Monsieur le Président, c'est pour moi un honneur de participer à cet important débat. D'emblée, je tiens à souligner que, techniquement, la motion du gouvernement à l'étude rejetterait les 19 ou 20 amendements que le Sénat propose d'apporter au projet de loi C-58. Le NPD s'oppose à la motion. Il ne peut appuyer un projet de loi qui n'inclut pas les amendements présentés à la Chambre par le Sénat. Je m'explique.
La situation est troublante. En campagne électorale, le gouvernement avait promis la transparence. D'ailleurs, lorsqu'il faisait partie de l'opposition, le premier ministre, a présenté le projet de loi C-613, Loi modifiant la Loi sur le Parlement du Canada et la Loi sur l’accès à l’information. On pourrait l'appeler le projet de loi sur la transparence. Le projet de loi C-58 n'est pas une chose que les libéraux ont simplement décidé de proposer sur un coup de tête. C'est le résultat d'un effort réfléchi du gouvernement pour honorer une promesse électorale en matière de transparence.
Or, lorsqu'il a été présenté, le projet de loi s'est révélé une totale déception. Ce n'est pas moi qui le dis. C'est l'ancienne commissaire à l'information du Canada, Suzanne Legault. Tout comme moi, les députés savent à quel point il est inhabituel pour un mandataire du Parlement comme la commissaire à l'information de formuler une telle critique. J'aimerais aujourd'hui lire à la Chambre ce qu'elle a dit.
Le 28 septembre 2017, lorsque le projet de loi a été présenté pour la première fois, elle a dit qu'il ferait « reculer au lieu de faire avancer le droit à l'information des Canadiens », selon le National Post. On pouvait aussi lire ceci dans l'article:
Dans ses premières observations de fond sur le projet de loi, [l'ancienne commissaire] a affirmé que les mesures ne respectaient pas les promesses électorales des libéraux. « S'il est adopté, il entraînerait une régression des droits existants. »
Elle a présenté 28 recommandations pour améliorer la mesure législative. Il serait bien difficile de les retrouver dans le projet de loi C-58. C'est pourquoi, lorsque j'ai pris la parole plus tôt dans le cadre du débat, j'ai dit avec tristesse que nous devions nous opposer au projet de loi. Si le gouvernement n'est même pas prêt à prendre les petites mesures que représentent les amendements du Sénat, nous ne pouvons évidemment pas nous permettre d'adopter un projet de loi que même la commissaire a qualifié avec beaucoup d'éloquence de régressif. Elle a raison, et je vais expliquer pourquoi.
Comme le député de Louis-Saint-Laurent, qui est acclamé à juste titre pour les prix qu'il a remportés lorsqu'il était journaliste, j'ai moi aussi reçu un prix pour mon travail sur la liberté d'information. C'est Ged Baldwin, un ancien député de Peace River, qui m'a décerné ce prix pour le travail que j'avais fait lors des mes études supérieures, puis au sein de l'Association du Barreau canadien, il y a de nombreuses années afin de faire adopter une loi sur l'accès à l'information. La loi que je réclamais s'inspirait des lois que d'autres pays tiennent pour acquises. En guise d'exemples, les États-Unis ont une telle loi depuis les années 1960 et la Suède, depuis le XVIIIe siècle.
Le Canada a fini par adopter une loi sur l'accès à l'information, mais elle est maintenant vieille. En effet, elle a été adoptée dans les années 1980. Elle est dépassée. Pourtant, le projet de loi dont nous sommes saisis n'a pas modernisé certaines des anciennes dispositions de cette loi.
L'enjeu dont nous discutons me tient énormément à coeur. Je pense qu'il s'agit d'un élément essentiel d'une démocratie. La Cour suprême du Canada a dit que le droit de savoir, soit le droit à la liberté d'information et le droit d'accès à l'information, est un droit quasi constitutionnel dont jouissent les Canadiens. Quand l'ancienne commissaire affirme que le projet de loi est régressif et qu'il s'agit d'un pas en arrière, alors que le premier ministre avait fait toutes ses belles promesses de transparence quand il était chef du troisième parti à la Chambre, nous pouvons imaginer à quel point les Canadiens sont déçus.
Certes, ce n'est pas seulement ce Canadien qui est déçu. Je vous signale que les Journalistes canadiens pour la liberté d'expression et le Centre for Law and Democracy ont qualifié le projet de loi d'« inadéquat » et demandé au gouvernement de le retirer.
Le Sénat a proposé des améliorations et il est franchement choquant d'entendre le gouvernement dire qu'il ne veut même pas les envisager.
Qu'est-ce qui ne va pas dans ce projet de loi? Je ne sais même pas par où commencer. Le seul élément qui est positif, je le concède, est que pour la première fois, on accorde au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances.
Mais revenons un peu en arrière. Qu'est-ce qu'une loi sur l'accès à l'information devrait comprendre? Elle doit comprendre trois choses.
Premièrement, elle doit comprendre une déclaration générale voulant que le public ait le droit de consulter les documents du gouvernement.
Deuxièmement, elle doit prévoir des exceptions à cette règle. Nous pouvons tous imaginer en quoi elles consistent. Elles sont d'ailleurs déjà toutes prévues dans la loi. Ce sont les documents confidentiels du Cabinet, l'information commerciale, les conseils stratégiques, les dossiers faisant état des rapports entre un avocat et son client et l'information qui, si elle était divulguée, serait préjudiciable à la sécurité nationale ou aux relations internationales. Voilà quelles sont les règles et les exceptions.
Troisièmement, il doit y avoir un arbitre indépendant. Jusqu'à ce que le projet de loi soit adopté, cet arbitre, qui est le commissaire à l'information, ne peut faire que des recommandations que le gouvernement ignore fréquemment. Il y aurait désormais quelque chose comme une ordonnance qui pourrait être décrétée et appliquée par une Cour fédérale. C'est quelque chose en quoi je crois et qui mérite d'être appuyé. J'appuie également le principe d'un examen législatif de ces dispositions dans un délai de cinq ans. Je pense que ce serait opportun.
J'ai parlé des promesses libérales. Lors de la dernière campagne électorale, les libéraux disaient constamment que ce projet de loi s'appliquerait aussi au Cabinet du premier ministre et aux cabinets des ministres. Les documents pourraient être consultés. Ils peuvent être consultés en vertu des lois provinciales. C'est certainement le cas dans ma province, la Colombie-Britannique. C'était une promesse électorale écrite noir sur blanc que le gouvernement vient de rompre, rien de moins.
Les amendements du Sénat l'auraient améliorée et lui aurait donné plus de mordant, mais ce n'est simplement pas ce qui est prévu pour cette mesure législative. Je suis reconnaissant au Sénat pour les 20 amendements qui, s'ils étaient adoptés, nous permettraient d'accepter, à contrecoeur, les améliorations qu'apporte ce projet de loi. Toutefois, le gouvernement nous a avisés que c'était hors de question. Il aime le projet de loi en l'état, en dépit du fait qu'il a été fustigé par tous ceux qui s'y connaissent en matière d'accès à l'information au Canada. Les universitaires et les journalistes qui l'ont étudié et les défenseurs de droits qui utilisent l'accès à l'information pour demander des comptes à leur gouvernement ont tous dit qu'il ne donnera pas les résultats attendus et qu'il ne va pas assez loin. Je trouve que c'est dommage.
Lorsqu'il était dans l'opposition, le premier ministre a dit: « le système d'accès à l'information d'un pays est au coeur d'un gouvernement ouvert ».
J'ai parlé de transparence. Les libéraux semblaient aimer ce principe quand ils étaient dans l'opposition. Lors de la campagne électorale, le premier ministre a déclaré ceci: « Un gouvernement transparent est un bon gouvernement. » C'est ce qu'il a dit à ce moment-là.
Soyons plus précis. Il a dit:
Nous veillerons à ce que la Loi s’applique aux cabinets ministériels, y compris celui du premier ministre, ainsi qu’aux organismes publics qui assistent le Parlement et les tribunaux.
Malheureusement, ce n'est pas ce que ce projet de loi accomplit.
Ce dont le gouvernement aime parler, c'est ce qu'il appelle la « divulgation proactive », qui est une bonne chose. Par exemple, un ministre en déplacement doit indiquer ses dépenses sur le site Web pour que les Canadiens puissent voir s'il y a eu des abus. C'est fait de façon proactive. Si on se rend sur le site Web, tout est là. Bien franchement, c'est de l'histoire ancienne au Canada. Cette pratique existe depuis des décennies dans les provinces. Toutefois, même si je salue cette initiative, ce n'est pas ce que les gens veulent. Si on veut s'adresser au cabinet d'un ministre pour comprendre un contrat en particulier ou un dossier qui relève de ce dernier, on se heurte à un mur, étant donné que les cabinets des ministres ne sont pas assujettis à la loi. Il s'agit d'une véritable aberration.
J'ai eu la chance d'être le conseiller non rémunéré du procureur général de la Colombie-Britannique lorsqu'on a présenté la loi sur l'accès à l'information de cette province. Je peux dire que nous avons mené de vastes consultations. Je crois qu'on a proposé 52 amendements sur le parquet. Lorsque le projet de loi a été présenté, on l'a qualifié de meilleur du Commonwealth, puis il a été adopté à l'unanimité. Malheureusement, il a besoin de plus de travail. J'espère qu'il sera modifié, à l'instar du présent projet de loi. Néanmoins, c'était un modèle d'excellence, à l'époque. Il n'a jamais été question que les cabinets des ministres ne soient pas assujettis à la loi.
Le gouvernement bénéficie d'une disposition extrêmement vague. Elle n’a pas été modifiée. Cela fait référence à l’article 69 de la loi d'origine, l’article sur les documents confidentiels du Cabinet. Qu’est-ce que ça signifie? Plutôt que d’établir une simple exemption ou une exception à la règle, comme je l’ai mentionné précédemment, cette disposition fait en sorte que la loi ne s’applique même pas à ces documents. Qu’est-ce que ça signifie? Cela signifie que ni le bureau du commissaire ni qui que ce soit d’autre ne peut déterminer si des documents ont été versés dans un dossier confidentiel du Cabinet pour échapper à la Loi sur l'accès à l’information. Cette disposition extrêmement vague est surnommée « blanchiment de Cabinet ». Cela signifie que le gouvernement peut balancer un document dans les classeurs du Cabinet. Je ne dis pas que c’est ce qui s’est produit. Je ne dis pas qu’il y a eu mauvaise foi. Cependant, selon ce que prévoit la loi, c’est tout à fait possible. C’est pourquoi cela a été si critiqué à l’époque.
Quelles sont les autres mesures que le Sénat prône, mais auxquelles le gouvernement ne veut pas toucher? Nous avons beaucoup entendu parler de Mark Norman aujourd’hui. Le Sénat voudrait ajouter une disposition qui créerait une nouvelle infraction, celle d’« utiliser tout code, surnom ou mot ou phrase fabriqué dans un document au lieu du nom de toute personne, société, entité, tiers ou organisation » en vue de se soustraire à l’obligation légale de publier des documents.
Nous savons tous pourquoi cet amendement a été proposé: il est maintenant bien connu que, pour échapper à la Loi sur l’accès à l’information, le ministère de la Défense nationale a évité d’utiliser le nom de Mark Norman ou son grade. Pour le désigner, on employait un nom bidon, ce qui est contraire à l’esprit de la loi et certainement à la lettre de la loi. Cet amendement établirait clairement qu’on ne pourrait plus procéder ainsi à l’avenir, ce qui serait une saine pratique de politique publique.
Il me semble évident que si le gouvernement souhaite dénaturer la lettre et l'esprit de la loi, comme il l'a fait, nous devrions corriger la situation. Le Sénat s'en est aperçu et a proposé des amendements qu'il a renvoyés à la Chambre. Toutefois, le gouvernement ne nous a même pas permis d'en débattre. Il va tout simplement les mettre tous de côté. C'est très troublant. Autrement dit, il ne s'agit pas d'un problème théorique. Le problème est bien réel, et le Sénat a tenté de le régler, car on en a eu vent dans l'affaire litigieuse touchant Mark Norman. Le gouvernement refuse de régler le problème. Il ne veut même pas se pencher là-dessus.
Des amendements de forme ont été proposés, mais ce qu'il faut retenir avant tout, c'est que la loi est en train de tomber en désuétude parce qu'elle n'a pas été modifiée depuis des années. La loi a été adoptée avant même que nous ayons des ordinateurs et, maintenant, le gouvernement fait du rafistolage et se félicite d'avoir pris des mesures qui sont déjà inscrites dans les lois d'autres pays depuis une génération.
J'ai beaucoup de difficulté à trouver des aspects positifs au projet de loi. Certes, je suis heureux qu'il prévoie un examen quinquennal et, comme je l'ai dit plus tôt, qu'il accorde enfin au commissaire le pouvoir de rendre des ordonnances conformément aux lois de toutes les provinces, mais c'est plutôt mince après toutes ces années. C'est un changement positif, il faut le reconnaître, mais toujours est-il que dans l'ensemble, le projet de loi est extrêmement inquiétant.
J'aimerais pouvoir dire qu'il a du mérite, qu'il comprend certaines des choses dont j'ai parlé, comme l'idée de faire régulièrement exception pour les documents confidentiels du Cabinet afin que les tribunaux et d'autres personnes puissent théoriquement examiner les décisions relatives à la divulgation, mais il n'y a rien dans le projet de loi qui permettrait cela.
Il y a un autre problème. Je parle de l'obligation de consigner. L'un des points qui ont été soulevées est qu'il semble que pour échapper au droit du public à l'information, une grande tradition orale ait émergé. On omet d'écrire certaines choses dans les dossiers gouvernementaux. Ou bien on écrit des notes sur des feuillets autoadhésifs qu'on appose au dossier et qu'on enlève lorsqu'une demande de divulgation est présentée, ou bien — et c'est ce qui se produit le plus souvent — on n'établit aucun dossier. Nous avons observé cette situation en Colombie-Britannique, avec le développement de ce qui a été baptisé la culture orale du gouvernement.
On ne prend pas suffisamment au sérieux l'obligation de consigner, notamment pour les générations futures, les décisions prises et les motifs qui les sous-tendent. En droit administratif, les tribunaux ont constaté un engagement croissant à motiver les décisions. Il est arrivé que la Loi sur l'accès à l'information permette d'élucider les motifs d'une décision. Voilà pourquoi certains demandent que l'on établisse une obligation de consigner. Malheureusement, je dois dire qu'il n'existe rien de tel dans le projet de loi.
En conclusion, le gouvernement a fait table rase de toutes les propositions du Sénat, qui auraient fait en sorte que le projet de loi puisse être appuyée. Selon Caroline Maynard, commissaire à l'information du Canada, les amendements du Sénat amélioraient le projet de loi. S'ils avaient été adoptés, le Nouveau Parti démocratique aurait appuyé le projet de loi.
Il est tout simplement scandaleux que le gouvernement ait rejeté l'ensemble de ces amendements et ait décidé de garder une version vivement critiquée dans tous les milieux, notamment par des universitaires, des groupes d'utilisateurs et des groupes de journalistes, et qu'il ait dit que nous devrions être satisfaits de la mesure. Par conséquent, nous ne pouvons pas l'appuyer.