Monsieur le Président, je suis ravi d'avoir l'occasion de m'exprimer au sujet du projet de loi C-331. La promotion et la protection des droits de la personne à l'échelle internationale m'intéressent beaucoup en tant que représentant d'une communauté de citoyens du monde très impliquée, à Parkdale—High Park, ainsi qu'à titre d'ancien procureur en matière de crimes de guerre à un tribunal mis sur pied à Arusha, en Tanzanie, relativement au génocide rwandais. Je remercie le député néo-démocrate d'en face d'avoir présenté ce projet de loi, donnant ainsi lieu à cette importante discussion ce matin.
La loi actuelle habilite les cours supérieures provinciales et territoriales à entendre les poursuites portant sur des événements qui se sont produits à l'extérieur du Canada pourvu qu'il y ait un lien suffisant avec le Canada. Le député de St. Albert—Edmonton a soulevé cette question. Les poursuites alléguant que des sociétés canadiennes auraient participé, par leurs actions ou par négligence, à des violations des droits internationaux de la personne à l'étranger ou à d'autres violations du droit canadien ou étranger sont fondées sur les règles de droit existantes.
La question à savoir si la common law permet également à une personne de réclamer des dommages-intérêts devant une cour supérieure précisément pour une violation du droit international coutumier a été examinée dans l'affaire Nevsun c. Araya, entendue par la Cour supérieure du Canada en janvier. La cour a pris l'affaire en délibéré, et il sera important que nous entendions sa décision relativement à cette question.
Contrairement aux cours supérieures, la Cour fédérale n’est pas généralement saisie d’affaires portant sur des actes commis à l’extérieur du Canada par des entreprises ou des individus. La compétence de la Cour fédérale en la matière est limitée à la fois par la Loi sur les Cours fédérales et par la Constitution.
Cette cour est principalement saisie des contrôles judiciaires, des décisions de tribunaux administratifs ou d'offices fédéraux, des poursuites contre le gouvernement fédéral, ainsi que d'affaires portant sur des brevets ou sur le droit maritime. Les poursuites au civil entre des parties privées ne relèvent généralement pas de la Cour fédérale, à moins qu’elles touchent à ces domaines.
Le projet de loi vise à modifier la Loi sur les Cours fédérales pour que la Cour fédérale puisse connaître d’affaires relatives à des violations du droit international commises à l’extérieur du Canada. Comme l’a mentionné le député de New Westminster—Burnaby, ce projet de loi est inspiré de l'Alien Tort Statute, ou ATS, c'est-à-dire la loi des États-Unis en matière de responsabilité délictuelle à l’égard des étrangers. Aux termes de cette loi américaine, dont je cite ici une traduction libre, les tribunaux de district ont compétence en première instance dans toute poursuite civile intentée par un étranger seulement en cas de préjudice causé par une violation du droit international ou d’un traité des États-Unis.
L'Alien Tort Statute est une loi controversée dont la portée a fait l'objet de nombreux litiges. Elle a entraîné notamment des désaccords sur les types d'allégations qui sont couvertes et sur l'applicabilité de la loi aux défendeurs étrangers et aux sociétés étrangères, ce dont on a déjà parlé pendant le débat de ce matin.
La principale disposition du projet de loi C-331 est un peu plus complexe que l'Alien Tort Statute, mais la proposition et les objectifs sont semblables. J'aimerais faire trois observations sur le genre de causes qui relèvent de la Cour fédérale.
Premièrement, il semble que le projet de loi C-331 propose de conférer compétence à la Cour fédérale en ce qui concerne certains types de poursuites qui sont déjà couverts, sans créer de nouvelles catégories. Il permettrait à la Cour fédérale d'entendre des poursuites « relativement à des violations du droit international ».
La compétence établit les limites du pouvoir judiciaire, que ce soit sur un territoire ou dans un domaine donné. La compétence judiciaire et le droit à un recours judiciaire sont deux choses différentes. Cette distinction est importante. Par exemple, selon la Loi sur les Cours fédérales, la Cour fédérale « a compétence [...] dans les cas de demande de réparation contre la Couronne ». Cependant, cela ne veut pas dire que la Cour fédérale a compétence pour entendre n'importe quelle plainte d'un Canadien à l'égard du gouvernement fédéral. La loi donne compétence à la cour, mais la cour peut seulement offrir les recours prévus dans les lois canadiennes, notamment ceux qui sont prévus à l'égard des ruptures de contrat dans les lois sur les marchés publics.
Deuxièmement, le projet de loi donne compétence à la Cour fédérale plutôt qu'aux cours supérieures des provinces. La Cour suprême du Canada a déjà précisé que la Cour fédérale peut seulement instruire certains types d'affaires. La Cour fédérale doit d'abord en avoir obtenu l'autorisation au moyen d'une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral. Il faut aussi qu'il existe un ensemble de règles de droit fédérales applicables à l'affaire.
Or le projet de loi permettrait à la Cour fédérale d'instruire des affaires auxquelles s'applique le droit fédéral plutôt que le droit provincial ou étranger. Il pourrait notamment s'agir d'affaires où il y aurait eu violation à la fois du droit international et d'une loi fédérale, comme la Loi sur le transport aérien, par exemple.
Le troisième point que je veux soulever concerne le fait qu'il semble que seules des parties assujetties à la compétence des tribunaux canadiens pourraient faire l'objet de poursuites intentées aux termes des dispositions du projet de loi C-331. Sous le régime de la Loi sur l'immunité des États, ainsi que du droit international, les gouvernements étrangers et leurs fonctionnaires ne peuvent habituellement pas faire l'objet de poursuites devant les tribunaux canadiens. Comme le projet de loi C-331 ne comprend pas de modifications à la Loi sur l'immunité des États, les règles actuellement en vigueur continueraient de s'appliquer. De la même façon, le projet de loi C-331 ne modifierait pas le principe selon lequel les tribunaux canadiens ne sont habilités à instruire que des affaires qui concernent suffisamment le Canada. Le député de St. Albert—Edmonton a également abordé cette question.
En résumé, le projet de loi C-331 habiliterait la Cour fédérale à entendre de nouveaux types de causes concernant des violations du droit international commises à l'étranger. Cependant, il semble que les affaires admissibles devraient s'inscrire dans le cadre des recours judiciaires existants et des causes d'action existantes. Elles devraient être fondées sur le droit fédéral et concerner suffisamment le Canada.
J'aimerais aussi parler brièvement de deux aspects procéduraux du projet de loi. Dans sa version actuelle, le projet de loi C-331 prévoit qu'aucun délai de prescription ne s'appliquerait aux actions concernées, malgré ce que prévoient les autres dispositions du droit fédéral. Cela permettrait l'engagement de poursuites basées sur des faits passés, même si de telles demandes sont normalement prescrites. Par exemple, les poursuites contre l'État portant sur des faits survenus à l'extérieur d'une province sont normalement sujettes à un délai de prescription de six ans. Ce délai de prescription ne s'appliquerait plus, selon ce projet de loi.
Le projet de loi C-331 préciserait également à quel moment la Cour fédérale pourrait suspendre les procédures pour permettre à une affaire d'être jugée par un autre tribunal. Cela ferait à peu près écho au principe du forum non conveniens, que les tribunaux canadiens utilisent pour décider quand il faut surseoir à un procès, car il serait plus approprié qu'il soit tenu devant un tribunal différent.
En conclusion, j'aimerais remercier le parrain du projet de loi d'avoir porté cette question importante à l'attention de la Chambre et je serai heureux d'écouter les points de vue des différents partis au cours des débats à l'étape de la deuxième lecture du projet de loi.
J'aimerais également saisir cette occasion pour souligner la nomination récente de la première ombudsman canadienne de la responsabilité sociale des entreprises, Mme Sheri Meyerhoffer. Le ministre de la Diversification du commerce international l'a nommée à ce poste le 8 avril 2019. Le mandat de l'ombudsman est d'examiner les allégations des violations des droits de la personne découlant des activités d'entreprises canadiennes à l'étranger.
Il s'agit d'un rôle dont j'ai beaucoup entendu parler, non seulement par des électeurs de ma circonscription, Parkdale—High Park, mais aussi par la population de l'ensemble du pays, qui a la même préoccupation que le député de New Westminster—Burnaby, soit de garantir la protection des droits de la personne au Canada et à l'étranger, notamment lorsque des sociétés canadiennes sont concernées.
À l'endroit des entreprises impliquées dans des actes répréhensibles à l'étranger, l'ombudsman a le pouvoir de recommander le retrait de certains services gouvernementaux comme l'appui à la défense des intérêts commerciaux des entreprises. L'ombudsman peut également formuler des recommandations spécifiques aux entreprises telles que l'indemnisation, la présentation d'excuses ou encore un changement relatif à la politique de l'entreprise.
Il est essentiel d'accorder des pouvoirs réels à l'ombudsman, en vertu d'une loi qui a du mordant, pour assurer le fonctionnement de ce mécanisme.
La nomination de cet ombudsman met en évidence l'engagement du Canada en matière de conduite responsable des affaires des entreprises canadiennes à l'étranger et du respect des droits fondamentaux des personnes partout au monde.
Le pays a besoin de plus de réformes de ce genre. C'est le genre de réforme avec laquelle le député de New Westminster—Burnaby serait sûrement d'accord, comme tous les parlementaires d'ailleurs, puisque nous avons tous le devoir de promouvoir la compréhension et le respect des obligations internationales en matière de droits de la personne.