Monsieur le Président, une loi contraignante de retour au travail, c'est un affront, mais une loi contraignante de retour au travail votée sous le bâillon, c'est un double affront.
Mon discours portera sur quatre points concernant le gouvernement libéral. Ce gouvernement se dit féministe, il se dit pour la classe moyenne, il se dit progressiste et il se dit en faveur des travailleurs et des travailleuses sur le plan de la santé et sécurité.
Je commencerai par le fait que ce gouvernement se dit féministe. La discrimination systémique est une forme de discrimination qui relève d'un système, c'est-à-dire d'un ordre établi provenant de pratiques qui sont volontaires, ou pas, mais qui donnent lieu à des écarts salariaux entre les emplois traditionnellement occupés par les hommes et ceux traditionnellement occupés par les femmes.
Dans le cas qui nous interpelle, soit celui de Postes Canada, il y a discrimination systémique en lien avec des pratiques qui, je le pense bien, sont involontaires. Les facteurs et les factrices, qu'ils soient en zone rurale ou proche des grandes villes, n'ont pas les mêmes conditions de travail que leurs collègues en milieu urbain.
Il s'agit d'un enjeu qui devient important quand on gratte sous la surface, parce qu'il soulève justement les problèmes de la discrimination systémique. Les factrices représentent les deux tiers du groupe qui travaille en zone rurale ou près des grandes villes, et elles gagnent environ 25 % de moins que les facteurs qui travaillent en milieu urbain, groupe composé à 70 % d'hommes.
Le gouvernement a déposé, il y a à peine trois semaines, un projet de loi sur l'équité salariale qui engage les employeurs et les employés syndiqués à élaborer ensemble un plan pour atteindre l'équité, un projet de loi qui met en place un régime proactif afin de garantir une rémunération égale pour un travail équivalent ou égal. Eh bien, trois semaines plus tard, à la toute première occasion, le gouvernement nous prouve que c'est pas mal de la foutaise, que ce sont de belles intentions et rien de plus. Trois semaines plus tard, à la première occasion, le gouvernement adopte une loi spéciale pour ne pas avoir à rémunérer correctement les factrices. Il bâillonne les femmes qui luttent pour obtenir les conditions salariales que le gouvernement prétend vouloir leur consentir. Il bâillonne les élus à la Chambre pour retirer encore plus rapidement aux factrices leur pouvoir de négociation. Trois semaines plus tard, il bâillonne les organisations syndicales lorsque celles-ci veulent faire valoir leur droit le plus élémentaire, soit celui d'avoir une convention collective dûment négociée.
Le féminisme de façade du gouvernement libéral se révèle au grand jour lorsqu'il est question du droit des travailleuses. C'est le même gouvernement qui trouve acceptable que les femmes enceintes ne puissent pas profiter d'un retrait préventif sans pénalité quand leur tâche menace la santé de la femme et de l'enfant à naître; et c'est le même gouvernement qui refuse de m'entendre depuis trois longues années, quand je lui dis que ce n'est pas normal qu'une nouvelle mère qui perd son emploi à la fin de son congé parental n'ait pas accès à un sou de l'assurance-emploi.
Eh oui, c'est le même gouvernement qui, aujourd'hui, démontre qu'il trouve acceptable que des femmes soient moins payées que des hommes pour un travail équivalent et qu'elles aient à encaisser une surcharge de travail qui nuit à leur santé physique et psychologique.
Être féministe, ce n'est pas qu'un mot. Cela implique des mesures. Cependant, les mesures nous prouvent que, je le regret de le dire, avant que nos droits aient la même importance à Ottawa que ceux des hommes, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Mon deuxième point touchera la classe moyenne. Pas plus tard que cette semaine, l'énoncé économique qu'on nous a présenté avait encore dans son titre les mots « classe moyenne ». Contrairement à ses prétentions, nous ne sommes pas devant le gouvernement des femmes et nous ne sommes certainement pas, non plus, devant le gouvernement de la classe moyenne.
La classe moyenne c'est M. et Mme Tout-le-Monde. Est-ce que les libéraux savent de qui on parle exactement et à qui on s'adresse? Est-ce qu'ils seraient capables de la définir en dehors des slogans creux?
Chose certaine, les membres de la classe moyenne sont très courtisés par le Parti libéral. C'était le cas, lors de la dernière campagne électorale fédérale, et je ne compte plus le nombre de fois où ce gouvernement, tous intervenants confondus, a utilisé ce mot depuis l'élection de 2015. Dans chaque présentation du budget d'énoncés économiques, dans chaque discours et même dans presque chaque réponse aux questions de l'opposition, ces mots reviennent sans cesse.
C'est avec des trémolos émus que les élus libéraux se sont portés à sa défense, comme si la classe moyenne était une espèce en voie d'extinction. Certes, la classe moyenne est devenue une cible de marketing politique, et il y a plusieurs dizaines d'années de cela, mais avec les libéraux, je dirais qu'on a perfectionné la formule. Il s'agit maintenant de la classe moyenne et de ceux qui travaillent fort pour en faire partie. Combien de fois avons-nous entendu cela? C'est joli, non? On ne peut pas être contre la tarte aux pommes, finalement.
Ce qu'oublient les libéraux, à force de roucouler des phrases vides de sens à la Chambre, c'est que la classe moyenne s'est construite à la suite de grandes victoires syndicales, principalement dans les services publics. La classe moyenne n'est pas apparue par enchantement, et ce n'est pas le gouvernement fédéral qui l'a créée.
La classe moyenne, elle s'est bâtie brique par brique par des travailleuses et des travailleurs qui ont eu le courage de se tenir debout pour qu'on respecte leurs droits et pour qu'ils puissent vivre dans la dignité.
La classe moyenne, elle s'est bâtie à coups de gains qui ont été arrachés au gouvernement et aux plus puissants de ce monde.
La classe moyenne, personne ne lui a jamais rien donné. Elle l'a arraché, elle l'a revendiqué et elle l'a pris.
La classe moyenne, elle est composée d'enseignantes, d'infirmières, de chauffeurs d'autobus, de fonctionnaires, de cadres intermédiaires dans les administrations publiques et, oui, de postières et de postiers. Aujourd'hui, ils recourent à des grèves tournantes pour confirmer leur statut de membres de la classe moyenne, et le gouvernement leur enlève le droit de faire pression sur leur employeur pour améliorer leur sort.
La classe moyenne est composée de gens ordinaires qui travaillent fort et qui servent notre société. Ce sont aussi des gens qui veulent vivre leur vie dignement; des gens qui veulent voir leur famille une fois de temps en temps; des gens qui veulent travailler dans des environnements où ils se sentent bien et en sécurité; des gens pour qui les conditions de travail et les qualités humaines de leur équipe sont aussi importantes que l'argent; des gens qui veulent des horaires de travail qui permettent de se projeter un peu dans l'avenir pour planifier leur vie personnelle, car oui, ce sont des gens qui ont des vies en dehors du bureau; des gens qui pensent que les hommes et les femmes devraient gagner le même salaire pour un travail égal ou équivalent; et oui, des gens qui pensent que leur travail mérite qu'on les paie convenablement.
Qui constitue la classe moyenne du gouvernement? On jugerait que le gouvernement n'a aucune compréhension de la valeur des droits collectifs. On dirait que les libéraux, quand ils parlent de la classe moyenne, ne s'adressent qu'à des individus ciblés. Bref, quand on regarde cela de près, le discours libéral sur la classe moyenne ressemble beaucoup plus à une chasse systématique à l'électeur qu'à une prise de position en faveur de nos familles, de nos amis, de nos voisins ou de nos collègues, des gens qui nous entourent dans la vraie vie, une vraie vie dont le premier ministre semble tout ignorer.
Mon troisième point concerne la santé et la sécurité. J'ai connu un homme qui, contrairement au premier ministre, connaissait et aimait le monde ordinaire. J'ai connu un homme qui m'a beaucoup inspirée. C'était un homme de parole. Nous avions de bonnes conversations et cet homme défendait toujours celles et ceux que leur travail pouvait rendre malades ou blesser.
Au sujet de la santé et de la sécurité, il a dit que c'était dans le milieu de travail qu'on réalisait que le mépris pour les femmes et les hommes était loin d'être fini, et qu'on ne pouvait pas dire qu'on aime le peuple et en même temps accepter qu'il se blesse au travail.
Cet homme, c'était Michel Chartrand, cité par Fernand Foisy dans le livre Les dires d'un homme de parole.
La santé et la sécurité au travail sont aussi un objet de cette négociation. Pourquoi y a-t-il des mesures concernant la santé et la sécurité? Le taux d'accidents de travail dans le secteur des postes est l'un des plus élevés de tous les secteurs de compétence fédérale. Le nombre d'accidents, lui, a augmenté de 43 % au cours des deux dernières années. Il me semble que cela justifie des revendications.
Le taux de blessures invalidantes est 5,4 fois plus élevé que dans le reste du secteur fédéral. C'est tout à fait inacceptable et les demandes du syndicat ne sont pas exorbitantes. Il demande le versement de 80 % du salaire en cas d'accident de travail, parce qu'on ne choisit pas d'avoir un accident de travail. Il demande aussi l'amélioration du programme d'assurance-invalidité de courte durée visant entre autres le processus d'appel. Il demande le report illimité des jours de congé pour raisons personnelles et que la protection salariale passe de 70 % à 75 %. Encore une fois, c'est une question de dignité.
On demande aussi l'obtention, pour les factrices et les facteurs, d'une valeur de temps pour la combinaison, au casier de tri, du courrier trié manuellement et du courrier trié de manière séquentielle. Encore là, on veut éviter la surcharge. On demande qu'une disposition sur la violence conjugale soit inscrite dans la convention collective. C'est un plus pour les familles et pour les femmes en particulier.
Voici un passage tiré du site du gouvernement du Canada:
Puisque personne ne connaît mieux un lieu de travail que les gens qui y travaillent, la partie II du Code canadien du travail confie aux parties dans le milieu de travail—employés et employeurs—un rôle clé en ce qui a trait à la détermination et à la résolution des problèmes en matière de santé et de sécurité.
Les dispositions du Code visent à faire en sorte que les employeurs et les employés puissent régler eux-mêmes [pas par une loi spéciale] les questions liées à la santé et à la sécurité au travail et, par le fait même, rendre les lieux de travail plus sécuritaires.
Cela ne s'invente pas. Tout comme dans le cas de l'équité salariale, on semble, par écrit, reconnaître le rôle d'un syndicat. Toutefois, quand celui-ci veut exercer ses droits, on les bafoue, on lui impose une loi spéciale en travers de la gorge et on empêche les élus d'en discuter ici.
Contrairement à la direction de Postes Canada, le syndicat na pas cessé de préconiser la négociation pour conclure un nouveau contrat de travail. Le président de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec déclare:
Visiblement, Postes Canada s’est croisé les bras et a négocié de mauvaise foi en attendant tout simplement le dépôt d’une de loi spéciale obligeant les postiers et postières à reprendre le travail. Cela est indécent, mais ne nous surprend pas. Postes Canada nous a habitués à ce genre de stratégie. Lors de la dernière négociation, en 2011, la direction a agi de la même manière. Il y a un ménage à faire à la direction de Postes Canada
Il conclut en disant:
Cela est d’autant plus indécent que le droit de grève est reconnu par la Cour suprême du Canada. Ce projet de loi spéciale entrave un droit reconnu et protégé par la Charte des droits et libertés et par la Constitution. En aucun cas, la santé et la sécurité des Canadiens et Canadiennes n’ont été menacées par le choix légitime du syndicat d’user de moyens de pression pour faire aboutir la négociation. En agissant de la sorte, le gouvernement [libéral] se fait complice de la stratégie de négociation de Postes Canada qui est justement de ne pas négocier.
Le gouvernement a choisi son camp. Ce n'est pas celui des femmes, pas celui de la classe moyenne, pas celui de la sécurité des employés, pas celui du progressisme, pas celui du respect de leur organisation syndicale. Il a choisi celui des postes.
J'aborderai un dernier point. Le gouvernement se dit progressiste. Le gouvernement des patrons, ce n'est pas un gouvernement progressiste. Le gouvernement se définit comme progressiste. Le premier ministre s'en vante beaucoup. À chaque accord commercial qu'il signe, il insiste pour dire que c'est un accord progressiste. Il dit cela parce que, selon lui, ces accords viennent garantir la liberté d'association des travailleurs et leur droit de négocier collectivement. Ce sont des droits fondamentaux reconnus à l'ONU dans la convention sur les droits politiques et sociaux. Ils sont reconnus à l'Organisation internationale du travail dans ses conventions fondamentales et reconnus dans la Constitution canadienne. La Charte des droits que le Canada anglais a adoptée et dont le premier ministre est tellement fier, les définit comme des droits fondamentaux à l'article 2d).
Quand le premier ministre parle de ses accords commerciaux progressistes, il dit qu'être progressiste, c'est défendre le droit de négocier collectivement. C'est cela être progressiste. Or le droit de négocier et le droit de grève sont liés. Le droit de grève fait partie du droit de négocier parce que sans menace de grève, il n'y a pas de pouvoir de négociation. Ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Organisation internationale du travail, dont le Canada est membre. La Cour suprême le disait en 2015. Alors non, le projet de loi spéciale d'aujourd'hui n'est pas progressiste.
Depuis le début du débat, mon collègue de Lac-Saint-Louis répète que d'avoir un arbitre est une bonne chose, que c'est juste, qu'il tiendra compte des deux côtés et fera des compromis. Quand on pense à une partie de hockey, l'arbitre n'est pas là pour écouter les deux côtés et faire des compromis. Un arbitre, c'est quelqu'un qui impose d'autorité ses décisions. Dans le cas présent, il imposera d'autorité des conditions de travail. C'est cela le rôle d'un arbitre, c'est tout le contraire de la négociation. C'est tout le contraire de ce que le premier ministre lui-même considère être progressiste.
Les projets de loi spéciaux, on appelle cela des lois de retour au travail, pas des lois de négociation. Généralement, ils viennent mettre fin à un arrêt de travail. Ici, il n'y a même pas d'arrêt de travail, c'est bien cela le pire. Comme le disait le très libéral Denis Coderre dans le débat sur la loi de retour au travail du gouvernement Harper: « Une grève rotative n'est pas une grève, c'est un moyen de pression pour en arriver à une entente négociée. » C'est un bon libéral qui le disait.
Au moyen de ce projet de loi, le gouvernement enlève aux employés le droit de faire des pressions. Il enlève à l'employeur toute incitation à négocier. Bref, il s'attaque au droit de négociation collective, droit fondamental s'il en est un.
Quand j'entends les conservateurs et les libéraux parler du droit de grève avec mépris, j'ai l'impression qu'ils s'imaginent que les travailleurs aiment faire la grève. Non, ils n'aiment pas cela. Ce n'est pas une partie de plaisir qu'on peut leur enlever quand cela nous tente. C'est un droit. Comme le disait François Mitterrand dans son livre La paille et le grain: « La grève n’est un plaisir pour personne. Et elle atteint d’abord ceux qui n’ont plus que ce moyen-là pour défendre leur droit de vivre. »
Ce moyen-là, cet ultime moyen, c'est ce que la loi spéciale retire aux travailleuses et aux travailleurs des postes, et c'est tout le contraire du progressisme.