Merci.
La Section du droit pénal de l'Association du Barreau canadien est heureuse de formuler des commentaires sur le projet de loi C-46, qui propose de modifier les lois canadiennes sur la conduite avec facultés affaiblies. La Section reconnaît l'importance de la sécurité routière et du besoin de s'assurer que les lois canadiennes offrent des mécanismes d'application de la loi efficaces pour lutter contre la conduite avec facultés affaiblies. En tant qu'intervenants de première ligne, avocats de la Couronne et avocats de la défense, les membres de l'ABC estiment très bien connaître l'administration du droit dans ce domaine et les pressions qu'exercent les cas de conduite avec facultés affaiblies sur le système.
La réalité, c'est que les litiges liés à la conduite avec facultés affaiblies accaparent beaucoup de ressources des tribunaux, et il faut envisager toutes les modifications avec prudence et seulement les apporter lorsqu'elles sont nécessaires. La première partie du projet de loi concerne les facultés affaiblies par la drogue. La conduite avec facultés affaiblies par la drogue est une importante préoccupation et, vu la légalisation prévue de la marijuana, le nombre de conducteurs sur la route ayant consommé de la marijuana est susceptible d'augmenter. Nous comprenons qu'il faut prendre en considération cette réalité.
La partie 1 du projet de loi C-46 aurait pour effet de modifier l'article 253 du Code criminel pour définir les niveaux acceptables de drogue, comme on le fait déjà pour l'alcool. Cependant, la réalité, c'est qu'il est beaucoup plus difficile de déterminer le niveau d'effet des drogues que de l'alcool. La plupart des experts conviennent que tout le monde a les facultés affaiblies dans une certaine mesure par un taux d'alcoolémie de 0,08, mais l'analyse n'est pas aussi simple lorsqu'il est question des drogues. À l'automne de 2016, j'ai eu l'occasion de participer à une conférence sur la conduite avec facultés affaiblies par la marijuana parrainée par le gouvernement dans la ville de Québec. Les experts qui étaient là, des États-Unis et du Canada, étaient unanimes: il est impossible d'établir une limite à laquelle tous les conducteurs doivent être considérés comme ayant les facultés affaiblies par la marijuana. Les consommateurs expérimentés auront une tolérance plus élevée, et leurs facultés ne seront pas aussi facilement affaiblies que celles d'un consommateur occasionnel. Si la limite est établie à cinq nanogrammes, un consommateur expérimenté pourrait échouer le test, sans nécessairement avoir les facultés affaiblies. À l'opposé, un consommateur occasionnel pourrait réussir le test alors que ses facultés sont vraiment affaiblies.
L'ABC est une association d'avocats et, malheureusement, nous ne pouvons pas offrir des solutions valides d'un point de vue scientifique. Ce que nous voulons faire aujourd'hui, cependant, c'est de déterminer qu'il s'agit là d'un problème et affirmer que, afin de respecter la Constitution du Canada, toute limite proposée doit associer le niveau de concentration aux facultés affaiblies avec une preuve scientifique démontrée.
La partie 2 du projet de loi C-46 remplacerait les dispositions de la législation pénale actuelle sur la conduite avec facultés affaiblies par un tout nouveau régime. Du point de vue des intervenants de première ligne, tant du côté de la Couronne que du côté de la défense, il s'agit là d'un changement extrêmement problématique. En fait, notre première recommandation, c'est que la partie 1 du projet de loi soit adoptée, mais que la partie 2 soit éliminée.
La conduite avec facultés affaiblies est l'un des domaines du droit pénal qui font le plus l'objet de litiges, et chaque aspect des lois actuelles a fait l'objet d'un important examen constitutionnel. La jurisprudence est maintenant établie. Lorsque les dossiers se retrouvent devant les tribunaux, les arguments concernent principalement les faits d'un cas précis et la façon dont ces faits sont liés au droit établi. Nous ne plaidons plus sur la façon dont ces articles de la loi doivent être interprétés. Si la partie 2 du projet de loi C-46 est adoptée, nous serions essentiellement de retour à la case départ, et il faudrait débattre de l'interprétation et de la constitutionnalité des nouvelles dispositions.
Le système de justice pénale a encore de la difficulté à composer avec les limites de temps récemment imposées par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Jordan. Le gouvernement a reconnu que l'efficience des tribunaux est à un point critique. Le Sénat a récemment produit son rapport contenant des recommandations pour accroître les gains d'efficience. Nous reconnaissons tous que les retards devant les tribunaux sont une préoccupation importante. La Section de la justice pénale de l'ABC croit que ce n'est pas le bon moment pour imposer une loi qui imposera beaucoup de demandes au système. Selon nous, une révision complète des lois sur la conduite avec facultés affaiblies est inutile. À part le besoin de prendre en considération la conduite avec facultés affaiblies par la drogue, en misant sur les nouvelles percées technologiques sur le marché, les lois actuelles ne sont pas déficientes. Toute déficience que nous voyons poindre à l'horizon sera plus souvent le résultat d'un manque de formation et d'un manque de ressources que de problèmes liés aux dispositions législatives actuelles.
Je vais vous fournir quelques exemples de nos préoccupations précises liées à la partie 2 du projet de loi C-46.
Le paragraphe 320.14(5) proposé prévoit une défense liée à un taux d'alcoolémie « supérieure à 80 » si le conducteur a consommé de l'alcool après avoir conduit et ne pouvait pas s'attendre à ce qu'on lui demande de fournir un échantillon et si son taux d'alcoolémie était tel qu'il est possible que son taux ait été inférieur à 80 milligrammes au moment où il conduisait.
L'aspect de ne pas avoir de raison de croire qu'il faudrait fournir un échantillon est un ajout dans le projet de loi. L'expression « pas de raison de croire »... Qui devra approuver ou non cette raison de croire? En quoi consiste une « raison de croire »? Actuellement, si une personne tente de fausser les résultats d'un alcootest en consommant de grandes quantités d'alcool après avoir conduit, nous avons la possibilité d'accuser cette personne d'entrave à la justice. Le seul ajout du passage « pas de raison de croire [...] qu'il aurait à fournir un échantillon », c'est l'introduction d'une nouvelle terminologie qui générera de nouveaux litiges.
Nous sommes aussi très préoccupés par le dépistage obligatoire sur place proposé au paragraphe 320.27(2). Cette vérification est réalisée lorsque l'agent a un appareil de dépistage. Pour commencer, il faut comprendre qu'il serait très coûteux de distribuer ces appareils, mais, essentiellement, l'objection de l'ABC, c'est qu'il s'agit de tests aléatoires. Selon nous, il s'agit d'une violation de l'article 8 de la Charte et nous croyons que cette disposition ne résistera pas à une contestation constitutionnelle.
Ceux qui défendent le recours au dépistage aléatoire parlent souvent de l'Australie et de l'expérience australienne. Il y a eu en effet une importante réduction du nombre d'accidents de la route mortels et graves après la mise en oeuvre du dépistage obligatoire, mais il ne faut pas oublier que l'Australie n'a pas de charte des droits. Fait plus important, les Australiens n'avaient aucun système en place avant d'adopter le dépistage aléatoire. Au Canada, lorsque nous sommes passés d'une situation où il n'y avait pas de test à l'administration de tests en fonction des soupçons, nous avons aussi remarqué une réduction. Nous ne pouvons pas regarder le modèle australien et présumer que son application ici va générer les mêmes réductions.
L'autre réalité, c'est que l'Irlande a obtenu un certain succès, mais encore une fois, l'Irlande compose avec la consommation d'alcool et la conduite en vertu d'un système principalement administratif, plutôt qu'un système de justice pénale.
Lorsqu'on se penche sur la question du dépistage obligatoire sur place, il est important de reconnaître ces facteurs et de ne pas tout simplement accepter d'autres études et présumer que nous allons avoir les mêmes résultats à la lumière de nos lois actuelles et du fait que nous n'allons pas adopter un cadre administratif, comme c'est le cas dans d'autres pays.
L'ABC est aussi préoccupée par l'alinéa 320.28(2)b) proposé, qui semble permettre à tout agent de police de contourner complètement le travail de l'agent antidrogue et de demander une substance corporelle. Au titre de la loi actuelle, si un agent croit qu'une personne a les facultés affaiblies, il peut demander que cette personne se soumette à un test auprès d'un agent de police possédant les bonnes qualifications, un agent antidrogue.
En vertu du nouveau projet de loi, l'agent de police peut procéder ainsi, ou il peut contourner l'agent antidrogue et demander lui-même, directement, une substance corporelle. Essentiellement, on contourne ainsi totalement le besoin d'avoir recours à un agent formé. On se retrouve dans une situation où l'agent antidrogue, qui est formé, doit passer des tests avant de pouvoir présenter une demande d'échantillon de substance corporelle, tandis qu'un agent sans formation peut tout simplement présenter la même demande sans avoir passé de test. Selon nous, encore une fois, il s'agit d'un manquement, et nous croyons fermement que les agents non formés ne devraient pas avoir le droit de présenter une demande de substance corporelle. Il s'agit d'une demande beaucoup plus intrusive que lorsqu'on demande à quelqu'un de souffler dans un appareil.
L'article 320.29 proposé modifie l'article qui concerne les mandats après un accident entraînant un décès ou une blessure corporelle. Cependant, contrairement à l'article actuel sur les mandats, l'agent n'a pas à avoir des motifs de croire qu'une infraction a été commise; il doit seulement y avoir un accident, ce à quoi s'ajoutent les soupçons que la personne a de la drogue dans son organisme — pas « avait » de la drogue au moment de l'accident, mais « a » de la drogue dans son organisme — au moment où le mandat est demandé. Il n'y a aucun lien du tout entre les drogues ou l'alcool et l'accident. Essentiellement, cela pourrait permettre aux agents de police de demander un mandat dans tous les cas où il y a eu un décès ou un préjudice corporel, même lorsqu'il n'y a pas d'allégation d'infraction contre la personne ciblée. Encore une fois, une autorisation aussi générale a des répercussions importantes liées à la Charte.
Le projet de loi C-46 contient encore des peines minimales obligatoires, mais nous sommes heureux de constater qu'elles sont moins sévères que ce qui était prévu dans le projet de loi C-226. Cependant, les peines minimales obligatoires existent tout de même encore dans le projet de loi C-46. L'ABC s'oppose depuis longtemps à de telles peines et nous continuerons à le faire. Le ministre a aussi reconnu que ces peines sont problématiques, et nous soutenons le pouvoir judiciaire discrétionnaire de déterminer la pénalité appropriée en fonction du dossier, au cas par cas.
L'article proposé 320.23 prévoit qu'un délinquant n'est pas assujetti aux peines minimales obligatoires s'il participe à un programme de traitement, mais au titre du projet de loi C-46, cela peut seulement se produire si la Couronne consent. Nous croyons que ce devrait être le tribunal, et pas la Couronne qui détermine si un programme de traitement est requis. Nous sommes aussi préoccupés par le manque d'installations de traitement accessibles dans certaines administrations, ce qui pourrait créer des incohérences dans l'application de cet article.
Merci de votre attention; nous sommes prêts à répondre à vos questions.