propose que le projet de loi C-372, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies concernant les régimes de pension et régimes d’assurance collective, soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Madame la Présidente, le 17 octobre 2017, au moment où Sears Canada annonçait sa faillite, je déposais le projet de loi C-372, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies. Les 20 000 drames qui s'amorçaient alors faisaient tristement écho aux 1 000 drames qu'avait connus Manicouagan en 2015 et rappelaient durement mais clairement la pertinence de mon projet de loi.
En janvier 2015, Cliffs Natural Resources, une compagnie américaine installée à Fermont et à Sept-Îles, au Québec, et à Wabush s'est placée sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, communément appelée la LACC.
Du jour au lendemain, quelque 1 000 retraités ont perdu près du quart de leurs pensions ainsi que leurs assurances collectives. Ces travailleurs avaient accepté, par l'entremise d'une entente négociée, une convention collective, de se priver pendant des années d'une part de leur salaire, de le différer pour se constituer un fonds de pension. Lors de la faillite de Cliffs, on leur a volé ce salaire. Des drames, parfois même des tragédies, c'est ce que nous avons connu chez moi sur la Côte-Nord.
Les drames sont humains. Ils ont des visages et des noms. Je pense à M. Bertrand Thériault de Sept-Îles, qui a travaillé pendant 30 ans à l'usine de bouletage de Cliffs. Pendant 30 ans, il a rempli sa part du contrat, dans la poussière. Après 30 ans, il ne récolte que des poussières, et mord même la poussière. Monsieur Thériault et son épouse ont en effet été obligés de vendre leur maison. Pour survivre, M. Thériault a dû sortir de sa retraite et commencer à réparer des vélos chez Canadian Tire.
Je pense à Mme Dolorès Chevarie et à son époux, atteint d'un cancer. À la suite de la fermeture de Cliffs, le couple s'est trouvé dans une situation extrêmement précaire, à cause de la perte de leurs assurances-médicaments. Pour ce couple d'aînés, les factures ont atteint plusieurs milliers de dollars. Il s'agit de se soigner. Ils n'avaient pas cet argent. Alors, qu'est-ce qu'on leur demande? Si, paradoxalement, la multinationale a continué de faire faire des profits à ses actionnaires pendant le processus de faillite, et même ensuite, c'est au détriment des Bertrand Thériault et des Dolores Chevarie. Nos lois cautionnent ces drames, il est vrai, mais nous, les législateurs, avons le pouvoir de les changer. Si les politiciens sont souvent perçus comme impuissants, c'est simplement parce qu'ils font le choix d'être impuissants. Aujourd'hui, je nous invite à faire la démonstration de ce que peut la politique à l'aide d'une seule chose qui nous est à tous accessible, la volonté.
Ce que je propose avec le projet de loi C-372, c'est de changer essentiellement la façon dont nos lois conçoivent les fonds de pension des travailleurs et des retraités. À l'heure actuelle, elles définissent le passif non capitalisé des caisses de retraite comme une créance ordinaire, au même titre qu'une facture de téléphone ou qu'une dette de carte de crédit. Il en va de même en ce qui concerne la somme visant à indemniser les travailleurs de la perte de leurs assurances collectives.
Tout au long de leur carrière, des travailleurs s'engagent à se priver dans l'immédiat d'une part importante de leur salaire afin de cotiser à un fonds de pension parce qu'ils savent que leurs efforts leur permettront de vivre lorsqu'ils prendront leur retraite. En contrepartie, lorsque l'employeur accepte de participer à un fonds de pension, il s'engage, en vertu de la convention collective, qui est un contrat, à ce que les travailleurs bénéficient de leur dû une fois que ceux-ci auront terminé leurs années de service. Le salaire des travailleurs appartient aux travailleurs. Le salaire différé des travailleurs appartient également aux travailleurs. Nul ne peut le nier.
Si nos lois accordent, avec raison, une priorité très élevée aux salaires impayés en tant que créance, elles n'accordent pas cette priorité au déficit actuariel des fonds de retraite. Ainsi, les lois sont incohérentes, car elles créent deux catégories de salaire. Il faut corriger cette aberration. Il faut que le principe du salaire différé s'incarne dans la loi de façon juste. Je le réitère, un fonds de pension est constitué de salaire différé. Il revient donc de droit intégralement aux travailleurs et aux retraités. Cela devrait être inaliénable.
On conviendra qu'il s'agit là d'une grave injustice. Lorsque ce fait sera reconnu par le Parlement, les législateurs que nous sommes agiront pour corriger cette injustice. Ce que je propose, au moyen du projet de loi C-372, c'est de reconnaître le problème, d'agir et de tendre toujours vers plus de justice. Mon projet de loi est très simple. En cinq articles, il modifie deux lois. Les articles 1 à 4 modifient la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et l'article 5 modifie la LACC.
D'abord, mon projet de loi fait en sorte que, en cas de faillite, pour que tribunal homologue une proposition faite au créancier, celle-ci doit prévoir le paiement total des coûts spéciaux lorsque l'employeur participe à un régime de pension, et ce, peu importe sa nature. Concrètement, cela signifie que les travailleurs ne verront plus leur pension amputée en cas de faillite ou de restructuration, comme cela a été le cas à de trop nombreuses reprises.
L'article 2 du projet de loi fait de ce passif non capitalisé une créance garantie sur les éléments d'actif de l'employeur. Les pourfendeurs de cette idée prétextent qu'une telle mesure entraînerait une augmentation du coût du crédit pour les entreprises et qu'elle pourrait inciter les banques à ne plus accorder de prêts. Je me permets ici de citer une analyste financière indépendante, Diane Urquhart, qui, en 2010, devant le Comité permanent des finances, affirmait:
[...] pour les sociétés dont la cote de solvabilité est élevée, mais qui ont des caisses de pension déficitaires [...] l'augmentation du coût du capital [serait de] 0,16 p. 100. C'est une somme qu'il est facile d'absorber, et elle devrait l'être, quand on la compare au coût social qu'il faut assumer quand ces sociétés [...] cherchent à déclarer faillite dans le seul but de jouer sur les deux tableaux et de réaliser des bénéfices.
La faillite d'une compagnie ne mettra pas les grandes banques à la rue, mais l'incohérence de nos lois peut, elle, y jeter nos retraités.
L'article 3 du projet de loi fait en sorte qu'en cas de mise sous séquestre, les paiements spéciaux seraient également garantis sur les biens du failli.
L'article 4 innove en introduisant la protection des assurances collectives en tant que créance privilégiée. Je pense qu'il est nécessaire d'accorder un rang de priorité plus élevé aux assurances collectives puisqu'il s'agit d'un avantage qui est acquis par le travail et qui mériterait une plus grande protection puisque, encore une fois, il s'agit d'une forme de rémunération. Au-delà de cela, en niant ce fait, ce sont des droits pour lesquels les travailleurs se sont battus et la sécurité des aînés elle-même que nous mettons sciemment en danger.
Enfin, l'article 5 du projet de loi vite à modifier la LACC pour que, en cas de restructuration, le tribunal ne puisse pas homologuer une proposition qui ampute les travailleurs d'une partie de leur pension ou qui ne les indemnise pas pour la perte de leurs assurances collectives.
S'il était adopté, le projet de loi C-372 réglerait une injustice, le vol éhonté des fonds de pension; il protégerait ce salaire des retraités pour que plus jamais, non, plus jamais personne n'éprouve le calvaire qu'ont vécu les retraités, mes retraités de Cliffs.
En terminant, je dois dire que je sais que le membre du gouvernement le plus sollicité par les lobbyistes est le ministre responsable de la LACC. Je sais que tous les partis fédéralistes ont appuyé le rapport du précédent gouvernement, qui proposait le statu quo relativement à la LACC.
Je sais que mon projet de loi ne plaira pas aux banques. Je sais qu'elles peuvent s'acheter beaucoup de lobbyistes. Je sais qu'elles ne veulent pas du projet de loi C-372 et qu'elles feront tout en leur pouvoir pour faire avorter ce projet de loi. Je sais tout cela. Je sais malheureusement aussi que, dans un avenir qui n'est peut-être pas si loin, d'autres entreprises feront faillite, car les crises sont inhérentes au système capitaliste. Je sais aussi que, si mon projet de loi n'est pas adopté, d'autres familles vivront des drames comme ceux que les miens ont vécu. Ce que nous avons, avec mon projet de loi, ce n'est pas la chance ou le privilège de changer les choses pour le mieux, mais le devoir de changer ces choses.
Lorsque je voterai pour ce projet de loi, je penserai aux retraités de Cliffs, mais aussi à ceux de Nortel, de Sears, de Mabe, de Stelco et à bien d'autres, avec le sentiment d'accomplir ce qui est juste en mon âme et conscience. J'espère que tous les parlementaires y penseront aussi lorsque viendra le temps de voter.
J'espère que la conscience de tous mes collègues sera en adéquation parfaite avec leurs principes moraux, parce que, après tout, nous sommes élus pour représenter les nôtres. Il ne faut jamais l'oublier. Je ne l'oublie pas. Je n'oublierai jamais, et je les représenterai dignement et fièrement, toujours.