premiers ministres du Canada, les monarques n’aimaient pas que les gens s’opposent à eux ou veuillent réduire les pouvoirs royaux. Le peuple devrait se rappeler sa condition inférieure.
Or, c’était le Président qui allait informer le monarque des décisions du Parlement, et il n’était pas inhabituel, au tout début, que le Président le paie de sa tête. Par conséquent, peu de gens convoitaient ce poste, vu l'obligation de se présenter devant le monarque, qui n’était pas toujours de bonne humeur. Si je rappelle cette époque, c'est que je veux souligner l’importance de la séparation des pouvoirs. Il ne s’agit pas d’une question constitutionnelle compliquée, à mon avis.
La Cour suprême embauche son propre personnel. On ne songerait pas à décider à sa place qui devraient être ses candidats, ni lui téléphoner la veille d'une échéance pour lui dire « après consultation, êtes-vous d’accord pour que cette personne soit nommée? » Pourtant, c'est ainsi que l'exécutif agit avec le législatif dans notre cas. Nous n’envisagerions jamais de faire une chose pareille avec la Cour suprême et, bien sûr, elle n’envisagerait jamais d’embaucher elle-même les agents du Parlement. Je rappelle à tous que le Parlement est souverain, mais pas le gouvernement. Le Parlement décide qui forme le gouvernement. C’est le Parlement qui a ce pouvoir.
L’exécutif est un organe particulier, distinct, et possède son propre pouvoir. Nous avons en ce moment ce chevauchement ridicule, inacceptable. Dans le cas de nos agents, qu’il s’agisse du commissaire à l’éthique, du commissaire aux langues ou du vérificateur général, les responsables gouvernementaux s'occupent de l'affichage, mènent les entrevues, font le tri des candidatures, choisissent un nom, téléphonent aux leaders de l’opposition et leur disent: « Conformément à la loi, il s’agit d’une consultation. Êtes-vous d’accord? » C’est inacceptablement absurde. Pourquoi le permettrions-nous?
Je regarde tous mes collègues députés lorsque je dis que nous sommes des parlementaires. Nous sommes ceux qui composent cette législature. Pourquoi permettons-nous à l’exécutif de contrôler le processus d’embauche de nos agents et mandataires du Parlement? Pourquoi le ferions-nous? Certains vous diraient que c’est parce que l’exécutif le fait si bien. Ce serait plaisant que quelqu’un tente de se servir de cet argument, parce que je peux vous dire que ce n’est pas que moi, mais une foule de gens qui sont prêts à y répondre. Est-ce parce que l’exécutif en a les moyens? Nous contrôlons la bourse. Nous pouvons donner au Président tout l’argent que nous croyons nécessaire pour mener le processus de sélection. Je manque d’idées après cela. Est-ce parce que cela a toujours été ainsi? Ce n’est jamais une réponse valable pour quoi que ce soit que de dire « cela a toujours été ainsi ». Je tente de planter une graine pour la prochaine législature; quelqu’un pourrait alors reprendre l’idée, la mettre en lumière, lui donner vie et amener la prochaine législature à la concrétiser.
Sachant à quel point il est difficile de faire changer de cap à un gouvernement à mi-parcours et voyant à quel moment tardif j’interviendrais, j’ai pensé que tout ce que je pouvais espérer obtenir, c’est un vote d’une majorité de parlementaires acceptant et reconnaissant que nous devrions contrôler le processus d’embauche des agents du Parlement. J’espère obtenir cette majorité et, si j’échoue, je dirai à ceux qui n’appuient pas l’idée de préparer leur défense, car les néo-démocrates en feront un enjeu.
Je ne sais pas ce que l’opposition officielle fera. Il sera intéressant de le voir. Je crois en partie que les conservateurs ne voudront pas céder ce pouvoir, car ils se voient l’exercer une fois de retour de l’autre côté de la Chambre, mais, en même temps, ils veulent s’opposer au gouvernement, et il y a donc une possibilité qu’ils se rangent du bon côté. Ce sera déchirant. Il sera intéressant de voir comment les choses se dérouleront.
En fin de compte, il s’agit de nous respecter nous-mêmes, de respecter le Parlement et de reprendre ce qui nous appartient.