Monsieur le Président, c'est un honneur pour moi de prendre la parole aujourd'hui. Je rappelle avant de commencer que nous sommes actuellement sur le territoire traditionnel des Algonquins.
Le Partenariat transpacifique a connu une vie mouvementée et tortueuse, je crois que tout le monde s'entend là-dessus. J'aimerais prendre quelques minutes pour en retracer l'historique, puis consacrer le plus de temps possible — puisque nous ne disposons plus que de 10 minutes pour exposer nos arguments et que l'attribution de temps a déjà été votée — à expliquer en quoi les dispositions investisseur-État sont antidémocratiques, et plus particulièrement celles que contient cet accord-ci.
Je dois dire que je fais miens les arguments limpides de la porte-parole du NPD en matière de commerce international, la députée d'Essex, et du député de Vancouver Kingsway. Je suis d'accord avec eux sur toute la ligne. C'est d'ailleurs ce qui me permettra, au lieu de passer en revue chacun des problèmes du PTP, secteur par secteur, de m'attarder davantage aux dispositions investisseur-État.
Pour revenir au début, la négociation du Partenariat transpacifique était déjà bien engagée lorsque le précédent gouvernement de Stephen Harper était au pouvoir. Celui-ci le savait pertinemment, mais le Canada n’y prenait pas part. Cela explique pourquoi l’entente est défavorable à certains secteurs canadiens. Nous avons tardé à nous y engager, mais avons fait preuve de beaucoup d’acharnement lorsque nous avions décidé de le faire. On se rappellera que même pendant la période électorale de 2015 — pendant laquelle le gouvernement est censé ne jouer qu’un rôle de transition —, l’ancien ministre du Commerce avait travaillé très fort pour essayer de conclure cette entente, même s’il n’y avait pas lieu de le faire, puisque les brefs d’élection avaient déjà été délivrés.
Nous savons que le président américain actuel s’en est retiré, ce qui a profondément affaibli la portée économique de l’Accord qui, sans les États-Unis, semblait voué à l’échec. Toutefois, les mauvaises ententes commerciales ne meurent jamais tout à fait et renaissent de leurs cendres. Celle-ci est de nouveau à l’ordre du jour, sans les États-Unis, et regroupe désormais 11 pays.
Les Canadiens doivent savoir que nous avons déjà des ententes commerciales, comme dans le cadre de l'ALENA, avec le Mexique. En conséquence, nous concluons une entente avec neuf autres pays. Lorsque l’on parle de la région du Pacifique, beaucoup de Canadiens pensent qu’elle comprend de grands acteurs économiques. Lorsque l’on parle du Partenariat transpacifique ou, comme on l’appelle aujourd’hui, l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste, on s’imagine qu’il comprend la Chine et l’Indonésie. Or, d’importants acteurs économiques asiatiques n’y participent pas, hormis le plus important, le Japon, ainsi que la Malaisie et, évidemment, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Y prennent également part des économies plus modestes telles que le Pérou et le Vietnam, ainsi que Singapour, qui est important, mais qui ne pèse pas très lourd en termes d’échanges.
Nous devons maintenant adopter à la hâte un accord improvisé. On nous avait promis que la Chambre n'aurait pas à adopter des accords commerciaux à toute vitesse, qu'elle pourrait en débattre amplement. J'en déduis que le comité s'est également fait dire de se hâter. C'est donc dire que cet accord commercial ne sera pas débattu adéquatement. L'issue est déterminée d'avance avec l'attribution de temps.
J'aimerais utiliser les six minutes et demie qu'il me reste pour expliquer à la Chambre pourquoi j'estime que les dispositions sur le règlement des différends entre investisseurs et États ne devraient faire partie d'aucun accord commercial. Elles n'ont pas leur place dans de tels accords. En fait, elles n'ont rien à voir avec le commerce. On les confond souvent avec les accords de résolution des différends commerciaux. Ainsi, dans le cas de l'ALENA — un accord qui, soit dit en passant, est à l'origine de ces systèmes de résolution des différends concernant les investisseurs —, les dispositions qui se trouvent au chapitre 11 de l'ALENA n'avaient jamais été exigées auparavant. On ne les comprenait pas. Même ceux qui ont négocié l'ALENA ne les comprenaient pas.
Dans l'ALENA, le chapitre 19 indique comment résoudre les différends au sujet des droits de douane et des décisions commerciales injustes. Nous connaissons bien ce genre de dispositions. C'est un mécanisme de résolution des différends commerciaux en bonne et due forme. Il faut de telles dispositions pour conclure un accord commercial. En revanche, ce qu'il ne faut pas, c'est adopter ce genre de disposition bidon et antidémocratique sur les différends entre investisseurs et États, qui remontent au chapitre 11 de l'ALENA. En quoi consiste ce chapitre? À la première lecture du texte de l'ALENA et pendant les disputes au sujet de son adoption, aucun des groupes anti-ALENA n'a remarqué le chapitre 11. Personne n'en parlait; il passait inaperçu.
Le chapitre 11 semblait logique. Si quelqu'un investissait dans un pays et qu'il se faisait exproprier le bien construit — comme lorsque Fidel Castro a pris le contrôle de Cuba —, il devait être indemnisé, ce qui est déjà la norme internationale. Cela semblait être la teneur du chapitre 11. Nous avons constaté que ce n'était pas tout à fait le cas lorsque la société Ethyl Corporation de Richmond, en Virginie, a intenté la première poursuite contre le Canada en vertu du chapitre 11.
Il convient de souligner que, à l'heure actuelle, le Canada est le pays industrialisé qui fait le plus souvent l'objet de poursuites aux termes de ces accords investisseur-État et qu'il perd de façon répétée. Il perd, non pas parce qu'il porte atteinte aux règles commerciales, non pas parce qu'il trahit un pays qu'il s'était engagé à traiter de manière amicale dans le but d'en retirer un avantage commercial, mais bien parce qu'il essaie de protéger la santé publique et l'environnement.
Prenons Ethyl Corporation. Dans ce cas, l'ancienne ministre de l'Environnement, Sheila Copps, avait entendu parler des efforts déployés par des groupes comme celui où je siégeais à titre de directrice générale, le Sierra Club du Canada. Nous travaillions fort pour éliminer un additif pour essence toxique appelé MMT, qui est à base de manganèse. C'est difficile à croire, mais les fabricants d'automobiles se sont joints à nos efforts. Les fabricants d'automobiles affirmaient que le MMT encrassait les moteurs et risquait d'abîmer les convertisseurs catalytiques. Autrement dit, cet additif augmentait la pollution d'une façon qui pouvait annuler les garanties des voitures.
Par conséquent, les fabricants d'automobiles, les groupes environnementaux et un certain nombre de groupes de santé, armés des données de la neurotoxicologue de l'Université du Québec à Montréal, la Dre Donna Mergler, ont déclaré que ce produit augmentait le nombre de cas de manganisme dans la population, à savoir des tremblements qui ressemblent beaucoup à la maladie de Parkinson, et, parallèlement, risquait d'annuler la garantie des voitures. La ministre de l'Environnement a présenté un projet de loi qui a été adopté au Parlement. La loi indiquait que l'on se débarrasserait du MMT dans l'essence.
Il est important de savoir que, à ce stade-là, l'Environmental Protection Agency des États-Unis avait refusé d'homologuer le MMT parce que, à son avis, ce produit était mauvais pour l'environnement et pour la santé et il ne fallait pas l'utiliser. Par conséquent, le Canada l'a interdit.
Ethyl Corporation a affirmé qu'elle intenterait une poursuite en vertu du chapitre 11 de l'ALENA. Cependant, avant que cette procédure aboutisse, le gouvernement de l'époque a décidé de régler l'affaire à l'amiable. On ne peut pas dire que l'affaire a été réglée « hors cour » parce qu'aucune cour n'était concernée. Il s'agit de causes d'arbitrage privé qui sont généralement entendues dans des chambres d'hôtel. Par conséquent, si on prévoit qualifier le processus d'arbitrage en vertu du chapitre 11 de processus « hors cour », il faut insérer le mot « fantoche » après le mot « cour » pour que tout soit logique.
Cependant, Ethyl Corporation a réussi à obtenir une indemnité de 13 millions de dollars américains du Canada, qui a été puisée à même le budget de services votés d'Environnement Canada. Si les députés ne pensent pas que cela a eu un effet néfaste sur la volonté d'Environnement Canada d'interdire des produits chimiques dangereux fabriqués aux États-Unis, ils ne se sont pas penchés sur ce qui est arrivé depuis. C'était le premier cas. En passant, quel était l'investissement de la société Ethyl Corporation au Canada? Avait-elle une usine au pays? Non. A-t-elle créé des emplois ici? Non. Elle vendait un additif à l'essence toxique au Canada et c'était suffisant pour faire de la société un investisseur. La même chose s'est produite avec S.D. Myers, qui est le prochain cas.
S.D. Myers est une entreprise de l'Ohio qui utilise des incinérateurs pour brûler des déchets contenant des BPC. Sheila Copps, l'ancienne ministre de l'Environnement, avait interdit l'exportation à partir du Canada de déchets contenant des BPC, conformément à la Convention de Bâle, dont le Canada était signataire, mais S.D. Myers a intenté une poursuite contre le Canada. Qu'est-il arrivé? Il se trouve que l'entreprise était maintenant considérée comme un investisseur. L'entreprise avait prévu de réaliser des profits en récupérant les déchets contenant des BPC et en les brûlant en Ohio.
Cependant, lorsque nous avons interdit l'exportation à partir du Canada de déchets contenant des BPC, l'importation aux États-Unis de ce genre de déchets était illégale aux termes des lois américaines. Compte tenu de ces faits, nous ne pouvions imaginer perdre devant les tribunaux, mais nous avons perdu. Le Canada a interjeté appel à la Cour d'appel fédérale, qui a conclu que l'erreur n'était pas suffisamment importante, selon les règles d'arbitrage, pour que nous ayons gain de cause. Il nous a donc fallu verser de l'argent à S.D. Myers.
Nous attendons la décision relativement à la poursuite intentée par Bilcon, qui a demandé 580 millions de dollars en dommages-intérêts. Le Canada a perdu le procès devant la Cour fédérale, malgré le fait que la conclusion de la commission d'évaluation environnementale, au sujet de l'exploitation par Bilcon d'une carrière à ciel ouvert à Digby, en Nouvelle-Écosse, était rigoureuse, exhaustive, indépendante et était fondée sur des données probantes.
La société Ethyl Corporation ne s'est pas adressée aux tribunaux au Canada, même si elle aurait pu le faire. Soit dit en passant, cette décision a amené le gouvernement progressiste-conservateur de la Nouvelle-Écosse ainsi que John Baird, le ministre de l'Environnement de l'ancien gouvernement conservateur, à refuser le permis. Cependant, la société Bilcon, au New Jersey, a eu droit à une audience secrète au titre du chapitre 11 de l'ALENA, et elle a eu gain de cause.
LE PTP ne prévoit pas d'audience secrète, et c'est un élément qui distingue les deux accords. Toutefois, si nous adoptons cette mesure législative, nous le regretterons. Des poursuites seront intentées au titre du chapitre 9 du PTP, encore une fois par la Malaisie et le Japon, et nous perdrons, parce que le Canada perd en général. Cela mine la démocratie, et j'exhorte les députés à retirer du projet de loi dont nous sommes saisis les dispositions relatives aux différends investisseur-État.