Madame la Présidente, au mieux de nos connaissances, cette minuscule planète bleue et verte qu’est la Terre abrite les seules formes de vie de notre vaste univers. Pour autant que nous sachions, c’est tout; la vie n’existe ici que sur ce gros caillou qui tourne en orbite autour du soleil. C’est à la fois un privilège remarquable et une très lourde responsabilité.
Réfléchissons un instant, à travers l’histoire et pour l’ensemble des espèces, à l’extraordinaire concours de circonstances ayant mené à la création des conditions propices à la vie sur Terre, pour être ainsi suspendu, entre la gravité du soleil et la force centrifuge de la Terre, avec une orbite juste assez excentrique pour nous donner la majesté des saisons; un champ magnétique pour nous protéger des rayons cosmiques et des éruptions solaires; une lune pour nous donner des marées; et une atmosphère pour retenir l’eau et l’oxygène, et ce sont là les ingrédients fondamentaux de la vie telle que nous la connaissons.
Ce qui a vu le jour il y a de cela trois milliards et demi d’années sous forme de bactéries, pas plus que des organismes unicellulaires, marche aujourd’hui sur la Terre comme vous et moi et tout ce qui vit autour de nous, et cela, seulement ici, seulement sur cette planète.
Songeons à l’incroyable étendue de l’expérience humaine au fil du temps, aux réalisations d’ingéniosité et aux découvertes, aux progrès que nous avons réalisés, aux personnes aimées et perdues et à tous les actes de bravoure, de courage et de passion dont nous avons été témoins. Malgré l’immensité de l’univers connu et tout ce que nous avons accompli, cela n’est arrivé qu’ici. Pour nous toutefois, la fin pourrait bien être arrivée.
Comme environnementaliste de longue date, je suis appelé du plus profond de mon être à m’exprimer dans le débat d’aujourd’hui, car si elle est adoptée, la motion présentée par la ministre de l’Environnement et du Changement climatique reconnaîtra et déclarera sans l’ombre d’un doute ce que de nombreux Canadiens savent déjà, à savoir qu’il y a une urgence climatique nationale au Canada. Son adoption permettrait également au Parlement du Canada de prendre les mesures nécessaires pour atteindre les cibles d’émissions du Canada en vertu de l’Accord de Paris. Je crois que c’est peut-être le vote le plus lourd de conséquences qui aura jamais été tenu dans cette enceinte, et j’implore mes collègues, toutes allégeances confondues, de se joindre à moi pour voter en faveur de cette motion d’urgence climatique.
Je suis un fier fils d’Halifax, en Nouvelle-Écosse, la ville océanique du Canada. Je suis également urbaniste et j’ai passé ma carrière à rendre ma ville et d’autres villes plus vivables, prospères et durables.
Je suis aussi le père de Daisy Isabella Fillmore, une belle et intelligente jeune fille de 12 ans qui me parle tous les jours de notre climat et de notre environnement et qui, pas plus tard qu’hier soir, m’a envoyé un message texte disant: « Papa, peux-tu s’il te plaît adopter un projet de loi pour interdire les pailles de plastique? » En conséquence, en son nom, je suis absolument déterminé à mener la plus grande bataille de notre époque, et c’est en grande partie la raison pour laquelle je suis venu ici au départ.
Halifax est perchée comme un joyau sur la côte Est du Canada. C'est une ville qui a été façonnée par la mer. Bien que l’océan Atlantique ait toujours été un atout énorme, il deviendra de plus en plus une menace, car le niveau de la mer à Halifax est parmi ceux qui augmentent le plus rapidement au pays, et la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes augmentent rapidement. Pour ces raisons, notre ville a elle-même déclaré une urgence climatique en janvier dernier.
L’an dernier, le journaliste Matthew McClearn, du Globe and Mail, a beaucoup écrit sur cette menace croissante de l’élévation du niveau de la mer, y compris ses répercussions sur Halifax. Voici ce qu’avait à dire un professionnel de l’immobilier commercial local à M. McClearn au sujet des risques d’inondation dans notre magnifique secteur riverain du centre-ville:
Si vous examinez la courbe de niveau de 5 mètres, vous verrez que pratiquement tous les bâtiments dans le secteur riverain, du casino jusqu'au port d'Halifax, en passant par Bishop's Landing, seront touchés, peut-être de façon catastrophique.
Les perspectives ne sont pas moins troublantes pour les autres collectivités côtières au Canada, notamment celles du Nord, lequel se réchauffe presque trois fois plus vite que le reste du globe.
Ne nous leurrons pas, les provinces du Centre du Canada sont loin d'être à l'abri. Au cours du mois dernier seulement, l'Ontario, le Québec et le Nouveau-Brunswick ont connu des inondations dévastatrices. Voici un extrait du reportage d'Isaac Olson, journaliste à CBC/Radio-Canada, qui se trouvait à Montréal il y a à peine quelques semaines:
Nous sommes samedi. Pendant qu'Annie nettoie la cuisine, après le souper, ses enfants jouent dehors avec leur père. Soudain, des sirènes retentissent, et les haut-parleurs d'une voiture de police rompent le calme de la soirée.
« Évacuation immédiate! Évacuation immédiate! », se souvient-elle avoir entendu. « Je suis sortie et j'ai vu mes enfants qui criaient, pleuraient. Et puis tout le monde s'est mis à courir. »
Une section de 50 mètres d'une digue naturelle retenant le lac des Deux-Montagnes vient de céder à Sainte-Marthe-sur-le-Lac, une banlieue située au nord-ouest de Montréal, à l'extérieur de l'île.
L'eau commence immédiatement à se déverser dans la ville. Des témoins voient des arbres se casser net sous la pression du torrent en furie.
Certains habitants sont revenus quelques jours plus tard à bord de kayaks, escortés par des militaires, pagayant dans leur salon pour sauver leurs animaux, récupérer certains biens et constater l'ampleur des ravages subis par leur maison et leur quartier.
Les changements climatiques sont réels et l'on constate leurs répercussions ici même.
À titre de députés, nous représentons ensemble toutes les régions de ce pays et tous les Canadiens. Certaines circonscriptions ne sont pas situées près d'un océan ou en aval d'une digue fragile. Néanmoins, si nous n'intervenons pas, les changements climatiques n'épargneront aucune circonscription ni aucun Canadien.
Les effets des changements climatiques seront omniprésents. Ils créeront de sérieux défis en matière de sécurité nationale. Prenons l’exemple de plus tôt ce mois-ci, quand les tanks sont entrés à Ottawa pour aider les résidants après la déclaration de l’état d’urgence; il y avait alors plus de nos militaires qui étaient déployés à l'intérieur du Canada que partout ailleurs dans le monde.
Les changements climatiques entraîneront aussi des défis certains au chapitre du système de santé publique. Un plus grand nombre de personnes périront de malnutrition, malaria, diarrhée et stress thermique. La pollution de l’air cause déjà la mort de sept millions de personnes par année.
Les changements climatiques rendront aussi la situation très complexe au chapitre des migrations internationales. Les Nations unies prévoient qu'il y aura d’ici 2050 au moins 200 millions de réfugiés du climat. Certaines projections augmentent considérablement ce nombre, jusqu’à un milliard. Notons qu’en 2018, le nombre de réfugiés à l’échelle du monde, y compris les réfugiés syriens, s’élevait à seulement 25 millions.
Les changements climatiques, s’ils ne sont pas limités, auront une incidence dévastatrice sur notre économie. Les recherches démontrent qu’en quatre décennies, le coût des changements climatiques pour les contribuables canadiens atteindra entre 21 et 43 milliards de dollars annuellement. Lutter contre les changements climatiques n’est pas seulement la bonne chose à faire; c’est aussi une bonne stratégie économique. La Banque mondiale estime que les changements climatiques ouvriront jusqu’à 23 billions de dollars d’occasions d’investissement propre à l’échelle mondiale.
Historiquement, au Canada, les provinces ayant un prix sur la pollution se sont révélées avoir le plus fort rendement économique au pays. De fait, la semaine dernière, nous avons appris, au cours du mois même où notre gouvernement a imposé un prix sur la pollution en Ontario, que nous avons eu la plus grosse augmentation du nombre d’emplois jamais enregistrée. On est loin de la fameuse « taxe sur le carbone qui tuera des emplois » contre laquelle les conservateurs nous ont mis en garde.
De ce côté de la Chambre, nous le disons depuis le début que l’environnement et l’économie vont de pair. Sans un plan de lutte contre les changements climatiques, il n’y a pas de plan pour l’économie. Voilà 382 jours que le chef des conservateurs a promis un plan de lutte contre les changements climatiques, et nous n’avons encore rien vu. Aux dernières nouvelles, il promettait de publier son plan le mois prochain. On verra bien. Il attend peut-être que les lobbyistes de l’industrie du pétrole lui reviennent là-dessus puisqu’il les a rencontrés en secret récemment. En tout cas, je ne retiendrai pas mon souffle.
Mes collègues du NPD ont commencé à publier des parties de leur plan de lutte contre les changements climatiques; c’est tout à leur honneur. Bien sûr, personne ne peut dire combien de temps cela va durer. Ces dernières semaines, le chef du NPD change constamment son fusil d’épaule sur les questions environnementales et fait marche arrière sur des positions précédentes, y compris le projet d’exploitation de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique. Cependant, il semble qu’à ce sujet en particulier, le chef du NPD est enfin arrivé à la position très ferme de « Eh bien, qui sait? » Hésiter et rester vague, ce n'est pas terrible comme plan de lutte contre les changements climatiques.
Quant à notre équipe, nous avons un plan solide de lutte contre les changements climatiques et nous agissons en conséquence. Il contient plus de 50 mesures, y compris l’imposition d’un prix sur la pollution, la protection des habitats marins et terrestres, l’investissement de montants historiques dans le transport en commun, l’abordabilité accrue des rénovations pour les véhicules électriques et l’énergie résidentielle, le soutien des technologies propres et l’abandon progressif de la production d’électricité au charbon.
Sur une note personnelle, je rappelle avec fierté que si notre plan comprend également une perspective climatique pour tous les projets d’infrastructure financés par le gouvernement fédéral dans le cadre de notre plan Investir dans le Canada, c’est à la suite de ma motion d’initiative parlementaire, la motion M-45, que j’ai présentée en 2016. Elle a été appuyée par tous les partis à la Chambre, sauf, malheureusement, le Parti conservateur. Or, si on veut relever les défis de l’urgence climatique nationale, il faudra travailler tous ensemble au-delà des lignes de parti, des divisions régionales et des frontières internationales afin de rassembler la volonté politique et d’entreprendre le travail nécessaire pour lutter avec détermination contre les changements climatiques.
Nous manquons de temps. Les effets des changements climatiques se font sentir et nous avons déjà encaissé des pertes énormes. Nous avons récemment appris qu’un million d’espèces sont menacées d’extinction et que les changements climatiques en sont l’une des principales causes. Cela nous rappelle que nous ne sommes pas les seuls concernés. Après tout, nous partageons tous ce lieu, la seule planète dans l'univers connue pour soutenir la vie. Les choses ne peuvent se terminer ainsi.
Je remercie Daisy et tous mes électeurs de Halifax de m’avoir parlé de cette question avec autant de passion.
Il est maintenant temps de déclarer une urgence climatique nationale et de se mettre au travail.