Monsieur le Président, il y a 22 ans, je suis entré dans le sous-sol d’un bureau de campagne électorale et j’y ai rencontré Arnold Chan. Je déteste avoir à prononcer son nom ici, dans ces circonstances; j’aimerais ne pas avoir à le faire en cette Chambre.
Arnold est immédiatement devenu l’un de mes meilleurs amis. Quiconque le connaissait pouvait témoigner de l’attention et de la passion qu’il manifestait dans tout ce qu’il faisait pour toutes les personnes qui l’entouraient. Je l’ai rencontré à un moment très difficile de ma vie, étant donné que j’éprouvais une grande peur. J’étais jeune, j’avais 20 ans, et je venais d’apprendre que j’allais avoir un fils. En fait, mon fils est des nôtres aujourd’hui. Et il a déjà travaillé pour Arnold.
Arnold était cette voix stable et calme dans ma vie. À chaque période sombre de ma vie, il m’a rassuré et fait voir le bon côté des choses. Je pouvais lui téléphoner et m’entretenir avec lui. Il me donnait des conseils. Il était un mentor et je l’admirais. Depuis le jour où nous nous sommes rencontrés, nous rêvions de cet endroit et de la possibilité d’y venir un jour. Même si nous avons été élus en même temps, le nuage de la maladie planait malheureusement déjà au-dessus de lui. Nous avons malgré tout eu l'occasion de travailler ici ensemble.
Durant nos conversations, il était bien entendu question de toutes ces choses que nous voulions accomplir ensemble. Nous étions censés quitter le Parlement après les avoir réalisées. Hélas, il n'en sera pas ainsi. J'ai tout de même eu l'occasion de parler avec Arnold durant ses derniers jours, en compagnie de son admirable épouse, Jean, et de ses formidables enfants, Nathaniel, Ethan et Theo. Ils étaient toute sa vie. Il me parlait constamment d'eux lorsque je le voyais ici. Son travail de député était pour lui une façon de rendre le monde meilleur pour ses enfants.
Il avait l'intention de prononcer le discours que je m'apprête à lire jusqu'à ce qu'il devienne évident qu'il en serait incapable. Je voudrais tant que ce soit lui qui le lise. Je l'imagine assis derrière moi, à ma gauche, et, lorsque je me retourne, je déplore son absence. Je tiens à ce que les gens sachent à quel point il les aimait et que tous ses efforts visaient à rendre le monde meilleur. Jusqu'à ses derniers moments, il a discuté des questions qui lui tenaient à coeur et l'inquiétaient. La Chambre lui importait, certes, mais surtout pour ce qu'elle peut faire en vue d'améliorer la condition des gens.
Voici les dernières paroles d'Arnold à l'intention de la Chambre:
Monsieur le Président, depuis le début de ma carrière parlementaire, les questions touchant l'exercice de la démocratie m'ont toujours intéressé. Cette passion, que je cultive depuis ma jeunesse, est la pierre angulaire de l'ensemble de mon travail en tant que député fédéral. Il convient donc tout à fait que j'aborde ces questions encore une fois aujourd'hui en présence de mes collègues.
Mon discours inaugural au Parlement était axé sur le thème de la démocratie, car, ce jour-là, j'étais intervenu à la Chambre pour parler du projet de loi d'initiative parlementaire du député de Wellington-Halton Hills qui visait à réformer la Loi électorale du Canada et la Loi sur le Parlement du Canada. Dans mon discours, j'avais parlé de ce qui, à mon sens, constituait des éléments importants des changements nécessaires au Parlement et qui, espérons-le, pourraient aider à renverser une tendance vers le dysfonctionnement qui s'était accentuée sous le gouvernement précédent.
Le 12 juin dernier, j'ai de nouveau eu l'occasion d'aborder des questions liées à la démocratie et à la façon dont nous menons nos travaux au Parlement. J'aurais bien aimé que mes enfants soient présents, mais, évidemment, juin est le mois des examens à l'école. Néanmoins, je pensais grandement à eux et à leur génération ce jour-là, tout comme c'est le cas encore aujourd'hui, alors que je réfléchis aux grands défis de demain, ainsi qu'au rôle que devront jouer la démocratie et les institutions démocratiques pour nous aider à relever ces défis.
Je crois que la société et le gouvernement ne font que commencer à comprendre les trois menaces existentielles auxquelles la génération de mes enfants devra faire face: les changements climatiques, l'accélération des changements technologiques, ainsi que l'esprit de clocher et les troubles sociaux qui surgissent en réaction aux deux premiers éléments.
Aujourd'hui, l'attention est indéniablement tournée vers les changements climatiques, et c'est bien ainsi.
Les inondations survenues récemment au Texas, les ouragans dans les Caraïbes et en Floride, les pluies diluviennes de la mousson au Bangladesh et dans le Nord de l'Inde et, plus près chez nous, les incendies de forêt en Colombie-Britannique sont tous des phénomènes révélateurs de changements de plus en plus imprévisibles et potentiellement destructeurs, auxquels tout le monde devra s'adapter.
C'est l'une des raisons pour lesquelles j'apprécie toujours la présence et le travail de sensibilisation de la chef du Parti vert et députée de Saanich-Gulf Islands, de même que le leadership de la ministre de l'Environnement et du Changement climatique. Leur travail acharné mérite nos félicitations et notre appui.
Les changements climatiques ne prennent pas seulement la forme de tempêtes, d'inondations et de chaleur. Ils entraînent aussi de mauvaises récoltes, des pénuries de nourriture et d'eau ainsi que de vastes déplacements de populations, autant de phénomènes qui peuvent entraîner de violents conflits. Il est essentiel de cesser de voir les changements climatiques comme un simple problème environnemental et de reconnaître qu'il s'agit d'un enjeu global et prioritaire auquel nous devons, en tant que société et en tant que gouvernement, nous attaquer de toute urgence.
Pour contrer les changements climatiques, on peut mettre l'accent sur des solutions technologiques, mais il faut savoir que la technologie est elle-même source de défis. Je pense en particulier au croisement de l'intelligence artificielle, de la robotique et de la génomique, une alliance qui pourrait profondément transformer les liens entre les êtres humains, les machines et leur environnement.
Par ailleurs, il est beaucoup question des changements que connaîtra le monde de l'emploi dans un contexte où les véhicules seront autonomes et où les robots accompliront de plus en plus de tâches, tant dans le secteur manufacturier que dans le domaine des services personnels. Ces discussions ouvrent la voie à des spéculations sur l'avenir du travail, et sur l'éventuelle disparition des liens sociaux qui existent depuis la création des villes, il y a des dizaines de milliers d'années. Nous commençons tout juste à explorer ces enjeux, mais ils seront d'une importance capitale pour mes enfants et leur génération.
Quelle sera la résilience de nos institutions sociales face aux changements technologiques constants et à la concurrence économique? Comment nos collectivités géreront-elles le risque de chômage endémique, ou la peur face à de tels changements?
Voilà le troisième défi auquel il faudra faire face: le réflexe réactionnaire. Devant les changements climatiques, les avancées technologiques qui s'accélèrent et les bouleversements qu'ils causent, les gens et les collectivités ont tendance à se replier sur eux-mêmes ou, pire encore, à craindre l'autre. Nous sommes déjà témoins de telles réactions dans le monde: montée du nationalisme, du fondamentalisme religieux et de l'isolationnisme. La violence sectaire est en croissance dans de nombreux pays, tout comme la méfiance à l'égard de l'élite et les conflits découlant de la lutte des classes.
Alors, comment devons-nous agir?
Nous sommes députés au Parlement, une institution dont l'objectif est la tenue de discussions et de débats civils. Le mot « Parlement » vient du mot « parler ». Notre tâche consiste à exercer la démocratie au moyen de la communication, des débats et, ultimement, de la prise de décisions. Nous ne sommes pas ici pour servir nos intérêts personnels, mais plutôt l'intérêt de la population. Nous sommes les représentants de la population canadienne et nous devons lui rendre des comptes. Notre responsabilité et notre devoir sont de trouver, de façon concertée, les meilleures réponses aux défis de notre époque.
Nous devons faire face aux défis que nous posent les changements climatiques, les avancées technologiques qui s'accélèrent et les forces réactionnaires sans jamais oublier que nos plus grandes forces nous viennent de notre civilité, de la conscience de notre nature humaine et des limites qu'elle nous impose et de notre volonté de servir. Nous pouvons nous adapter au changement, nous pouvons faire face aux défis, mais c'est lorsque nous prenons le temps de tenir d'abord un débat rationnel en gardant l'esprit ouvert et lorsque nous écoutons attentivement ceux que nous avons la chance de servir pour connaître leurs besoins que nous le faisons de la manière la plus efficace.
Il y a aussi un autre élément à prendre en compte quand nous pensons à gérer les problèmes que nous réserve l'avenir: quand nous parlons de nous au Parlement, de qui devrait être composé ce « nous »?
Historiquement, notre grand Parlement a toujours été composé principalement d'hommes, en grande partie d'origine européenne. Ce n'est qu'en 2014, il y a seulement trois ans, qu'un député libéral chinois a été élu dans la région du Grand Toronto — moi, un homme d'origine asiatique. Quant à l'équilibre hommes-femmes, même s'il y a près de 100 ans qu'une première femme a été élue au Parlement, nous en sommes encore bien loin. Le gouvernement a fait plusieurs pas dans la bonne direction à cet égard, mais nous pouvons et devrions en faire plus. Pour nous-mêmes, nos collectivités et nos enfants, nous nous devons de continuer d'améliorer nos institutions démocratiques pour être mieux en mesure de servir nos collectivités et de relever les défis qui nous attendent.
En plus d'être saine, la diversité accroît nos chances de survie et de réussite; un fait qui est connu depuis Charles Darwin sinon avant. Plus vaste est l'éventail d'idées et d'opinions offertes sur les problèmes de notre époque, plus nous avons de chances, en tant qu'institution, d'en arriver à des solutions viables axées sur l'intérêt de nos collectivités. En fait, une plus grande diversité au Parlement permettra d'aller chercher un plus large éventail d'idées.
Monsieur le Président, j'invite mes collègues à passer à l'action en faisant constamment preuve d'ouverture d'esprit face aux nouvelles idées et en étant prêts à revenir sur les hypothèses qui sous-tendent leur point de vue, si la situation mondiale et les enjeux de l'heure l'exigent. Je demande aussi qu'on habilite divers groupes pour mieux relever les défis qui nous attendent.
Par contre, je ne m'adresse pas uniquement à mes collègues du Parlement. Je m'adresse aussi aux Canadiens qui font partie d'une minorité visible: nous ne devrions pas nous contenter du statu quo; nous avons le droit d'aspirer à mieux pour nous-mêmes et nos enfants. En revanche, c'est à nous qu'il incombe d'être valeureux, de sortir de notre zone de confort et d'interagir avec des personnes d'autres horizons afin de diversifier et d'approfondir nos relations et de chercher l'épanouissement de tous. Nous devons courir des risques, dialoguer avec les autres et participer à la société. Ce faisant, nous contribuerons à renforcer les institutions qui nous servent tous.
Les trois enjeux que sont les changements climatiques, l'accélération des changements technologiques et le réactionnisme social sont exceptionnels et cruciaux, et les mesures que nous prendrons pourraient bien l'être aussi. Or, si nous maintenons notre engagement à l'égard des traditions démocratiques et que nous élargissons et diversifions les institutions afin de refléter l'éventail d'opinions présentes dans la société, je suis persuadé que nous pouvons prendre les mesures nécessaires pour relever les défis et prospérer, une étape à la fois.
Chers collègues, j'aurais voulu être là pour vous et avec vous afin de contribuer davantage à l'excellent travail du Parlement et de rendre le monde meilleur pour mes enfants et pour les vôtres, mais je dois laisser cette tâche entre vos mains.
Je vous souhaite tous la meilleure des chances.