Madame la Présidente, je suis heureux de participer de nouveau au débat sur le projet de loi C-93. Celui-ci a plusieurs lacunes et démontre pourquoi le lien de confiance entre la population et les libéraux est rompu. On se contente de demi-mesures à la veille des élections, et ce n'est même pas garanti qu'elles seront adoptées.
Comme le secrétaire parlementaire l'a mentionné, nous nous opposons au projet de loi. Nous ne sommes pas ici pour accorder un passe-droit au gouvernement libéral, qui se contente de proposer des mesures auxquelles très peu de gens auront accès. À titre d'exemple, je vais parler du projet de loi C-66. Celui-ci proposait un processus accéléré de radiation du casier judiciaire pour les membres de la communauté LGBTQ qui avaient commis un crime qui n'en est plus un. Cet objectif est très louable et nous l'appuyons, mais un processus automatique aurait été préférable.
Regardons les chiffres afin de faire une comparaison. Lors de l'étude du projet de loi C-93 en comité, on nous a appris que sur les quelque 9 000 personnes qui pouvaient se prévaloir du processus prévu par le projet de loi C-66, seulement sept personnes ont fait une demande. Nous avons demandé des explications aux représentants du gouvernement en comité, et bien sûr, ils n'étaient pas capables de nous répondre. Moi, je pourrais en donner quelques-unes; c'est ce que les experts ont fait en comité. J'y reviendrai.
Entre-temps, le gouvernement s'est engagé à faire des campagnes publicitaires non traditionnelles. S'agit-il de gazouillis, de publications sur Facebook ou de beaux mots-clics? J'ai de la difficulté à croire que cela va être vu par les personnes concernées, qui sont souvent dans une situation précaire. Ce sont des Canadiens vulnérables, des personnes racisées, des Autochtones et des Canadiens à faible revenu. Selon les faits et les statistiques, ce sont ces personnes qui se retrouvent le plus souvent avec un casier judiciaire pour possession simple de marijuana.
La preuve est facile à faire. Ici, à la Chambre, le premier ministre a avoué publiquement qu'il avait déjà fumé de la marijuana de façon récréative, comme plusieurs autres politiciens — il n'y a rien de mal là-dedans. À Toronto, par contre, les personnes noires ne peuvent pas s'en tirer aussi facilement. Ce sont les gens les plus susceptibles d'avoir un casier judiciaire uniquement pour possession simple de marijuana. C'est un fléau. C'est l'une des raisons pour lesquelles nous nous opposons au projet de loi. Le constat est clair: les personnes qui ont le plus besoin de ce processus sont aussi celles qui n'en bénéficieront pas.
J'aimerais parler un peu de l'étude en comité afin d'expliquer pourquoi le NPD n'appuie pas ce projet de loi. Tout d'abord, un avocat en droit criminel nous a dit que c'était le moins que le Parlement pouvait faire et que c'était mieux que rien, mais que les parlementaires se devaient de faire beaucoup mieux que cela. Je ne pourrais être plus d'accord avec lui.
Effectivement, au NPD, notre engagement au Parlement consiste à faire de notre mieux pour aider les personnes qui en ont le plus besoin. Nous ne voulons pas nous contenter d'un minuscule pas dans la bonne direction. L'avocat dont je parlais, M. Solomon Friedman, a aussi soulevé quelques lacunes du système de suspension de casier judiciaire, lacunes qu'on ne retrouve pas dans l'approche préconisée par le NPD, soit la radiation des casiers judiciaires. Il a évoqué deux facteurs.
Premièrement, il y a le facteur de bonne conduite. On s'attend de ceux qui font une demande de suspension de casier judiciaire, que ce soit en vertu du processus proposé par le projet de loi C-93 ou selon le processus habituel, qu'ils se comportent comme de bons citoyens. Pour M. et Mme Tout-le-Monde, cela signifie qu'ils ne doivent pas voler une banque ou commettre un meurtre, par exemple, mais c'est une façon caricaturale de voir les choses.
En fait, M. Freidman nous a expliqué que cela pouvait inclure le fait de recevoir une contravention pour excès de vitesse sur la route, ou encore le fait d'avoir un petit accident après s'être engagé dans une rue à sens unique et être entré en collision avec un autre véhicule et qu'on ait appelé la police. On pourrait dire que ce sont des situations où il n'y a pas eu un bon comportement. Heureusement, dans ce cas, la chef du Parti vert et députée de Saanich—Gulf Islands a proposé un amendement. Nous avions proposé un amendement similaire, mais qui allait plus loin. Je vais y revenir dans un instant.
En fait, l'amendement du gouvernement semble très bien, mais, si le gouvernement reconnaît cette lacune et cette distinction entre la suspension et la radiation d'un casier, pourquoi n'a-t-il pas simplement accepté de radier ces casiers dès le départ? C'est d'ailleurs ce que proposait le projet de loi de mon collègue le député de Victoria, que certains députés libéraux et certains députés conservateurs ont appuyé, il faut le souligner.
Il existe d'autres distinctions entre les deux approches, mais je veux revenir à l'amendement. L'amendement qui a été présenté a été sous-amendé par les libéraux. Il a alors perdu un élément important que l'on retrouvait dans un de mes amendements, qui a été rejeté. La possession simple de cannabis en quantité raisonnable, tout comme son utilisation récréative, médicale ou autre, est maintenant permise par la loi, à la suite de l'adoption du projet de loi C-45 plus tôt dans cette législature. Un individu qui obtient une suspension de casier judiciaire pour possession simple de cannabis pourrait commettre un autre crime par la suite, pour toutes sortes de raisons. Je ne suis pas en train de pardonner le crime ni de dire que ce serait justifié ou non. Je parle d'une situation hypothétique.
En vertu du projet de loi C-93, si un individu ayant un casier judiciaire pour possession simple de marijuana obtient la suspension de son casier judiciaire, il verra celui-ci redevenir en vigueur s'il commet par la suite un crime, aussi minime et insignifiant soit-il. C'est complètement incohérent. Je ne comprends pas cela. Si le député de Sherbrooke, la députée de Saskatoon-Ouest, le député de Courtenay—Alberni, moi-même ou qui que ce soit, avait en sa possession du cannabis, cela ne serait pas jugé fautif par la loi.
Un individu qui a obtenu la suspension de son casier judiciaire par l'entremise d'un processus approuvé par le gouvernement parce que son infraction d'alors n'en est plus, et qui commettrait un crime par la suite, peut-être parce qu'il est dans une situation déjà précaire, comme la grande majorité des gens qui vivent déjà l'injustice d'avoir un casier judiciaire pour possession simple de marijuana. C'est cette injustice qu'on tente de régler avec ce projet de loi. Cela pourrait être une personne en grande difficulté. On ne connait pas toutes les circonstances.
Ce gouvernement prétend vouloir aider ces gens, mais il met en place un système boiteux. Si ces personnes trébuchent à n'importe quel moment du reste de leur vie, elles verront ce casier réactivé et elles ne pourront plus bénéficier du système mis en place par les libéraux.
Si ce casier était radié, comme le propose le NPD et comme l'ont proposé tous les témoins qui se sont présentés en comité, sauf le ministre, il n'existerait plus. Ppeu importe les mauvaises situations que la vie peut amener, cCe dossier ne reviendrait jamais.
J'aimerais aussi parler d'autres personnes vulnérables que ce projet de loi n'aide pas. J'aimerais parler des problèmes soulevés par l'Association des femmes autochtones du Canada qui, en comité, a expliqué que l'un des groupes qui profiteraient le moins de ce projet de loi est celui des femmes autochtones, en raison de tous les obstacles qui subsisteraient en dépit de ce processus.
Plus tôt, j'ai dit au député de Lanark—Frontenac—Kingston qu'en ne rendant pas le processus automatique et en affirmant qu'il est « sans frais », le gouvernement induit en erreur les Canadiens qui pourraient vouloir s'en prévaloir. Pourquoi? Comme l'ont dit tous les témoins ayant comparu au comité, d'énormes coûts sont parfois associés à l'obtention des documents nécessaires pour présenter une demande de suspension de casier judiciaire, surtout pour les personnes qui cherchent à bénéficier de ce processus.
En effet, bien que les gens n'aient plus à débourser de frais pour présenter une demande de suspension de casier, ils doivent tout de même payer pour obtenir leurs empreintes digitales, payer pour aller chercher au tribunal une copie de leur ancien casier judiciaire — s'il existe encore, et je reviendrai là-dessus dans un instant —, et payer pour tout autre document dont ils pourraient avoir besoin. Les coûts pourraient s'élever à des centaines de dollars, selon la province ou le territoire.
Si les gens vivent loin d'un centre urbain, dans une région déjà mal desservie où des Canadiens vulnérables et des Autochtones, entre autres, sont déjà victimes d'un système qui est discriminatoire à bien des égards, ils seraient encore plus désavantagés par ces obstacles qui demeurent malgré la mesure législative. C'est inacceptable.
Qu'aurait-on pu faire? Nous avons proposé un amendement qui, malheureusement, a été jugé non pertinent dans le cadre du projet de loi, ce qui est intéressant. J'ai contesté la décision du président, mais les libéraux ont appuyé sa décision, ce qui n'est guère surprenant. Cependant, j'ai trouvé l'explication du légiste et conseiller parlementaire du comité intéressante lorsqu'il m'a dit pourquoi les amendements dépassaient la portée du projet de loi. Il a dit que le projet de loi vise à rendre un peu plus simples certains aspects du processus de suspension du casier judiciaire, que tout le monde considère comme étant fondamentalement inéquitable.
Cependant, si on rendait le processus automatique, on pourrait se débarrasser de ces obstacles. L'Association des avocats noirs du Canada, l'Association des femmes autochtones du Canada et d'autres organismes ont dit que, dans bien des cas, les gens ne pensent même pas qu'ils ont encore un casier judiciaire, parce qu'ils ont payé l'amende imposée en guise de sanction et qu'ils sont passés à autre chose. Ils ne sont même pas au courant.
Tous les gens qui ont eu affaire au gouvernement — ce qui est certainement le cas de toutes les personnes ici présentes, étant donné la nature du travail que nous faisons — savent qu'il est difficile de s'y retrouver dans les procédures de l'appareil gouvernemental et de s'informer suffisamment à ce sujet. Si c'est vrai pour nous, ce l'est certainement aussi pour les plus vulnérables de notre société.
Le fait d'avoir rendu le système automatique était un compromis. Au départ, nous voulions la radiation du casier judiciaire, mais nous nous sommes dit que nous pouvions vivre avec la suspension du casier. Nous n'étions pas contents, mais nous voulions au moins que le gouvernement rende le processus automatique. Or il a refusé de le faire. Il n'est même pas capable d'accepter un compromis.
J'ai dit plutôt que j'allais revenir sur le sujet des documents et du mauvais entretien des dossiers au Canada. C'est de la folie. Parlons à la police de la base de données de la police du Canada. Parlons-lui d'un crime qui est commis en Ontario et du fait qu'il faut retrouver le dossier en Alberta, au Québec ou ailleurs. C'est fou de voir à quel point cela est mal géré. Il est nécessaire de faire une mise à jour informatique, entre autres.
Les conservateurs ont proposé un amendement que tous les membres du comité ont appuyé. Ainsi, si quelqu'un ne trouvait plus les documents, parce qu'ils ont été détruits ou qu'ils sont introuvables, il pourrait prêter serment et obtenir un document certifié, afin de justifier l'absence de documents. La Commission des libérations conditionnelles du Canada serait en mesure d'accepter ce document certifié, cette lettre ou ce serment, afin que la personne puisse aller de l'avant.
Tout le monde était content. C'est un pas dans la bonne direction. Lorsque le projet de loi est revenu à la Chambre, à l'étape du rapport, on a éviscéré cet amendement. On a fait en sorte que ce soit une option qui serait peut-être à la discrétion de la Commission, dans des cas très précis. L'amendement aurait tout aussi bien pu ne pas être adopté, parce qu'il ne servira à personne.
Cela m'amène à mon prochain point, le point le plus honteux et frustrant de tout ce processus. Je suis député depuis huit ans. J'ai un grand respect pour la fonction publique et pour les gens qui y travaillent très fort avec très peu de moyens, malgré ce que la population peut penser. Pendant l'étude du projet de loi en comité, ce que j'ai vu était incroyable.
Quand on a demandé au ministre pourquoi on ne rendrait pas cela automatique, pourquoi on ne radierait pas les dossiers, il nous a carrément dit que c’était trop travail. Je le jure, et j’invite mes collègues à aller lire son témoignage. La même chose a été dite du côté des représentants de la Commission des libérations conditionnelles et lors de l’étude article par article. Quand j’ai présenté des amendements visant à faciliter la vie des citoyens que le projet de loi est censé aider, les libéraux ont demandé aux fonctionnaires de justifier le rejet des amendements que j'ai proposés. Qu’ont-ils dit? Ils ont dit qu’ils n’avaient pas la capacité, qu’ils ne savaient pas comment ils pourraient faire cela et que ce serait trop de travail.
Le gouvernement dit qu'on peut toujours faire mieux. Il a présenté un projet de loi en vue d'aider les personnes de notre société qui vient une situation vulnérable, mais il refuse d’accepter une meilleure approche, une approche appuyée par toutes les personnes qui ont témoigné devant le comité. Il semble que c'est trop de travail pour la Commission des libérations conditionnelles du Canada. Selon les policiers, la société civile et tous les experts qui travaillent dans le milieu judiciaire, la Commission a entretenu des dossiers de façon inadéquate pendant trop longtemps. C’est loin d’être ce qu'il y a de meilleur. En fait, c’est tout le contraire. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut accepter.
Cela est encore plus déplorable vu que le comité a mené une étude. Quand le ministre a été nommé, il est arrivé en grande pompe, comme tout le gouvernement. Il a dit que le gouvernement allait régler toutes les injustices créées par le gouvernement précédent et toutes les injustices de la société. À l'écouter parler, c’était le meilleur gouvernement de l’histoire de l’univers. Selon lui, il ne fallait pas s’inquiéter.
Quatre ans plus tard, qu’est-ce qui arrive? Dans le dossier de la suspension du casier judiciaire, on demande environ 650 $. Je n’ai pas le chiffre exact devant moi; prononcer un discours sans notes présente parfois des inconvénients. On demande au citoyen de payer environ 650 $ pour faire une demande de suspension du casier. Cette mesure avait été mise en place par le gouvernement précédent. On a changé le langage. Maintenant, on ne parle plus de pardon, mais plutôt de suspension du casier. Comme l'aurait dit le gouvernement conservateur de l’époque, un criminel ne sera jamais pardonné. Le ministre a dit qu’il y avait une injustice profonde dans le système et qu’il allait la régler.
Qu’est-ce qui s’est passé? Comme l'ont fait plusieurs autres députés, un député libéral qui, je l'espère, avait de bonnes intentions, a suivi la parade. On a commandé une étude en comité. Au cours de sa vie, une personne aura peut-être une seule occasion de présenter une motion ou un projet de loi à la Chambre. Il a demandé une étude portant sur la suspension du casier judiciaire.
À mon avis, il aurait pu demander au comité de mener cette étude. On l’aurait faite le cœur ouvert, mais mettons cela de côté. Le député avait de bonnes intentions. Le député de Saint John—Rothesay s'est présenté devant comité et il a dit qu’il faudrait considérer un processus automatique pour les crimes mineurs, comme la possession simple de cannabis.
On a travaillé et on a fait un rapport. Le comité a déposé son rapport à la Chambre. Le gouvernement a dit qu’il allait regarder cela. Sécurité publique Canada, soit dit en passant, avait déjà commandé un sondage mené par Ekos dans lequel on voit que les trois quarts des Canadiens appuyaient une façon plus simple d’avoir une suspension de casier judiciaire, parce que cela permettrait à la personne de réintégrer la société et d’occuper un emploi. En effet, 95 % des personnes qui ont obtenu un pardon ou une suspension du casier n’ont pas récidivé.
Qu’est-ce que le gouvernement a fait? Si j’étais assis, je tomberais en bas de ma chaise. Il a encore une fois présenté la même recommandation que celle qu’on avait déjà présentée, celle qui aurait servi de note de bas de page au sein de notre étude du projet de loi, d’après ce que le ministre avait dit.
Ce qui alimente le cynisme, c'est de voir un gouvernement dire, lorsqu'il accède au pouvoir, qu'il va faire une chose, mais qui ne la fait pas. Un de ses propres députés commande une étude. On dit qu’on va la faire et on ne la fait pas. En comité, les mêmes députés libéraux ont dit, un mois avant la dernière journée à la Chambre des communes, avant les élections, qu’on n’avait pas vraiment le temps de le faire, qu’on aurait peut-être dû le faire ou qu’on le ferait avec le prochain gouvernement.
C’est pour cela que nous nous opposons au projet de loi C-93. À cause du système judiciaire, du système de la sécurité publique, des gens ont été trop souvent pénalisés pour la couleur de leur peau ou l’endroit où ils habitent. Nous, nous voulons réellement aider ces gens. Nous ne voulons pas de demi-mesures qui alimentent le cynisme.