Monsieur le président, le nombre de vies canadiennes fauchées depuis le début de la crise des opioïdes est renversant, il ne cesse de croître et il fait réfléchir. Cette crise touche toutes les localités et tous les groupes démographiques du pays. Plus de 10 000 Canadiens sont morts d'une surdose au cours des trois dernières années seulement, et le bilan ne semble pas près de s'améliorer. L'an dernier seulement, la crise des opioïdes a causé la mort de près de 4 000 Canadiens, soit un nombre de victimes supérieur au bilan des accidents de la route et des homicides mis ensemble.
Les origines de cette crise remontent à la fin des années 1990, lorsque le nombre d'ordonnances pour des opioïdes a commencé à augmenter de façon spectaculaire au Canada. Des experts soutiennent que les fabricants de médicaments ont encouragé cette prolifération en cherchant délibérément à minimiser les risques associés aux puissants opioïdes comme l'OxyContin.
Selon un expert en matière d'innocuité des médicaments, le Dr David Juurlink, les médecins ont été très heureux d'apprendre qu'ils devraient avoir recours à ces médicaments plus librement en raison du nombre limité d'options de traitement offertes pour soulager la douleur chronique. Le Canada se situe maintenant au deuxième rang des pays où l'on consomme le plus d'opioïdes pharmaceutiques, après les États-Unis.
Pour mettre les choses en contexte, 21 millions d'ordonnances d'opioïdes ont été délivrées en 2017. C'est suffisant pour remplir toutes les armoires à médicaments du pays. Outre le problème répandu de dépendance engendré par la prescription excessive d'opioïdes, le nombre de décès croissant que nous voyons à l'heure actuelle est en grande partie attribuable au fait que la drogue du marché noir au Canada est devenue toxique, car, la plupart du temps, elle contient du poison et est contaminée au fentanyl.
Selon une récente étude du British Columbia Centre on Substance Use, seulement 39 % des drogues vérifiées dans deux centres de consommation supervisée correspondaient à ce que l'utilisateur pensait avoir acheté. Cela a des conséquences désastreuses pour les premiers répondants du pays.
Devant l'ampleur et la gravité de la crise, il est facile de se laisser aller au désespoir et d'être tenté de dire qu'il n'y a plus rien que le gouvernement puisse faire. Même s'il n'existe pas de solution immédiate ou un moyen de remédier complètement à cette épidémie de surdoses, cela ne veut pas dire que nous avons épuisé toutes les mesures possibles. En fait, on peut et on doit faire beaucoup plus.
Les néo-démocrates du Canada ont un certain nombre de propositions positives fondées sur des données probantes pour contenir cette crise. Premièrement, nous devons reconnaître que la crise nécessite une déclaration de sinistre à l'échelle nationale. La Colombie-Britannique, l'épicentre de la crise des opioïdes, a déclaré l'état d'urgence en santé depuis avril 2016. Les néo-démocrates du Canada réclament une déclaration semblable au niveau fédéral depuis plus de deux ans. Malheureusement, le gouvernement fédéral libéral refuse de recourir à cet outil. Les libéraux prétendent que la déclaration de sinistre est inutile, qu'elle ne procurerait aucun autre levier d'intervention. C'est tout à fait faux.
Une telle déclaration constituerait une reconnaissance officielle du fait que, lorsque nous enterrons 11 Canadiens par jour, nous avons atteint une situation d'urgence au pays. Elle affirmerait au public l'urgence avec laquelle le gouvernement fédéral aborde la crise. Outre sa valeur symbolique, la déclaration d'un sinistre aurait l'effet concret de permettre au gouvernement fédéral de coordonner une réponse pancanadienne à cette crise, chose qui n'a pas été faite jusqu'à présent.
En particulier, le paragraphe 8(1) de la Loi sur les mesures d'urgence confère au gouvernement fédéral le pouvoir net de prendre, par décret ou règlement, toute mesure qu'il croit fondée en l'occurrence parmi, notamment: l'habilitation ou l'ordre donnés à une personne de fournir des services essentiels; la réglementation de la distribution et de la mise à disposition des denrées, des ressources et des services essentiels; l'autorisation et le versement de paiements d'urgence; la mise sur pied d'abris et d'hôpitaux d'urgence.
Cela signifie que nous pourrions alléger les formalités administratives et permettre au gouvernement fédéral d'autoriser rapidement et de soutenir les services de prévention des surdoses qui sont actuellement exploités illégalement et sans financement fédéral, mais qui sauvent des vies. Cela signifie que les professionnels de la santé qui travaillent en ce moment dans des centres non autorisés partout au Canada ne seraient plus forcés de mettre en péril leur permis d'exercice et leur liberté personnelle pour sauver des vies. Cela permettrait l'allocation urgente de ressources de l'ordre voulu pour remédier adéquatement au nombre croissant de morts.
Deuxièmement, il faut commencer à reconnaître la consommation et la toxicomanie pour ce qu'elles sont vraiment: des problèmes de santé. Par conséquent, le gouvernement fédéral doit débloquer d'importantes sommes pour financer toutes les formes de traitement des toxicomanies qui sont fondées sur les données probantes, de l'abstinence à un traitement de substitution aux opioïdes en 12 étapes. Les soins doivent être adaptés à tous les segments de la population, que ce soient les jeunes, les femmes ou les Canadiens autochtones. Le traitement doit être un service pleinement assuré qui est offert par le système de santé public afin que les personnes et les familles puissent avoir accès rapidement à des soins dans des établissements de qualité, peu importe leurs revenus ou leur capacité de payer.
Lorsque les gens sont prêts à recevoir un traitement, ils doivent l'obtenir immédiatement. Ils ne peuvent pas attendre ne serait-ce qu'un jour ou ils risquent la mort. Pourtant, sur ce point, le système public échoue lamentablement. Par exemple, la liste d'attente est d'un an et demi pour les lits financés par l'État au Pine River Institute, le seul programme de traitement en établissement de l'Ontario pour les jeunes de 13 à 19 ans. Angie Hamilton, directrice générale de l'organisme Families for Addiction Recovery, a qualifié, à juste titre, la situation d'inadmissible. L'heure est venue de reconnaître que la toxicomanie est une maladie comme une autre. Il est plus que temps que nous comblions cette lacune mortelle de notre système de santé, qui n'offre pas le traitement dont les Canadiens ont besoin.
Troisièmement, aux États-Unis, les autorités fédérales ont intenté des poursuites au criminel et elles ont recueilli plus de 600 millions de dollars d'amendes, de dommages-intérêts et d'autres frais auprès de Purdue Pharma pour avoir fait une commercialisation abusive de l'OxyContin et cherché à tromper le public. L'été dernier, le gouvernement néo-démocrate de la Colombie-Britannique a aussi intenté une poursuite au civil contre les fabricants et les distributeurs d'opioïdes afin de recouvrer les énormes dépenses publiques découlant de la gestion de cette crise. L'ensemble des provinces et des territoires ainsi que le gouvernement fédéral peuvent adhérer à cette poursuite. Si les cadres d'entreprises ont minimisé ou dissimulé les propriétés toxicomanogènes des opioïdes sur ordonnance aux États-Unis, il est fort possible qu'ils aient fait de même au Canada. Les néo-démocrates estiment qu'il est temps pour le gouvernement fédéral d'appuyer la poursuite de la Colombie-Britannique et de lancer lui-même une enquête visant à déterminer si des sanctions pénales sont justifiées au titre de la loi fédérale.
Quatrièmement, nous devons être prêts à aller au-delà de l'idéologie discréditée de la « guerre contre la drogue » au profit d'une approche fondée sur des données probantes en matière de politique antidrogue au Canada. Comme nous le diront tous les policiers du pays, étant donné que le taux de mortalité par surdose est très fortement influencé par l'offre de drogues illicites contaminées, il est manifestement nécessaire d'envisager la décriminalisation et la réglementation médicale des drogues. En effet, il est évident que nous pourrions éviter des milliers de morts inutiles si les toxicomanes cessaient de consommer du poison et que le système de santé leur permettait d'avoir accès de façon continue à des doses connues de substances réglementées.
L'exemple du Portugal montre que la décriminalisation donne de bons résultats. En 1999, le Portugal était aux prises avec une crise des stupéfiants causée par la présence d'héroïne toxique et bon marché. Comme les dommages continuaient de s'accumuler, le gouvernement du Portugal a décidé de traiter la consommation de drogue comme un enjeu de santé publique plutôt que comme un crime. La crise s'est rapidement résorbée. Dans les années qui ont suivi, le Portugal a été témoin d'une baisse marquée de plusieurs phénomènes, dont la consommation problématique de drogue, les taux de contamination au VIH ou au virus de l'hépatite, les décès par surdose, les crimes associés à la drogue et les taux d'incarcération. Au Portugal, 90 % des fonds publics affectés à la lutte contre la drogue se concentrent sur des objectifs de santé, et seulement 10 % vont à l'application des lois. Par contraste, au Canada, 70 % du financement visant à lutter contre la consommation de drogue vont à l'application des lois. Au Portugal, sur un million de personnes, 6 meurent d'une surdose. Au Canada, ce nombre est de 110. Il est temps que le Canada explore la voie qu'a choisie le Portugal.
Pour terminer, je souhaite m'adresser directement à tous les Canadiens qui ont perdu un être cher. Nous sommes inspirés par le courage dont ils font preuve quand ils répondent présents, parlent de leur expérience et exigent que nous fassions mieux. La meilleure façon d'honorer la mémoire des personnes que nous avons perdues, c'est de faire tout notre possible pour empêcher que la drogue cause d'autres morts inutiles et évitables. Nous pouvons mettre un terme à la marginalisation et à la stigmatisation des personnes les plus vulnérables du pays. Nous pouvons endiguer cette crise et bâtir un avenir meilleur fondé sur le courage, la compassion, l'amour et la science. Il est temps de suivre cette voie, et les néo-démocrates s'y emploient avec conviction.