Monsieur le Président, je suis ravi de prendre la parole à l'étape de la troisième lecture du projet de loi C-78, Loi modifiant la Loi sur le divorce. En tant que membre du comité de la justice, j'ai eu la chance d'étudier le projet de loi plus en détail au comité, où nous avons entendu un vaste éventail d'intervenants du domaine du droit de la famille. Même si l'on pourrait améliorer certains aspects du projet de loi, et j'y reviendrai plus précisément sous peu, j'estime que de nombreux aspects du projet de loi procureraient une clarté et une certitude accrues. Après tout, il s'agit de la première mise à jour majeure de la Loi sur le divorce depuis son adoption, en 1985. On peut donc dire que cette mise à jour arrive à point.
Avant d'en venir à certaines des lacunes du projet de loi, j'aimerais parler de ses aspects positifs. Il s'agit notamment des mesures importantes qui visent à mieux protéger les enfants contre les conflits et à encourager les parties, le cas échéant, à régler leurs différends à l'extérieur du processus judiciaire. Il faut insister sur les mots « le cas échéant ». Cette expression se trouve dans le projet de loi, car, comme on le sait, les circonstances ne se prêtent pas toujours à un règlement des différends familiaux au moyen de la négociation ou du droit collaboratif, surtout lorsqu'il existe des antécédents de violence familiale. Cependant, on sait que, le cas échéant, cette méthode donne les meilleurs résultats possible. En raison de sa nature contradictoire, le processus judiciaire aggrave les conflits et il peut prolonger les différends. Évidemment, en pareilles situations, les conséquences sont profondément négatives pour les enfants.
On sait aussi que le processus judiciaire est souvent inefficace et qu'il est coûteux. Cela soulève la question de l'accès à la justice. De plus en plus de Canadiens finissent par se représenter eux-mêmes devant les tribunaux de la famille, car ils ne peuvent pas se payer les services d'un avocat. Souvent, ces plaideurs non représentés ne connaissent pas leurs droits. Ils ne comprennent pas bien les lois. Cette situation engendre toutes sortes de problèmes, notamment l'accumulation d'arriérés et de retards dans les tribunaux de la famille et, de manière plus générale, dans l'ensemble de l'appareil judiciaire. Il est bon d'encourager les parties à régler leurs différends au moyen de la médiation, de la négociation ou du droit collaboratif, et je constate que le projet de loi contient des mesures à cet effet.
Le projet de loi précisera aussi les lois en codifiant un vaste ensemble jurisprudentiel qui reconnaît que l'intérêt de l'enfant doit prédominer au moment de rendre des ordonnances de garde ou d'accès. Le projet de loi énonce un certain nombre de facteurs dont un juge devra tenir compte pour rendre une ordonnance et déterminer, en fonction des circonstances particulières de l'affaire, ce qui est véritablement dans l'intérêt fondamental de l'enfant. C'est tout à fait approprié et conforme aux demandes des avocats spécialisés en droit de la famille. Cela s'inscrit aussi dans la suite logique du rapport du comité mixte spécial découlant de l'étude entreprise par la Chambre et le Sénat en 1998 sur la garde des enfants et les pensions alimentaires pour enfants.
La question du déménagement me préoccupe. Plus tôt, j'ai d'ailleurs posé une question au ministre à cet égard. Pour des raisons évidentes, la question du déménagement est l'une des plus difficiles du droit de la famille lorsqu'un parent souhaite déménager avec son enfant. D'après le témoignage des avocats spécialisés en droit de la famille au comité, la Cour suprême n'a pas simplifié les choses. En effet, dans l'arrêt Gordon c. Goertz de 1996, elle prévoit un critère très discrétionnaire fondé sur l'intérêt de l'enfant. Cela a créé des ambiguïtés et, en fait, a entraîné une augmentation du nombre de litiges concernant les questions relatives au déménagement.
Ce projet de loi vise à fournir des certitudes en définissant trois cas pour déterminer à quel parent incombe le fardeau de prouver que le déménagement est dans l'intérêt de l'enfant. Ainsi, le projet de loi prévoit que, lorsque les périodes où l’enfant est confié à chacune des parties sont essentiellement équivalentes, le fardeau de cette preuve incombe au parent qui veut déménager. En revanche, lorsque l'enfant est confié, pour la très large majorité de son temps, à la partie qui entend procéder au déménagement, ce fardeau incombe à l'autre parent. Enfin, dans les autres cas, le fardeau de la preuve n'incombe à ni l'un ni l'autre des parents.
Cette approche est conforme à la mesure législative adoptée en Nouvelle-Écosse en 2013. Des témoins ont affirmé au comité qu'elle fonctionnait relativement bien et que les juges n'avaient pas de difficulté à déterminer quelle personne ou quel groupe relevait de chacune des trois catégories.
Cela étant dit, bien qu'il soit louable de la part du gouvernement de vouloir préciser les choses et les rendre plus prévisibles à la suite de l'affaire Gordon c. Goertz, je crains que cela crée une nouvelle source d'incertitude. À cet égard, il a été mentionné en comité, par le professeur Bala, je crois, un éminent juriste spécialisé en droit de la famille, que le terme « périodes [...] essentiellement équivalentes » n'implique pas nécessairement la garde partagée répondant au critère du seuil de 40 %. Inutile de dire qu'il s'agit d'un nouveau libellé, qui n'a pas été soumis à l'examen des tribunaux. Il fera l'objet de contestations. Il faudra donc surveiller la situation.
Par ailleurs, je crains que le partage en trois catégories ne soit pas approprié. Encore une fois, on a fait valoir en comité — et c'est un point de vue auquel je souscris — que, généralement, pour assurer la justice et veiller à l'intérêt de l'enfant, ce qui est l'objectif de la loi, le fardeau de la preuve devrait revenir au parent qui cherche à faire déménager l'enfant. C'est ce parent qui devrait avoir à prouver que le déménagement est dans l'intérêt de l'enfant, sauf dans des circonstances où l'enfant passe la majeure partie de son temps avec le parent qui déménage.
À moins que l'enfant soit en bas âge, le déménagement a normalement une incidence importante sur son quotidien, notamment l'ajustement à une nouvelle école, dans une nouvelle ville, et le fait de devoir se faire de nouveaux amis, sans parler de l'incidence sur les rapports de l'enfant avec l'autre parent, qui a peut-être pris des arrangements touchant l'accès ou la garde. Le déménagement peut souvent s'avérer une grande perturbation dans la vie de l'enfant. Ainsi, il serait plus approprié que, en règle générale, il revienne au parent qui déménage de démontrer que le déménagement est dans l'intérêt de l'enfant.
Ensuite, il existe certains problèmes techniques concernant l'avis à donner. J'ai déjà fait allusion à une des choses qui me préoccupent lorsque j'ai posé une question au ministre. En effet, la loi prévoit que le parent n'aura qu'à envoyer une lettre ou à donner un avis informel à l'autre partie.
Au comité, Lawrence Pinsky, l'ancien président de la Section nationale du droit de la famille de l'Association du Barreau canadien, a été l'un des témoins qui a remis en question la pertinence de cette forme d'avis. Tout comme moi, M. Pinsky croit que cela pourrait créer involontairement une situation où un parent affirmera avoir envoyé un avis, et l'autre parent dira qu'il ne l'a pas reçu. Entretemps, le parent qui prétend avoir envoyé l'avis pourrait avoir déménagé avec l'enfant. Que faut-il faire dans ces circonstances?
Dans de telles circonstances, il se pourrait que le parent qui ne déménage pas soit privé de l'accès et de la garde de leur enfant qui lui ont été conférés par une ordonnance. Dans ce cas, la personne qui est partie est-elle coupable d'outrage? Il semble qu'il s'agit là d'une lacune du projet de loi qui devra être corrigée au moyen d'un très léger amendement quand il sera renvoyé au Sénat, puisque cela n'a pas été fait au comité.
Il y a ensuite la question du délai de 30 jours pour fournir une réponse. La personne qui prévoit un déménagement important devra fournir un préavis de 60 jours, et la personne qui reçoit l'avis aura 30 jours pour fournir une réponse. Le délai de 30 jours peut poser problème aux personnes qui vivent dans des collectivités du Nord ou éloignées et qui n'ont pas facilement accès aux services d'un avocat. Cela pourrait aussi poser problème aux personnes défavorisées ou peu renseignées sur le processus judiciaire qui pourraient n'avoir jamais retenu les services d'un avocat auparavant ou ne pas en avoir les moyens au moment de devoir préparer une demande. Il peut y avoir des obstacles considérables pour nombre de Canadiens de certains milieux. C'est un aspect préoccupant.
Il y a ensuite le fait de devoir s'adresser tout de suite aux tribunaux. Dans les faits, le parent qui reçoit l'avis n'aurait d'autre choix que de soumettre une demande à la cour pour s'opposer au déménagement. Or, cela va à l'encontre de l'un des objectifs clés du projet de loi, qui est d'encourager les parties à résoudre leur différend sans recourir aux tribunaux, dans la mesure du possible. Dans la plupart des cas, la personne qui souhaite déménager y aura pensé bien avant les 60 jours de préavis. En revanche, dans bien des cas, la personne qui ne déménage pas pourrait n'être informée du déménagement qu'au moment de recevoir l'avis, et le parent aurait alors 30 jours pour répondre.
Il s'agit bel et bien d'un problème, car une personne peut avoir besoin de temps pour assimiler le fait que son ex-conjoint va déménager, comprendre les répercussions sur les arrangements touchant la garde ou l'accès et s'apercevoir que son ex-conjoint et elle ne pourront pas négocier et travailler de concert pour éviter une procédure judiciaire. C'est pour cette raison que j'ai proposé un amendement fondé sur un certain nombre de témoignages. J'ai proposé que la partie concernée ait 90 jours pour donner avis à l'autre partie, qui aurait quant à elle 60 jours pour répondre. Là aussi, il s'agit d'un amendement relativement mineur, et j'espère que le Sénat le reprendra à son compte, parce qu'il n'a pas été retenu par le comité de la justice. Il aurait pourtant eu une grande incidence pour de nombreuses familles.
J'ai été déçu de constater que le projet de loi ne tenait pas compte du fait que, dans la majorité des cas, le partage des responsabilités parentales est préférable. Je ne dis pas qu'il l'est toujours — il ne l'est pas dans les cas de violence familiale, par exemple —, mais la plupart du temps, oui. Partant de là, c'est absurde d'empêcher un parent qui n'a rien à se reprocher d'avoir accès à ses enfants aussi souvent que possible et de passer autant de temps que l'autre parent avec eux, mais nous savons que ce genre de chose arrive tous les jours. Le gouvernement doit se dire, du moins je le suppose, que ce n'est pas là-dessus que porte le projet de loi, et j'imagine qu'il rejette la notion même de partage des responsabilités parentales au motif que le projet de loi est axé uniquement sur l'intérêt supérieur de l'enfant.
Je conviens tout à fait que toute décision sur une question relative à la garde ou à l'accès devrait être fondée exclusivement sur l'intérêt de l'enfant. Or, en réalité, dans bien des situations, ce qui est dans l'intérêt de l'enfant, c'est que le partage des responsabilités parentales soit maintenu. C'est ce que nous disent l'expérience, le bon sens et un vaste éventail de travaux de recherche en sciences sociales. C'est pourquoi, quand le Sénat s'est penché sur les questions de garde et d'accès en 1998, il a recommandé que l'on inscrive dans la loi des facteurs que le tribunal devrait prendre en compte pour déterminer ce qui est dans l'intérêt de l'enfant, ce que le gouvernement a fait dans le projet de loi. Les avantages que l'enfant peut retirer du partage des responsabilités parentales étaient un de ces facteurs.
Donc, dans l'ensemble, bon nombre des modifications qu'apporterait le projet de loi sont judicieuses. Ce dernier est plutôt bien accueilli par les avocats spécialisés dans le droit de la famille, de même que les autres groupes qui interviennent dans les cas de divorce, de séparation, et cetera. Certains points pourraient cependant être améliorés. J'espère que les sénateurs approfondiront la question.