Madame la Présidente, je vais m’efforcer de respecter mon temps de parole, et j’espère être en phase avec vous.
Je suis heureuse d'avoir la possibilité d’intervenir au sujet du projet de loi C-14, qui modifie le Code criminel ainsi que d’autres lois, et qui, pour la première fois dans l’histoire du Canada, rendrait légal le recours à une aide médicale pour mettre fin à ses jours.
Il ferait aussi en sorte qu'il est légalement possible, pas seulement pour un médecin, un infirmier praticien ou un membre de la communauté médicale, mais aussi pour un aidant, une personne extérieure au milieu médical, de tuer toute personne aspirant à mettre fin à ses jours, si les conditions énoncées dans le projet de loi sont remplies.
C’est une question d’une extrême gravité que nous avons devant nous, et il ne fait pas de doute qu’elle fera époque. C’est quelque chose qui passera à l’histoire.
Je souhaite consacrer un peu de temps à différentes choses. Je voudrais commencer par rappeler pourquoi et comment nous en sommes venus à ce point, puis revenir sur certaines des choses dont vient de parler mon collègue à l’instant. La Cour suprême du Canada a décidé, il y a tout juste un peu plus d’un an, que tout Canadien, en vertu de la Charte des droits de la personne, a droit à une aide médicale à mourir. La Cour nous a donné un an, laps de temps très court, pour mener à bien nos discussions, nos consultations, et présenter un projet de loi.
Je veux saisir l’occasion d’exprimer non seulement ma frustration, mais aussi la préoccupation de nombre de mes concitoyens de ma circonscription et d’ailleurs au Canada, au sujet de quelque chose qui semble se reproduire continuellement. La Cour suprême est certes habilitée à prendre ces décisions dont les conséquences pour la société canadienne sont énormes et durables. Malheureusement, ce qui se passe, c’est que les Canadiens ont le sentiment, de plus en plus généralisé, qu’ils n’ont plus leur mot à dire dans ces questions, qu’il s’agisse de la mort assistée, la question qui nous occupe actuellement, ou de la légalisation de la prostitution, sur laquelle nous nous sommes penchés au cours de la dernière législature.
Nous sommes également témoins du fait que des lois adoptées tant à la Chambre qu’au Sénat sont invalidées par la Cour suprême du Canada. Nous l’avons vu au cours des dernières années et même au cours des dernières semaines.
J'estime que le temps est venu pour le gouvernement de recourir aux instruments à notre disposition pour rééquilibrer un tant soit peu notre processus. Nous avons, dans notre démocratie, un pouvoir législatif et un pouvoir exécutif, et tous deux ont des comptes à rendre à l’électorat. Nous avons également un pouvoir judiciaire, qui est un précieux élément de cette démocratie, mais qui est devenu, selon moi et selon les habitants de ma circonscription, déséquilibré. Mes concitoyens ont le sentiment qu’il y a neuf personnes, pas très loin d’ici, à Ottawa, qui prennent des décisions très importantes, au sujet desquelles les Canadiens n’ont pas leur mot à dire.
L’instrument que nous avions lorsque les conservateurs étaient au pouvoir est la disposition de dérogation. Je tiens à dire que, selon moi, nous pourrions être amenés à y avoir recours dans l'intérêt des Canadiens, et je sais que le gouvernement dispose maintenant de quatre ans et que beaucoup de choses peuvent se produire.
Au point où nous en sommes, cependant, la Cour suprême a rendu sa décision, ce que nous respectons au plus haut point. Quand bien même nous pourrions être en désaccord avec ce que dit un juge ou un ensemble de juges, au Canada, nous respectons la loi et nous nous y soumettons.
Mon collègue a évoqué le fait que les libéraux auraient pu demander davantage de temps. Je suis d’accord avec lui, cela aurait pu être fait, mais nous sommes maintenant saisis d'une mesure législative et nous devons décider de l’adopter ou non.
Je ne peux pas appuyer ce projet de loi, parce qu’il est déficient à bien des égards. Mes concitoyens n’ont pas eu suffisamment de temps pour en discuter et participer au processus. Il a déjà été fait mention d’un certain nombre des préoccupations que soulève le projet de loi, et j’insiste pour réitérer mon inquiétude devant l’insuffisance de mécanismes visant à protéger les personnes vulnérables ou faciles à manipuler.
Dans mes fonctions précédentes, j’ai travaillé avec beaucoup de personnes handicapées qui possédaient toutes sortes d’habiletés. Dernièrement, j’ai rencontré une personne qui, bien qu’atteinte d’une déficience intellectuelle, est quelqu’un de très intelligent et de très compétent. Cet homme m’a dit: « Il arrive qu’on profite de nous quand nous achetons un nouveau téléphone. Nous sommes tellement faciles à manipuler ». Et il a ajouté: « Ça m’inquiète de penser que quelqu’un pourrait encourager certains d’entre nous à vouloir mourir; c’est facile de nous manipuler ». Le projet de loi prévoit très peu de protection pour les Canadiens vulnérables.
Comme nous l’avons déjà mentionné, cette mesure législative ne prévoit non plus aucune protection, ou si peu, pour les médecins, le personnel infirmier, les autres praticiens de la médecine et les établissements hospitaliers, pour qui tuer un être humain va à l’encontre de leur conscience. Le gouvernement fédéral a le devoir de protéger le droit à la liberté de conscience. Ce projet de loi gagnerait à être renforcé par la protection de ces droits.
En outre, le libellé du projet de loi est flou et ambigu quant aux délais d’attente, aux personnes autorisées à signer au nom du patient et à la vérification qu’il conviendrait d’effectuer pour savoir si quelqu’un tire un avantage financier du décès d’une personne qui reçoit de l’aide médicale à mourir.
Il y a plusieurs préoccupations de taille. Il faut plus de temps pour corriger les lacunes en matière de protection des personnes vulnérables et de droit à la liberté de conscience.
Enfin, j’aimerais glisser quelques mots sur ma propre expérience de travail en soins palliatifs. J’ai été bénévole en soins palliatifs pendant un certain nombre d’années et je peux vous dire que d’être là, aux côtés de ces personnes en train de franchir la dernière étape de leur vie, c’est une chose qui vous marque pour longtemps.
Il existe cependant une foule d’idées fausses sur ce qu’est réellement le suicide assisté, la mort assistée. Le week-end dernier, une amie me disait: « Candice, si un jour je suis dans un état végétatif, je veux absolument qu’on tire sur le cordon. Je ne veux à aucun prix être maintenue en vie dans cet état ».
Je lui ai dit: « Ce dont tu parles n’est pas du suicide assisté. Au Canada, une personne a le droit de faire un testament biologique contenant une “ordonnance de ne pas réanimer”, elle a le droit de refuser tout traitement médical ». Ces droits sont déjà inscrits dans la loi, et tout Canadien peut s’en prévaloir. Il y a quelques années, même le premier ministre a dit que son père atteint d’un cancer avait refusé tout traitement médical. C’est un droit pour tous les Canadiens.
Ce n'est pas du tout de cela qu'il est question aujourd'hui. Ce n'est pas cette décision que nous sommes forcés de prendre à la sauvette. Ce n'est pas au sujet de cette décision que les Canadiens sont floués et ne peuvent malheureusement pas s'exprimer et encore moins voter. Cette question devrait être suffisamment importante pour que les Canadiens aient leur mot à dire. Nous ne parlons pas du refus d'être maintenus en vie artificiellement. Nous ne parlons pas non plus de sédation palliative.
Ma sœur est décédée il y a neuf ans d'un cancer. Certains membres de ma famille ont dit: « Elle est morte parce que le médecin lui a donné beaucoup de morphine pour calmer ses douleurs. » Non, ce n'est pas la morphine qui a causé sa mort. Elle est morte du cancer. La sédation palliative n'est pas une aide au suicide.
Je trouve cela ironique, mais très triste en même temps. La semaine dernière, j'ai terminé ma campagne #308conversations. Il s'agit d'une initiative lancée par la Commission de la santé mentale du Canada. C'est une idée extraordinaire consistant à engager 308 conversations — à l'époque il y avait 308 députés, maintenant nous sommes 338 — visant à prévenir le suicide et à trouver des façons dont les personnalités publiques, les professionnels de la santé et les intervenants auprès des jeunes peuvent mieux s'outiller pour prévenir le suicide.
J'ai organisé ces rencontres. Près de 70 personnes y ont participé, des personnes résolues à prévenir le suicide dans la circonscription de Portage—Lisgar. Avant de partir, je leur ai dit: « Les amis, je retourne maintenant à Ottawa pour participer à un débat sur la façon dont nous pouvons aider des gens à se suicider. »
C'est une question très délicate. Ce n'est pas une question que nous pouvons régler en disant simplement: « Voilà, d'un côté, nous ne voulons pas que ces personnes meurent parce que ce sont des jeunes qui sont victimes d'intimidation sur Internet. Nous allons tout faire pour qu'elles ne se suicident pas; mais de l'autre côté, si une personne est atteinte d'une maladie mentale et n'a plus rien à espérer de la vie, nous allons l'aider à se suicider. »
C'est une erreur et je ne pense pas qu'on puisse aisément concilier ces deux points de vue. Je crois que nous devons en discuter et mettre en place des mesures de protection.
Les soins palliatifs sont très importants. Ils donnent de l'espoir aux gens. Diverses études révèlent que, lorsque les malades en phase terminale ont la certitude qu'ils mourront sans douleur, ils choisissent la vie et laissent Dieu décider du moment de leur mort.
Nous sommes tous d'accord, je pense, pour dire qu'il faut aider les gens et leur donner espoir, qu'ils soient atteints d'une maladie mentale ou d'une maladie en phase terminale; nous leur donnons espoir et nous essayons de soulager leur souffrance. Je ne vois pas comment nous pourrions considérer la mort comme une porte de sortie honorable. Nous ne voulons pas que nos proches pensent qu'il serait plus honorable de choisir la mort. Nous sommes tous d'accord sur ce point, je pense. Choisissons la vie à chaque étape du chemin. Choisissons la vie.