Monsieur le Président, cette fin de session revêt un caractère mélancolique, alors que l'on s'apprête à fermer cet édifice, qui a été pour moi une deuxième demeure pendant 35 ans.
On se rappellera que l'édifice du Centre, victime d'un incendie majeur, a dû être rebâti et qu'il a ouvert ses portes sous sa forme actuelle en 1920, soit il y a presque 100 ans. J'aurai passé plus du tiers de ce siècle à arpenter ses corridors. Je pourrais vous entretenir pendant des heures de tout ce que j'y ai vu et entendu. J'y ai mis les pieds pour la première fois en 1984, sous la bannière des progressistes conservateurs. On était à l'époque du beau risque de René Lévesque. Les nationalistes québécois redonnaient une chance au Canada et voulaient s'y tailler une place dans la dignité.
J'étais à la Chambre lorsque cette volonté s'est incarnée dans l'accord du lac Meech. J'y étais aussi lorsque cette entente a échoué. Je faisais partie de ceux qui ont traversé la Chambre pour siéger comme députés indépendants à la suite de cet affront à la nation québécoise. J'étais à la Chambre, il y a 27 ans, lorsque ce groupe parlementaire s'est transformé en parti, le Bloc québécois. Sous cette nouvelle bannière, mais toujours en ce même édifice, j'ai connu l'arrivée des indépendantistes à l'opposition officielle en 1993.
J'ai vécu, ici comme au Québec, le référendum de 1995. Les débats étaient très acrimonieux, il va sans dire. J'étais aussi là lors des débats sur la clarté référendaire. Cependant, aujourd'hui, on se souvient des beaux moments plutôt que des querelles. On se souvient des moments historiques partagés avec de grands parlementaires de toutes les allégeances. Ce parlement est un lieu fondé sur le profond respect entre les individus qui y servent leurs concitoyens. C'est signe qu'ici, nos idées sont différentes et nos débats sont vigoureux, mais nous reconnaissons que chacun d'entre nous a une sincère volonté de faire le mieux possible pour les gens que nous représentons.
Je me rappelle de grands moments que nous avons partagés ensemble, comme en 1990, lorsque Nelson Mandela a pris la parole ici-même, quelques mois à peine après sa sortie de prison, après y avoir été détenu pendant 27 ans et s'être battu pour la libération de son peuple. Je me rappelle de grands moments comme la visite plus récente de la jeune Malala, qui a reçu le prix Nobel de la paix à seulement 17 ans. Je me rappelle de grands moments comme les excuses officielles pour les pensionnats autochtones.
Je me rappelle aussi des moments tristes que nous avons connus ensemble, comme lorsque la vie de notre chef Lucien Bouchard était en danger. Je n'oublierai jamais qu'une députée du Parti réformiste avait déposé une rose blanche sur son bureau, et qu'au retour à la Chambre de M. Bouchard, Preston Manning s'était approché de lui pour le saluer chaleureusement sous les applaudissements unanimes de la Chambre.
Je n'oublierai jamais non plus la peine que nous avons vécue lorsque deux de nos collègues députés du Bloc québécois, Benoît Sauvageau et Gaston Péloquin, ont perdu la vie dans des accidents de la route dans l'exercice de leurs fonctions.
Il y a aussi eu des moments drôles et plus agréables à la Chambre. Avec plus de 300 députés et d'innombrables membres du personnel qui passent de longues heures confinés dans cet édifice, les moments drôles ne manquent pas.
Je me souviens, par exemple, de l'honorable Jean Chrétien qui recevait à la Chambre Tony Blair et son épouse, Mme Cherie Blair. M. Chrétien se faisait un plaisir d'appeler Mme Blair par son prénom, Cherie, parce que, disait-il, c'était la seule femme qu'il pouvait appeler « chérie » sans que son épouse ne dise un mot.
C'est pour toutes ces raisons et tous ces moments que je suis un peu anxieux, aujourd'hui, à l'idée de quitter cet édifice. On s'attache à son décor, à son histoire et à ses fantômes. J'espère que ces fantômes nous suivront dans le nouvel édifice. Si nous n'avons qu'une chose à conserver de la Chambre et à transférer dans le nouvel édifice, c'est la mémoire de tous ceux qui y ont siégé dans le respect des idées des autres et dans la volonté de servir les citoyens qui nous accordent leur confiance.
Bon temps des Fêtes à toutes et à tous, et bon déménagement!