Monsieur le Président, je faisais valoir l'avis de l'Association des avocats criminalistes concernant l'importance des peines minimales obligatoires. Pour un avocat criminaliste, si son client s'expose à une peine minimale, sans que le juge ait le pouvoir discrétionnaire de définir une peine qui soit appropriée dans les circonstances, il n'y a rien à gagner, alors il ne conclura pas d'entente. Il n'y aura aucune négociation de plaidoyer. Il n'y aura pas d'efficacité. Donc, le plus grand gain en efficacité aurait été ce que le premier ministre nous avait promis, soit que les peines minimales obligatoires, telles que les conservateurs les avaient conçues, seraient éliminées. C'est la promesse qui avait été faite aux Canadiens, à maintes reprises, mais ce projet de loi l'a complètement reniée.
Il s'agit d'une réforme gigantesque. Pour être honnête, il est uniquement question de droit pénal, mais il s'agit d'un effort gigantesque, et ce gigantesque problème n'est pas du tout réglé. Je ne suis pas le seul à dire que ce problème est un obstacle aux gains d'efficacité et au règlement de la crise engendrée par l'arrêt Jordan, qui fait en sorte que des gens qui ont commis des crimes graves doivent être relâchés parce qu'on n'arrive pas à tenir leur procès dans un délai raisonnable. Pour une raison qui m'échappe, les libéraux ont complètement ignoré ce problème et ils ont pris différentes mesures, dont certaines sont louables, mais qui ne feront rien pour l'atteinte des objectifs prétendus du projet de loi, soit de répondre aux problèmes d'inefficacité. C'est le problème soulevé par l'Association des avocats criminalistes.
Les tribunaux en sont réduits à n'être que des machines à sous de la justice, comme certains disent. Ils n'ont plus aucun pouvoir discrétionnaire. Si les faits s'avèrent, la peine est déjà prévue. C'est aussi simple que d'appuyer sur un bouton. Certains juges se sont plaints directement à moi en privé du fait qu'ils ont l'impression de n'être que des robots. Historiquement, le rôle des juges était bien différent. Les conservateurs ont réduit les juges à ce rôle ingrat et, honnêtement, gênant pour beaucoup d'entre eux. Les juges croyaient avoir le pouvoir d'ordonner des peines appropriées en fonction des crimes commis, mais ce pouvoir leur a été retiré lorsque des peines minimales obligatoires ont été ajoutées pour de très nombreuses infractions du Code criminel.
Au Canada, la surreprésentation des femmes autochtones est un problème particulièrement grave. Le ministre de la Justice en a parlé, et c'est tout à son honneur. Nous sommes tous au courant de ce problème. C'est une autre honte nationale. Jonathan Rudin a témoigné devant le comité. Il a fait un témoignage fort mémorable. C'est un avocat de Toronto membre de l'organisme Aboriginal Legal Services. Il a parlé de l'inaction du gouvernement en ce qui concerne l'abolition des peines minimales obligatoires, ainsi que des effets de ces peines sur les femmes autochtones. Il a dit ceci:
[...] nous devons penser au fait qu'il existe encore des sentences minimales obligatoires qui empêchent les juges d'infliger aux femmes autochtones les peines qu'ils voudraient leur infliger. Certaines dispositions empêchent encore les juges de recourir à des peines avec sursis, lesquelles évitent l'incarcération aux femmes.
Sa première recommandation au comité a été de mettre en place des dispositions législatives pour accorder plus de pouvoir discrétionnaire aux juges, ce que les libéraux avaient promis de faire, mais ils n'ont pas tenu parole.
Je soupçonne que le problème est bien pire aujourd'hui, mais en 2015, la proportion d'adultes autochtones était 8 fois plus élevée parmi la population en détention que parmi la population en général pour les hommes, et 12 fois plus élevée pour les femmes, une proportion ahurissante. Toute mesure pouvant remédier directement à ce problème doit être examinée sérieusement. Le fait que le gouvernement n'a pas accompli ce que disait la lettre de mandat du premier ministre est une sérieuse occasion ratée.
J'aimerais maintenant parler des enquêtes préliminaires, dont le ministre a également parlé et qui ont fait l'objet de certaines des réformes proposées par le Sénat. Le comité sénatorial des affaires juridiques et constitutionnelles a adopté un amendement au projet de loi C-75 en vue de rétablir l'option d'une enquête préliminaire pour des centaines d'infractions criminelles. Depuis que le projet de loi C-75 a été présenté à la Chambre, le NPD fait valoir la nécessité de conserver les enquêtes préliminaires dans les procédures criminelles. Le Sénat essaie d'annuler la démarche du gouvernement qui vise à éliminer les enquêtes préliminaires pour toutes les infractions, sauf celles assorties d'une peine d'emprisonnement à perpétuité.
Le sénateur Pierre Dalphond, un ancien juge, a fait adopter un amendement afin de ramener l'option d'une enquête préliminaire pour la plupart des infractions punissables par mise en accusation, pour autant que le juge veille à ce que les répercussions sur le plaignant soient atténuées.
Les libéraux font valoir que cela accaparera les tribunaux. Toutefois, le comité de la justice s'est fait dire par de nombreux témoins que si on supprimait les enquêtes préliminaires, le temps sauvé serait minime et le risque d'erreur judiciaire, grand.
Le gouvernement a accepté de nombreux amendements du Sénat, mais il se sert de sa motion pour continuer à limiter sévèrement le recours aux enquêtes préliminaires. Nous nous sommes opposés à cette mesure depuis que le projet de loi C-75 a été proposé à la Chambre. Je suis convaincu que notre position demeure la bonne.
Les libéraux du comité de la justice de la Chambre des communes ont voté pour permettre les enquêtes préliminaires seulement dans les cas où la peine maximale est l'emprisonnement à vie. L'autre endroit a amendé cette disposition afin d'élargir considérablement le pouvoir discrétionnaire des juges ainsi que de faire passer de 70 à 463 le nombre d'infractions qui peuvent faire l'objet d'une enquête préliminaire. Le ministre a affirmé qu'ils avaient essayé de trouver un terrain d'entente sur cette question.
La très grande majorité de témoins entendus par le comité de la justice ont indiqué que le fait de restreindre le recours à l'enquête préliminaire ne réduira pas suffisamment les délais judiciaires et qu'il pourrait sacrifier les droits de l'accusé. Par exemple, selon Michael Spratt, avocat criminaliste pratiquant à Ottawa, les enquêtes préliminaires accaparent très peu de temps devant les tribunaux « tout en offrant d'importants gains d'efficience, et ce, d'un certain nombre de façons différentes ». Elles ciblent les questions à trancher durant le procès et réduisent la durée du procès. Elles permettent de cerner les problèmes de preuve ou les d'ordre juridique aux premières étapes d'une affaire, de sorte qu'ils ne surviennent pas au milieu d'un procès. Elles peuvent aussi faciliter le règlement des accusations criminelles.
Il n'est pas le seul de cet avis. Je n'ai pas le temps de faire la liste de tous les gens qui étaient d'accord avec Me Spratt, mais je dirai qu'elle inclut l'Association du Barreau canadien, l'Association des avocats criminalistes, l'association des procureurs de la Couronne de l'Alberta et divers avocats de la défense, dont Sarah Leamon, une criminaliste, la professeure Lisa Silver, de l'Université de Calgary, et j'en passe. Pourtant, le gouvernement a refusé de s'engager dans cette voie. Je n'arrive absolument pas à comprendre.
À la suite de l'élimination des enquêtes préliminaires, il est fort possible que des gens soient condamnés à tort. C'est ce que pense Bill Trudell, président du Conseil canadien des avocats de la défense. Le gouvernement prétend que l'on n'a plus besoin des enquêtes préliminaires étant donné l'existence des dispositions sur la divulgation établies dans l'arrêt Stinchcombe. Il s'agit d'une cause célèbre, qui exige que la poursuite fournisse aux témoins de la défense toute la preuve dont elle dispose. Le gouvernement affirme qu'il n'est donc plus nécessaire de tenir des enquêtes préliminaires. Ce n'est pourtant pas du tout ce que ces gens ont dit. Compte tenu d'une analyse des risques et des avantages, ils pensent que c'est tout simplement inadmissible. Nous devrions tous craindre la possibilité que des gens soient condamnés à tort.
Je sais que le temps s'écoule rapidement, mais j'ai dit que je parlerais de certaines des mesures positives contenues dans le projet de loi. C'est ce que je vais faire maintenant.
Premièrement, le projet de loi vise à éliminer ce qu'on appelle les dispositions « zombies » du Code criminel, qui érigent en infractions des choses qui ne sont plus illégales. Ces dispositions ont été jugées inconstitutionnelles et n'ont donc plus leur place dans le Code criminel.
Le projet de loi rétablirait le pouvoir discrétionnaire des juges d'imposer moins de suramendes compensatoires, voire aucune. Je félicite également le gouvernement pour cette mesure.
Dans la question que j'ai posée plus tôt au ministre de la Justice, j'ai félicité le gouvernement d'avoir élargi la définition de la violence contre un partenaire intime. C'est un pas dans la bonne direction. La création d'un autre processus pour traiter les cas de non-respect des conditions de mise en liberté sous caution représente un autre pas dans la bonne direction. Il s'agit aussi d'une bonne idée de codifier le principe dit de l'échelle, qui exige qu'on impose la forme la moins pénalisante de la mise en liberté.
À l'instar du gouvernement, j'estime que l'abolition des récusations péremptoires est une mesure positive; je reconnais toutefois que tout le monde ne partage pas cet avis. De plus, la disposition sur les éléments de preuve de routine a été modifiée pour le mieux.
En ce qui concerne la communauté LGBTQ2+, les dispositions sur les maisons de débauche et le vagabondage qui étaient souvent utilisées dans le passé pour faire des homosexuels des criminels ont été abrogées, à juste titre. Je suis fier du rôle que j'ai joué au comité de la justice en proposant ces amendements et je félicite le gouvernement d'avoir finalement abrogé ces dispositions discriminatoires.
Je tiens officiellement à dire que ce projet de loi renferme beaucoup d'éléments tout à fait louables. Ce qui me dérange autant, c'est qu'il s'agit en quelque sorte d'une occasion manquée.
Je m'interroge encore sur les nombreuses infractions mixtes créées par le projet de loi C-75, car contrairement à ce qu'a pu dire la députée conservatrice de Sarnia—Lambton tout à l'heure, tout ce que cette décision fera, c'est de surcharger encore plus les tribunaux provinciaux. En effet, la plupart — 95 % pour être exact — des infractions mixtes, qui font l'objet d'une procédure sommaire au lieu d'un procès en bonne et due forme, sont jugées par des tribunaux provinciaux. Les Britanno-Colombiens craignent sincèrement les effets que cette décision pourrait avoir sur l'administration de la justice dans leur province. L'arrêt Jordan n'est peut-être pas un problème pour les juridictions supérieures, mais pour les tribunaux provinciaux, oui. Je doute fort que c'est ce que le gouvernement cherchait à faire.
Je sais qu'il me reste peu de temps, mais je tiens à revenir sur ce que je disais plus tôt au sujet de la commissaire en chef de l'Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, la juge Marion Buller. Elle est venue parler de son rapport au comité du Sénat. Bon nombre des réformes qui ont été proposées à l'autre endroit font maintenant partie des amendements dont la Chambre est présentement saisie. Je sais toutefois que les problèmes causés par les pensionnats indiens et la rafle des années 1960 se font sentir encore aujourd'hui. Il faut faire quelque chose.
Je crois que mon temps de parole touche à sa fin, alors je dirai simplement ceci: j'aimerais que nous puissions appuyer ce projet de loi. Il contient bon nombre d'éléments intéressants, mais il n'atteint pas l'objectif que le premier ministre nous avait dit qu'il atteindrait, soit éliminer les peines minimales obligatoires, et son incapacité à gérer plus facilement les enquêtes préliminaires sont les raisons pour lesquelles nous devons nous opposer respectueusement à ce projet de loi.