Madame la Présidente, j'aimerais d'abord remercier la ministre de la Santé de partager son temps de parole avec moi. Cela démontre un fair-play manifeste et évident ainsi qu'un esprit démocrate, puisqu'elle sait que je suis un opposant de la motion et du projet de loi.
Cela étant dit, je me demande comment j'arriverai à dire tout ce que j'ai à dire en 10 minutes.
Je commencerai par le fond des choses. La prémisse du débat de fond concerne notre compréhension du principe de l'autodétermination. Voici les principales questions que le ministère de la Justice et les deux ministres auraient dû se poser. Pourquoi et au nom de quoi enlèverions-nous le droit qui consacre l'autodétermination d'une personne tout au long de sa vie? Pourquoi et au nom de quoi enlèverions-nous le droit qui consacre, notamment en situation d'urgence médicale, le principe de l'autodétermination en ce qu'aucun geste médical ne peut être posé sans le consentement libre et éclairé d'un patient? Pourquoi et au nom de quoi, au moment de souffrances intolérables, au moment de sa mort, au moment où il est le plus vulnérable, enlèverions-nous ce droit à l'être humain?
On nous répond que c'est au nom d'un équilibre, que l'on n'a jamais pu démontrer et que la Cour suprême a considéré tout à fait futile. Le projet de loi, s'il devait être déposé devant la Cour suprême, aurait été modifié et considéré inconstitutionnel. J'imagine d'ailleurs que c'est la raison pour laquelle on ne l'y a pas déposé. En effet, la Cour suprême a considéré que trois droits avaient été violés par la prohibition totale.
Si on fait un examen attentif de l'arrêt dans la cause Morgentaler, on constate que la Cour, de façon consensuelle et sur la base d'un seul droit — la sécurité de la personne de la femme enceinte —, a rejeté la loi qui permettait l'avortement dans certaines conditions. Comment peut-on sérieusement penser que la sécurité de la personne souffrante, atteinte d'une maladie grave, d'une affection ou d'un handicap grave et irrémédiable lui faisant subir des souffrances intolérables, serait sauvegardée par l'article 1 de la Charte, selon lequel cette atteinte doit être raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique?
Il est tout à fait déraisonnable, en vertu critère de mort naturelle raisonnablement prévisible, de faire porter à une personne parmi les plus vulnérables de notre société, celle qui est en train de souffrir, le fardeau de la démonstration devant les tribunaux qu'elle satisfait à ce critère, ou encore celui de faire la grève de la faim pour se rapprocher du critère, ce à quoi nous avons assisté récemment.
Je rappelle que ledit critère est discriminatoire parce qu'il induit un préjugé quant à l'âge. En effet, dans la motion, il est indiqué « empêcher que la mort soit considérée comme une solution à toutes les formes de souffrances, et à contrer les perceptions négatives quant à la qualité de vie des personnes âgées, malades ou handicapées ». Des perceptions négatives de qui parlons-nous? De qui parle-t-on au juste? À ce que je sache, lorsqu'une personne est atteinte d'une maladie dégénérative — je ne l'apprendrai pas à la ministre de la Santé —, une histoire de cas s'établit entre les pratiquants de la santé et leurs patients.
Présuppose-t-elle que les pratiquants, les médecins, les infirmières et les intervenants en santé ont un préjugé négatif quant à l'âge des patients ou quant à leur condition sociale? Présuppose-t-elle que les intervenants en santé sont malfaisants?
S'ils sont malfaisants, mettons-les à la porte. Cette rationalité découle d'un préjugé défavorable envers les travailleurs de la santé, à moins qu'elle prétende devoir protéger les personnes âgées des personnes qui les soignent. Ce projet de loi est un mauvais copier-coller de la loi québécoise.
On pouvait procéder à une certaine vitesse ici parce qu'on avait déjà l'expérience québécoise, laquelle s'est concentrée dans son domaine, à savoir les soins palliatifs, et a réussi à faire un tour de force en n'opposant plus l'euthanasie aux soins palliatifs, et en faisant en sorte qu'il y ait un éventail de soins à la portée des patients pour ce qui est des soins palliatifs.
Pourquoi le projet de loi voudrait-il se limiter à ce seul volet, ou encore peut-être à une maladie dégénérative telle que la sclérose latérale amyotrophique? C'est que la mort est vraisemblablement prévisible dans ce cas, et c'est là où il y a une discrimination entre les maladies dégénératives.
Qui sommes-nous pour décider de la qualité de vie de la personne? Il ne revient pas du tout au médecin de décider de la qualité de vie de son patient ni de comparer une vie par rapport à une autre. Ce sont des principes de base en éthique.
Dans la mesure où on a confiance aux travailleurs de la santé, soit à ceux qui interviennent, il est clair que ces derniers vont observer la qualité de vie de leur patient changer au cours d'une année, et si le patient dit qu'il n'en peut plus, c'est là qu'il y aura une demande.
Or la loi québécoise ne répond pas à la commande de la Cour suprême. Pourquoi n'y répond-elle pas? Parce que l'arrêt dans la cause Carter est arrivé plus tard. De plus, la loi québécoise a voulu se conformer au Code criminel et respecter les prérogatives de chacun dans son terrain de jeu.
Aujourd'hui, il y a l'arrêt dans la cause Carter et il y a ce mauvais projet de loi. Le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec a raison quand il dit à ses médecins qu'ils sont devant une notion impraticable et qu'il leur demande d'être prudents, parce qu'on n'a pas eu le courage d'affronter la commande de la Cour suprême qui nous disait d'encadrer le suicide assisté.
J'ai lu la motion et j'ai posé une question à la ministre aujourd'hui. On refuse les amendements du sénateur Serge Joyal, qui sont aussi ceux du Bloc québécois, du Parti vert et du NPD, qui demande notamment de supprimer ce critère totalement flou pour revenir aux termes de l'arrêt dans la cause Carter, soit à l'essentiel, pour les personnes aux prises avec des problèmes de santé graves et irrémédiables qui leur causent des souffrances persistantes et intolérables.
Or on nous dit ici avoir atteint l'équilibre et vouloir rejeter ces amendements « [...] parce qu'ils [...] visent à reconnaître l'important enjeu de santé publique que représente le suicide ». C'est quoi cette affaire-là? Personne ayant à intervenir en matière de suicide ne va mêler les deux états.
Que je sache, un état suicidaire, c'est réversible. Ce n'est pas irrémédiable, mais améliorable. Il existe des traitements pour cela. Par contre, quand on est atteint d'Alzheimer, que je sache, c'est irrémédiable. Voilà la confusion créée ici ce matin, et c'est le plaidoyer qu'on vient faire ici.
C'est le seul argument que le ministère de la Justice va faire valoir en Cour suprême, et des patients auront à porter le fardeau d'aller en cour pour avoir accès à l'aide médicale à mourir. Je vais peser mes mots et dire que je trouve cela indécent.