propose que le projet de loi C-393, Loi modifiant la Loi sur le multiculturalisme canadien (non-application au Québec), soit lu pour la deuxième fois et renvoyé à un comité.
— Monsieur le Président, je suis très heureux de prendre la parole sur cet important projet de loi, très heureux de pouvoir le déposer au nom du Bloc québécois et très heureux d'entamer le débat nécessaire sur le multiculturalisme et son impact sur le Québec.
D'abord, ce projet de loi fait suite à la prétendue reconnaissance de la nation québécoise par ce Parlement. Je sais que le premier ministre n'y croit pas et qu'il veut faire du Canada le premier État « postnational » au monde, ce qui implique la disparition de l'identité nationale du Québec. C'est totalement ridicule.
La nation québécoise est notre communauté d'appartenance, le groupe auquel nous nous identifions, celui duquel nous discutons pour prendre les décisions qui concernent l'organisation de notre société. Parce que la nation est le lieu privilégié des décisions de nature politique, reconnaître une nation signifie reconnaître l'existence d'un corps politique doté de droits et d'aspiration politique légitime.
En reconnaissant la nation québécoise, la Chambre des communes a reconnu aux Québécois, peut-être malgré elle, le droit de contrôler eux-mêmes le développement social, économique et culturel du Québec.
En affirmant que la nation québécoise est formée de l'ensemble des résidants du Québec, peu importe leurs origines, leurs langues maternelles ou la région où ils vivent, le gouvernement fédéral a reconnu que la nation québécoise avait une assise territoriale claire composée de l'ensemble du territoire du Québec.
En somme, la reconnaissance de la nation québécoise accepte la légitimité des demandes répétées du Québec, pour que les Québécois aient les pouvoirs et les ressources nécessaires au développement de leur propre société.
Je tiens à rappeler, par ailleurs, que le Québec n'a jamais eu besoin d'Ottawa pour être une nation et l'affirmer unanimement.
Le 30 octobre 2003, l'Assemblée nationale du Québec adoptait à l'unanimité la motion suivante:
QUE l'Assemblée nationale réaffirme que le peuple québécois forme une nation.
Cette motion ne dit pas que les Québécois forment une nation si le Canada reste ce qu'il est ou que le Québec est une nation s'il opte pour la souveraineté. Elle dit que le peuple québécois forme une nation, un point c'est tout. Ce n'est pas pour rien que l'Assemblée nationale spécifiait, répétait et réaffirmait l'existence de la nation québécoise. En effet, la résolution répétait ce que tous les gouvernements du Québec disent depuis des décennies: Daniel Johnson père, en février 1968, disait:
La Constitution ne doit pas avoir uniquement pour objet de fédérer des territoires, mais aussi d’associer dans l’égalité deux communautés linguistiques et culturelles, deux peuples fondateurs, deux sociétés, deux nations [...]
René Lévesque, en juin 1980, disait:
Le Canada est composé de deux nations égales entre elles; le Québec constitue le foyer et le point d’appui d’une de ces nations. Possédant tous les attributs d’une communauté nationale distincte, il jouit d’un droit inaliénable à l’autodétermination. Le droit à l’autodétermination est le droit le plus fondamental que possède la collectivité québécoise.
Le Québec forme une nation dans le Canada ou non et depuis fort longtemps. C'est une réalité qu'aucun des partis fédéralistes n'a eu courage ou n'a le courage encore d'inscrire dans la Constitution.
Comme le disait Gilles Duceppe, le 22 novembre 2006:
[...] jamais je [ne dirai] que les Québécois forment une nation à la condition d'avoir un pays, et jamais je n'accepterai que la seule condition pour être une nation, c'est de reconnaître que l'on doive rester dans le Canada.
[...]
Nous sommes une nation parce que nous sommes ce que nous sommes, peu importe l'avenir que la nation québécoise choisira.
C'est pourquoi il importe à la nation québécoise d'avoir tous les outils pour se développer et surtout pour se définir elle-même.
J'ai donc inscrit, dans le projet de loi, le préambule suivant:
Attendu que les Québécois forment une nation et que, de ce fait, ils ont en main tous les outils nécessaires à la définition de leur identité et à la protection de leurs valeurs communes, notamment en ce qui a trait à la protection de la langue française, à la séparation de l’Église et de l’État et à l’égalité des sexes [...]
J'espère sincèrement qu'il y a unanimité de la Chambre sur ce préambule.
Cela dit, le Québec est une nation unique au monde, un peuple francophone de huit millions d'habitants sur un continent de près de 400 millions d'anglophones. Sur le plan démographique, au fil du temps, nous aurions dû disparaître. Véritable anomalie historique, le Québec a besoin de tous les outils pour perdurer, à commencer par son indépendance. Le gouvernement fédéral aurait pu être un allié face au phénomène québécois, je dirais même au miracle québécois.
Ottawa aurait pu utiliser ses pouvoirs pour permettre le développement de l'identité distincte du Québec. On se rappellera de l'épisode Meech-Charlottetown. Au contraire, Ottawa nuit au Québec et contribue à l'affaiblissement d'une culture québécoise rassembleuse.
Une des plus grandes attaques d'Ottawa contre la nation québécoise, contre ce que nous sommes collectivement, est le multiculturalisme. Le multiculturalisme nie le phénomène québécois, nie l'existence d'un tronc commun.
Lorsqu'on va sur le site du gouvernement du Canada, à la rubrique « Identité canadienne et société », on peut lire que le multiculturalisme « permet à tous les citoyens de préserver leur identité, d'être fiers de leurs origines ». En d'autres termes, il est inutile de s'intégrer.
Au Québec, le multiculturalisme n'est pas une politique d'intégration, c'est une politique de désintégration. C'est une politique qui crée une société fragmentée où cohabitent des gens issus de cultures diverses plutôt que de permettre le développement d'une société qui intègre les nouveaux arrivants pour enrichir une culture commune.
La vérité, c'est que le multiculturalisme rejette l'idée d'une culture commune en encourageant la coexistence de multiples cultures. Bien qu'on le définisse comme un modèle d'intégration, il préconise plutôt une cohabitation animée par l'indifférence, voire la tolérance, plutôt que par le respect de la différence, ce qui invariablement mène à la ghettoïsation.
Craignant l'impact du multiculturalisme en ce qui concerne le fractionnement de la société en une multitude de solitudes, le Québec a toujours rejeté l'approche canadienne, d'autant plus qu'elle banalise la place du Québec au sein du Canada et qu'elle nie l'existence de la nation québécoise.
Déjà en 1971, Robert Bourassa affirmait dans une lettre à Pierre Elliott Trudeau que « cette notion paraît difficilement compatible avec la réalité québécoise ». C'était vrai il y a près de 50 ans, c'est tout aussi vrai aujourd'hui.
Le Québec mise pour sa part sur l'intégration. La pluralité culturelle, la diversité culturelle, c'est une richesse à partager. Se connaître davantage, se parler davantage et bâtir ensemble, voilà l'approche québécoise. Pour ce faire, il faut s'entendre. C'est pourquoi, au Québec, nous demandons aux personnes immigrantes de reconnaître le fait français, de connaître la langue française, de l'apprendre et de reconnaître que c'est la langue de l'espace commun. C'est pourquoi le Québec insiste aussi sur la nécessité de respecter les principaux fondements du vivre-ensemble québécois, tels que la séparation de l'église et de l'État, l'égalité des sexes et l'existence d'un patrimoine culturel historique. Effectivement, ce patrimoine est multiculturel et non pas multiculturaliste.
Avant 2003, on allait jusqu'à parler d'un pacte civique à partager. Le modèle québécois d'intégration ne se contente pas d'une citoyenneté de type minimaliste; il ne vise pas simplement à favoriser l'épanouissement et la coexistence en vase clos des cultures minoritaires, mais également à amener ces dernières à se greffer à l'espace symbolique et institutionnel de la nation. En d'autres termes, contrairement à l'approche canadienne, qui parle de préserver leurs identités sans s'intégrer, l'approche québécoise en est une d'intégration autour de l'apprentissage de la langue française, langue officielle et commune de la citoyenneté, et de l'adhésion à un ensemble de principes fondamentaux.
Le ministère québécois de l'Immigration et des Communautés culturelles souligne ce qui suit:
Le défi d'une société interculturelle est d'abord un défi collectif: assurer l'harmonie en favorisant le maintien et l'appropriation de valeurs et de principes d'action qui réunissent l'ensemble des citoyens et des citoyennes. Ce défi se réalise dans le respect des différences personnelles, culturelles et religieuses.
On ne saurait mieux illustrer la différence entre l'approche canadienne et l'approche québécoise.
Le Québec est une société d'expression française, démocratique et pluraliste, basée sur la primauté du droit, ce qui signifie que toutes les personnes sont égales en valeur et en dignité et ont droit à une égale protection de la loi.
La connaissance et le respect des valeurs de la société québécoise sont nécessaires pour vous adapter à votre nouveau milieu de vie et y participer pleinement.
L'intégration passe par la participation pleine et entière, ce que nie le multiculturalisme.
Dans un article paru en février 2008 dans Le Monde diplomatique, Louise Beaudoin résumait bien l'incompatibilité des deux modèles d'intégration du Québec et du Canada:
Le Canada et le Québec ont adopté depuis bientôt trente ans deux systèmes différents d'intégration. La politique fédérale de multiculturalisme, calquée sur le modèle britannique, fait la promotion d'un mode de diversité culturelle fondé sur l'ethnicité et renvoyant chacun à sa communauté d'origine. Le Québec a plutôt opté pour un modèle fondé sur l'interculturalisme, c'est-à-dire sur l'échange culturel dans le cadre des valeurs communes d'une nation plurielle majoritairement francophone. La contradiction entre ces deux visions est flagrante et insurmontable.
Chez les nouveaux arrivants, c'est un facteur de confusion. Pour ceux-ci, en effet, le Québec se présente comme un État de langue française, mais dans un pays bilingue qui favorise le bilinguisme. Il se réclame d'une politique d'accueil et d'intégration qui insiste sur l'importance de plusieurs valeurs de base et qui affirme que le français est la langue de la citoyenneté, ce qui entre en totale contradiction avec la définition d'un Canada qui se dit et s'affiche bilingue et multiculturel.
Dans son mémoire préliminaire à la Commission Bouchard-Taylor, le Conseil des relations interculturelles du Québec soulignait cette confusion:
Cependant, ces efforts consentis par le gouvernement québécois pour définir et promouvoir son propre modèle d’intégration se sont heurtés à l’idéologie du multiculturalisme, parfois interprétée par certains groupes comme la possibilité de vivre sa propre culture dans une logique de développement séparé. [...] le discours idéologique issu des années 1970, qui présentait la société comme une mosaïque de cultures, alimente depuis lors, chez certains groupes, des perceptions en contradiction avec la vision québécoise.
Les personnes qui arrivent au Québec reçoivent donc deux messages contradictoires à leur arrivée. Loin de les blâmer, comme certains ont parfois tenté de le faire, le Bloc québécois estime plutôt qu'il faut clarifier le message qui leur est envoyé. Dans un manifeste du 8 février 2007 intitulé « En finir avec le multiculturalisme », les intellectuels québécois Charles Courtois, Dominic Courtois, Robert Laplante, Danic Parenteau et Guillaume Rousseau affirment ce qui suit:
Nous croyons que les Québécois veulent que soient affirmés les principes d’égalité, de laïcité publique, dans un cadre où la culture commune compte, inspirant les principes d’intégration et les modalités de règlement des différends. La Charte de la langue française l’affirme déjà, en partie: mais pour le faire complètement, une citoyenneté québécoise est essentielle. [...] Pour l’heure, les néo-Québécois sont assermentés nouveaux citoyens canadiens sans être encouragés à s’intégrer à la nation québécoise. Ce n’est pas ainsi que le Québec conçoit l’inclusion.
C'est pourquoi il importe pour le Québec de disposer de la plus grande marge de manoeuvre possible pour appliquer sa propre politique d'intégration et de citoyenneté. D'après nous, seule l'indépendance lui donnera entièrement les coudées franches. Elle va mettre fin à la confusion du message. Ainsi, un immigrant qui choisira le Québec ne viendra plus dans une province du Canada, mais bien dans un pays francophone. D'ici là, cependant, il faut que le Québec soit soustrait de la portée de la Loi sur le multiculturalisme canadien. C'est pourquoi j'ai déposé ce projet de loi.
Le Québec doit avoir toute la liberté nécessaire pour intégrer les nouveaux arrivants. Chaque année, le Québec accueille environ 50 000 immigrants, et c'est sans compter les réfugiés. Il est essentiel que nous ayons en main tous les outils nécessaire pour les intégrer et leur permettre de s'intégrer au Québec.
Le multiculturalisme du premier ministre est complètement déconnecté de la réalité québécoise. Pour lui, il n'y a pas de nation québécoise, et ce n'est pas au Québec de déterminer son vivre-ensemble. Il ne veut surtout pas que les nations du monde voient qui nous sommes, entendent notre voix et se sentent interpellés par notre volonté de prendre notre place dans le monde et de tendre la main à tous les peuples de la terre pour enrichir l'humanisme mondial.
J'invite tous ceux et celles qui chérissent les intérêts du Québec, la culture québécoise et l'identité québécoise à appuyer mon projet de loi, qui permettra au Québec de décider seul de son modèle d'intégration. Lorsqu'il est question d'interculturalisme, de convergence culturelle et du tronc commun, c'est au Québec de décider et non à un gouvernement qui pense que l'ouverture à l'autre, c'est se costumer quand on fait des voyages à l'international.