Monsieur le Président, c'est un plaisir pour moi ce soir de parler de la motion du gouvernement sur les amendements proposés par le Sénat au projet de loi d'initiative ministérielle sur l'accès à l'information, lequel — comme mon collègue l'a signalé tout à l'heure — en a amèrement déçu plus d'un dans le milieu, dont les journalistes. Dernièrement, la Chambre a été le théâtre de débats sur la pertinence de la presse et sur les tentatives du gouvernement pour soutenir cette industrie. Que les libéraux aient raison ou non d'agir comme ils le font, ce n'est pas de cela qu'il est question aujourd'hui, et ce débat a déjà eu lieu.
Je pense que personne ne me contredira si j'affirme que les lois d'un pays sur l'accès à l'information figurent parmi les outils les plus importants des journalistes affectés à la couverture politique. C'est en effet grâce à elles que les journalistes, quand ils n'ont pas d'informateur sur qui compter ou personne de l'intérieur qui pourrait leur couler de l'information, peuvent obtenir l'information que le gouvernement ne veut pas révéler aux Canadiens et en faire un reportage. C'est donc dire à quel point le régime d'accès à l'information doit être de qualité.
Ce soir, des députés d'en face ont mentionné que le Canada n'a apporté aucune modification à son régime d'accès à l'information depuis son entrée en vigueur en 1983, ce qui est exact. C'est pour cette raison que l'idée d'une mise à jour du régime avait suscité pas mal d'intérêt. C'est pour cette raison que les gens ont été déçus quand ils ont vu que la commissaire à l'information, parlant du projet de loi initial, a dit que le statu quo était en réalité préférable à ce que le gouvernement proposait.
En fait, dans son témoignage devant le comité, qui pourrait s'appliquer non seulement à l'événement dont il est question dans la citation, mais aussi au scandale Duffy du gouvernement suivant et au scandale SNC-Lavalin dont nous avons été témoins ici ce printemps, l'ancienne commissaire à l'information Suzanne Legault a dit:
Lorsque je préparais mon passage devant ce comité, j'ai repensé à la demande qu'avait présentée Daniel LeBlanc, le journaliste qui a fait la lumière sur le scandale des commandites. Cette demande n'aurait pas satisfait à la nouvelle exigence imposée par le projet de loi C-58. Cela illustre parfaitement comment le nouvel article 6, dans son libellé actuel dans le projet de loi C-58, se traduirait par un grave recul.
Ce qui est intéressant, c'est que, malgré les belles paroles du gouvernement libéral quant à son intention de réformer et d'améliorer le régime d'accès à l'information, le projet de loi qu'il a présenté n'est pas du tout à la hauteur. Pendant les travaux du comité, mes collègues néo-démocrates ont proposé des amendements au projet de loi, mais le gouvernement les a rejetés du revers de la main. Encore une fois, cela montre que le gouvernement était de mauvaise foi et qu'il ne souhaitait pas vraiment modifier le régime d'accès à l'information.
Au début de la présente législature, j'ai fait partie du Comité permanent de l'accès à l'information, de la protection des renseignements personnels et de l'éthique. À l'époque, le Comité a souvent entendu l'ex-ministre Brison, qui était responsable du dossier pour le gouvernement, dire que, après des décennies d'attente, les libéraux allaient enfin procéder à une réforme formidable du régime en présentant un projet de loi. C'est le gouvernement libéral qui allait faire ce qui s'imposait. Le projet de loi allait être extraordinaire, et les Canadiens allaient avoir un accès sans précédent au gouvernement et aux renseignements le concernant.
Lorsque le projet de loi a finalement été présenté après une longue attente et de nombreuses pressions exercées à la Chambre et au comité pour que le gouvernement s'attaque au dossier, il ne ressemblait en rien aux promesses électorales des libéraux. Il ne ressemblait en rien aux idées du premier ministre sur la réforme de l'accès à l'information qu'il a présentées dans un projet de loi d'initiative parlementaire lors de la législature précédente. On se demande ce qui s'est passé entre-temps pour obtenir un projet de loi si décousu.
Une bonne partie des arguments en faveur du projet de loi repose sur deux ou trois différences dont on a abusé pour masquer les véritables lacunes du projet de loi. Tout d'abord, il y a la différence entre la divulgation proactive d'information de la part du gouvernement et l'accès à l'information par les Canadiens qui veulent obtenir des renseignements que le gouvernement en place ne veut peut-être pas leur donner parce que ce n'est peut-être pas dans son intérêt politique de le faire. J'ai parlé plus tôt du scandale des commandites, du scandale de Mike Duffy et du scandale SNC-Lavalin, ce sont tous des cas où il était dans l'intérêt du gouvernement de ne pas permettre aux Canadiens d'accéder à certains renseignements.
Ce que le ministre Brison et ses successeurs ont dit, c'est que les Canadiens devraient être heureux que le gouvernement publie volontairement plus d'information à ses propres conditions, comme il le choisit et dans le format qu'il choisit. Il n'y a rien de mal à cela. Je ne dis pas que les Canadiens ne devraient pas se réjouir que le gouvernement souhaite rendre plus d'information publique de certaines façons, mais là n'est pas l'objectif des lois sur l'accès à l'information.
Le régime d'accès à l'information ne vise pas à féliciter le gouvernement d'avoir rendu certaines informations accessibles parce qu'il le veut bien et choisit de les présenter dans un certain format. Nous n'avons pas du tout besoin d'un projet de loi sur la divulgation proactive. Le cadre législatif existe pour les Canadiens qui veulent avoir accès à certains renseignements que le gouvernement ne veut pas qu'ils aient. Voilà la raison d'être d'un régime d'accès à l'information, et c'est exactement le point que soulèvent la commissaire à l'information et d'autres intervenants, comme des journalistes. Ce n'est pas qu'il n'y aura pas plus d'information disponible au titre d'une autre définition; c'est que les journalistes et les autres personnes qui demandent au gouvernement de leur fournir certains renseignements se trouveront dans une situation plus difficile, notamment à cause de certaines modifications qui concernent la façon dont les demandes d'information doivent être présentées.
En fait, l'idée du gouvernement était que les gens devraient déjà en savoir beaucoup, non pas sur le sujet de leur demande, mais sur le document précis qu'ils demandent à consulter, et ce, sans jamais avoir vu le document ni même en connaître l'existence. Par conséquent, ne pas exiger des ministères qu'ils publient de l'information sur tous les documents qui existent et s'attendre à ce que la personne qui fait une demande de document en connaisse l'existence est une condition déraisonnable pour les Canadiens qui veulent mieux comprendre le fonctionnement de leur gouvernement.
Une autre importante astuce qui a servi à défendre cette mesure législative et qui n'est pas très utile est la distinction qui est faite entre une exclusion et une exemption. Le comité a entendu du commissaire à l'information, mais aussi de nombreux intéressés, qu'il était important de s'éloigner d'un régime d'exclusions. Lorsque des choses sont exclues, cela signifie que, de l'avis du gouvernement, l'information tombe sous une exclusion, pouvant être motivée par le secret du Cabinet. Cela se fait sans surveillance. Il n'y a pas de personne indépendante pour dire qu'un document ne devrait pas être protégé par le secret du Cabinet parce qu'il ne contient pas de conseils adressés au gouvernement, mais qu'il s'agit plutôt d'un document d'information ou autre chose.
Comme décrit dans un exemple donné au comité, on pourrait mettre tous les documents contenant de l'information relativement moins sensible dont la divulgation aux Canadiens pourrait déranger le gouvernement sur un chariot, les introduire dans la salle du Cabinet alors qu'il est réuni et dire que ces documents sont protégés par une exclusion en raison du secret du Cabinet parce qu'ils sont entrés dans la salle du Cabinet. Ce serait assez fourbe. Ce serait une chose terrible, mais certains d'entre nous croient que ce genre de fourberie ne serait pas une première en politique. Si certains députés d'en face n'en croient pas leur propre gouvernement capable, ils pourraient en croire d'autres capables.
Un régime d'accès à l'information devrait préciser les circonstances dans lesquelles cela n'est pas possible, ce qui rassurerait les Canadiens sur le fait que des gouvernements sans scrupules ne pourront pas le faire. Le problème est que les régimes fondés sur l'exclusion n'offrent pas cette garantie aux Canadiens. Les néo-démocrates et de nombreux Canadiens soucieux de ces enjeux estiment qu'il serait raisonnable d'avoir, au lieu d'une exclusion, une dispense permettant au gouvernement de dire que certaines pièces constituent des documents confidentiels du Cabinet, des avis au gouvernement et qu'à ce titre, elles ne doivent pas être divulguées. Le commissaire à l'information, qui traite en permanence d'informations de nature délicate, aurait alors la possibilité de consulter ces documents. Il y a en effet des fonctionnaires et des agents du Parlement qui traitent des documents confidentiels. Nous ne demandons pas quelque chose qui n'a jamais existé. Le commissaire à l'information aurait pour rôle d'examiner ces documents et de déterminer si, en fait, ils ne devraient pas être divulgués parce qu'ils constituent un authentique document confidentiel du Cabinet ou au contraire un document qui pourrait être divulgué parce que le gouvernement a abusé de la dispense. Cette question n'a pas été traitée.
En fait, les néo-démocrates voulaient que le commissaire à l'information ait le pouvoir de rendre des ordonnances. Il a ce genre de pouvoir au terme de ce projet de loi, mais ce que le Sénat avait prévu, comme nous le faisons remarquer dans nos recommandations, c'est le pouvoir de rendre des ordonnances semblable à celui d'une Cour fédérale. L'un des avantages d'octroyer ce pouvoir au commissaire à l'information se fondait sur le principe que ces ordonnances auraient le même poids que celle d'une Cour fédérale. Il était censé éliminer ce qui retardait considérablement le processus, c'est-à-dire l'appel judiciaire dans le cas d'un refus d'une demande d'accès à l'information.
Si le commissaire à l'information est autorisé à rendre une ordonnance, mais que cette dernière n'a pas la même force que celle d'un tribunal, cela signifie que les gens devront faire appel à la Cour fédérale afin de lui demander d'appuyer l'ordonnance et de lui conférer la force qu'elle aurait dû avoir dès le début. Le gouvernement a certes raté une occasion ici. La motion gouvernementale d'aujourd'hui ne contient pas l'amendement du Sénat qui donnerait cette force à l'ordonnance du commissaire à l'information, ce qui amoindrit l'un des principaux avantages de conférer au commissaire à l'information le pouvoir de rendre des ordonnances.
Dans le projet de loi d'initiative parlementaire sur le Cabinet du premier ministre présenté lors de la dernière législature et dans la plateforme électorale du Parti libéral, on s'engage à appliquer la loi au Cabinet du premier ministre et aux bureaux des ministres. Je sais que c'est une question qu'abordait beaucoup le ministre Brison au début de la présente législature, puis il a arrêté de le faire. Il est curieux que nous mentionnions l'ancien ministre, que ce soit lui qui soit responsable de la réforme de l'accès à l'information, parce que, lors d'une autre législature dans cette enceinte, M. Brison était le ministre chargé de défendre l'ancien gouvernement libéral lorsque le scandale des commandites a éclaté. En fait, l'ancien député d'Elmwood—Transcona, l'a qualifié d'« expert en acrobaties », je crois, pour sa performance dans ce dossier. Il a défendu tout aussi habilement les réformes par le gouvernement actuel des lois sur l'accès à l'information, qui ne sont vraiment pas à la hauteur, malgré ce que tentait de nous faire croire M. Brison. De toute évidence, le gouvernement a omis de respecter une promesse claire dans le programme libéral, qui prévoyait que les lois sur l'accès à l'information s'appliqueraient au Cabinet du premier ministre et aux bureaux des ministres. Une situation s'est produite ce printemps qui a très bien montré pourquoi les Canadiens voudraient que cette promesse soit tenue.
Le scandale SNC-Lavalin nous a montré l'importance de prendre de bonnes notes en ce qui a trait aux conversations entre un ministre et un membre du personnel politique supérieur ou, dans certains cas, entre deux ministres ou entre deux membres du personnel politique supérieur. Voilà pourquoi le comité de l'accès à l'information, composé de parlementaires de tous les partis, a recommandé que l'on impose également l'obligation de consigner. Non seulement nous avons constaté des cas où les notes consignées ont été déterminantes dans les témoignages livrés ce printemps ici à Ottawa, mais nous savons aussi que d'autres pays ont connu de graves scandales à propos de tentatives délibérées du gouvernement de communiquer avec le personnel politique supérieur et les ministres d'une manière visant à créer un vide en matière de documentation.
C'est problématique pour les journalistes et les Canadiens intéressés qui veulent utiliser le régime d'accès l'information pour sonder le pouls du gouvernement. Cependant, en tant que personne ayant étudié l'histoire, je dirais que c'est également une véritable perte pour les générations futures qui tenteront de comprendre pourquoi les gouvernements du passé ont pris certaines décisions. Par conséquent, c'est problématique si nous n'avons pas des attentes applicables, des règlements et des lois qui font pression sur le gouvernement, pour obliger les membres du gouvernement responsables de la prise de décisions relatives à d'importantes ressources du gouvernement, financières ou autres, à consigner les raisons de leurs décisions. Comment dans un tel cas la population peut-elle comprendre les décisions prises par le gouvernement, actuel ou passé? Voilà pourquoi nous recommandons clairement et constamment l'imposition de l'obligation de consigner. Il est décevant que le projet de loi ne prévoie pas cela.
Ce sont certaines de mes réflexions que je voulais déclarer publiquement. Selon moi, la conclusion est évidente, soit que, même si les gens ont attendu longtemps pour voir ces changements et qu'il y a pas mal de battage médiatique concernant les effets que ces changements auront, ces derniers ne sont pas suffisants.
J'ai vu dans mes notes que, présentement, le régime d'accès à l'information au Canada serait 49e au monde et, si le projet de loi à l'étude était adopté dans sa forme actuelle, le régime canadien se hisserait au 46e rang. Je pense qu'une réforme du régime d'accès à l'information qu'on ne verra qu'une fois dans une génération devrait améliorer notre rang passablement plus. C'est pourquoi je pense que les gens ont raison de dire que ce projet de loi représente une grande déception.