Monsieur le Président, je vais commencer par remercier ma collectivité du soutien qu’elle m’a donné, ainsi qu’à mes parents, mes frères et sœurs et mes cousins Dean, Debra, Desi et Dallas. J’aimerais particulièrement rendre hommage à feue ma cousine, Danielle Herman, également appelée Superstar.
Je prends la parole aujourd’hui de façon quelque peu inattendue et spontanée pour parler une fois de plus du projet de loi C-91, une loi sur les langues des Premières Nations, des Métis et des Inuits. En tant que Dénée qui a grandi sur un territoire de piégeage, parlant la langue et s’instruisant de la terre, je sais à quel point cette loi est importante et combien il est important qu’elle soit bien formulée.
Je dois dire que ce n’est qu’il y a 15 heures environ que j’ai appris que ce projet de loi serait débattu ce matin. J’ai appris hier soir que nous en ferions la troisième lecture, beaucoup trop tard pour pouvoir disposer des 48 heures de préavis requises pour qu’un interprète déné puisse venir à la Chambre afin que je puisse parler ma langue.
Quand je parle avec des électeurs dans mon coin, je m’efforce, aussi souvent que possible, de parler notre langue, parce que c’est à la fois un geste de résistance et une façon de renforcer les liens communautaires. Quand nous parlons notre langue, nous partageons notre expérience, notre histoire et nos histoires. Quand nous parlons notre langue, que ce soit le déné, le cri ou le mitchif, nous nous rappelons mutuellement que nous avons survécu aux pensionnats indiens et que nous continuons à parler cette langue, même si le Canada ne voulait pas que nous le fassions.
Que je doive parler ici aujourd’hui une langue que j’ai apprise pour que ce soit plus pratique pour les autres, sans qu'on m'ait donné les moyens d'avoir un interprète pour qu’une grande proportion de mes concitoyens puisse suivre un débat sur un projet de loi qui touche directement l’avenir de leur propre langue, que je doive parler sans interprétation, est extrêmement décevant et, une fois de plus, la preuve qu'on attend des membres des Premières Nations qu'ils se plient aux conditions de leurs colonisateurs. Le gouvernement qualifie ce projet de loi d’acte de réconciliation, mais ce qui se passe dans les coulisses est bien loin de la réconciliation.
Tout au long des deux premières lectures de ce projet de loi et des nombreuses réunions du comité, mes collègues et moi n’avons cessé d’entendre les deux mêmes choses. Premièrement, que ce projet de loi n’était pas parfait. Le ministre du Patrimoine nous l’a dit, suivi des chefs des organisations autochtones. L’ITK, pour sa part, a dit à maintes reprises que le projet de loi ne répondait pas aux besoins spécifiques des Inuits. Les locuteurs et les professeurs de langues autochtones nous ont dit qu’ils ne comprenaient pas ce que ce projet de loi allait leur donner. Au lieu de proposer une réponse sérieuse aux objections tout à fait réelles des défenseurs des langues autochtones et du NPD, le gouvernement s’est contenté de répéter que, malgré ses imperfections, le projet de loi C-91 était une première étape importante d’un projet beaucoup plus vaste qui visait à protéger et à réhabiliter les langues autochtones.
Le gouvernement nous a dit qu’il devait donner suite aux appels à l’action 13, 14 et 15 de la Commission de vérité et réconciliation, et que, même s’il y avait encore beaucoup à faire, ce projet de loi était un pas dans la bonne direction.
Entendons-nous bien. On ne peut pas crier victoire en ne franchissant que les premières étapes qui conduiront à un projet de loi satisfaisant sur les langues autochtones, de même qu’on ne peut pas prétendre connaître une langue étrangère si on ne sait que compter jusqu’à 10 ou encore affirmer qu’on a terminé un marathon si on n’en a parcouru que le premier kilomètre. Moi qui suis autochtone, je n'ai cessé de me faire dire par le gouvernement qu’il voulait tourner la page, repartir à zéro, faire les choses différemment, se donner une nouvelle orientation, ou quelque autre nouvel euphémisme du genre. Je crois pouvoir parler au nom de la grande majorité des peuples autochtones qui ne sont pas prêts à tout recommencer encore une fois. Nous ne voulons plus qu’on nous promette de meilleurs lendemains si ces promesses ne sont pas suivies d’actions concrètes et de financements conséquents. Nous ne voulons pas qu’on nous promette un meilleur projet de loi demain, parce que nous n’avons aucune garantie de traiter avec un partenaire bien disposé à notre égard.
Lorsque le ministre du Patrimoine a comparu devant le comité pour présenter son projet de loi, il nous a dit qu’il était prêt à envisager des amendements. Un grand nombre d’aînés, d’organisations et de professeurs de langue qui ont été consultés nous ont dit que les recommandations qu’ils avaient faites n’avaient été prises en compte dans le projet de loi.
Un grand nombre de ces aînés, organisations et professeurs de langue ont comparu devant le comité pour apporter leur témoignage et donner des conseils et des recommandations. C’est en toute bonne foi et en sachant que c’était là la volonté de ceux qui savaient mieux que nous que le NPD, le Parti vert, les conservateurs et le député du Nunavut ont proposé en comité un certain nombre d’amendements pour améliorer le projet de loi, mais ils ont été pratiquement tous rejetés.
J’aimerais prendre le temps d’expliquer à mes collègues pourquoi les amendements que nous avons proposés au nom de ces gens-là étaient si importants. À plusieurs reprises, le NPD et le député de Nunavut ont essayé de faire reconnaître dans la loi les besoins linguistiques spécifiques des Inuits, conformément aux recommandations que l’ITK et son président, Natan Obed, ont faites au comité. L’une des choses qui nous ont le plus surpris, c’est d'apprendre qu’au Nunavut, il y a en fait plus de professeurs anglophones que d’élèves anglophones, et que les programmes d’enseignement de l’anglais et du français reçoivent plus d’argent que les programmes d’enseignement de l’inuit.
Les Inuits voulaient un projet de loi adapté à leurs besoins spécifiques, et l’ITK a proposé un certain nombre d’amendements raisonnables et bien réfléchis, mais le gouvernement les a tous rejetés.
Le député de Nunavut a présenté, en pensant à sa communauté, un amendement qui aurait permis au gouvernement de conclure des ententes avec des gouvernements provinciaux et autochtones dans le but de mieux répondre aux besoins linguistiques des habitants de certaines régions bien précises. Son amendement, qui avait été mûrement réfléchi, aurait permis d’offrir des services fédéraux en langues autochtones, dans le cadre d’une entente de nation à nation sur la nature des besoins à satisfaire.
Dans un territoire où la grande majorité des gens parlent l’inuktitut, offrir des services gouvernementaux dans cette langue aurait été un symbole de décolonisation important. Or, les services sont offerts soit en français soit en anglais, si bien que trop de gens n’y ont pas accès. En rejetant cet amendement, le gouvernement refuse de satisfaire les besoins des Inuits.
Cet amendement s’inscrivait dans le dialogue que nous avons entamé au sujet du statut des langues autochtones au Canada. Les députés ne sont pas sans savoir que, pendant des décennies d’oppression exercée par le gouvernement fédéral, les pensionnats et les écoles, les locuteurs de langues autochtones se sont fait dire qu’eux aussi bien que leurs langues n’avaient pas leur place au Canada.
Nous assistons aujourd’hui à la renaissance de nos langues, à telle enseigne que nous nous sentons libres de les parler dans nos maisons et dans nos communautés. De plus en plus de jeunes se familiarisent avec les traditions et les langues de leurs aînés et de leurs parents et parlent ces langues à l’école et dans la communauté. Nos aînés n’hésitent pas à offrir leurs services pour enseigner leur langue; ils ne craignent plus des représailles si on les surprend à transmettre leurs connaissances. Des locuteurs de langues autochtones organisent des camps et des programmes d’été où ils enseignent leur langue. Soit dit en passant, ces locuteurs de langues autochtones se font dire par le gouvernement que c’est bien ce qu’ils font pour leur peuple.
Toutefois, les gouvernements, qu’ils soient provinciaux ou fédéral, n’accompagnent pas le travail des professeurs de langue en leur offrant des financements et des ressources pour développer l’apprentissage ou la préservation des langues, selon nos propres paramètres. En Saskatchewan, par exemple, la province vient d’annoncer que les élèves du secondaire pourront désormais suivre des cours en déné et en cri, ce qui est une excellente initiative. Malheureusement, les professeurs de langue sont bien placés pour savoir que l’enseignement d’une langue doit être financé tout au long du parcours scolaire, à commencer par la maternelle. L’enseignement d’une langue se fait à tous les âges, à tous les niveaux et durant toute la vie.
Ce que nous n’avons pas obtenu, c’est la reconnaissance du statut de nos langues. Sans ce statut, nous n’obtiendrons pas les financements nécessaires pour l’éducation. Nous n’obtiendrons pas les financements nécessaires pour la préservation de nos langues. Nous n’obtiendrons pas les financements nécessaires pour aller de l’avant.
Je sais que la question du statut a des répercussions concrètes qui préoccupent le gouvernement, mais je pense que celui-ci ne voulait pas vraiment s’attaquer à cette question, ce qui aurait pourtant été un symbole de réconciliation et de décolonisation manifeste. Finalement, il est plus facile de crier victoire pour des réformettes que d’avoir le courage d’entreprendre de vraies réformes.
Je rêve du jour où les Autochtones du Canada pourront avoir accès à des services gouvernementaux dans leur propre langue, mais ce jour n’est pas encore venu.
Une des autres grandes inquiétudes dont m’ont parlé mes concitoyens concerne le rôle du commissaire aux langues autochtones. Je comprends que la supervision du financement, du rétablissement et de la préservation des langues autochtones nécessitent une structure administrative, et le projet de loi la prévoit, mais les professeurs de langue et les organisations autochtones ne savent pas quels seront les pouvoirs du commissaire aux langues, en quoi ils influeront sur leurs activités quotidiennes ou comment les modèles de financement seront établis. Tout ce que nous savons pour l’instant, c’est que les professeurs de langue devraient sans doute passer par un autre palier de bureaucratie, un autre processus de demande pour obtenir des fonds.
Ce que nous savons aussi, c’est que les aînés et les professeurs de langue savent ce qui est mieux pour leurs propres communautés. La création d’un autre palier administratif par lequel les professeurs devront passer est préoccupante pour deux raisons. Premièrement, le gouvernement devrait par principe financer les programmes de langues directement, au lieu d’accepter les frais généraux élevés que représente un nouvel organisme public. Deuxièmement, les professeurs relèveront d’un commissaire aux langues qui sera peut-être habilité à dire si certains modes d’apprentissage et de préservation ne sont pas assez bons, sans connaître une langue ou un groupe culturel particulier et ses besoins.
Si nous faisons cas des commentaires des professeurs de langue qui oeuvrent sur le terrain, le projet de loi doit faire passer les personnes avant. Tel qu’il est écrit, je ne vois pas bien, ni les professeurs, ce que la loi sur les langues autochtones fera pour ces langues.
De plus, nous avons proposé au comité du patrimoine un amendement visant à garantir que le commissaire aux langues autochtones et les directeurs de son bureau seront membres des Premières Nations, métis ou inuits. Il est tellement important que le commissaire aux langues soit autochtone. Le vécu d’un Autochtone, le fait de savoir ce à quoi sont confrontées nos communautés, de connaître l’histoire de notre peuple, la résistance que nous avons opposée au gouvernement canadien et l’expérience quotidienne de la vie dans ce pays sont indispensables au commissaire aux langues autochtones.
Nous voulions inscrire dans le projet de loi cette expérience et cette connaissance personnelles minimales à ce poste, car nous savons combien elles seront importantes. On nous a répondu au comité que ce que nous demandions était inconstitutionnel, mais que le gouvernement ferait tout son possible pour qu’un Autochtone occupe le poste de commissaire. Ce que dit le gouvernement libéral, c’est qu’il veut protéger la Constitution, mais agir contre elle. Il veut respecter un document colonial, mais il utilise des mots pour dire qu’il est de notre côté malgré lui.
Ce qui me préoccupe le plus, et qui préoccupe beaucoup de mes concitoyens, c’est que le poste de commissaire aux langues autochtones puisse faire l’objet d’une nomination politique et revienne à quelqu’un qui est animé de bonnes intentions, mais qui ne comprend pas totalement nos expériences.
À presque chacune des rencontres entre le comité et les ministères du Patrimoine canadien, des Services aux Autochtones et des Relations Couronne-Autochtones, ces ministères sont représentés par des non-Autochtones. Les ministres et les professionnels de ces ministères sont éduqués et bien intentionnés, mais il y aura toujours une barrière qui les empêchera de comprendre totalement nos communautés et leurs besoins, car leur expérience de vie est profondément différente de la nôtre. Le gouvernement aurait pu profiter de la présentation du projet de loi C-91 pour éliminer cette barrière et pour veiller à ce que le commissaire aux langues autochtones soit un Autochtone, qui aurait mieux compris nos besoins particuliers. Toutefois, il n'a pas saisi cette occasion pour toutes sortes de raisons politiques et coloniales.
Enfin, il y a la question du financement. De nombreuses personnes ont dit publiquement que ce projet de loi constitue simplement une étape dans le plan du gouvernement libéral concernant les langues autochtones et que le financement viendra plus tard. Or, pour que l'entité devant être créée aux termes de ce projet de loi puisse remplir son mandat, elle doit obtenir un financement. Toutefois, il n'en est pas question dans le projet de loi.
On ne sait pas comment le gouvernement va financer les programmes d'enseignement. C'est pour cette raison que le projet de loi laisse les enseignants de langues autochtones perplexes. Le financement sera-t-il accordé en fonction de chacun des projets? À quelles modalités le financement sera-t-il assujetti et quels seront les critères de sa répartition? Les enseignants actuels obtiendront-ils un soutien ou devront-ils recommencer à zéro? La priorité sera-t-elle accordée aux méthodes d'enseignement novatrices, qui utilisent des applications et Internet, ou bien aux méthodes connues, qui s'adressent à de petits groupes en salle? Comment le modèle de financement tiendra-t-il compte des langues des signes? De quelle manière le financement englobera-t-il les enfants qui fréquentent des écoles publiques et privées au Canada?
Le commissaire aux langues travaillerait-il avec les provinces pour financer des initiatives éducatives de la maternelle à l'obtention du diplôme d'études secondaires? Comment cela fonctionnerait-il pour les collectivités qui ont plus d'un groupe linguistique, comme dans le Nord de la Saskatchewan, où le michif, le déné et quelques dialectes de cri sont tous parlés dans une collectivité? Les élèves seraient-ils obligés de choisir la langue à apprendre ou auraient-ils la possibilité d'apprendre toutes les langues à leur disposition?
Qu'en est-il des survivants des pensionnats indiens, des survivants de la rafle des années 1960 et des milliers de survivants et de leurs descendants qui ont perdu leur langue aux mains du gouvernement? Nous avons essayé d'inclure ces groupes particuliers en apportant des amendements au préambule du projet de loi, mais ceux-ci ont également été rejetés. Comment leur droit à leurs langues sera-t-il reconnu, soutenu et enseigné? Comment allons-nous donner aux survivants les moyens de récupérer ce qu'on leur a pris, à eux et à leur famille?
Si ce n'est pas clair à ce stade-ci, le projet de loi crée beaucoup plus de questions qu'il n'offre de réponses. Il serait bon de connaître au moins certaines de ces réponses avant que le projet de loi ne soit adopté à la Chambre afin que nous puissions laisser les peuples autochtones et les locuteurs de langues autochtones déterminer eux-mêmes si le projet de loi serait un succès. Du moins, c'est à cela qu'on s'attendrait.
De fortes pressions sont exercées pour que le projet de loi soit adopté. Il reste peu de temps au gouvernement pour achever son mandat avant les élections de l'automne. Je sais que les dirigeants autochtones font de leur mieux pour que le projet de loi obtienne le soutien qu’il mérite, parce qu’il représente, en fin de compte, un pas en avant. Cependant, les pressions sont mille fois plus élevées pour faire en sorte que le projet de loi, qui touche un si grand aspect de notre mode de vie, soit conçu correctement.
Le projet de loi est un pas dans la bonne direction, mais quelle est la destination que nous visons? Voulons-nous des demi-mesures qui amélioreraient légèrement l’enseignement des langues autochtones au Canada, ou souhaitons-nous modifier fondamentalement la société canadienne pour respecter pleinement les langues autochtones, reconnaître leur place dans notre culture et créer une génération de jeunes Autochtones qui parlent la langue que leurs ancêtres ont parlée pendant des générations?
Quand je pense au projet de loi que nous examinons, je ne pense pas à la façon dont il influera sur le résultat des prochaines élections. Je pense aux personnes comme Marsha Ireland, Kevin Lewis, Graham Andrews, Cheryl Herman, Vince Ahenakew, Cameron Adams, Julius Park et bien d’autres encore, qui ont travaillé si fort pour enseigner et préserver leur langue dans le Nord de la Saskatchewan.
Pour terminer, ce sont les personnes et les cultures dont nous devons tenir compte quand nous pensons au projet de loi. Quand je pense à l’avenir de toutes les langues autochtones dans tout le Canada, j’affirme que nous devons faire les choses correctement et non nous contenter de marquer des points sur le plan politique.