Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, membres du Comité, de m'avoir invitée à prendre la parole ce matin dans le cadre de l'étude du Comité sur la Loi sur l'accès à l'information.
J'ai suivi de près votre travail, j'ai pris connaissance des témoignages des divers témoins et j'ai lu les soumissions que vous avez reçues au cours de votre étude. En peu de temps, vous avez recueilli une quantité importante de renseignements qui serviront à orienter vos réflexions.
Je suis également consciente de l'annonce récente du gouvernement concernant l'adoption d'une approche en deux phases pour améliorer le régime d'accès à l'information. La première phase consisterait à déposer au Parlement un projet de loi en accord avec la lettre de mandat du président du Conseil du Trésor, avec quelques ajouts mineurs. Le gouvernement consulte actuellement les Canadiens au sujet de quelques propositions liées à cette première phase. La deuxième phase impliquerait un examen plus approfondi de la Loi qui débuterait en 2018 et qui serait effectué tous les cinq ans.
Monsieur le président, je comprends le désir du gouvernement de respecter rapidement ses promesses précises. Je comprends aussi que, si effectivement le Parlement décidait d'adopter une loi d'accès avec un modèle d'ordonnance, une période devrait être prévue pour la mise en place d'un tel régime. Je dois dire cependant que cette approche en deux phases me déçoit. Notre Loi sur l'accès à l'information est manifestement désuète, en plus d'être largement dépassée à l'échelle nationale et internationale. La Loi n'atteint pas le juste équilibre entre le droit du public d'accéder à l'information et la nécessité du gouvernement de protéger certains renseignements.
La mise en oeuvre des recommandations formulées dans mon rapport spécial rétablirait cet équilibre essentiel. Elle permettrait de ramener le Canada au premier plan en ce qui a trait aux lois sur l'accès à l'information. Les recommandations de mon rapport sont ancrées dans les normes les plus élevées et les pratiques exemplaires sur le plan de la législation en matière d'accès à l'information, lesquelles proviennent des lois d'autres administrations, des lois types et des guides, ainsi que de plusieurs rapports de haut niveau déjà effectués sur la réforme de la Loi.
Toutefois, afin d'aider le Comité tandis qu'il se prépare à produire son rapport sur son étude de la Loi, j'ai sélectionné les recommandations auxquelles, selon moi, on devrait accorder la priorité dans une première phase. Ces priorités ont été sélectionnées pour leur plus grande contribution à la transparence du gouvernement. Les voici donc: l'extension du champ d'application, l'obligation de documenter, le respect des délais, la promotion d'une divulgation maximale, la surveillance efficace et un examen périodique obligatoire.
Élargir la portée de la Loi aux cabinets ministériels et aux institutions qui soutiennent le Parlement et les tribunaux représente un grand pas dans la bonne direction pour assurer une meilleure reddition de comptes et une transparence accrue.
Les ministres et leurs secrétaires parlementaires, les ministres d'État et le premier ministre sont des titulaires de charge publique qui prennent des décisions qui ont des incidences sur les Canadiens. Ces décisions influencent aussi la façon dont l'argent des contribuables est dépensé. Il incombe aux ministres et à leur personnel de se montrer responsables en divulguant des renseignements relatifs à l'administration de leur ministère ou à leurs autres responsabilités.
Le Parlement n'est pas visé par la Loi, mais le budget combiné de la Chambre des communes, du Sénat et de la Bibliothèque du Parlement en 2014-2015 s'élevait à plus de 500 millions de dollars.
La situation est similaire pour ce qui est des organes de soutien administratif des tribunaux. En 2014-2015, le budget combiné de la Cour suprême du Canada, du bureau de registraire de la Cour suprême du Canada, du Service administratif des tribunaux judiciaires, du Bureau du commissaire à la magistrature fédérale et du Conseil canadien de la magistrature s'élevait à plus de 600 millions de dollars.
Pour garantir la reddition de comptes et la transparence de ces institutions, celles-ci doivent être visées par la Loi. Je recommande donc au Comité de prioriser l'élargissement de la portée de la Loi aux cabinets ministériels et aux institutions qui soutiennent le Parlement et les tribunaux.
L'accès à l'information repose sur de bonnes pratiques en matière de tenue de dossiers et de gestion de l'information. En l'absence de documents, les droits que confère la Loi sont bafoués. Une obligation légale de documenter, assortie de sanctions adéquates en cas de non-conformité, constitue une modification essentielle dans la protection du droit d'accès. Une obligation légale de documenter le processus décisionnel protège les droits d'accès à l'information en créant des documents officiels; facilitant une meilleure gouvernance; augmentant la responsabilisation; assurant un héritage historique des décisions du gouvernement.
Sans obligation légale, il y a un risque réel — et nous l'avons constaté dans nos enquêtes — que toute l'information relative au processus décisionnel ne soit pas consignée ou préservée de manière appropriée.
Mes collègues des provinces et des territoires ainsi que moi-même avons présenté un certain nombre de résolutions conjointes à nos gouvernements respectifs pour créer une obligation légale de documenter. Je recommande donc une obligation légale exhaustive de documenter avec des sanctions appropriées en cas de non-conformité.
L'accès à l'information en temps opportun est un pilier de tout régime d'accès à l'information. Les problèmes de délais ne datent pas d'hier dans notre régime d'accès à l'information. Les demandeurs se plaignent souvent de retards. Les enquêtes concernant ces plaintes ont révélé une culture du retard dans l'ensemble du système d'accès à l'information.
Au chapitre 3 de mon rapport sur la modernisation, je formule plusieurs recommandations pour inverser la culture du retard, qui a affaibli le droit d'accès. Parmi celles-ci figure la limitation des prorogations de délai au strict nécessaire, d'après un calcul rigoureux, logique et soutenable, jusqu'à un maximum de 60 jours. Il faudra obtenir la permission de mon bureau pour se prévaloir de prorogations plus longues. Les recommandations visent également à diminuer les retards attribuables à la consultation d'autres institutions, d'autres juridictions et des tierces parties.
Tout le monde gagne à résoudre les problèmes de délais: les demandeurs recevront une information pertinente et utile, les institutions seront moins occupées à répondre à des plaintes, qui prennent beaucoup de leur temps et qui sont constamment en concurrence avec le traitement des demandes, et mes enquêteurs pourront concentrer leurs efforts sur le règlement des plaintes substantives de refus.
Environ 40 % de la charge de travail du Commissariat à l'information est consacrée aux plaintes administratives relativement aux retards et aux délais. La grande majorité de ces plaintes sont fondées. Je recommande donc de remédier aux délais par la mise en oeuvre de la série de recommandations contenues dans mon rapport à ce sujet.
La Loi prévoit que l'information détenue par le gouvernement soit accessible au public, sous réserve d'exceptions limitées et spécifiques, et que toute décision concernant la divulgation fasse l'objet d'un examen indépendant du gouvernement.
Cependant, en vertu de la Loi, de nombreuses exceptions ne sont pas suffisamment limitées ou précises. Aussi, la Loi prévoit des exclusions dont l'application est dispensée d'un examen indépendant. Il est prioritaire que le Comité trouve une solution à l'exception relative aux avis et recommandations — le véritable poids lourd des exceptions prévues à la Loi sur l'accès à l'information — et à l'exclusion s'appliquant aux documents confidentiels du Cabinet.
Soit dit en passant, monsieur le président, la Cour suprême du Canada a interprété une disposition très comparable en Ontario et a déterminé qu'à moins d'une modification législative, elle ne favorisera pas une plus grande divulgation.
L'élaboration des politiques et la prise de décisions sont au coeur de l'action du gouvernement. Bien qu'il soit d'intérêt public d'assurer la protection d'avis complets, donnés en toute liberté et en toute franchise, par les fonctionnaires, il est tout aussi important, dans l'intérêt public, de fournir aux citoyens les renseignements dont ils ont besoin pour participer aux processus d'élaboration des politiques et de prise de décisions. Ces renseignements sont nécessaires pour établir un dialogue constructif avec le gouvernement et demander des comptes au gouvernement relativement à ses décisions. C'est particulièrement important en 2016, dans le contexte des initiatives de gouvernement ouvert.
En vertu de l'exception actuelle applicable aux avis et recommandations, les renseignements relatifs aux priorités, aux politiques et aux décisions sont largement protégés contre la divulgation. Afin de limiter son application pour protéger seulement les intérêts en jeu, cette exception doit être restreinte pour ne s'appliquer que dans les cas où la divulgation risquerait de causer du tort. La portée et la durée de cette exception devraient également être limitées. Je recommande donc que la modification de cette exception soit traitée de façon prioritaire, si le gouvernement veut donner suite à son programme en matière de transparence et de responsabilisation.
Concernant les documents confidentiels du Cabinet, le Cabinet est chargé d'établir les politiques et les priorités du gouvernement du Canada. Les ministres doivent être en mesure de discuter de questions au sein du Cabinet en privé. Par conséquent, la nécessité de protéger le processus décisionnel ou les délibérations du Cabinet est bien établie.
Cependant, à l'heure actuelle, les documents confidentiels du Cabinet sont exclus du droit d'accès à l'information en vertu de la Loi, sous réserve de certaines exceptions limitées. L'exclusion telle qu'elle est formulée est trop large et elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger les délibérations du Cabinet.
Je recommande donc que l'exclusion des documents confidentiels du Cabinet soit abrogée et remplacée par une exception obligatoire limitée lorsque la divulgation révélerait la teneur des délibérations du Cabinet. Cela permettrait à la commissaire d'exercer sa fonction en matière d'examen indépendant.
Une disposition concernant la primauté de l'intérêt public permet de trouver un juste milieu entre le droit du public à l'information et l'intérêt protégé par l'exception. En effet, tenir compte de l'intérêt du public doit devenir un réflexe automatique au moment de déterminer si la non-divulgation de renseignements est appropriée et nécessaire. Je suggère également une liste de facteurs à prendre en compte pour soupeser l'intérêt public pour la divulgation de l'information. Ceux-ci comprennent l'engagement d'ouverture pris par le gouvernement ainsi que les effets sur l'environnement, la santé ou la sécurité publique. Cette liste non exhaustive peut aussi comprendre d'autres facteurs importants tels que les droits des populations autochtones.
Il est primordial que cette omission dans la Loi soit rectifiée afin d'assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires. Je recommande donc, à titre de priorité, qu'une disposition relative à la primauté de l'intérêt public soit incluse dans la Loi.
J'ai formulé un certain nombre de recommandations pour renforcer la surveillance du droit d'accès. À mon avis, le modèle le plus efficace est le modèle exécutoire, dans le cadre duquel les ordonnances sont assujetties à un examen judiciaire de la Cour fédérale. Ce modèle comprendrait de la médiation et de solides pouvoirs d'enquête, le pouvoir discrétionnaire d'entendre les appels, ainsi que l'attestation des ordonnances au même titre que si celles-ci émanaient de la Cour fédérale. Les avantages associés à ce modèle sont clairs et indiscutables.
Les ordonnances de la commissaire créeraient une jurisprudence qui augmente au fil du temps. Les demandeurs et les institutions auraient alors des directives claires quant à la position de la commissaire sur les obligations des institutions en vertu de la Loi. La jurisprudence réduirait aussi la probabilité que la commissaire doive examiner des questions ayant déjà été jugées. Ce modèle incite clairement les institutions à appliquer des exceptions uniquement lorsqu'elles disposent de preuves suffisantes pour soutenir la non-divulgation et à soumettre ensuite ces preuves à l'adjudicateur, comme l'examen judiciaire de la Cour est basé sur la preuve soumise à l'adjudicateur. Les motifs selon lesquels l'ordonnance peut être mise de côté sont limités, et l'institution ne peut présenter de nouvelles preuves ou compter sur de nouvelles exceptions.
D'ailleurs, monsieur le président, c'est une situation qui est en train de se présenter à la Cour fédérale, qui est saisie de deux affaires dans lesquelles les parties présentent de nouvelles preuves d'exceptions alors que les procédures sont entamées. Ce n'est pas inhabituel dans le système actuel.
Le modèle exécutoire, qui s'assortit d'un examen judiciaire, éviterait ce genre de situation, parce que dans ce contexte, c'est la décision de l'adjudicateur et non celle de l'institution qui est examinée par le tribunal. Cela évite la redondance découlant de deux niveaux d'examen de la même décision, ce qui pourrait donner accès à l'information plus vite. Le fardeau lié à la demande d'un contrôle judiciaire repose sur les institutions et non sur les demandeurs, comme dans le système actuel, si l'institution souhaite s'opposer à la divulgation ordonnée par un adjudicateur. Il a un caractère définitif pour les demandeurs, car les ordonnances de l'adjudicateur sont exécutoires, sauf si elles sont examinées par la Cour. En résumé, ce modèle améliore le respect des délais, inculque la discipline et s'avère un vecteur de prévisibilité.
Le modèle de surveillance qu'on trouve dans la Loi doit s'accompagner d'autres pouvoirs pour que son efficacité soit optimale. Ces pouvoirs incluent notamment la capacité d'effectuer des audits de conformité à la Loi dans les institutions, de mener des enquêtes, de mener à bien des activités éducatives, de diriger ou de financer la recherche, d'émettre des avis sur la législation, les programmes et les activités qui ont des répercussions sur les droits d'accès à l'information. Ces pouvoirs sont très similaires à ceux qu'on trouve actuellement au Canada dans la loi de la Colombie-Britannique, par exemple.
Je recommande donc un modèle exécutoire complet, ce qui placera le Canada au premier plan en ce qui a trait aux lois sur l'accès à l'information.
Si le Parlement décide d'adopter une approche en deux étapes pour réformer la Loi sur l'accès à l'information, les dispositions législatives doivent absolument prévoir, à la première étape, un examen obligatoire en 2018 et un examen tous les cinq ans par la suite. Un examen exhaustif serait donc bel et bien effectué en 2018.
Monsieur le président, je tiens à répéter que la Loi n'est plus à la hauteur des normes d'aujourd'hui, de sorte que les droits des Canadiens en matière d'information ne sont pas protégés adéquatement. J'estime qu'une réforme complète de la Loi est nécessaire depuis longtemps et qu'elle devrait être entreprise sans tarder pour tenir compte des réalités du XXIe siècle dans le domaine de l'information.
Au cours des 30 dernières années, et même davantage, il y a eu bien des études, bien des débats, bien des consultations et bien des examens de cette loi. Il est maintenant temps de prendre des décisions de principe pour réformer la Loi.
Il faut maintenant prendre des décisions stratégiques pour réformer la Loi. Les études se succèdent. Les enjeux ont été exposés et analysés à maintes et maintes reprises au cours des trente dernières années.
Monsieur le président, comme je l'ai déjà déclaré, la Loi ne permet pas de concilier le droit à l'information de la population et le besoin, pour le gouvernement, de protéger cette information. Il est temps d'agir fermement pour assurer la protection des droits d'accès des Canadiens.
Ce sera pour moi un plaisir de répondre aux questions des membres du Comité.